Guerre Israël-Hamas : "il faut un changement de direction"

  • il y a 8 mois

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00:00 Et on en parle avec vous, Denis Charbit. Merci d'être avec nous, professeur de sciences politiques à l'Université ouverte d'Israël,
00:05 auteur d'Israël et ses Paradoxes, idées reçues sur un pays qui attise les passions, c'est paru aux éditions Le Cavalier Bleu.
00:15 Aujourd'hui, on assiste en Israël à des manifestations quotidiennes aux abords du Parlement la Knesset, mais aussi du domicile même
00:23 de Benyamin Netanyahou, des familles d'otages qui tentent d'obtenir du Premier ministre israélien qu'il concède une trêve
00:31 pour obtenir la libération des otages. Où en est-on d'après vous ?
00:34 Je dirais qu'après les trois premiers mois durant lesquels la population israélienne a suivi, je dirais avec loyauté,
00:43 l'objectif stratégique d'éliminer le Hamas, considérant qu'après le massacre de masse du 17 octobre, qu'il n'y avait pas d'autre issue,
00:51 et cela touchait toute la population israélienne, de gauche, de droite, laïques et religieux.
00:55 Néanmoins, cette opération a commencé, je dirais avec un boulet au pied, c'est-à-dire qu'il y avait simultanément plus de 138 otages
01:06 retenus par le Hamas, après le premier échange, la première négociation qui a eu lieu.
01:11 Et dans un premier temps, l'opinion publique israélienne a estimé que si, comme on lui disait d'ailleurs, que les deux objectifs sont complémentaires,
01:19 que plus Israël mènera une offensive, plus le Hamas, acculé, sera conduit à accepter une autre négociation.
01:28 Acculé, on y est aujourd'hui, c'est Raniounès vraisemblablement.
01:30 Exactement. Mais le fait est que, compte tenu du fait que la victoire ne semble pas être au bout de cette opération militaire,
01:38 même si bien sûr le Hamas est considérablement affaibli, mais je pense qu'aucun Israélien ne pensait que ça prendrait plus de trois mois
01:45 et avec des résultats qui apparaissent un peu mitigés. Et ce qui s'est passé en fait, c'est que ces deux objectifs complémentaires,
01:52 même s'il y avait une contradiction entre les deux, eh bien il y a un sentiment, et là c'est bien entendu lié aussi à l'impopularité de Netanyahou,
02:00 à la fois parce qu'il l'a fait lors de l'année 2023 autour de la réforme, mais aussi autour de cet relatif échec militaire.
02:08 Le résultat, c'est qu'aujourd'hui les Israéliens disent "la guerre, on la gagne un peu plus, on la gagne un peu moins",
02:14 mais il y a une chose qui est sûre, c'est que si on ne négocie pas tout de suite et en payant le prix le plus fort,
02:19 c'est 138 cercueils qui vont revenir à la fin de la guerre. Et donc aujourd'hui, cette complémentarité, elle explose en disant
02:29 "on ne sait pas ce que la guerre nous apporte, un peu plus, un peu moins". Il y a une chose qui est certaine, c'est que l'urgence,
02:35 c'est des enfants, des vieillards, des adultes, jeunes ou moins jeunes, il faut les sauver parce qu'ils sont certainement dans la famine,
02:44 peut-être les femmes sont-elles violées. Et donc aujourd'hui, c'est la priorité, la guerre après.
02:50 Ces 138 otages ne sont pas revenus. Et puis il y a ces images d'hôpitaux visés à Ranyounet, ce refuge de l'ONU,
02:58 ça provoque-t-il des réactions en Israël où l'attention est focalisée aujourd'hui exclusivement sur les otages ?
03:03 Il faut le dire très objectivement, et j'ai interrogé beaucoup de mes concitoyens israéliens, y compris des gens qui avaient une certaine,
03:11 on va dire, empathie pour la cause palestinienne, pour les difficultés face aux ramasses, ou même en général à cause d'Israël.
03:20 Et là, je dois vous dire, on peut le déplorer, on peut le regretter, mais de manière quasi unanime, ce que ces personnes-là m'ont dit
03:28 quand je les ai interrogés sur ce qui se passe à Gaza, dont on a peu d'images en Israël, il faut le savoir, mais on peut les voir ailleurs,
03:35 sur la télévision française, France 24, la réponse qu'ils m'ont faite, c'est "on n'a pas de place dans notre cœur pour la souffrance palestinienne".
