• il y a 11 mois
« La raison, écrit Éric Weil dans sa Logique de la philosophie, est une possibilité de l’homme », mais « c’est la possibilité d’un être qui possède une autre possibilité ». Cette autre possibilité, précise-t-il, c’est la violence.
Comment penser la violence ? C’est-à-dire : comment penser cela même qui se donne comme l’autre du discours philosophique, et qui ne s’instaure précisément qu’au lieu où l’effort de la pensée semble avoir échoué ? Une réflexion authentique sur la violence ne pourra, en tout état de cause, se satisfaire d’une exclusion de principe, qui chercherait à exiler la violence aux marges de la rationalité, voire de l’humanité, et devra assumer qu’il existe non seulement des raisons de la violence – qui n’est donc ni purement contingente, ni simplement accidentelle – mais aussi sans doute une violence de la raison, dont l’opération ne se produit jamais dans l’élément pacifié d’un logos idéal. 
Avec François Cusset, historien des idées, professeur à l'université de Paris-Ouest Nanterre ; Frédéric Gros, docteur en philosophie, enseignant-chercheur au Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF) ; Marylène Patou-Mathis, préhistorienne, directrice de recherche au CNRS
Rencontre animée par Victorine de Oliveira, journaliste à Philosophie Magazine. Rencontre organisée en partenariat avec le Collège international de philosophie

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Transcription
00:00:00 -Bonjour à tous.
00:00:01 Merci d'être présents pour cette nouvelle séance
00:00:03 du Forum Sciences et Philosophie, organisée par la Cité des Sciences
00:00:07 en partenariat avec le Collège international de philosophie.
00:00:10 Nous allons nous intéresser au thème de la violence
00:00:12 au programme de l'épreuve de culture générale
00:00:15 pour les classes préparatoires commerciales.
00:00:17 S'il peut être difficile de définir ce qu'est la violence
00:00:20 sans parler de l'expliquer ou même de la justifier,
00:00:23 une chose est sûre, nous y avons tous été confrontés
00:00:26 et nous avons tous été confrontés à des questions
00:00:28 au cours de notre vie,
00:00:29 ne serait-ce que via un écran de télévision ou de smartphone.
00:00:33 La violence peut nous affecter de différentes manières.
00:00:35 Elle nous sidère, elle nous coupe le souffle,
00:00:38 elle nous blesse physiquement ou psychiquement,
00:00:40 elle nous atteint au plus profond de notre être,
00:00:43 voire, parfois, elle nous tue.
00:00:44 Quoi qu'il en soit, elle creuse toujours une brèche
00:00:47 dans notre existence, elle fait effraction.
00:00:50 Ces dernières semaines, ces derniers mois,
00:00:52 voire ces dernières années, ont été d'une intensité particulière,
00:00:55 je crois, pour illustrer notre propos aujourd'hui.
00:00:58 Depuis bientôt deux ans, la guerre a fait son retour,
00:01:01 comme on dit, sur le territoire européen,
00:01:03 opposant la Russie,
00:01:04 qui a pris tous les atours d'un empire colonial,
00:01:07 à l'Ukraine, un Etat souverain.
00:01:09 Depuis le 7 octobre, j'imagine que vous l'êtes aussi,
00:01:12 tous les regards sont tournés vers le Proche-Orient
00:01:14 où l'attaque du Hamas contre Israël a réactivé un conflit
00:01:17 que l'on pensait un peu en sourdine.
00:01:19 Dans un périmètre plus proche,
00:01:21 l'actualité ne manque pas non plus de faire frémir.
00:01:24 Le jeune Nahel, abattu par un policier en juillet dernier,
00:01:28 a déclenché des émeutes dans toute la France,
00:01:29 ravivant le débat contre des violences policières.
00:01:33 La mort du jeune Thomas Crépole dans la Drôme,
00:01:35 le 19 novembre dernier, suite à une bagarre entre adolescents,
00:01:38 suscite depuis moult commentaires médiatiques et politiques.
00:01:41 Le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin,
00:01:43 allant jusqu'à parler d'ensauvagement de la société.
00:01:47 Plus récemment encore, pardon pour ce catalogue un peu funèbre,
00:01:50 le 2 décembre, une attaque au couteau a fait un mort
00:01:52 et deux blessés à Paris, dans le quartier de la Tour Eiffel,
00:01:55 réactivant le spectre de la menace terroriste.
00:01:58 Si l'on peut avoir la sensation d'une recrudescence de la violence,
00:02:01 tant les images que nous voyons passer dans les médias,
00:02:03 sur les réseaux sociaux, frappent nos esprits et notre imagination,
00:02:06 d'autres voies, cependant, appellent à une perspective plus large.
00:02:10 Il y a un peu plus de 10 ans, en 2011,
00:02:12 l'essayiste canadien, star Steven Spinker,
00:02:15 affirme dans "La part d'ange en nous"
00:02:17 que nous vivons actuellement l'époque la plus pacifique
00:02:19 que l'humanité ait jamais connue,
00:02:21 bien que ce soit un peu contre-intuitif.
00:02:24 Il écrit même que le déclin de la violence est la chose, je cite,
00:02:27 "la plus importante qui se soit jamais produite
00:02:29 "dans l'histoire de l'humanité, avec graphique et études à l'appui."
00:02:33 Alors, qui croire ? Nos impressions, les graphiques ?
00:02:37 Et quand bien même les statistiques générales
00:02:39 montreraient l'évidence d'une décroissance de la violence,
00:02:42 les chiffres ne nous indiquent pas pourquoi elles persistent,
00:02:45 quelles sont ses origines
00:02:46 et pourquoi elles suscitent autant de fantasmes,
00:02:48 voire parfois un peu de fascination,
00:02:50 autant de questions que nous allons explorer aujourd'hui,
00:02:53 dans les deux heures qui viennent avec nos invités.
00:02:56 Je vous les présente.
00:02:57 D'abord, Marilène Patou-Mathis.
00:02:59 Vous êtes préhistorienne
00:03:01 et spécialiste de Néandertal au Muséum d'histoire naturelle.
00:03:04 Vous êtes l'autrice de plusieurs ouvrages
00:03:05 dans lesquels vous questionnez les préjugés et les projections,
00:03:08 témoignant parfois d'un regard très masculin sur la préhistoire.
00:03:11 Vous avez écrit, entre autres, pour ce qui concerne notre sujet,
00:03:14 "Préhistoire de la violence et de la guerre",
00:03:16 qui est paru en 2013 aux éditions d'Ile-Jacob.
00:03:18 Votre dernier essai paru s'intitule
00:03:20 "L'homme préhistorique est aussi une femme",
00:03:22 paru aux éditions Alary en 2020.
00:03:25 Avec vous, nous réévaluerons le cliché de l'homme préhistorique
00:03:28 forcément belliqueux et abandonné à ses pulsions de violence
00:03:31 qui sera progressivement civilisée.
00:03:34 A vos côtés, François Cussey.
00:03:35 Vous êtes historien des idées
00:03:37 et professeur à l'Université de Paris-Ouest-Nanterre.
00:03:40 Vous avez écrit sur la French theory, sur l'héritage de 1968,
00:03:42 sur l'expérience du confinement, autant de sujets assez vastes,
00:03:46 et plus récemment, sur ce que vous témitez
00:03:47 être le fantasme d'une menace "woke", je mets des guillemets,
00:03:51 dans un tract Gallimard intitulé "La haine de l'émancipation".
00:03:55 Sur le sujet qui nous intéresse, vous avez publié en 2018
00:03:57 "Le déchaînement du monde, logique nouvelle de la violence",
00:04:00 parue à la Découverte.
00:04:01 Avec vous, nous verrons à qui profite la distinction
00:04:04 entre violence rationnelle et violence impulsive,
00:04:06 et nous verrons que la plus dévastatrice
00:04:07 n'est pas forcément celle que l'on croit.
00:04:10 Et enfin, Frédéric Gros.
00:04:11 Vous êtes philosophe enseignant-chercheur
00:04:13 au Centre de recherche politique de Sciences Po
00:04:15 et spécialiste de Michel Foucault.
00:04:17 Vous vous êtes penché sur différentes formes de passions sociales
00:04:19 et sur leurs effets.
00:04:21 Votre dernier essai paru se demande tout simplement
00:04:23 "Pourquoi la guerre ?"
00:04:24 et il est paru en début d'année aux éditions Albert Michel.
00:04:27 Avec vous, nous ferons un tour
00:04:28 dans l'histoire de la philosophie classique
00:04:30 pour tenter de répondre à cette vieille question,
00:04:32 d'où vient la violence ?
00:04:33 Dans un premier temps,
00:04:35 je vous propose d'écouter Marilène Patou-Mathis.
00:04:37 -Bonjour à tous. Merci d'être là.
00:04:40 Je vais essayer assez rapidement de vous présenter des recherches,
00:04:46 des recherches que l'on mène en préhistoire.
00:04:48 Je suis directrice de recherche au CNRS et à Rataceumuseum,
00:04:53 où nous menons beaucoup de fouilles archéologiques
00:04:54 à travers le monde.
00:04:56 C'est un questionnement à partir des vestiges archéologiques.
00:04:59 Parce que la violence, vous avez sûrement vu,
00:05:01 très souvent, on dit que ça existait,
00:05:03 c'était de tout temps, à l'origine.
00:05:06 Les humains préhistoriques étaient extrêmement violents.
00:05:10 Mais je me suis interrogée à un moment donné
00:05:12 en disant "Est-ce que c'est vrai ?"
00:05:14 Parce que nous sommes des scientifiques,
00:05:15 on va aller regarder les faits,
00:05:17 les objets qui nous permettent de déduire quelque chose.
00:05:22 Et pour nous, c'est les fouilles archéologiques,
00:05:23 c'est le matériel qu'on sort de ces fouilles archéologiques.
00:05:26 Et donc, très rapidement, c'est à partir de ça
00:05:30 que nous faisons nos recherches pour savoir si, oui ou non,
00:05:33 la violence aurait existé de tout temps,
00:05:36 et notamment serait, dès que l'humanité est présente,
00:05:40 serait donc un fait très ancien, un comportement très ancien.
00:05:45 J'ai mis sur ce diapo, je ne vais pas le répéter,
00:05:48 les objets sur lesquels on travaille.
00:05:52 Quelque chose qui m'a surpris au départ,
00:05:55 c'est qu'au niveau du matériel,
00:05:58 des squelettes, des restes humains découverts,
00:06:02 on avait très peu de traces, je vais vous en montrer quelques-unes,
00:06:05 de violences.
00:06:07 Mais par contre, on avait déjà, dans des périodes très anciennes,
00:06:10 il y a 800 000 ans, c'est très ancien,
00:06:12 des traces déjà de violences.
00:06:14 En fin de compte, des traces de l'intervention d'un humain
00:06:17 sur un autre humain.
00:06:19 C'était intéressant parce que c'était dans un contexte tout à fait spécial,
00:06:23 qui est un contexte de rituel de cannibalisme.
00:06:27 Ce cannibalisme, souvent, n'est pas forcément lié à l'alimentation.
00:06:31 Ce n'est pas parce qu'on a faim qu'on va tuer quelqu'un pour le manger.
00:06:34 C'est une image un peu d'épinal.
00:06:36 Mais on a déjà des rites funéraires qu'on appelle l'endocannibalisme
00:06:41 et qui, là, peuvent aussi laisser des traces.
00:06:43 C'était une première constatation.
00:06:46 La plupart des traces qu'on observait, même s'il n'y en a pas énormément,
00:06:49 étaient liées à ce rite,
00:06:51 qu'est l'anthropophagie, le cannibalisme.
00:06:54 C'est une donnée importante.
