Reportage pour l'émission "Enquête de région" sur le fléau du harcèlement chez les ados - 2022
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00:00 ...
00:07 -Leur camping-car ne passe pas inaperçu
00:10 dans les rues de Charleville-Mézières.
00:12 ...
00:15 Catherine Laurent et Delphine Thierry
00:17 sont psychologues à la maison des ados.
00:19 Plusieurs fois par semaine, elles sillonnent les routes
00:22 des Ardennes pour aller à la rencontre des jeunes isolés.
00:25 -On l'avait vu il y a longtemps avec Pascal,
00:29 et là, elle nous a demandé à nous revoir aujourd'hui
00:31 pour refaire le point un petit peu de ce qui se passe pour elle.
00:35 Parce que là, elle est rentrée au lycée,
00:38 et ce qu'elle me disait au téléphone,
00:40 c'est que ça avait pas été facile au début de l'entrée en seconde.
00:43 Je pense que là, elle a besoin de nous voir.
00:46 -La destination du jour revint,
00:50 au coeur de la vallée de la Meuse.
00:53 C'est dans cette petite commune de 7 000 habitants
00:57 que vit Léa, 16 ans.
01:00 ...
01:03 Il toque à la porte.
01:04 ...
01:08 -Bonjour, Léa. Comment vas-tu ?
01:09 -Ca va, et vous ? -Oui, ça va.
01:11 -Il y a 3 ans, la jeune fille a subi du harcèlement dans son collège.
01:15 Du jour au lendemain,
01:17 deux de ses amies s'en sont prises à elle.
01:19 Des insultes, des rumeurs,
01:21 et son monde qui s'est écroulé.
01:24 -Sur les réseaux sociaux,
01:25 je sais qu'il y avait un groupe où toutes les filles parlaient sur moi
01:29 et inventaient des rumeurs sur moi.
01:31 On me disait que j'étais une personne qui couchait facilement,
01:36 qui sortait avec beaucoup de personnes,
01:39 que j'étais une prostituée.
01:41 Ca a été vraiment très, très loin.
01:43 -C'est dans cet espace rassurant,
01:46 à l'abri des regards,
01:47 que l'adolescente a trouvé une oreille attentive.
01:50 -Quand j'y allais, je parlais un peu de tout.
01:52 Et après, on remettait un peu tout en or,
01:55 parce que quand je parlais,
01:57 beaucoup d'idées me venaient.
01:58 C'était un peu mélangé dans ma tête.
02:00 Mais du coup, ça me faisait énormément de bien,
02:03 ça me libérait,
02:04 j'avais l'impression de lâcher un gros poids.
02:07 -Aujourd'hui, la jeune fille est en seconde.
02:10 Un nouveau départ, de l'appréhension
02:13 et le besoin de retrouver ce coco.
02:15 -Au début, ça a été très compliqué.
02:17 Je faisais plein de crises d'angoisse,
02:20 parce qu'une classe de 32 élèves,
02:22 c'est un peu oppressant, au début,
02:25 et après, ça se passe très bien.
02:27 -T'avais renoué avec tes crises d'angoisse,
02:29 comme quand tu subissais du harcèlement.
02:32 -Ouais, au début, parce que j'avais peur d'être jugée
02:35 quand on passait à l'oral.
02:37 -Tout peut être posé sur la table à la maison des ados par les jeunes.
02:41 C'est libre, gratuit, ça peut être confidentiel,
02:44 les jeunes peuvent venir sans autorisation des parents.
02:47 Et puis, nous, l'idée,
02:50 c'est qu'on accueille ce qu'ils ont à nous dire
02:54 et on essaye de débrouiller ça avec eux.
02:57 -Trois années de harcèlement,
03:00 trois années de solitude et d'isolement,
03:03 et à l'époque, une épreuve pour toute la famille.
03:08 -Bonjour, Lauren. -Bonjour, Mathilde.
03:10 -Tu veux m'aider à finir l'éducation de mimosa ?
03:15 -Si tu veux. -Allez, bon. Bisous.
03:17 Tiens.
03:19 -De la tendresse, de la complicité,
03:22 une relation de nouveau apaisée,
03:24 mais pour la mère de Léa aussi,
03:26 ces années de harcèlement restent douloureuses.
03:29 Elle s'est sentie démunie face au mal-être de sa fille.
03:33 -Quand on l'appelait pour venir à table,
03:35 elle n'avait jamais faim,
03:37 et en cachette, elle descendait le soir,
03:39 elle cherchait des gâteaux dans sa chambre.
03:42 C'était juste ça, on n'avait plus de repas de famille tous les cinq,
03:45 et elle culpabilisait, je pense qu'elle s'en voulait à elle-même
03:49 parce qu'elle pensait que c'était de sa faute.
03:52 -On ne s'attend pas à avoir des problèmes comme ça.
03:55 Et on se dit que ça ne nous arrivera pas à nous,
03:57 alors que ça peut arriver à n'importe qui.
04:00 -Puis même, c'est ton petit bébé. -Ouais.
04:02 C'est ma première, c'est vrai.