03:45 Pas aujourd'hui, pas maintenant. Le traumatisme a été tel qu'on considère de manière très claire et très ferme
03:54 qu'entre des massacres qui sont commis intentionnellement et des civils qui meurent sous les bombes israéliennes, personne ne le nie,
04:05 mais quand il n'y a pas d'intention authentique, réelle, explicite de les tuer, eh bien pour les Israéliens, ça fait la différence.
04:15 Et j'ajouterais peut-être que le fait qu'il n'y ait pas eu de voix palestinienne et arabe significative pour condamner,
04:25 non pas la légitimité du mouvement palestinien à s'opposer à l'occupation israélienne, mais aux massacres, aux viols, aux personnes brûlées vives.
04:35 J'ai appris hier qu'il y avait un restaurant qui s'ouvrait à Amman au nom du 7 octobre.
04:41 Ça, ça crée un fossé tel qu'aujourd'hui les Israéliens disent "j'ai plus de place dans mon cœur pour cela".
04:47 Ça a créé le 7 octobre, ces attentats du 7 octobre, une fracture irrémédiable entre la population israélienne et à la fois ses voisins arabes alentours,
04:57 mais également le peuple palestinien. Est-ce qu'aujourd'hui, au point que lorsque Benyamin Netanyahou dit qu'il ne croit pas,
05:03 qu'il ne veut pas de cette solution, il ne veut même pas l'envisager, solution à deux États, ce point de vue aujourd'hui, il est très largement dominant en Israël ?
05:10 Alors, il est relativement dominant, tout le monde comprend qu'il y aura un jour d'après, tout le monde pense qu'on n'en est pas encore là.
05:19 On n'en est pas encore là pour deux raisons. D'abord parce que si Netanyahou est au pouvoir, il n'y a pas de jour d'après qui compte.
05:25 Je veux dire, il oppose un État palestinien, c'est là-dessus qu'il fera campagne s'il y a campagne électorale, dans le courant de l'année 2024.
05:31 Et puis du côté palestinien, il n'y a pas de direction palestinienne. Donc toutes ces, je dirais, je ne veux pas être méprisant,
05:38 mais ça apparaît pour les Israéliens comme de la logorée, c'est du verbiage. On n'a pas encore les directions politiques, ni du côté...
05:46 On ne va pas discuter avec le Hamas, on ne va pas discuter avec Mahmoud Abbas qui est déjà trop vieux.
05:51 Donc il faut un changement de direction en Israël, il faut un changement de direction du côté palestinien, et à ce moment-là, tout est possible.
05:58 Mais il est vrai que la perspective d'un retrait israélien aux frontières de 67, aujourd'hui, fait peur, mais au nom du bon sens.
06:05 S'ils ont franchi la bande de Gaza et ont massacré, alors... Et là, c'était des petits villages.
06:11 Se retirer de la Cisjordanie, c'est exposer Tel Aviv, de grandes villes de 100 000 habitants, à des dizaines et centaines de sept octobres.
06:19 Donc la méfiance est énorme. De dire, d'exclure... Parce qu'il faut tirer un bon usage de la crise. Et donc, il faut passer...
06:27 C'est pour ça que je parle d'un sas de décompression. On ne peut pas passer du jour au lendemain à une guerre qui est dure, qui est difficile,
06:36 avec une suspicion réciproque, à "embrassons-nous, folle ville, on va faire la paix demain matin, on se retire des territoires, et c'est terminé".
06:43 Denis Chervil, lorsque vous venez ici en France, et vous observez aujourd'hui même qu'on annonce que les actes antisémites ont quadruplé l'année dernière,
06:48 et notamment après les attentats du 7 octobre, ça vous inspire quoi ?
06:54 C'est inquiétant. C'est inquiétant... Ce qui est inquiétant peut-être, c'est que je ne sois pas surpris. J'aurais préféré vous dire "je suis surpris, je suis scandalisé, comment est-ce possible ?"
07:04 Je peux l'expliquer, je peux le comprendre, mais c'est là le malheur. C'est-à-dire que, qu'on s'en prenne à Israël, qu'on estime qu'Israël a presque commis aujourd'hui, justifie...