00:06:56 La deuxième réflexion que je voulais vous dire,
00:06:58 c'est que, bien entendu, comme nous, on travaille sur du matériel osseux,
00:07:02 on peut tout de suite nous rétorquer
00:07:04 qu'on peut très bien avoir des gestes de violence
00:07:07 qui ne vont pas laisser de traces sur les ossements.
00:07:10 C'est clair.
00:07:11 Là aussi, il y a une démarche scientifique
00:07:13 qui s'est basée sur la comparaison sur un matériel équivalent
00:07:18 entre des périodes très anciennes, dont je vous parle,
00:07:21 et les périodes plus récentes.
00:07:23 Je vais m'attacher à ce qu'on appelle en préhistoire
00:07:26 la première grande période, le paléolithique.
00:07:29 Il commence, on va dire, vers 2 millions d'années.
00:07:32 Mais nous, ce qui nous intéresse,
00:07:34 c'est surtout qu'on a beaucoup de matériel.
00:07:37 C'est à peu près à partir de 900 000 ans
00:07:40 jusqu'à 10 000 ans.
00:07:42 Donc, cette grande période,
00:07:43 c'est là où nous étions des sociétés de chasseurs-cueilleurs nomades.
00:07:48 Donc, ça, c'est important.
00:07:50 Après, on va changer à partir de 14 000 ans en Proche-Orient
00:07:53 et 9 000 ans en Europe.
00:07:55 On va changer, on va devenir des sédentaires,
00:07:58 des éleveurs et des agriculteurs.
00:08:00 Donc, cette période très ancienne, quand on parle de préhistoire,
00:08:03 pour moi, c'est ça, cette période ancienne du paléolithique.
00:08:06 C'est là où j'étais, j'étais jeune,
00:08:08 j'étais paléolithique, j'essayais de voir ce qui se passait.
00:08:12 Et après, pour essayer de voir s'il y a, oui ou non,
00:08:15 une augmentation de la violence,
00:08:17 j'ai fait simplement une comparaison entre le matériel
00:08:20 en tenant compte du nombre, évidemment, de vestiges.
00:08:23 Donc, il y a quelques traces.
00:08:26 Mais là aussi, c'est un vrai travail de détective
00:08:29 parce qu'une trace sur un os peut résulter à plusieurs choses.
00:08:33 On voit une trace de coup sur la tête.
00:08:36 Bien sûr que ça peut être quelqu'un qui a mis un coup sur la tête d'un autre,
00:08:39 mais ça peut être un accident.
00:08:41 Un accident de se cogner très fort, un accident de chasse.
00:08:45 Il ne faut pas oublier que ce sont des chasseurs-cueilleurs, collecteurs.
00:08:48 Et donc, à la chasse, en plus, avec un armement relativement rudimentaire
00:08:53 qui nécessite l'approche des animaux, il y a beaucoup d'accidents de chasse.
00:08:57 Donc, il y a eu aussi tout un travail en amont
00:09:00 pour vraiment essayer de voir ce qui restait.
00:09:02 Et en fin de compte, on a trouvé très peu de choses.
00:09:05 Malgré des milliers d'ossements analysés,
00:09:08 on a trouvé très peu de cas vraiment sûrs
00:09:11 où on a vraiment quelque chose qui peut témoigner de cette violence.
00:09:17 En plus, on a constaté que beaucoup de ces traces de violence,
00:09:21 il y avait de la cicatrisation.
00:09:24 C'est-à-dire qu'il n'y a pas eu mort de la personne
00:09:27 qui a reçu ce coup ou ce point de projectile.
00:09:30 Donc, ça, c'était aussi une donnée intéressante.
00:09:33 La personne n'a pas été achevée.
00:09:35 Autre chose de caractéristique aussi dans cette période ancienne,
00:09:40 c'est qu'en fin de compte, on n'a que quelques individus.
00:09:43 C'est quelque chose qui apparaît interpersonnel,
00:09:46 c'est-à-dire entre deux individus.
00:09:48 On n'a pas, ce qu'on verra plus tard,
00:09:50 on n'a pas de nécropole, on n'a pas de cimetière
00:09:54 qui montrerait qu'il y a eu beaucoup d'individus qui ont été tués.
00:09:57 Là, c'est vraiment très, très barcélaire.
00:10:00 Il y a un ou deux individus à chaque fois.
00:10:04 Il y a quelques utilisations aussi des ossements humains
00:10:07 qui, là aussi, ont soulevé un questionnement.
00:10:10 Est-ce que le fait qu'on ait fait un récipient dans un crâne humain,
00:10:14 est-ce que ça veut dire qu'on a tué cette personne pour prendre son crâne ?
00:10:17 Ou est-ce que, là aussi, ça fait partie d'un rituel qu'on connaît
00:10:21 dans les périodes historiques de récupération des crânes d'un ancêtre,
00:10:24 par exemple, pour s'en servir ?
00:10:26 Donc, très peu, dans cette grande période,
00:10:30 dont je viens de vous décrire.
00:10:34 À la fin de cette période, nous avons un site, un seul pour l'instant,
00:10:38 que je vous présente ici rapidement.
00:10:41 Ce qui est intéressant dans ce site, c'est qu'on a beaucoup de squelettes.
00:10:45 Vous voyez, 59, donc c'est énorme pour nous, au même lieu.
00:10:49 On a vu que certains, pas tous, avaient des traces de violence.
00:10:54 On a même parlé, pour ce site, avant les découvertes,
00:10:59 de couches de guerre, de charniers qui correspondaient
00:11:02 à des couches de guerre.
00:11:03 Mais quand on a fait les datations précises,
00:11:06 parce que maintenant, nous avons beaucoup de moyens d'investigation,
00:11:09 il y a l'ADN ancien, etc., mais on a aussi amélioré les datations,
00:11:13 on s'est aperçu qu'il y avait beaucoup d'écarts,
00:11:16 plus d'un mille ans.
00:11:18 Donc, ce n'est pas seulement une couche.
00:11:20 Ce n'est pas qu'on a tué 59 personnes ou 40 personnes.
00:11:25 Il y a eu une succession,
00:11:27 c'était une espèce de cimetière, de nécropole.
00:11:30 Donc, cette fameuse couche, soi-disant, de guerre,
00:11:33 n'est plus une couche de guerre.
00:11:35 Autre site aussi intéressant, à la charnière,
00:11:39 on va en parler beaucoup,
00:11:40 parce qu'on va voir un basculement de sociétés.
00:11:43 Les sociétés vont énormément changer à ce moment-là.
00:11:46 Et on a aussi quelque chose d'intéressant
00:11:49 qui montre qu'il y a vraiment, sur ces individus-là,
00:11:53 il y a eu vraiment, si j'appellerais maintenant,
00:11:55 de la maltraitance.
00:11:57 Et donc, on a des pointes de flèches, bien sûr,
00:12:00 mais aussi on a des impacts.
00:12:03 Et des personnes qui étaient liées, on avait lié les mains ou les pieds.
00:12:07 Donc là, on a aussi une trace très importante de violence.
00:12:11 Mais c'est pareil, nous avons aussi plusieurs périodes.
00:12:15 En fin de compte, ce n'est pas une seule couche,
00:12:18 ce n'est pas un seul ensemble, il n'y a pas un massacre de 29 personnes.
00:12:22 Et surtout, ce qui est très intéressant,
00:12:24 c'est que les découvreurs pensent que c'est plutôt un site de rituels,
00:12:28 c'est-à-dire que c'est plutôt des individus qui ont été sacrifiés.
00:12:32 Qui ont été sacrifiés pour multiples raisons,
00:12:34 parce qu'à partir d'une certaine période,
00:12:37 notamment il y a à peu près 10 000 ans,
00:12:39 vont apparaître les premiers sacrifices humains.
00:12:41 Et donc là, peut-être que c'est ça,
00:12:43 le fait qu'ils aient les mains liées, qu'on mette des coquillages, etc.
00:12:47 Donc, ça ne semble pas forcément un conflit, une guerre,
00:12:50 mais plutôt des rituels qui se sont pratiqués assez régulièrement
00:12:54 et qui ont donné cette nécropole.
00:12:56 Donc, pour résumer,
00:13:00 clairement, on n'a pas grand-chose qui témoignerait
00:13:04 de violences de type violences collectives.
00:13:09 On a plutôt de la violence interpersonnelle,
00:13:13 on a quelques cas.
00:13:15 On a plutôt aussi de la violence,
00:13:16 parce que c'est quand même une forme de violence...
00:13:18 Probablement, on a aussi de l'exo-cannibalisme,
00:13:21 on a probablement du cannibalisme qui est un cannibalisme guerrier,
00:13:25 mais très peu.
00:13:26 Et donc, évidemment, quand on constate tout ça,
00:13:30 on se dit pourquoi, en fin de compte,
00:13:32 on ne voit pas grand-chose.
00:13:34 Et il faut réfléchir
00:13:37 à ce qui peut provoquer, bien sûr, les conflits,
00:13:42 soit à l'intérieur de la communauté, soit à l'extérieur.
00:13:46 Ces communautés sont de 30 à 50 individus.
00:13:50 Ce sont des toutes petites communautés
00:13:51 pendant ces périodes-là.
00:13:53 Alors, c'est évident que là, on a quelque chose assez clair.
00:13:57 C'est qu'en fin de compte, c'est une période
00:14:00 où il y a plein de gibier, ça veut dire plein de nourriture,
00:14:04 où il y a peu de personnes.
00:14:06 C'est une démographie extrêmement faible
00:14:08 sur des très grands territoires.
00:14:10 Donc, il n'y a pas de problème de territoire.
00:14:12 Donc, on a une société, en plus, qui est basée,
00:14:15 nous, on l'a bien étudiée,
00:14:16 qui est basée sur la chasse et la quête,
00:14:18 notamment le partage du gibier, qui a été abattu,
00:14:21 les partagés au sein de la communauté.
00:14:24 Donc, on a quelque chose qui montre plutôt la coopération
00:14:27 entre les individus.
00:14:29 Alors, qu'est-ce qui se passe ?
00:14:32 Les causes de l'apparition des conflits.
00:14:35 On voit un basculement au niveau du néolithique.
00:14:38 Et là, la perte du néolithique,
00:14:39 c'est-à-dire cette transformation de la société,
00:14:42 elle est liée à un grand changement climatique.
00:14:45 Il y a un réchauffement à partir de 12 000 ans,
00:14:48 un réchauffement du climat.
00:14:50 Et on voit une société qui change avec une sédentarisation.
00:14:53 C'est-à-dire que là, ce n'est plus des nomades,
00:14:55 on n'a plus des campements comme ça.
00:14:56 On a vraiment des villages qui commencent à s'installer.
00:14:59 On a l'apparition de l'arc, du développement de l'arc.
00:15:02 Et là, on a des scènes, alors que dans le Paléolithique,
00:15:05 quand on voit les représentations de ce qu'ont fait
00:15:08 les Paléolithiques dans les grottes de Chauvet
00:15:12 ou de Lascaux, etc., on n'a pas de scènes de guerre.
00:15:14 Là, on voit apparaître des scènes de conflits.
00:15:17 On voit apparaître des nécropoles,
00:15:19 c'est-à-dire avec un charnier, on va dire,
00:15:22 avec des individus qui présentent
00:15:24 soit des traces d'impact sur la tête, soit des poulains de fèches.
00:15:27 Donc, on a vraiment déjà des témoignages autres,
00:15:31 des témoins, des vestiges qui montrent autre chose
00:15:33 comme histoire.
00:15:35 Cette transition est très importante,
00:15:38 en tout cas, à mes yeux, et à quelques collègues,
00:15:40 évidemment aussi, pas que moi.