04:04 -Stupéfaction des parents,
04:06 et pourtant, le harcèlement touche de plus en plus d'adolescents
04:10 en France, et ces dernières années,
04:12 il prend une nouvelle forme avec l'explosion des réseaux sociaux.
04:16 20 % des jeunes disent avoir déjà été victime
04:19 de cyberharcèlement.
04:21 ...
04:24 -Pour le petit texte, on va mettre...
04:27 "Si tu as besoin de parler,
04:28 "tu ne peux pas venir à la maison des ados."
04:31 -"La maison des ados vient." -Très bien.
04:34 Je te l'envoie, on le met Facebook, "Maison des ados",
04:37 Instagram, "Maison des ados",
04:39 et je le republierai sur le compte "Promeneurs du Net",
04:42 comme ça, ça sera bien sur tous les réseaux.
04:45 -Les "Promeneurs du Net",
04:46 sous ce nom énigmatique,
04:48 Magali G et Léa Herbin,
04:51 toutes deux travaillent à la maison des ados de Charleville-Mézières.
04:54 Elles font de la prévention sur les réseaux sociaux
04:57 auprès des jeunes, mais pas seulement.
05:00 -On a aussi dans nos missions
05:03 de pouvoir aider les jeunes à se protéger sur le réseau,
05:06 à prendre part à mettre leur compte
05:08 ou à signaler des contenus indésirables,
05:11 ou à contacter, quand il faut, des numéros
05:15 pour pouvoir supprimer des publications indésirables.
05:19 On reçoit des jeunes, mais on peut aussi recevoir
05:22 des parents d'ados sans leurs ados,
05:24 qui sont très inquiets, parce que c'est aussi pas mal l'inconnu,
05:27 tout ce qui est réseaux sociaux et accès au numérique.
05:31 Donc on a aussi ce rôle-là de pouvoir les guider, les rassurer.
05:35 -Ilona a 15 ans.
05:38 Elle habite avec sa mère ce paisible village dans la Marne.
05:42 Musique douce
05:44 -Là, on revenait d'une marche tous ensemble
05:48 sur la digue, c'était trop bien.
05:50 On marchait, on rigolait, on a même fait des combats dans le sable.
05:54 -Des plaquages, c'est ça ? -La lutte, oui.
05:57 Avec les filles.
05:59 -Sur son portable, sa vie d'adolescente,
06:03 des photos qu'elle aime partager avec sa mère.
06:06 La scène paraît banale, et pourtant,
06:08 c'est en partie à cause de ce téléphone
06:11 qu'elle a perdu pied il y a deux ans,
06:13 quand ses meilleurs amis l'ont harcelée en ligne.
06:16 -J'ai reçu des messages de mort sur mon téléphone.
06:20 Même si on bloque quelqu'un sur mon ancien téléphone,
06:23 on voit quand la personne bloquée renvoie un message.
06:28 Parfois, j'étais tentée de revoir ce qu'elle me disait.
06:31 -Sa mère se retrouve rapidement dépassée par la situation.
06:35 -On est tous montés à bord.
06:37 -Le téléphone, c'est quelque chose de privé,
06:40 qui appartient aux enfants.
06:41 Donc jamais je regarde le téléphone de mes enfants.
06:44 Par contre, là, Ilona m'avait expliqué et montré.
06:47 C'est vrai que là, on est complètement désarmés.
06:50 On n'a pas accès, on ne sait pas comment freiner ça.
06:53 -Jusqu'au jour où Ilona reçoit le message de trop.
06:57 -J'avais un grand pavé, comme quoi elle ne m'avait jamais aimée,
07:00 comme quoi il fallait que je me pende,
07:02 comme quoi... Voilà, tout ce genre de choses.
07:05 Et à ce moment-là, je me suis dit, ça y est, il faut que je réagisse.
07:08 C'est plus possible de vivre comme ça.
07:11 Et j'ai envoyé un message à Soso,
07:14 et à ma sœur, et je lui ai dit,
07:16 je vais sortir et je vais m'énerver.
07:18 C'est pas... Pardon.
07:21 C'est pas de ma faute.
07:23 Il faut que je réagisse.
07:25 ...
07:27 -Face à la souffrance de sa fille,
07:29 la mère d'Ilona décide d'intervenir.
07:32 ...
07:35 Mais surgit alors cette question.
07:38 Quelle attitude adopter en tant que parent ?
07:41 ...
07:42 -Ilona était tellement...
07:44 -Enervée. -Tellement énervée,
07:46 il fallait que ça cesse.
07:48 Donc je lui ai dit qu'on allait attendre les filles
07:51 à l'arrêt de bus.
07:52 -C'est à cet endroit que la situation
07:54 va prendre un nouveau tournant
07:56 et que la mère d'Ilona va faire face à son impuissance.
08:00 ...
08:02 -Je voyais que ma fille n'en pouvait plus.
08:04 Je lui ai dit, tu descends à l'arrêt de bus,
08:06 où sont les jeunes filles ?
08:08 Et j'ai dit, tu leur remets une, tu te laisses plus faire,
08:11 il faut que ça s'arrête.
08:13 "Ça m'a échappée, vous êtes à bout de souffle,
08:15 "vous ne savez pas comment être entendue,
08:17 "qui peut vous aider ?"