07:20 Allez, pourquoi pas, allez, je le concède. Mais en quoi un juif de France, quoi, sous prétexte qu'il soutiendrait Israël, au nom de quoi un délit d'opinion deviendrait une justification ?
07:33 Une présomption de double allégeance.
07:34 Exact. Alors je ne sais pas si c'est double allégeance, mais c'est... Et moi j'ai beaucoup interrogé des collègues universitaires qui m'ont dit "c'est pas tant les médias, c'est pas tant la classe politique,
07:46 à part la France insoumise, la classe politique a été plutôt compréhensible envers Israël. Je trouve que les médias se sont relativement bien tenus."
07:56 Ce qu'on me dit, ce dont on me témoigne, c'est, dans mon entourage, professionnel, amical, des propos... Un exemple, quelqu'un m'a dit, parlait de l'antisémitisme,
08:08 "Oh mais toi tu es juive, alors bien sûr que tu penses que l'antisémitisme est partout." Personne qui est sans doute juive, mais pour qui ce n'est pas le centre de son identité.
08:17 C'est l'affaire des juifs, l'antisémitisme.
08:18 Exactement. Voilà. Et ça, ce sentiment d'être renvoyé à sa solitude, et d'être... Ces actes antisémites, ils ne visent pas Israël, ils visent des concitoyens français.
08:29 C'est pas parce qu'ils sont juifs qu'ils sont forcément pour Israël, ils peuvent l'être un peu, beaucoup, passionnément. Que cette adhésion, elle est discrète.
08:38 Il n'y a pas eu de manifestation publique, il y a eu des manifestations publiques des juifs de France pour les otages. Il n'y a pas eu de manifestation pour dire "Israël a raison, Israël doit attaquer plus fort."
08:48 Ça, c'est montrer qu'il y a quelque chose qui se passe.
08:53 Il y a une présomption, en gros, de soutien pour chaque juif au gouvernement Netanyahou, chaque juif de France est considéré comme un militant l'écoute.
08:59 Mais même s'il... Je vais aller plus loin. Et même s'il était un militant l'écoute, est-ce que ça peut justifier qu'on se retourne sur son voisin pour lui dire "Juif" ou autre chose ?
09:11 On ne réfléchit pas à cette... Je veux dire, le pire, c'est que les gens estiment que "Ah bah s'il soutient Israël, c'est peut-être normal."
09:19 Mais pourquoi ce serait normal ? Enfin, je sais pas, si vous avez un voisin russe qui soutient Poutine, vous pouvez lui dire "Je suis pas d'accord avec vous", vous pouvez discuter avec lui.
09:26 Mais vous lui direz "Sale ruse, retourne dans ton pays." Et c'est cet automatisme-là qui, pour moi, est inquiétant.
09:35 C'est pas qu'il y ait une controverse. Il y a une controverse, pourquoi pas ?
09:39 C'est que cette controverse, elle conduit très vite des gens à assimiler des Juifs à des Israéliens, et donc à être capable de dire tout et n'importe quoi.
09:49 Et ça renvoie les gens, finalement, à une solitude.
09:54 Et je pense que ce qui aussi choque beaucoup, parce que je l'ai beaucoup entendu depuis que je suis ici à Paris, c'est l'effacement du 7 octobre.
10:02 Ce massacre de demain, c'est pas simplement 1140 personnes assassinées. C'est tout ce qui a suivi. C'est la mort en direct. C'est les viols.
10:12 Alors, ça veut pas dire que l'histoire s'arrête. Je suis pas de ceux qui pensent que l'histoire s'arrête le 7 octobre.
10:18 Mais elle aurait dû conduire des gens à se dire, dans une même phrase, "pro-palestinien et pro-israélien".
10:26 Je vous comprends. Et si vous leur disiez "mais c'est la contradiction", vous avez raison aussi.
10:31 Mais on aurait espéré, et on devrait attendre, précisément parce qu'on voudrait s'acheminer vers la paix,
10:40 arrêter d'être pro-israélien, arrêter d'être pro-palestinien, comprenez les deux côtés.
10:45 C'est la meilleure contribution qu'on puisse faire aujourd'hui à la paix future.
10:49 Merci beaucoup, Denis Charbille, d'avoir été notre invité sur France 24.

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