00:15:42 C'est que ce changement environnemental,
00:15:45 et c'est surtout que ça va entraîner,
00:15:47 à un moment donné, avec cette sédentarisation,
00:15:49 va entraîner la domestication des plantes,
00:15:51 la domestication des animaux.
00:15:53 On change d'économie, on n'est plus des prédateurs,
00:15:55 on va plus prendre dans la nature ce dont on a besoin pour vivre,
00:15:59 mais on va être producteurs.
00:16:01 Donc, il va y avoir un changement fondamental,
00:16:03 c'est qu'on va être en production,
00:16:05 et cette production va provoquer un surpli alimentaire.
00:16:09 Donc, on va voir apparaître les villages, les silos à grains.
00:16:13 Donc, il y a du plus avant, les chasseurs-cueilleurs nomades,
00:16:16 ils ont un petit peu de réserve pour l'hiver,
00:16:18 mais c'est tout, ils ne stockent pas de la nourriture.
00:16:20 Là, on va voir le stockage des aliments,
00:16:24 notamment les premières céréales, etc.
00:16:27 Donc, ça, c'est important.
00:16:28 Et on voit en même temps, et là aussi, on a des témoignages
00:16:31 avec la statuaire, avec les représentations,
00:16:34 avec les sépultures,
00:16:36 on va voir s'installer une hiérarchisation de la société.
00:16:40 C'est-à-dire qu'on va avoir apparaître des sépultures
00:16:42 dites riches par rapport à d'autres sépultures beaucoup plus pauvres.
00:16:46 On va voir apparaître des chefs, des castes,
00:16:50 la caste des guerriers,
00:16:52 la caste des esclaves qui apparaît il y a 4 500 ans.
00:16:55 Donc, on voit un changement radical de la société
00:16:57 au niveau du statut de la société,
00:16:59 et ça, à partir de 5 000 ans, à peu près.
00:17:01 Donc, vous voyez beaucoup de changements.
00:17:03 Et petit à petit aussi,
00:17:05 alors qu'on avait une statuaire féminine extrêmement développée,
00:17:09 peut-être des divinités féminines,
00:17:10 pendant tout le paléolithique qu'on appelle les Vénus,
00:17:12 pendant le début du néolithique qu'on appelle les Déesses Mères,
00:17:16 et petit à petit, vers la fin,
00:17:17 on va avoir le remplacement des divinités féminines
00:17:20 par des divinités masculines, dont la symbolique est diverse,
00:17:24 puisque là, on ne va plus avoir mis en évidence la reproduction,
00:17:27 la fécondité, la fertilité,
00:17:30 mais plutôt la guerre,
00:17:32 puisqu'elles sont souvent armées de poignards sur les stèles.
00:17:35 Donc, vraiment des grands changements qui apparaissent
00:17:38 et qui ont peut-être provoqué, là aussi, beaucoup de violence,
00:17:42 avec un développement de ce qu'on voit,
00:17:45 c'est des développements du sacrifice.
00:17:47 Je n'ai pas le temps de m'étendre.
00:17:49 Donc, on voit des esclaves sacrifiés,
00:17:51 on voit des scènes même de représentation.
00:17:53 Bref, vraiment une période
00:17:55 où on a beaucoup plus de violence,
00:17:59 même sur des individus, avec ces sacrifices.
00:18:02 Regardez, je vous le mettrai très rapidement,
00:18:05 parce que je n'ai pas beaucoup de temps,
00:18:06 mais des choses incroyables,
00:18:08 on a même du mal encore à expliquer le pourquoi du commun,
00:18:10 pourquoi on coupait des mains.
00:18:12 Bref, il y a beaucoup de choses dont on s'interroge,
00:18:15 mais on a vraiment quelque chose de tout à fait différent sur ça.
00:18:19 Vous voyez, c'est la réutilisation, à ces périodes-là,
00:18:22 on fait beaucoup de réutilisation,
00:18:24 donc des silos à grains pour enterrer les morts.
00:18:27 Donc, à partir de cette période-là,
00:18:32 surtout au début du Néolithique, on a encore quelque chose.
00:18:36 En Europe, par exemple, il y a à peu près 9 000 ans,
00:18:38 les éleveurs et les agriculteurs arrivent du Proche-Orient,
00:18:41 ils emmènent leurs animaux, leurs graines,
00:18:44 et donc ils vont développer, s'installer.
00:18:46 Les chasseurs-cueilleurs vont adopter, en fin de compte,
00:18:49 l'élevage et l'agriculture.
00:18:50 Tout ça se fait assez tranquillement,
00:18:52 mais à partir de plusieurs vagues,
00:18:54 il y a une vague qui va, à partir de 5 000 ans,
00:18:56 apporter beaucoup plus de violence.
00:18:58 Il va y avoir beaucoup plus de questionnements.
00:19:01 On s'interroge, par exemple,
00:19:04 justement sur l'apparition de ces violences
00:19:06 qui seraient liées, notamment, à un moment donné,
00:19:09 comme l'a dit Jean-Jacques Rousseau,
00:19:10 à qui appartient le champ,
00:19:12 les champs qui étaient cultivés.
00:19:14 À un moment donné,
00:19:15 probablement, ça a été une des questions.
00:19:17 Il va y avoir donc des conflits,
00:19:19 on voit très bien les conflits internes à la communauté,
00:19:22 soit pour le pouvoir,
00:19:24 soit pour le territoire sur les champs.
00:19:27 Et puis intercommunautaires,
00:19:29 avec, évidemment, aller prendre sur le voisin,
00:19:33 faire des prisonniers de guerre pour qu'ils travaillent dans les champs,
00:19:35 parce qu'à un moment donné, il faut de la main-d'œuvre.
00:19:37 Donc on voit vraiment des changements.
00:19:39 Et ça va surtout, à la fin,
00:19:41 donc il y a à peu près 4 000 ans,
00:19:43 on va avoir vraiment quelque chose qui va être ce qu'on voit maintenant.
00:19:47 C'est-à-dire la guerre qui va devenir une institution,
00:19:50 ça va devenir des métiers.
00:19:52 On va avoir aussi des trésors de guerre.
00:19:54 Donc on a vraiment quelque chose qui change.
00:19:56 Les divinités féminines, elles existent encore,
00:20:00 elles ont toujours au-dessus d'elles des divinités masculines,
00:20:05 qui sont souvent des divinités guerrières.
00:20:08 Donc voilà, on a vraiment ce changement très important
00:20:11 et qui fait penser que plusieurs hypothèses,
00:20:15 ça reste évidemment des hypothèses,
00:20:17 peuvent être avancées pour justement voir ces changements
00:20:21 et qui seraient, à mon avis, quand même assez intéressants
00:20:24 de voir que ce changement économique,
00:20:27 au départ, qui se passe pendant plusieurs millénaires assez bien,
00:20:30 va se transformer en quelque chose
00:20:32 où il va y avoir une hiérarchisation de la société,
00:20:35 des violences plus marquées
00:20:38 pour des notions de territoire, pour des notions de pouvoir,
00:20:42 pour plein de choses.
00:20:45 Je n'ai pas le temps de m'attarder,
00:20:47 mais c'est là, je l'ai fait dans mon dernier livre,
00:20:50 mais c'est là aussi qu'on pense que s'enracine le patriarcat.
00:20:53 Donc avec notamment les éleveurs et les guerriers qui apparaissent,
00:20:59 parce qu'on voit très bien les enclos, les palissades
00:21:03 qui entourent les villages,
00:21:05 alors qu'avant, dans les campements plus anciens,
00:21:07 on n'a absolument pas ça.
00:21:08 On sent qu'il y a des conflits entre les groupes,
00:21:11 et évidemment, va se former une caste de personnes
00:21:14 qui vont défendre le village.
00:21:18 Et donc, ce sera la naissance des guerriers,
00:21:22 de la caste des guerriers.
00:21:23 Donc voilà un petit peu ce que je voulais très rapidement,
00:21:26 parce que je ne veux pas dépasser mon temps,
00:21:29 sur ça, et vous dire qu'aussi,
00:21:31 un autre témoignage qui est intéressant et qui est important,
00:21:34 c'est de voir que dans ces sociétés anciennes,
00:21:38 donc paléolithiques, de ces peuples chasseurs-cueilleurs-collecteurs,
00:21:42 qu'en fin de compte,
00:21:43 il y a un constat qui est plutôt un constat
00:21:48 de l'entraide, de ce qu'aurait dit Kropotkine,
00:21:52 que c'est plutôt basé sur l'entraide
00:21:55 pour réussir que sur la violence.
00:21:58 Simplement pour vous éclairer,
00:21:59 imaginez-vous ces petits groupes humains,
00:22:02 s'ils avaient passé leur temps à se battre les uns contre les autres,
00:22:05 on ne serait pas là.
00:22:07 On ne serait absolument pas là.
00:22:08 Parce que la démographie était extrêmement faible et tout.
00:22:11 Elle dépendait beaucoup du nexus, du réseau créé.
00:22:14 On le voit très bien dans le matériel.
00:22:16 On voit qu'il y a des échanges
00:22:18 au niveau de la matière première, des outils, etc.
00:22:23 Donc c'est plutôt basé sur ça.
00:22:25 On le voit aussi à travers les squelettes,
00:22:28 puisqu'on voit que très tôt,
00:22:30 on ne va pas tuer un individu parce qu'il n'est plus apte,
00:22:35 parce qu'il est blessé ou parce qu'il a un handicapé de naissance.
00:22:39 On a un handicapé de naissance qui ne va pas être tué.
00:22:42 Il a un bras au moins.
00:22:43 Pour un petit groupe, c'est important
00:22:45 d'avoir que tout le monde soit très actif.
00:22:48 Mais là, non, il ne va pas du tout être tué.
00:22:50 Il va mourir vers 40 ans, ce qui était vu à l'époque.
00:22:53 Donc on a plein de traces, de marques
00:22:57 qui nous indiquent qu'il y avait cette entraide.
00:23:00 C'est vrai que ça paraît extrêmement important
00:23:02 parce que pour traverser ces millénaires,
00:23:04 pour arriver jusque nous,
00:23:06 il a fallu que toutes ces personnes, tous ces clans,
00:23:10 trouvent une entente.
00:23:12 Et il n'y avait pas aussi les problèmes qu'il y aura plus tard,
00:23:16 qu'on voit encore plus maintenant,
00:23:19 dans les périodes historiques.
00:23:20 Il n'y avait pas de problème d'alimentation.
00:23:23 Ça, ça fait important.
00:23:24 Il y avait beaucoup de gibier.
00:23:26 Il n'y avait pas de problème de territoire.
00:23:28 Donc cette agressivité, et tout ne s'est pas développé.
00:23:31 Et on voit aussi probablement que les divinités,
00:23:34 les cultes aux divinités féminines
00:23:36 n'appelaient pas tellement le sang,
00:23:39 comme veulent faire certaines divinités masculines,
00:23:41 donc des sacrifices.
00:23:42 Donc on a tout un tas de critères qui font que...
00:23:45 Ce n'est pas parce qu'intrinsèquement,
00:23:46 ces gens étaient plus sympas que nous,
00:23:50 mais c'est simplement qu'il n'y avait pas...
00:23:52 Ce qui provoque souvent des violences,
00:23:56 il n'y avait pas cette incitation aussi
00:23:59 à cette violence culturelle.
00:24:00 Et pour terminer, je voudrais simplement,
00:24:02 et ça, c'est une conviction après ces recherches,
00:24:06 simplement vous dire que pour moi,
00:24:09 et pas que pour moi,
00:24:11 même en travaillant avec mes collègues en génétique,
00:24:14 il n'y a pas de gêne de la violence.