08:19 On a une mauvaise réaction.
08:20 Je m'en suis tout de suite à peine...
08:22 Quand je lui ai dit, je m'en suis rendue compte.
08:25 J'ai dit, non, j'interviens, je vais être là,
08:27 ça va bien se passer.
08:29 ...
08:30 -Guider, accompagner,
08:32 maintenir le lien avec son adolescent,
08:35 un défi pour les parents,
08:37 qui se sentent bien souvent seuls face au harcèlement.
08:40 ...
08:43 -Bonjour. -Bonjour.
08:45 -A Reims, l'association Parole de parents
08:48 est là pour aider les familles à mettre des mots
08:50 sur ce désarroi.
08:51 Timothée a 14 ans.
08:54 Il a subi au collège des humiliations
08:56 et des insultes sur son physique.
08:58 -Si tu te souviens bien,
09:00 tu n'osais pas dire à tes parents
09:01 quand t'embêtais en classe,
09:03 t'avais peur de faire de la peine.
09:05 -On essaie de faire comprendre à nos enfants
09:08 que même si on est pris dans nos problématiques de parents,
09:11 on est disponible à eux, effectivement,
09:13 pour parler, pour communiquer
09:15 et pour trouver des solutions ensemble.
09:17 -Pendant des mois, Timothée a souffert en silence,
09:20 sans jamais en parler à ses parents.
09:23 -J'avais peur qu'ils ne comprennent pas.
09:26 Surtout ma mère, je pensais qu'elle allait comprendre,
09:29 mais pas totalement.
09:30 Mon père, je pensais qu'il n'allait pas du tout comprendre
09:35 et qu'il aurait fallu pas mal de temps
09:37 pour qu'il puisse me croire.
09:39 -Sa mère est aujourd'hui encore rongée par la culpabilité.
09:44 -C'est le premier sentiment qui vous attaque très fort.
09:48 Il vous dit "mince", alors vous refaites le film des bois,
09:51 en vous disant "si j'avais été plus présente,
09:53 "si j'avais... Peut-être ce jour-là, il a essayé de me parler,
09:57 "mais j'étais pas disponible, etc."
09:59 C'est une culpabilité intense.
10:02 -Alors, à l'association, on déculpabilise,
10:06 on dédramatise et on sensibilise les parents aux signaux d'alerte.
10:10 -Un enfant qui était très gai, qui tout d'un coup est un peu triste,
10:14 qui se replie sur lui-même,
10:15 qui peut-être va jouer plus aux jeux vidéo qu'avant
10:18 parce qu'il va s'enfuir dans ses jeux vidéo pour ne pas penser,
10:22 ça devrait être des petits signes.
10:24 Mais c'est facile de dire que c'est évident,
10:26 sauf qu'en tant que parent, on a tellement de choses à penser.
10:30 On a bien d'autres soucis aussi, on aime son enfant,
10:33 mais on va passer à côté très souvent.
10:35 -Et parfois, d'autres langages permettent de renouer le dialogue.
10:39 Musique douce
10:41 ...
10:49 A travers sa musique, Ilona raconte ses états d'âme.
10:53 Un refuge précieux lorsqu'elle se faisait harceler.
10:57 ...
11:01 -Au début, je pleurais beaucoup,
11:04 donc je faisais beaucoup moins d'activités,
11:07 je rigolais beaucoup moins,
11:08 mais j'allais dans ma pièce en bas,
11:10 mais je jouais plus des musiques un peu moins joyeuses.
11:13 J'essayais un peu de me retrouver dans quelques chansons,
11:16 je jouais plus des morceaux un peu tristes.
11:19 ...
11:28 -Ça l'a aidé aussi à évacuer, à partager davantage.
11:33 Quand elle joue, elle se vide la tête, ça évacue.
11:37 Je pense que ça l'aide aussi à ce niveau-là.
11:39 Et puis surtout, nous partager.
11:41 Ce moment de partage, c'est important aussi.
11:44 -Aujourd'hui, la jeune Marnès s'en est sortie.
11:48 Comme un symbole,
11:49 elle a joué dans un clip contre le harcèlement
11:52 avec sa professeure de musique.
11:54 ...
11:58 L'histoire d'une jeune victime
12:01 pour qui la douleur devient trop forte.
12:03 ...
12:07 -Ce clip-là, oui, je pense qu'il y a des personnes
12:10 qui se sont dit "Pas mince, ça doit être dur",
12:14 mais peut-être qu'ils ont déjà vu quelqu'un se faire harceler
12:17 et qu'ils n'ont peut-être pas réagi non plus.
12:19 Des fois, on ne se rend pas compte que c'est du harcèlement.
12:22 Des fois, on pense que c'est juste quelqu'un qui s'aime pas
12:25 et on pense que ça va s'arrêter là, mais souvent, non.
12:28 ...
12:30 -La musique, comme arme puissante de sensibilisation,
12:34 comme exutoire aussi.
12:36 ...
12:39 Et pour Ilona, la fin du calvaire,
12:42 le début de la reconstruction.
12:46 ...
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