Grandir avec une mère alcoolique : le témoignage de Camilla Gallapia

  • il y a 8 mois
L’illustratrice Camilla Gallapia a grandi auprès d’une mère malade alcoolique. Quelques mois après la sortie de son roman graphique Fille d’alcoolo, elle nous raconte son enfance et le tourbillon qu’a provoqué l’alcool dans sa cellule familiale.
Transcript
00:00 On représente les femmes alcooliques comme des femmes qui boivent de façon classe en fait.
00:06 Elles boivent dans des verres à pied, elles boivent du vin.
00:09 Et ça envoie un mauvais message parce que l'alcoolisme c'est pas ça.
00:12 L'alcoolisme c'est l'alcool qui est prégnant.
00:15 C'est pas une maladie qui est glamour, c'est pas une maladie qui est classe,
00:18 c'est une maladie qui est terrible, qui fait des ravages.
00:20 Bonjour, je m'appelle Camilla.
00:25 Vous me connaissez peut-être sous le nom de Camilla Galapias sur les réseaux sociaux.
00:28 J'ai 42 ans, je suis illustratrice et je suis la maman de deux enfants qui ont 16 et 13 ans.
00:34 J'ai un souvenir très précis du moment où je me suis rendue compte que ma mère était alcoolique.
00:38 Je devais avoir, je dirais entre 9 et 10 ans et jusque-là j'avais jamais rien soupçonné.
00:44 C'est un jour où en entendant une dispute entre mes parents,
00:47 ma soeur, ma grande soeur qui a 5 ans de plus que moi,
00:50 a voulu un peu me rassurer en m'expliquant le contexte et en me disant
00:53 "tu sais, maman a un problème avec l'alcool mais t'inquiète pas, aujourd'hui c'est terminé".
00:58 Pour moi, apprendre que ma mère était alcoolique, ça a été un cataclysme
01:02 parce que quand on est enfant, on ne se pose pas tellement de questions sur ses parents,
01:05 en fait on les prend tels qu'ils sont.
01:07 C'est vrai qu'il y avait des choses un peu atypiques chez ma mère,
01:10 notamment le fait qu'elle dormait beaucoup, mais elle s'occupait malgré tout très bien de nous.
01:13 À partir du moment où j'ai été au collège où son alcoolisme a commencé à prendre plus de place,
01:19 j'avais l'impression que la seule chose que je pouvais faire,
01:21 parce qu'on est complètement désemparé quand on a un proche qui est alcoolique,
01:25 c'était de la protéger de sa consommation et de son envie de boire.
01:27 Je faisais ce que je déconseille absolument, mais c'était la seule porte de sortie que j'avais trouvé,
01:32 c'était d'essayer de trouver ses bouteilles pour les vider,
01:36 de façon à limiter et à freiner sa consommation au moins pour la journée.
01:40 À partir du moment où on a un parent malade alcoolique,
01:43 c'est nous, en tant qu'enfant, qui prenons soin de lui,
01:45 du coup on se responsabilise beaucoup plus tôt, on gagne en maturité beaucoup plus tôt
01:49 et on perd surtout énormément d'insouciance beaucoup plus tôt.
01:53 Être enfant d'alcoolique, ça provoque une grosse ambivalence de sentiments.
01:58 Pour ma part, à la fois j'adorais ma mère réellement,
02:00 en plus c'était une petite dame, elle mesure 1m50, elle était toute frêle,
02:06 elle était rigolote, c'était quelqu'un d'extrêmement intelligent, de vraiment brillant,
02:10 et je l'adorais.
02:12 Et en dehors du moment où elle était elle-même, quand elle était sous l'emprise de l'alcool,
02:16 très honnêtement, encore aujourd'hui j'ai honte de le dire, mais j'avais une aversion pour elle.
02:21 Il y avait ma maman et puis il y avait l'autre, celle que vraiment je supportais pas.
02:25 Sauf que je savais que derrière l'autre, il restait ma maman quelque part.
02:29 C'est vraiment quelque chose qui est compliqué parce que ça rajoute à la culpabilité.
02:33 On se sent le coupable de ne pas réussir à aider son parent,
02:35 et on se sent le coupable parfois de le détester.
02:39 C'est seulement en écrivant la BD "Fille d'alcoolo" que j'ai réalisé
02:44 que ma mère s'était toujours battue contre sa maladie.
