"Au lycée, je rentrais le midi pour vérifier que mon père ne soit pas mort"
Olivia Leray nous parle de l’alcoolisme de son père, des responsabilités qu’elle a eue enfant et de cette maladie trop taboue en France.
Olivia Leray nous parle de l’alcoolisme de son père, des responsabilités qu’elle a eue enfant et de cette maladie trop taboue en France.
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00:00 Quand on pense alcoolique, on a l'impression que c'est quelqu'un qui va vider une bouteille de whisky dans la seconde,
00:04 tenir le coup, vider la deuxième.
00:06 Et moi, je voulais montrer aussi que c'était pas ça.
00:07 C'est aussi être un être humain normal, avec des failles, des faiblesses et avec une maladie.
00:11 Mais c'est vrai que moi, je n'ai jamais subi aucune violence physique.
00:14 En revanche, un peu plus tard, à l'adolescence, j'ai compris que ça engendrait quand même,
00:18 pour ceux qui sont à côté, des responsabilités et des souffrances morales assez importantes.
00:22 On a beaucoup de témoignages de gens qui racontent leur combat face à l'alcoolisme.
00:25 Et c'est vrai que moi, je me retrouvais pas du tout dans ces témoignages-là,
00:28 parce que c'est pas du tout le même effet quand tu es alcoolique et quand tu es à côté.
00:31 Il n'y a pas beaucoup de témoignages, il n'y a pas beaucoup d'interviews,
00:34 il n'y a pas beaucoup de films là-dessus.
00:36 En fait, toute l'œuvre culturelle, elle est très tournée vers le malade, mais pas sur les dents.
00:40 Et donc du coup, c'est vrai que je me suis dit,
00:41 pourquoi pas aussi poser ce regard-là et pourquoi pas montrer qu'à côté,
00:45 c'est aussi une souffrance psychologique et que peut-être qu'on n'est pas touché par la maladie,
00:49 mais on est touché par tout ce qu'elle engendre en tout cas.
00:51 Je me souviens de tous ces moments où lui, avec ses potes,
00:54 passait des très bons moments en buvant des coups.
00:57 Et où moi et ma sœur, on était à côté en attendant et on passait nos week-ends,
01:01 nos soirées parfois, en attendant que leur soirée ou leur journée se termine.
01:05 C'est pas des mauvais souvenirs d'enfance que d'être là à attendre avec ta grenadine
01:09 et à attendre que cette journée se termine et que le PMU soit fini et que le tirage soit passé.
01:13 C'est vraiment des bons souvenirs pour moi.
01:15 J'en ai jamais souffert en tant qu'enfant.
01:17 Ça n'a jamais été de la maltraitance ou quoi que ce soit.
01:19 Quand je me rends compte qu'il est malade et qu'en fait, il ne peut plus s'en passer
01:22 et que je n'ai plus mes yeux d'enfant, mais j'ai mes yeux de semi-adulte, on va dire.
01:25 C'est vrai qu'il y a un petit changement dans ma tête et j'ai envie de le protéger,
01:29 j'ai envie de l'aider, j'ai envie qu'il ne se fasse pas de mal,
01:31 notamment entre midi et deux, quand je suis au lycée.
01:34 Ma seule mission, en fait, et c'est vraiment une mission, c'est d'aller vérifier qu'il va bien,
01:37 c'est d'aller vérifier qu'il n'est pas mort ou qu'il ne s'est pas suicidé
01:39 parce que l'alcoolisme, c'était aussi pour lui une partie de dépression.
01:43 C'est vrai que j'avais un peu cette mission-là.
01:45 Un peu plus tard, ça a été aussi de l'enlever et de le sortir des soirées où il avait trop bu,
01:48 de le traîner jusqu'à un endroit où il soit en sécurité, où on ne se moque pas de lui,
01:51 de le traîner hors des soirées familiales pour le coucher, pour le mettre en pyjama,
01:56 pour lui apporter un verre d'eau, pour qu'il s'endorme.
01:57 Des responsabilités que je n'aurais pas dû avoir.
02:00 Au début, il se cachait.
02:02 Du coup, tu te dis, si il se cache, c'est qu'il se rend compte que ce n'est pas bien.
02:04 Et à partir du moment où il ne se cache plus, c'est même plus grave pour lui de boire,
02:07 c'est là que tu te rends compte qu'il y a un problème.
02:08 Et effectivement, la dernière phase, c'est s'en foutre.
02:11 Même pas s'en foutre, c'est qu'il ne peut même plus faire sans.
02:14 Il essaie de se soigner, mais ça ne marche pas.
02:15 Il y a l'autre phase où il y a le syndrome de Korsakoff,
02:17 et où du coup, là, il n'est même plus en capacité de se rappeler qu'il ne faut pas boire.
02:20 Donc, c'est plusieurs étapes dans la maladie.