00:24:16 Je pense que s'il y a bien quelque chose qu'il faut envoyer,
00:24:19 je ne parle pas des violences pathologiques
00:24:20 qui sont créées par des phénomènes autres,
00:24:22 mais sinon, il n'y a pas un gêne de la violence
00:24:24 quelque part dans notre génome
00:24:25 qui ferait que nous serions intrinsèquement violents.
00:24:28 Là, je pense que c'est aussi toute une culture
00:24:30 qu'on a parfois développée
00:24:33 et que l'agressivité est vraiment, pour moi, innée.
00:24:36 Elle est en nous parce qu'elle permet de survivre, de vivre.
00:24:39 Mais la violence est quelque chose, pour moi, culturel,
00:24:42 qui est construite et induite par certains systèmes,
00:24:46 notamment dès qu'on voit un système de pouvoir,
00:24:49 on le verra dans des communautés.
00:24:51 Voilà, je vous remercie.
00:24:52 -Merci beaucoup, Marilène Patru-Mathis.
00:24:57 Je vous propose à présent d'écouter Frédéric Gros.
00:25:00 -Bonjour à toutes.
00:25:06 Bonjour à tous.
00:25:08 Je vais tenter de situer un peu mon propos
00:25:11 dans la continuité de ce qui a été dit.
00:25:17 J'allais dire, mon identité académique, pour aller vite,
00:25:20 ce n'est pas l'histoire, c'est beaucoup plus la philosophie,
00:25:25 mais évidemment que pour un phénomène aussi complexe
00:25:28 que la violence, il faut croiser les deux disciplines.
00:25:34 Aujourd'hui, je vais centrer mon propos
00:25:39 autour d'une référence qui vous a peut-être déjà été donnée
00:25:44 pour ceux qui ont commencé à étudier
00:25:47 ce qu'on appelle les grands textes sur la violence.
00:25:50 Vous avez évidemment une référence relativement fondamentale,
00:25:54 celle d'un penseur politique classique du XVIIe siècle,
00:25:59 à savoir Thomas Hobbes.
00:26:02 Celui qui reprend cet adage latin,
00:26:06 "L'homme est un loup pour l'homme".
00:26:12 L'évidence de cet adage vient d'être brutalement assombrie
00:26:16 par ce qu'on vient d'entendre, évidemment.
00:26:20 Je vais travailler autour de ça.
00:26:23 Thomas Hobbes.
00:26:24 Je me centrerai sur, s'il ne faut lire qu'un petit texte
00:26:28 que vous trouvez assez facilement,
00:26:30 ce serait ce qu'on appelle le chapitre XIII du Léviathan.
00:26:34 Il explique ce qu'il appelle la guerre de tous contre tous.
00:26:41 Qu'est-ce que c'est, cette guerre de tous contre tous ?
00:26:44 Voilà.
00:26:46 C'est autour de ça que je vais travailler.
00:26:49 Cela dit, pour faire la transition avec ce qui vient d'être dit,
00:26:54 je pense aussi que c'est assez important
00:26:57 de ne pas se laisser trop retenir ou fasciner
00:27:02 par ce qu'on pourrait appeler l'hypothèse de sauvagerie.
00:27:06 Ce que j'appellerais l'hypothèse de sauvagerie,
00:27:09 ce serait l'idée qu'à chaque manifestation de violence,
00:27:14 que ce soit des grandes violences collectives comme les guerres
00:27:17 ou alors des violences beaucoup plus circonscrites
00:27:21 qui pourraient presque relever du fait divers
00:27:24 ou du fait divers politique en même temps, etc.,
00:27:28 il y a quand même cette tentation qui consiste à dire
00:27:32 "Ah, voilà, le retour de la sauvagerie.
00:27:36 L'homme manifeste dans cette violence
00:27:39 une espèce de bestialité première dont il ne s'est jamais départi."
00:27:45 Au fond, vous pouvez avoir quand même cette thèse
00:27:49 qui, parfois, a été défendue.
00:27:51 Vous avez deux très immenses intellectuels et savants
00:27:57 qui échangent des lettres sur la guerre.
00:27:59 Je pense à Freud et Einstein, après la guerre de 1914,
00:28:04 qui, au fond, ne sont pas loin de dire
00:28:06 qu'il faut, pour brider chez l'homme cette violence impulsive,
00:28:12 il faut toute l'œuvre de la culture, de l'éducation,
00:28:17 mais peut-être que c'est un vernis un peu fragile
00:28:20 et quand ça craque, ressurgit la bête qui, au fond, serait dans l'homme.
00:28:27 Voilà.
00:28:28 Ce qui fait que c'est assez insatisfaisant, je trouve,
00:28:34 de penser comme ça,
00:28:36 c'est expliquer la violence par la violence.
00:28:39 Je consiste à dire pourquoi il y a de la violence.
00:28:42 Parce que l'homme est fondamentalement violent.
00:28:45 Or, après, on peut être un peu plus fin et dire
00:28:47 qu'il y a des gènes de violence,
00:28:49 qu'il y a un petit homme violent à l'intérieur de chaque individu
00:28:55 et il ressurgit.
00:28:58 Et puis, évidemment, la démonstration vient de nous en être faite.
00:29:03 Ça laisse de côté les capacités absolument abyssales de violence
00:29:08 offertes aussi par la culture.
00:29:12 Voilà.
00:29:13 Ça, c'est en introduction.
00:29:16 En introduction, je donnerai aussi un deuxième registre.
00:29:23 Je dirais qu'il faut toujours avoir en tête,
00:29:26 quand on parle de la violence,
00:29:28 une distinction entre ce que j'appelle la violence instrumentale
00:29:33 et la violence non-instrumentale.
00:29:35 Je ne sais pas si François Cusset, dont Victor Hidde,
00:29:38 a dit qu'il allait parler de la différence
00:29:41 entre violence rationnelle et impulsive,
00:29:43 si ça relève de ça aussi.
00:29:45 Mais je trouve que... Voilà, j'y reviendrai.
00:29:48 Il faut toujours distinguer des violences qui sont instrumentales,
00:29:52 c'est-à-dire qui servent à produire une certaine fin,
00:29:57 c'est-à-dire on se sert de la violence pour obtenir quelque chose,
00:30:01 et puis des violences qui sont beaucoup plus...
00:30:05 Je dirais intransitives.
00:30:08 Je dis "intransitifs" parce qu'on parle de verbes intransitifs,
00:30:11 comme "il pleut".
00:30:12 Il n'y a pas d'objet, il y a de la violence.
00:30:14 Ce sont des manifestations assez irrépressibles,
00:30:18 mais ce n'est pas pour obtenir quelque chose.
00:30:20 Je reviendrai là-dessus.
00:30:22 Voilà.
00:30:24 Ça, c'était l'introduction.
00:30:27 J'en ai peut-être pas assez dit.
00:30:30 Je dirais une dernière chose
00:30:32 qui me permet aussi de faire le lien avec ce qui a été dit.
00:30:36 Quand on parle de la violence
00:30:41 comme un retour de la sauvagerie,
00:30:44 là aussi, si vous citiez Darmanin,
00:30:49 un autre registre, c'est les grandes philosophies,
00:30:52 qui parle de l'ensauvagement, etc.,
00:30:55 c'est toujours cette idée qu'au fond,
00:30:59 peut-être que la culture n'a pas suffisamment dompté,
00:31:04 maîtrisé un fond animal en nous qui est prêt à ressurgir.
00:31:09 Sauf que les grandes études éthologiques
00:31:14 nous montrent quand même
00:31:16 que ce qu'on appelle l'agressivité animale,
00:31:21 elle n'est jamais gratuite,
00:31:24 elle n'est jamais létale.
00:31:26 Si vous prenez l'exemple des combats de tigres,
00:31:30 ce qui fait cesser immédiatement le combat,
00:31:34 c'est quand le tigre qui s'accepte comme soumis
00:31:38 présente à l'autre tigre sa veine jugulaire,
00:31:41 qui suffirait d'un coup de griffe ou d'un coup de dent pour le tuer,
00:31:46 et ça provoque un mécanisme d'arrêt total du combat.
00:31:49 Par là, c'est que les formes de violence
00:31:53 qu'on appelle interspécifiques,
00:31:56 c'est-à-dire à l'intérieur d'une même espèce,
00:31:59 parce qu'intraspécifiques,
00:32:01 quand vous prenez, pour aller vite, le lion et la gazelle,
00:32:06 parler de violence,
00:32:08 c'est des mécanismes qui sont...
00:32:10 C'est de la prédation afin de conservation de la vie, etc.
00:32:15 Mais à l'intérieur même des espèces,
00:32:18 vous avez des combats, des violences,
00:32:23 mais qui sont strictement finalisées.
00:32:25 Il faut partager un territoire, il faut le défendre,
00:32:28 il faut défendre sa progéniture,
00:32:30 il faut désigner à l'intérieur d'une meute
00:32:32 celui qui sera le chef, etc.
00:32:34 Par là, ce n'est jamais gratuit.
00:32:37 Les seules formes de violence gratuite et cruelle
00:32:42 qu'on trouve chez les animaux, allez savoir pourquoi,
00:32:45 c'est chez des animaux qui sont restés très longtemps
00:32:48 en contact avec l'homme.
00:32:50 C'est aussi toute une leçon à retenir.
00:32:55 Ça, c'était l'introduction.
00:32:57 Je passe à OPS.
00:33:01 Je vais très vite, mais vous trouvez chez OPS
00:33:05 cette thèse qui consiste à dire, au fond...
00:33:09 Je ne dirais pas avant l'histoire,
00:33:11 parce que ça rentrerait trop en conflit avec ce qui vient d'être dit.
00:33:14 En tout cas, avant l'État,
00:33:17 avant l'apparition d'une structure politique,
00:33:20 d'une autorité souveraine qui, au moyen de lois,
00:33:24 fixe des règles que chacun doit suivre sous peine de sanction,
00:33:28 ce qu'on appelle une société, une organisation politique.
00:33:32 Pourquoi est-ce qu'on a besoin ?
00:33:35 Pourquoi il existe un pouvoir politique ?
00:33:38 Parce que s'il n'existait pas cette instance
00:33:42 capable de dédicter des règles que tout le monde doit suivre,
00:33:47 ce serait une anarchie totale.
00:33:49 J'en viens au registre un peu explicatif.
00:33:53 Parce que, dans le fond de l'âme humaine,
00:33:56 il existe trois grandes passions.
00:33:58 On va appeler ça des passions élémentaires,
00:34:01 des passions naturelles, mais c'est compliqué.
00:34:05 C'est ce qu'on appelle la nature.
00:34:07 Trois passions irrépressibles.
00:34:10 Ces passions sont des passions qui,
00:34:13 quand on leur donne libre cours,
00:34:17 c'est-à-dire quand il n'y a pas de règles sociales
00:34:21 qui sont là pour les limiter,
00:34:23 entraînent des conflits qui sont des conflits tout à fait meurtriers
00:34:29 et font qu'effectivement,
00:34:32 les hommes entre eux vivent dans la violence perpétuelle,
00:34:36 dans la misère, etc.
00:34:38 Il va définir trois passions qui seraient les sources de la violence.
00:34:43 La première,
00:34:46 ça tourne autour de ce qu'on pourrait appeler la cupidité.
00:34:50 C'est-à-dire le désir d'objet, la volonté de prendre.
00:34:56 Là aussi, je me glisse dans l'exposé précédent
00:35:02 au moment de l'apparition du néolithique,
00:35:05 qui fait comprendre qu'il peut y avoir des volontés d'appropriation,
00:35:10 prendre la propriété de quelqu'un d'autre.