02:47 Elle a suivi beaucoup de cures, elle est allée voir énormément de médecins.
02:51 Dans tout ce parcours de soins qui était très riche,
02:55 à aucun moment un professionnel de santé n'a estimé nécessaire de nous recevoir,
03:00 ma sœur et moi, en tant qu'enfant du foyer où évoluait le malade,
03:04 pour voir comment nous on s'en sortait avec ce bagage-là.
03:06 Aujourd'hui je sais qu'il existe quelques associations,
03:09 notamment l'association Alanon Alatine,
03:11 qui s'occupe d'écouter les enfants et les proches de personnes alcooliques.
03:15 On représente les femmes alcooliques comme des femmes qui boivent de façon classe.
03:22 Elles boivent dans des verres à pied, elles boivent du vin.
03:25 Et ça envoie un mauvais message parce que l'alcoolisme c'est pas ça,
03:28 l'alcoolisme c'est l'alcool qui est prégnant,
03:30 c'est pas une maladie qui est glamour, c'est pas une maladie qui est classe,
03:34 c'est une maladie qui est terrible, qui fait des ravages.
03:36 Dans l'imaginaire collectif, c'est plutôt l'alcoolisme masculin,
03:40 qui se cache moins, qui est un alcoolisme, j'ai envie de dire, plus extérieur au domicile,
03:48 où on peut aller dans des bars, où retrouver des copains.
03:52 Il n'est pas moins grave, mais il est plus représenté.
03:54 L'alcoolisme féminin, c'est un alcoolisme qui est complètement tabou,
03:57 parce qu'il y a un peu cette image qu'une femme, et encore moins une mère,
04:01 ne devrait pas s'auto-détruire.
04:04 C'est pas ce qu'on attend d'une femme.
04:05 Une femme, elle doit être sacrificielle, une mère, elle doit être sacrificielle,
04:08 doit s'occuper de son foyer, elle doit toujours être bien présentée,
04:12 elle doit tenir sa maison.
04:14 Et le fait qu'elle puisse faire quelque chose d'aussi dégradant que s'auto-détruire,
04:19 quel que soit le médium, et là c'est avec de l'alcool,
04:22 c'est quelque chose qui est extrêmement tabou.
04:24 Ce qui pousse les femmes, en général, à boire chez elles.
04:26 La plupart des femmes qui souffrent d'alcoolisme,
04:28 c'est un alcoolisme qui est dans le microcosme de leur foyer.
04:32 Et en tant qu'enfant, du coup, ça rend ça encore plus difficile,
04:35 parce qu'on a vraiment l'impression qu'il y a un monde extérieur,
04:38 et que notre monde intérieur est complètement chamboulé.
04:41 Comme un peu comme si on faisait partie d'une boule à neige,
04:43 et que c'était impossible d'en sortir.
04:45 Je me suis dit "mais si moi je le vis comme un immense tabou,
04:47 comme un grand secret, je suis peut-être pas la seule".
04:49 Et j'ai commencé à publier mon histoire sur Instagram.
04:52 Je le disais à personne jusque-là, et d'un coup je me suis mise du coup à le dire à tout le monde,
04:55 parce que j'avais la chance d'avoir pas mal d'abonnés.
04:58 Je me suis dit "je vais être complètement transparente
04:59 et leur raconter en fait ce que j'ai vécu".
05:01 Et donc, j'ai commencé à publier les premiers épisodes de Fille d'Alcolo.
05:05 Et de là, ça a été vraiment un raz-de-marée de commentaires et de messages privés,
05:09 de gens qui me disaient "moi aussi j'ai vécu ça,
05:11 ça me fait du bien d'en entendre parler".
05:14 Il y a quelques choses que j'ai apprises dans le fait de partager mon histoire,
05:18 c'est qu'en fait on est plein à avoir vécu ça,
05:21 et on est responsable et on est coupable de rien,
05:23 donc ça a pas à être une honte.
05:24 On est coupable de rien, ça c'est une évidence,
05:27 on est victime de l'alcoolisme au même titre que le malade.
05:30 Et qu'en parler, se tourner vers une association,
05:35 ne pas rester avec ce secret comme si le monde allait s'écrouler
05:38 si quelqu'un l'apprend, c'est essentiel.
05:40 !

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