02:21 Le syndrome de Korsakoff, c'est quand tu as de la vitamine B1,
02:27 qui est essentielle au fonctionnement du cerveau,
02:29 qui ne se fixe plus sur ton cerveau parce que tu es en malnutrition,
02:32 parce que tu bois trop.
02:33 La partie du cerveau qui se grise, ça fait que tu perds la mémoire immédiate.
02:37 Ça veut dire que tu n'es plus capable d'être en société parce que tu tiens des propos incohérents,
02:41 que tu perds un peu l'équilibre, que voilà.
02:42 C'est tout un tas de symptômes comme ça.
02:44 Donc, c'est un syndrome qui est très grave, qui est irréversible si tu continues à boire,
02:48 qui m'a permis de faire un pas vers lui, de mieux comprendre,
02:51 et d'arrêter de lui en vouloir, et d'arrêter d'être en colère,
02:53 en pensant que c'était un manque de volonté,
02:55 et que même pour nous, il ne voulait pas arrêter en fait.
02:57 J'ai décidé d'accepter l'enfance que j'ai eue,
02:59 j'ai décidé d'accepter le père que j'ai eu et que j'ai toujours.
03:02 Et je pense que du coup, ce n'est pas à tout prix repousser ce que ça fait de mal en nous,
03:06 je pense que c'est l'accepter.
03:07 Vraiment, il faut prendre conscience que c'est une vraie maladie,
03:10 et qu'il n'y a pas à en avoir honte.
03:12 Il y a à accompagner, il y a à aider, il y a à faire que notre société traite mieux les alcooliques.
03:16 Mais c'est vrai que ce regard des gens, il est terrible,
03:18 parce que quand par exemple, on passe un portique à l'aéroport,
03:21 et que dans le sac de mon père, il y a des canettes et très peu de vêtements,
03:24 le regard des gens, mais il faut le voir en fait pour le comprendre,
03:27 il faudrait que les gens se mettent dans notre regard à nous.
03:29 Plus que les mots, je pense que ce sont vraiment les regards des gens sur cette maladie
03:33 qui sont violents et qu'il faut changer.
03:34 Notre société accepte l'alcool, le met en valeur, le valorise.
03:38 C'est hyper cool de boire, c'est hyper cool de trinquer avec du champagne.
03:40 Dans un autre côté, par contre, on est incapable d'accepter les gens qui en sont malades.
03:44 Et je trouve que c'est hyper hypocrite, et c'est ça aussi que je voulais bouger,
03:46 parce que c'est clair que dans nos sociétés, dans nos familles,
03:48 l'alcool est présent partout et tout le temps.
03:50 Et si tu bois pas, bah t'es pas cool quelque part.
03:52 Quand j'ai su que ça allait devenir un livre et que ça allait être publié,
03:56 je tenais absolument à aller lui en parler.
03:58 Et c'est vrai qu'on s'est installés sur une plage,
03:59 et en fait, il m'a dit tout un tas de choses qu'il m'avait jamais dites.
04:02 À la veille du livre, je l'ai appelé pour lui dire "C'est demain, t'es prêt ?
04:05 Est-ce que tu veux qu'on en parle ? Est-ce que tu veux que je te réexplique ?"
04:08 Parce que j'avais peur qu'il l'ait oublié.
04:09 Il m'a dit "C'est quoi le livre ? Tu publies un livre ?"
04:11 Il me dit "Mais t'écris un livre sur quoi ? Donne-moi le titre."
04:14 Et du coup, je lui dis "Ça s'appelle "De l'eau dans ton vin"."
04:16 Et il me dit "Ah mais t'écris un guide sur les vins !"
04:18 Je lui ai dit "Non, j'écris un livre sur toi, sur ton histoire."
04:21 Et il me dit "Ah bah super ! Bah je vais aller faire le 20h TF1 alors."
04:25 Mais même dans ces moments où il oublie, il arrive à être drôle et il arrive à être touchant.
04:29 Et que ça va être un bon moment, et il y en a des bons moments.
04:31 C'est ce que je disais, le plus gros chemin que j'ai fait, c'est accepter toute mon histoire,
04:35 accepter la sienne, et aller vers plus d'indulgence.
04:37 Et en fait, quand t'arrives à prendre ça de ce côté-là, faut beaucoup de recul, hein.
04:40 Parce que je dis pas que c'est facile, que ça se fait comme ça.
04:42 Mais je pense que poser le débat, déjà, dire que ça existe, ça peut aider beaucoup de gens.
04:46 Aller au psy, c'est pas la honte, c'est même essentiel.
04:47 On est trop fragiles à cet âge-là pour supporter ces responsabilités et ce poids-là.
04:51 Ne plus avoir honte, parce que la honte elle est de l'autre côté, en fait.
04:54 La honte elle est du côté des gens qui regardent mal, qui jugent alors qu'ils connaissent rien.
04:57 J'espère vraiment qu'elles mettront un pied devant l'autre et que ça va les aider.
04:59 !