00:35:13 Ça serait une des premières sources de la violence,
00:35:18 c'est-à-dire le désir d'objet.
00:35:21 Alors qu'il faut un peu plus essayer de définir
00:35:26 en disant que pour comprendre que ça génère la violence,
00:35:29 le désir d'objet,
00:35:30 il faut rajouter un certain nombre de conditions.
00:35:33 D'abord, la rareté.
00:35:34 C'est-à-dire qu'au fond, les ressources seraient,
00:35:38 je mets le conditionnel,
00:35:40 seraient en nombre limité.
00:35:44 Et au fond, pour aller vite,
00:35:46 un objet pour deux prétendus propriétaires, ça donne la guerre.
00:35:50 Il va bien falloir...
00:35:53 La rareté, c'est un thème très fort, par exemple,
00:35:56 dans la critique de la raison dialectique de Sartre,
00:35:59 qui montre que cette rareté forme la guerre.
00:36:03 Deuxièmement, la condition de facilité.
00:36:07 Ce que je veux dire par là, c'est que...
00:36:10 Quand je parle de facilité,
00:36:14 je veux dire que l'appropriation violente de l'objet,
00:36:18 ça signifie que précisément,
00:36:21 on ne travaille pas pour l'obtenir, on ne fait pas d'efforts,
00:36:25 mais on vole le fruit du verger
00:36:29 qu'un jardinier avec beaucoup de patience a soigné.
00:36:34 Là, ça va très vite, c'est de la violence,
00:36:36 mais c'est une condition de facilité.
00:36:38 Et enfin, troisième condition,
00:36:41 qui est peut-être celle qui nous intéresserait le plus,
00:36:44 c'est le paradigme ou l'idée d'envie, de jalousie.
00:36:53 Cette idée qu'au fond, ce qui fait...
00:36:56 Là, j'interviens sur un thème qui est tout à fait fondamental
00:37:01 et qui revient très souvent quand on explique la violence.
00:37:05 Ce qui fait qu'on désire un objet,
00:37:10 c'est moins qu'on le désire en lui-même,
00:37:13 parce que les qualités intrinsèques de l'objet nous correspondent.
00:37:16 "J'ai besoin de quelque chose."
00:37:18 "Cet objet-là, c'est ce dont j'ai besoin."
00:37:23 Mais ce qui fait, ce qui va motiver notre désir,
00:37:26 c'est le fait, essentiellement, qu'un autre le possède.
00:37:30 Ça éveille de la jalousie, de l'envie.
00:37:33 Je prends des thèses comme celle de René Girard,
00:37:37 ce qu'on appelle le désir triangulaire.
00:37:39 Pourquoi on parle de désir triangulaire ?
00:37:41 C'est pour dire que la structure du désir,
00:37:44 ce n'est pas "moi, sujet, je désire un objet".
00:37:47 Ce n'est pas "désirant, le désirant et le désiré".
00:37:50 C'est "moi, je désire cet objet parce qu'un autre l'a ou le désire aussi."
00:37:56 C'est ça qui entraîne la guerre.
00:38:01 Si vous voulez, ce serait le premier paysage
00:38:04 qui tourne autour de ce désir,
00:38:08 de cette cupidité, de ce désir d'objet qui...
00:38:13 Justement, parce que...
00:38:17 Je réinsiste là-dessus.
00:38:19 Parce que peut-être qu'il y a une structure de jalousie.
00:38:23 Le fait qu'un objet soit possédé par un autre
00:38:28 lui donne un certain éclat qui me magnétise et j'ai envie de l'avoir.
00:38:33 Après, toutes les puéricultrices de crèches vous raconteront ça.
00:38:37 C'est facilement.
00:38:39 Des objets dont les enfants peuvent se désintéresser tout à fait.
00:38:43 Si notre enfant jette un peu son dévolu dessus,
00:38:48 ça excite le désir et ça génère la violence.
00:38:52 Deuxième paysage qui est déployé par Hobbes,
00:38:57 c'est celui de la peur.
00:38:58 Ça consiste à dire, au fond,
00:39:02 ce qui génère la guerre, c'est la peur d'être attaqué par l'autre.
00:39:10 Je ne peux jamais être totalement sûr
00:39:15 que l'autre n'ait envers moi que des volontés très pacifiques.
00:39:21 C'est trop risqué de vérifier.
00:39:24 Autant le massacrer tout de suite,
00:39:26 comme ça, c'est une espèce de neutralisation immédiate.
00:39:30 Je vais très vite, mais vous sentez la logique ?
00:39:33 Cette logique de la peur qui consiste à dire, finalement,
00:39:43 ce qui génère la violence,
00:39:45 c'est que j'anticipe une possible attaque de l'autre
00:39:50 et donc je pratique ce qu'on pourrait appeler
00:39:54 une légitime défense par anticipation.
00:39:57 Pourquoi tu m'attaques ?
00:39:59 Je t'attaque parce que tu allais m'attaquer.
00:40:02 Je sais que tu allais m'attaquer.
00:40:04 Parce qu'on est dans un État...
00:40:06 Hobbes est en train de faire une expérience de pensée
00:40:10 où il se représente des individus humains, des hommes, des femmes,
00:40:14 mais sans règles communes, sans État, sans loi, sans police, sans justice.
00:40:19 Là, il dit que c'est un État de guerre.
00:40:22 Pourquoi ? Parce qu'il y a le désir et la peur.
00:40:26 On ne peut jamais être sûr des intentions de l'autre.
00:40:30 Même s'il faut bien voir, je trouve que c'est assez curieux,
00:40:35 cette peur...
00:40:38 Vous comprenez aussi qu'elle se nourrit de l'imagination.
00:40:41 Quand je dis qu'elle se nourrit de l'imagination,
00:40:43 c'est que c'est aussi un peu irrationnel.
00:40:46 Quand je dis irrationnel, je dis que c'est un peu paranoïaque.
00:40:51 Ce qui produit l'ennemi, c'est l'imagination de l'ennemi.
00:40:55 Il pourrait me faire quelque chose.
00:40:57 Il m'a souri d'une drôle de manière, ça doit vouloir dire qu'il veut m'agresser,
00:41:01 donc je l'attaque tout de suite.
00:41:04 C'est une espèce de logique qui tourne autour de ce qu'Ops appelle la peur.
00:41:09 Troisième grande source de violence pour Ops,
00:41:15 c'est ce qu'il appelle...
00:41:18 Le Léviathan est écrit en anglais, donc les termes sont anglais,
00:41:23 mais il existe une traduction latine.
00:41:25 Pour aller au plus près des termes, il faut jongler entre les deux versions.
00:41:31 Ce qu'il appelle la gloire, ce qu'il appelle la vanité...
00:41:34 Ça peut sembler un peu étrange, au départ.
00:41:39 C'est l'idée que la source de la violence,
00:41:42 c'est le besoin pour chacun d'afficher sa supériorité sur l'autre.
00:41:46 C'est-à-dire une espèce d'affirmation orgueilleuse de moi.
00:41:52 "Regarde comme je suis plus fort que toi."
00:41:55 La preuve, c'est que...
00:41:59 Je vais un peu plus loin.
00:42:00 Ce n'est pas seulement que je t'attaque.
00:42:03 La preuve, c'est que je suis prêt à risquer ma propre vie
00:42:06 parce que ce qui montre bien que je suis supérieur à toi,
00:42:11 c'est que moi, je n'ai même pas peur ni d'être blessé, ni de mourir, etc.
00:42:16 Vous voyez ?
00:42:17 Pourquoi j'évoque ça ?
00:42:20 La manière dont je l'évoque...
00:42:22 Face, en même temps, vers un autre texte
00:42:27 qui est considéré comme un des textes philosophiques très importants
00:42:31 sur les racines de la violence,
00:42:33 c'est ce qu'on appelle la dialectique du maître et de l'esclave,
00:42:37 chez Hegel, dans la phénoménologie de l'esprit.
00:42:40 C'est l'idée, si vous voulez...
00:42:42 Ça peut sembler un peu curieux, parce que ça peut être contre-intuitif,
00:42:47 de dire que c'est le désir de reconnaissance qui produit la violence.
00:42:52 Je veux te montrer quelque chose.
00:42:55 Comment est-ce que j'affirme mon humanité,
00:42:58 c'est-à-dire ma supériorité ?
00:43:00 C'est que moi, je n'ai même pas peur de mourir.
00:43:02 Ma part, proprement animale, biologique, etc.,
00:43:06 je la méprise assez, de telle sorte que...
00:43:09 D'accord ?
00:43:10 Et ça, si vous voulez...
00:43:14 Je vous ai exposé les trois paysages,
00:43:18 je vais donner quelques mots de conclusion.
00:43:20 Ça va ? On est à peu près bon ?
00:43:23 C'est une vingtaine de minutes.
00:43:26 On s'est servi, vous le comprendrez aussi,
00:43:29 de cette tripartition, de cette tripartition chez Hobbes,
00:43:33 pour fournir les trois grandes causes des guerres.
00:43:36 Il y a des guerres qui sont des guerres de conquête,
00:43:39 pour conquérir des territoires, des sources naturelles.
00:43:42 Il y a des guerres qui sont des guerres de sécurité,
00:43:46 parce qu'on a peur, parce qu'on voit que l'autre se réarme.
00:43:50 Et puis, il y a des guerres qui sont des guerres de gloire,
00:43:55 d'affirmation de sa puissance militaire, etc.
00:43:59 Deux, trois, peut-être, choses en conclusion.
00:44:07 Vous vous rendez bien compte, en même temps,
00:44:09 que ce serait une manière de ramasser ces trois paysages
00:44:13 en une seule question.
00:44:16 Au fond, on pourrait dire que la source de la violence,
00:44:19 c'est le désir.
00:44:21 Désir de l'objet pour la cupidité,
00:44:24 désir de conserver l'objet, c'est la peur,
00:44:27 et désir de montrer à l'autre que cet objet, on l'a,
00:44:31 c'est la gloire, la reconnaissance.
00:44:33 Ça tourne autour du désir,
00:44:35 qui n'a rien à voir avec ce qu'on appelle le besoin,
00:44:39 le désir proprement humain.
00:44:41 Ce qui produit la violence, c'est la forme humaine du désir.
00:44:46 Quand vous avez des besoins,
00:44:48 ça veut dire qu'il y a certains objets que vous allez rechercher
00:44:52 parce qu'ils vous sont appropriés.
00:44:54 Et, si vous voulez, il y a une certaine mesure...
00:44:57 Parce que dans les besoins, quand vous avez soif,
00:45:01 un verre, deux verres,
00:45:06 vous arrivez à des expériences de satiété.
00:45:09 C'est des choses que vous avez...
00:45:12 Le besoin contient en lui-même sa propre limite.
00:45:16 Le problème du désir, tel que je vous ai montré,
00:45:19 c'est que ça produit de la violence
00:45:21 parce qu'au fond, on n'est jamais sûr
00:45:25 que l'autre ne veut pas nous attaquer.
00:45:28 Jusqu'à quel point est-ce qu'on est sûr aussi...
00:45:32 Il n'y a pas de limite non plus à vouloir montrer sa supériorité.
00:45:36 Voilà.
00:45:37 Bon.
00:45:38 Simplement, deux choses, peut-être,
00:45:41 pour cette fois, en véritable conclusion.
00:45:44 C'était 3 heures, donc j'arrive à la fin.
00:45:49 Je pense que c'est assez complet,
00:45:53 c'est relativement complet, ces trois paysages,
00:45:56 le désir, la peur,
00:45:58 la gloire ou l'affichage de sa supériorité.
00:46:04 En même temps, ça laisse de côté
00:46:07 des passions violentes qui sont non instrumentales.
00:46:12 Vous vous rendez compte que la violence est complètement instrumentale.
00:46:16 Pourquoi es-tu violent ? Pour obtenir un objet.
00:46:18 Pourquoi es-tu violent ? Pour avoir de la sécurité.
00:46:21 Pourquoi es-tu violent ? Pour montrer quelque chose.
00:46:23 Mais vous avez aussi des formes de violence
00:46:26 qui ne sont pas instrumentales.
00:46:30 J'en retiendrai deux.
00:46:32 Là aussi, on peut peut-être les relier,
00:46:35 surtout la deuxième à des figures.
00:46:37 Premièrement, la colère.
00:46:41 Quand je dis la colère, je veux dire qu'il peut y avoir des violences
00:46:44 qui sont la manifestation d'une espèce de désir de revanche
00:46:50 sur tout un passé d'humiliation,
00:46:53 sur des récriminations passées, etc.,
00:46:57 qui, à force d'intérioriser, si vous voulez,
00:47:01 les humiliations, les frustrations, etc.,
00:47:05 ça finit à un moment par...
00:47:08 Ce qu'on appelle vulgairement "ça finit par péter".
00:47:11 C'est-à-dire que ça finit par se retourner contre le monde
00:47:16 et contre les autres,
00:47:17 tout ce qu'on a pu ressentir soi-même comme injustice.
00:47:21 Vous sentez ce que j'essaie de dire ?
00:47:23 Ce n'est pas qu'on essaie d'obtenir quelque chose,
00:47:26 c'est qu'à un moment, si vous voulez,
00:47:28 c'est une manifestation, là aussi, qui est relativement intransifiée.
00:47:33 Deuxièmement, je finirai là-dessus,
00:47:36 même si c'est peut-être la version la plus pessimiste de la violence.
00:47:41 Peut-être qu'au fond, ce que révèle la violence,
00:47:45 c'est ce que Freud appelle la pulsion de mort.
00:47:49 On va du côté de...
00:47:51 Ce n'est pas la colère, c'est la haine.
00:47:53 Se dire qu'au fond,
00:47:55 il y a quelque chose de profondément suicidaire en l'homme.
00:47:59 Voilà.
00:48:00 Cette espèce humaine est vraiment...
00:48:04 Contient en elle une espèce d'explosif.
00:48:08 La violence est la manifestation de ce que Freud appelle,
00:48:14 je le présente de manière très générale,
00:48:16 on pourra revenir après, ce qu'il appelle la pulsion de mort.
00:48:20 Ça consiste à dire, au regard du triste spectacle de l'humanité,
00:48:25 mais vraiment, l'humanité, au fond, ne veut que sa propre destruction.
00:48:30 Ce n'est pas possible.
00:48:32 Voilà, très bien, j'ai fini.
00:48:34 Merci pour votre attention.
00:48:36 -Merci beaucoup, Frédéric Gouraud.
00:48:39 Je vous propose d'écouter la dernière intervention,
00:48:42 celle de François Cusset.
00:48:44 -Bonjour.
00:48:46 Je vais essayer de ne pas trop recouper ce qui vient d'être dit,
00:48:51 mais en même temps, de m'inscrire dans une discussion collective.
00:48:56 C'est très difficile de parler de violence.
00:48:59 On donne toujours, au début d'un cours de philosophie,
00:49:04 l'exemple de ce que les philosophes disent de la mort.
00:49:07 La mort, par définition, quand elle est là,
00:49:10 on n'est pas là pour en parler.
00:49:12 Quand on est là pour en parler, c'est qu'elle n'est pas là.
00:49:15 On peut dire exactement la même chose de la violence.
00:49:18 Pour pouvoir discuter de violence,
00:49:20 il faut un environnement aussi peu violent que celui-ci, par exemple.
00:49:24 Se retrouver tous ensemble et discuter.
00:49:27 Parce que la violence fait écran, elle sidère, elle fascine,
00:49:33 et donc elle interrompt le travail de la discussion,
00:49:39 de la pensée, de l'écoute de l'autre, etc.
00:49:42 Ce que je voudrais faire, c'est très général,
00:49:46 j'espère que ça vous sera utile,
00:49:48 c'est une série de déplacements
00:49:51 par rapport à la conception spontanée, habituelle,
00:49:55 pas vraiment interrogée, qu'on a de la violence.
00:49:59 Une série de déplacements conceptuels.
00:50:02 Essayer de voir qu'elle n'est pas,
00:50:05 ou pas exactement, ou pas seulement, ce qu'on croit qu'elle est,
00:50:08 la violence,
00:50:10 dans une époque particulièrement violente.
00:50:14 D'ailleurs, les deux premières interventions
00:50:17 procédaient à ce déplacement.
00:50:19 Notre amie préhistorienne nous a clairement expliqué
00:50:24 que là où on aurait tendance à placer la violence
00:50:28 dans le monde d'avant la sédentarisation,
00:50:32 dans une préhistoire plus ancienne,
00:50:34 faite de guerres, de violences naturelles et de pulsions,
00:50:38 mais calmées par les sociétés sédentaires,
00:50:41 c'est en vérité, probablement, l'inverse.
00:50:44 Ce qui a des enjeux absolument majeurs,
00:50:47 puisque c'est la sédentarisation, l'État,
00:50:50 les structures politiques et sociales
00:50:53 qui sont censées contenir la violence pulsionnelle,
00:50:57 qui, en fait, l'aggravent.
00:50:59 Vous voyez le genre de déplacement dont on parle.
00:51:03 Il faut que je commence, sinon, je ne finirai jamais.
00:51:07 Un premier déplacement simple
00:51:10 est un déplacement historique ou historiographique.
00:51:13 Effectivement, il y a un quasi-consensus
00:51:18 chez les historiens
00:51:20 pour dire que nous vivons aujourd'hui
00:51:24 dans une époque, globalement, statistiquement,
00:51:28 moins violente qu'autrefois,
00:51:30 c'est-à-dire qu'au XXe siècle,
00:51:33 mais à plus forte raison qu'il y a 1 000 ans,
00:51:37 à l'époque antique ou au Moyen Âge.
00:51:40 Ce qu'il faut immédiatement demander
00:51:43 à ceux qui font état de ce consensus,
00:51:45 c'est quels sont vos critères.
00:51:47 Les seuls critères existants pour le travail des historiens,
00:51:51 c'est des statistiques sur les homicides,
00:51:54 telles qu'on peut du moins les rapporter,
00:51:57 car on ne sait pas toujours combien de gens sont morts de guerre,
00:52:00 de crimes violents, etc.
00:52:02 La question simple, c'est s'en tenir
00:52:05 à cette donnée quantitative de la mise à mort volontaire
00:52:09 pour évaluer si une époque est violente ou non.
00:52:13 Ceux qui disent ça nous disent que l'époque la plus violente
00:52:17 de l'histoire humaine, c'était le XIe siècle,
00:52:19 puisque la proportion de gens tués violemment,
00:52:22 dans des guerres ou des massacres,
00:52:25 pour toute la population de la Terre, était la plus importante.
00:52:27 Plus grande qu'au XXe siècle, malgré ces deux guerres mondiales.
00:52:31 Vous voyez où je veux en venir.
00:52:33 Non, il faut ajouter,
00:52:35 car c'est une donnée qu'on ne peut pas effacer,
00:52:38 d'autres critères, d'autres mesures,
00:52:42 d'autres données plus qualitatives
00:52:45 qui permettent de comprendre
00:52:47 comment la violence, dans ces manifestations,
00:52:50 se renouvelle, change, se transforme,
00:52:54 et qui permettent peut-être de toucher
00:52:56 à ce qu'il y aurait de propre à notre époque
00:52:59 dans les formes de violences contemporaines.
00:53:01 On sait bien qu'il y a des choses éternelles,
00:53:04 ce qui se passe de terrible et d'effrayant
00:53:08 entre Israël et le Hamas depuis le 7 octobre,
00:53:11 et malheureusement, c'est une nature de violence
00:53:15 qui fait penser aux guerres de toutes les époques,
00:53:18 surtout dans des territoires resserrés,
00:53:21 où les conflits sont ancestraux.
00:53:23 Ce n'est pas nouveau.
00:53:25 Ce qui serait nouveau,
00:53:27 ce serait d'autres formes de violence,
00:53:29 et je vais essayer d'y venir.
00:53:31 Donc, pas d'éclat, transformation.
00:53:37 Le deuxième déplacement, grâce au premier,
00:53:41 c'est un déplacement de la définition même de la violence.
00:53:45 Comme ça a été dit très clairement,
00:53:48 on ne va pas jouer à ça, c'est impossible.
00:53:51 On ne peut pas définir conceptuellement,
00:53:53 en deux ou trois lignes, la violence.
00:53:56 En revanche, là aussi, il faut faire un déplacement,
00:53:59 qu'on peut dire épistémologique,
00:54:02 c'est-à-dire un déplacement dans notre rapport conceptuel
00:54:05 de connaissance à cette chose, la violence.
00:54:08 Spontanément, la violence est associée au coup.
00:54:12 C'est-à-dire à quelque chose d'extrêmement brutal,
00:54:16 qui fait irruption et qui est extrêmement ponctuel.
00:54:20 D'accord ?
00:54:21 La gifle inattendue, la bombe atomique
00:54:25 ou la rafale de Kalachnikov,
00:54:27 ce sont trois exemples extrêmes, mais très clairs, de ce coup.
00:54:31 Ça arrive, ça fait irruption.
00:54:34 Comme disait, je crois que ça a été cité,
00:54:36 la grande anthropologue Françoise Héritier,
00:54:39 ça fait effraction.
00:54:40 Effraction de la balle de fusil de Kalachnikov dans la peau.
00:54:45 Effraction.
00:54:48 C'est, incontestablement, de la violence.
00:54:51 Mais il y a un problème
00:54:54 avec le fait de se limiter au coup et à l'instant du coup.
00:55:00 Parce que pour arriver à ce coup,
00:55:02 il y a un long trajet temporel, affectif, historique,
00:55:07 qui mène à ce coup.
00:55:10 Et ce coup lui-même déclenche un temps long,
00:55:14 qui est celui de l'après-coup.
00:55:16 Je ne sais pas si vous avez discuté avec des gens
00:55:19 qui ont été victimes de violences,
00:55:20 ou avec les survivants d'une guerre ou d'une attaque terroriste.
00:55:24 Ce coup-là les accompagnera toute leur vie,
00:55:29 dans des cauchemars, dans un traumatisme.
00:55:32 Donc, le déplacement consisterait,
00:55:35 au lieu de réduire la violence à l'instant du coup,
00:55:38 à envisager le trajet antérieur et ultérieur autour de ce coup
00:55:46 comme un trajet émotionnel, comme le trajet d'un affect.
00:55:50 Parce que le coup, lui, est direct, physique ou technologique.
00:55:55 Quand c'est une bombe, on appuie sur un bouton.
00:55:57 Mais le trajet, lui, est affectif, subjectif.
00:56:01 Ça peut être la montée d'une frustration, d'une haine,
00:56:07 d'une rancœur qui pousse à commettre ce coup,
00:56:11 ou, comme je l'ai dit, l'après-coup dans le traumatisme,
00:56:15 le cauchemar, la peur dont on ne se remet pas.
00:56:17 C'est très important,
00:56:20 parce que ça permet d'inclure dans la définition de la violence
00:56:25 la peur qu'elle ait lieu, la peur qu'elle revienne,
00:56:28 la peur qu'elle se renouvelle,
00:56:30 et tout ce que ça déclenche comme attitude de prévention,
00:56:34 d'anticipation, voire même contre-productive,
00:56:37 de commettre la violence dans une peur déplacée qu'elle ait lieu.
00:56:43 Et puis, ça permet aussi d'envisager d'autres choses que le coup.
00:56:48 Et ça, c'est essentiel.
00:56:50 Ça permet d'envisager des choses aussi simples
00:56:53 que l'idée qu'il y ait une violence du langage.
00:56:56 C'est un thème qui est débattu, discuté, de manière très intéressante,
00:57:02 justement par ces courants minoritaires,
00:57:05 tous ces militants et ces activistes minoritaires,
00:57:08 que ce soit des minorités sexuelles, féministes, homosexuelles,
00:57:11 minorités raciales, tous les gouvernements antiracistes, etc.
00:57:15 Ils nous font comprendre, tous,
00:57:18 qu'il y a une violence des mots, une violence du langage,
00:57:22 qu'il y a des façons très simples qu'on avait acceptées,
00:57:25 dont on ne voyait pas le problème,
00:57:27 de se nommer les uns les autres,
00:57:30 qui font violence et qu'on peut modifier.
00:57:34 Précisément parce qu'en enlevant la violence des mots et du langage,
00:57:37 on commence à réunir les conditions d'une entente.
00:57:41 Ça agace beaucoup quand les jeunes qu'on appelle "woke"
00:57:45 commencent à vous reprendre sur les mots qu'on emploie
00:57:49 pour désigner un homosexuel, une personne racisée,
00:57:53 même une femme,
00:57:56 ou quelqu'un d'un pays du Sud.
00:57:58 Les mots qu'on emploie ont un sens.
00:58:01 Là-dessus, sur cette histoire du passage du coup
00:58:06 et de son temps court
00:58:09 au trajet affectif et son temps long,
00:58:11 juste une... Ce n'est pas une anecdote,
00:58:14 c'est une très belle formule,
00:58:17 c'est celle de la philosophe Simone Veil.
00:58:20 Ce n'est pas la ministre qui a légalisé l'avortement en France,
00:58:24 c'est la philosophe, avec W, Simone Veil,
00:58:28 qui se trouve à Paris,
00:58:31 en train de travailler sur les textes de Homer,
00:58:35 en 1939.
00:58:37 1939, époque assez violente,
00:58:39 car la Deuxième Guerre mondiale commence.
00:58:42 Simone Veil, en plus, est en proie à d'horribles migraines.
00:58:46 Voyez bien le type de violence physique que c'est,
00:58:49 ce mal de crâne extrême.
00:58:52 Elle travaille sur Homer et elle appelle l'Iliade,
00:58:56 celui des deux récits d'Homer qui est le récit de la guerre,
00:59:00 le poème de la force.
00:59:03 Elle ne parle pas de violence, mais de force.
00:59:06 C'est assez intéressant.
00:59:07 Cette formule incroyable m'a frappé,
00:59:10 qui a déclenché mon envie d'écrire ce livre sur la violence.
00:59:13 Elle dit...
00:59:15 "La force qui tue
00:59:17 "est une forme encore très grossière et très sommaire de la force.
00:59:22 "Combien plus subtile, plus durable, plus nocive
00:59:28 "est la force qui ne tue pas,
00:59:31 "c'est-à-dire qui ne tue pas encore ?"
00:59:35 On voit très précisément que plus violent que le coup qui tue,
00:59:39 il y a l'ouverture d'un temps sans fin,
00:59:43 d'une violence extrême,
00:59:45 qui est le temps dans lequel on est menacé de mort
00:59:48 et qui ne prendra fin que quand la menace s'arrête ou quand on meurt.
00:59:52 C'est ça qu'elle dit.
00:59:54 Il n'y a plus grave que de mourir,
00:59:57 d'un point de vue collectif et conceptuel.
01:00:03 Un troisième déplacement, je passerai plus vite sur celui-là,
01:00:07 mais il est la conséquence du précédent.
01:00:10 Si la violence n'est pas seulement un coup,
01:00:15 une brutalité commise dans un instant sur quelqu'un d'autre,
01:00:20 mais le trajet d'un affect, d'une émotion,
01:00:23 alors on ne peut pas traiter la violence
01:00:27 uniquement avec les outils qu'on a à notre disposition.
01:00:31 Comment on la traite, la violence, dans nos sociétés ?
01:00:34 En gros, les institutions, l'État, la loi,
01:00:39 la traitent avec ces deux mots qu'on met toujours ensemble,
01:00:42 comme deux polarités,
01:00:44 prévention, répression.
01:00:47 En général, ce n'est pas toujours vrai,
01:00:50 on vous dit que si vous êtes de gauche, vous êtes de gauche,
01:00:53 et si vous êtes de droite, de droite.
01:00:55 Il y a quelque chose comme ça.
01:00:58 Prévention, c'est-à-dire éducation,
01:01:00 et répression, punition, prison, passage en justice.
01:01:04 Mais si la violence est ce trajet long, permanent, complexe,
01:01:12 d'une émotion, ce n'est ni la punition,
01:01:15 ni le fait d'en faire un objet d'éducation qui suffira à la traiter.
01:01:21 Le déplacement que je vous propose,
01:01:24 c'est un déplacement vers une approche énergétique,
01:01:28 envisager la violence comme une énergie.
01:01:31 Comme un courant électrique passe dans un fil,
01:01:34 ou un carburant dans un tuyau.
01:01:37 Il y a en nous, à la fois individuellement et collectivement,
01:01:43 un affect, une émotion, une énergie,
01:01:47 à la fois psychologique et sociale, violente.
01:01:52 Le meilleur moyen de la traiter,
01:01:54 c'est d'en avoir conscience et d'en limiter les effets nocifs,
01:01:59 c'est dans la circulation.
01:02:01 Il faut se représenter une tuyauterie.
01:02:04 Quand une tuyauterie circule dans les tuyaux,
01:02:08 il y a des canaux de dérivation,
01:02:10 des façons de déverser le trop-plein dans un endroit où il ne fera pas de mal.
01:02:15 C'est ça que j'appelle l'approche énergétique.
01:02:18 C'est une approche très ancienne, en vérité, dans l'histoire de la pensée.
01:02:23 C'est une approche largement renouvelée par la psychanalyse,
01:02:27 car elle nous parle de ça aussi, de ces tuyaux, de ces dérivations.
01:02:32 C'est une approche qui existait à l'époque d'Aristote,
01:02:37 à l'époque des philosophes grecs,
01:02:39 en lien avec ce que les philosophes grecs appelaient la catharsis.
01:02:44 Vous vous souvenez de la catharsis ?
01:02:47 L'exemple que donne Aristote dans "La Poétique",
01:02:52 c'est pourquoi les gens vont au théâtre.
01:02:55 Au théâtre, c'est dans un amphithéâtre, en extérieur,
01:02:58 voir une tragédie,
01:03:00 que Aristote définit comme une fable,
01:03:05 dans laquelle, ou par laquelle,
01:03:08 on peut éprouver terreur et pitié.
01:03:12 On a peur des méchants, on est en empathie avec les gentils,
01:03:16 de manière un peu infantile, un peu caricaturale.
01:03:20 Aristote, d'ajouter immédiatement,
01:03:23 voit, représenté sur scène, se déployer dans une fable,
01:03:28 pour de faux,
01:03:31 toute cette terreur et toute cette pitié
01:03:34 qui accompagnent notre vie le reste du temps.
01:03:36 Le reste du temps, on passe notre temps à avoir peur de ceci et de cela,
01:03:41 et, sentiment ou pas de solidarité pour un tel ou une telle,
01:03:44 nous soulage de cette terreur et de cette pitié.
01:03:49 Ce soulagement, qu'il appelle cathartique,
01:03:52 c'est ça, la catharsis en grec.
01:03:55 Pourquoi ce détour par Aristote ?
01:03:58 Pour vous dire que dans les circuits énergétiques de la violence,
01:04:01 qui, à un moment, peuvent s'engorger, faire un abcès et exploser,
01:04:06 pour que ce soit plus fluide, pour qu'il y ait des dérivations,
01:04:09 pour que ça circule,
01:04:11 les humains, depuis des milliers d'années, ont inventé plein de choses.
01:04:16 On peut donner deux, trois exemples.
01:04:20 La culture, le sport, la religion.
01:04:23 Après tout, la culture, c'est l'hypothèse d'Aristote,
01:04:27 ça sert à ressentir ce que, dans le cadre d'une fiction,
01:04:32 comme un comme-ci,
01:04:33 ce que, du coup, on n'a plus à exprimer et déployer directement.
01:04:37 Le sport, vous ne faites pas de dessin,
01:04:40 quoique ça ne va plus vraiment de soi.
01:04:42 À l'époque des hooligans, des footballeurs
01:04:46 payés plusieurs millions d'euros...
01:04:48 Ça se complique un peu, depuis quelques années,
01:04:51 la question de la catharsis par le sport.
01:04:53 Le sport que l'on pratique individuellement, pas comme business,
01:04:56 oui, il joue ce rôle-là.
01:04:58 Et puis l'ensemble des pratiques culturelles, la religion aussi,
01:05:02 mais on n'a pas le temps d'en parler tout de suite à ce stade.
01:05:10 Le déplacement le plus important, c'est le troisième.
01:05:12 Il est la conséquence de tous les autres.
01:05:15 C'est un déplacement à la fois de concept
01:05:18 et c'est un déplacement politique.
01:05:20 Il faut qu'on voit les choses autrement.
01:05:23 J'appellerais ça le déplacement de la pulsion à la raison.
01:05:30 Un déplacement consistant à dire que le pire de la violence
01:05:36 n'est pas dans le travail de la pulsion,
01:05:38 dans l'expression de la pulsion,
01:05:40 la violence qui ne peut pas s'empêcher de s'exprimer,
01:05:43 mais dans l'inverse, dans la violence rationnelle,
01:05:48 planifiée, organisée,
01:05:50 qui souvent, de ce fait, prend les allures extérieures
01:05:53 très tranquilles, très administratives,
01:05:55 quasiment mathématiques, scientifiques, d'un projet,
01:06:00 de quelque chose qu'on prépare.
01:06:02 C'est très difficile, ce déplacement-là.
01:06:07 Effectivement, toute notre culture,
01:06:09 tout le discours dominant qui nous entoure,
01:06:11 mais aussi ce qu'on apprend à l'école,
01:06:14 nous fait associer la violence à la pulsion.
01:06:17 Après tout, dans les cas individuels,
01:06:20 si quelqu'un vous insulte,
01:06:22 on pourrait dire, un peu comme dans la fameuse finale de Coupe du Monde
01:06:29 où Zinedine Zidane a donné un coup de boule
01:06:32 dans le torse d'un joueur italien,
01:06:35 s'il insulte non pas vous, mais votre mère,
01:06:38 la réaction immédiate sera, et a raison d'être,
01:06:43 pulsionnelle.
01:06:45 Vous allez défendre votre honneur, votre mère,
01:06:51 votre intégrité, en quelque sorte, qui a été attaquée verbalement.
01:06:55 Et alors, il est tentant, plus que tentant,
01:06:58 il est pulsionnellement tentant de la défendre
01:07:01 avec les mains, avec les insultes,
01:07:05 avec une réaction physique,
01:07:06 plutôt que de proposer à celui qui vous insulte
01:07:09 de s'asseoir et de discuter.
01:07:11 Je fais exprès de caricaturer cet exemple pour vous dire
01:07:15 que ce serait ça, le travail de la pulsion.
01:07:17 Mais à cause de ça,
01:07:18 toute une vision faussée nous fait associer la violence à la pulsion.
01:07:25 Je veux vous dire que les violences pulsionnelles existent, évidemment.
01:07:30 Elles sont à éviter, mais elles sont tellement moins graves
01:07:33 et moins meurtrières que les violences rationnelles,
01:07:36 parce qu'elles sont moins efficaces.
01:07:38 Et nous fait associer la violence incontrôlée
01:07:42 plutôt à l'enfant, voire à l'adolescent, avec ses hormones,
01:07:47 qu'à l'adulte.
01:07:49 Quand il y a des émeutes dans les banlieues de Paris,
01:07:52 on dit souvent, "C'est normal, regardez l'âge des émeutiers."
01:07:56 On dit, "Pourquoi l'âge ?"
01:07:58 Et effectivement, ce sont des lycéens,
01:08:01 il ne faut pas dire que des lycéennes et des lycéens.
01:08:04 Et donc, l'idée derrière ça, c'est qu'implicitement,
01:08:07 on associe ce déploiement de violence contre la police,
01:08:10 un abribus ou une voiture qu'on brûle aux hormones.
01:08:13 Au lieu d'en faire un éventuel acte politique voulu,
01:08:17 ils ne peuvent rien, c'est leur corps, leur pulsion, leurs hormones.
01:08:22 Donc, plutôt les enfants que les adultes,
01:08:24 plutôt les animaux que les humains.
01:08:28 Vous aurez remarqué que les humains massacrent beaucoup d'animaux.
01:08:32 70 milliards par an pour l'alimentation.
01:08:35 Les animaux ne massacrent pas beaucoup d'humains.
01:08:38 Donc, on associe.
01:08:40 Et, là, ça devient beaucoup plus délicat,
01:08:43 dans une tradition coloniale, dans la longue histoire coloniale,
01:08:47 il y avait l'idée que les peuples qu'on colonise,
01:08:52 que les pays d'Europe ont colonisés,
01:08:55 en Afrique, en Asie, en Amérique du Sud,
01:08:57 moins développés, moins civilisés,
01:08:59 selon des critères extrêmement contestables,
01:09:02 étaient donc plus proches de la pulsion,
01:09:05 et donc étaient des sociétés plus violentes.
01:09:08 Vous voyez ce que ça a de tragiquomique.
01:09:12 Nous avons envahi, conquis, largement génocidé,
01:09:16 systématiquement, des populations qu'on trouvait violentes.
01:09:21 Quand je vous disais les récits de ces conquêtes,
01:09:24 du point de vue des colonisés, vous voyez où est la violence.
01:09:28 Il faudrait inverser tout ça
01:09:30 et montrer ce que la violence rationnelle a de bien pire.
01:09:33 C'est un déplacement très complexe.
01:09:36 Il faut envisager la violence qui ne se présente pas comme violence.
01:09:41 Il faut envisager une violence où il n'y a pas d'intention.
01:09:44 Où, au bout du geste violent, il n'y a plus d'intention.
01:09:47 C'est ce qu'on appelle la violence structurelle ou systémique.
01:09:52 Il y a plein de débats sur le racisme systémique.
01:09:55 Il y a plein de gens, en général, plutôt à la droite
01:09:59 ou à l'extrême droite de l'échiquier politique,
01:10:02 qui vous disent que ça n'existe pas.
01:10:04 Soit on est raciste, soit on ne l'est pas.
01:10:07 Ils réduisent ça à une opinion individuelle.
01:10:10 Un racisme systémique, ça veut dire qu'une règle,
01:10:13 une coutume, voire une loi, depuis longtemps en vigueur,
01:10:18 que nous appliquons, parce qu'on n'y réfléchit pas,
01:10:22 comme on ne vole pas dans les boutiques de préférence,
01:10:25 transporte un présupposé sur certaines populations
01:10:31 et fait commettre à ceux qui respectent ces lois
01:10:34 un geste ou une attitude raciste involontaire.
01:10:37 Ils ne font pas ça en pensant que telle minorité,
01:10:40 telle personne portant un voile ou tel étranger sans papier
01:10:44 serait dangereux ou nocif.
01:10:47 Non, ils le font parce que c'est dans la règle.
01:10:50 L'idée que la violence puisse être dans la règle,
01:10:53 dans le système, dans la structure,
01:10:55 et pas seulement dans le geste pulsionnel que je fais
01:10:59 parce que tu m'as insulté, est pour moi la plus importante.
01:11:02 Et puis, pour rappeler un chat à un chat,
01:11:08 il suffit aussi de regarder les grands massacres collectifs,
01:11:11 les pires tueries collectives dans l'histoire humaine.
01:11:15 Les pires au sens du nombre de morts
01:11:19 ont été obtenus par le déploiement de projets
01:11:22 extrêmement rationnels, voire industriels, voire scientifiques.
01:11:27 Deux exemples, deux génocides du XXe siècle.
01:11:31 Le génocide des Juifs d'Europe par les Nazis,
01:11:35 qui est une opération extrêmement industrielle,
01:11:38 réfléchie, rationnelle.
01:11:40 Et pour aller contre l'idée un peu coloniale
01:11:43 que quand on rationalise et qu'on projette,
01:11:47 c'est qu'on est européen, mais dans d'autres régions du monde,
01:11:50 on est plus pulsionnel, eh bien non.
01:11:52 Prenez le génocide des Tutsis du Rwanda par les Hutus,
01:11:56 une majorité ethnique dans ce pays, en 1994.
01:12:01 Si ce génocide a été si meurtrier,
01:12:04 je suis désolé pour cette comparaison chiffrée,
01:12:07 elle est abjecte, mais elle est vraie,
01:12:09 900 000 morts en huit semaines,
01:12:12 c'est mieux que 6 millions en quatre ans
01:12:16 pour les Juifs d'Europe.
01:12:17 Ça veut dire que ce n'est pas un conflit interethnique
01:12:21 entre Africains qui se tueraient à la machette,
01:12:24 que c'est également un projet rationnel, organisé,
01:12:29 endoctrinement, avec toutes ces étapes que l'on connaît,
01:12:32 qui sont très loin du geste final, le geste de mise à mort,
01:12:36 et ne peuvent pas être réduites à ce geste.
01:12:39 Donc, violence de la raison.
01:12:45 Et du coup, pour le dernier déplacement,
01:12:48 qui est la conséquence de tout cela,
01:12:50 qui est peut-être le plus problématique,
01:12:52 on en parlera dans la discussion,
01:12:55 que je vous propose,
01:12:56 c'est un déplacement de focale.
01:12:59 C'est-à-dire, au lieu de regarder dans certaines régions
01:13:03 de l'actualité ou du savoir humain,
01:13:06 regardez dans d'autres régions.
01:13:08 Parce que si on discute violence,
01:13:11 ouvrez les journaux, il y a tout ce qu'il faut.
01:13:15 Et après tout, les guerres, les massacres collectifs,
01:13:19 ou les fêtes d'hiver, ou les violences conjugales, domestiques,
01:13:23 peuplent notre actualité,
01:13:26 semble-t-il être du côté d'un phénomène social, sociologique,
01:13:31 des gens avec un sentiment d'exclusion
01:13:34 ou un sentiment de supériorité qui recourt à la violence,
01:13:39 ou bien des États, des groupes ennemis d'autres groupes,
01:13:45 les attaquants et les massacrants.
01:13:47 Non, ce n'est pas du côté ni social ni politique
01:13:50 que la focale de la violence doit être projetée.
01:13:55 Mais la proposition que je vous fais,
01:13:57 conséquence des quatre premiers déplacements,
01:14:00 c'est de l'économie.
01:14:01 Autant plus intéressant qu'il me semble que beaucoup d'entre vous
01:14:05 sont étudiants en classe préparatoire
01:14:07 aux grandes écoles de commerce.
01:14:09 Pas l'économie en soi.
01:14:11 L'économie en soi est quelque chose qui organise,
01:14:14 par exemple, nos rapports sociaux
01:14:17 et qui est nécessaire au fonctionnement des sociétés.
01:14:21 Mais un certain fonctionnement de l'économie
01:14:25 ou plutôt une certaine hégémonie d'un système économique
01:14:30 à l'exclusion de tous les autres.
01:14:33 Alors, attention, je ne suis pas en train de vous faire
01:14:36 le communiste avec un couteau entre les dents
01:14:39 qui vous dit que la cause de toutes les violences,
01:14:41 c'est le capitalisme. Absolument pas.
01:14:44 D'ailleurs, faites très attention à la logique causale.
01:14:47 Vous savez bien que sur la violence,
01:14:50 le plus dangereux, le plus risqué,
01:14:52 serait de lui trouver une cause simple et unique
01:14:56 parce que c'est la logique du bouc émissaire.
01:14:58 Ou c'est de la faute à l'économie.
01:15:02 Tout ce qui est monocausal, qui n'a qu'une cause,
01:15:04 insulte notre intelligence.
01:15:06 Ce qui, tout à coup, déchaîne la violence est toujours plus complexe.
01:15:11 En revanche, on peut dire au moins trois choses,
01:15:13 et je finirai là-dessus.
01:15:15 Il y a trois types de violences
01:15:18 liées au système économique hégémonique,
01:15:23 entièrement exclusif, sur la Terre aujourd'hui.
01:15:26 Sauf si vous allez en Corée du Nord, mais on ne va pas en parler.
01:15:31 La première, c'est la plus compliquée,
01:15:33 car ce sont les violences qui n'ont pas de rapport direct, causal,
01:15:37 avec ce système économique, mais que ce système économique,
01:15:40 laisse faire.
01:15:41 On pourrait dire dont il s'arrange,
01:15:47 qui pourraient parfois profiter à certains acteurs
01:15:51 de ce système économique, qui ont lieu pour d'autres causes,
01:15:54 mais ne sont pas interrompus par ce système.
01:15:57 Vous prenez la guerre israél-amas ou la guerre Russie-Ukraine,
01:16:02 c'est exactement de ça qu'il s'agit.
01:16:04 On ne peut pas donner à ces guerres une cause économique.
01:16:07 On peut noter qu'elles ont lieu dans un certain rapport nord-sud,
01:16:11 dans un certain rapport d'hégémonie économique,
01:16:14 qu'elles alimentent et font flamber le marché mondial de l'armement.
01:16:18 On peut trouver différents liens à l'économie, mais pas directs.
01:16:22 Il y a deuxièmement les violences que l'économie cause indirectement,
01:16:31 parce que cette fois-ci, elle y a un intérêt.
01:16:34 Mais elle ne les déclenche pas directement, ces violences.
01:16:37 Qu'est-ce que nous raconte ce système économique
01:16:40 depuis plusieurs siècles qu'il est en place ?
01:16:42 Qu'il est là pour adoucir les mœurs, pacifier les relations sociales
01:16:47 et faire que nous entendions tous les uns avec les autres.
01:16:49 Si nous venions à démontrer qu'il est fauteur de guerre et de violence
01:16:55 et qu'il s'alimente à la violence, ce ne serait pas une bonne publicité.
01:16:59 Il ne s'en réjouit pas, mais il le fait.
01:17:01 Qu'est-ce que je veux dire ?
01:17:03 Il y a des ressources naturelles absolument nécessaires
01:17:06 à l'organisation du système capitaliste tel qu'il existe.
01:17:10 Les ressources d'énergie fossile, qui vont bientôt disparaître,
01:17:14 mais qui ont déclenché, même indirectement, une série de guerres,
01:17:17 notamment au Proche et au Moyen-Orient.
01:17:19 Et puis, vous savez tous que les réserves de lithium
01:17:23 nécessaires à la fabrication des smartphones
01:17:26 et d'un ensemble d'appareils que tout le monde utilise sur Terre
01:17:32 sont carrément un butin de guerre.
01:17:35 Devinette terrible, quelle est la guerre la plus ancienne
01:17:41 qui soit encore en cours sur la planète Terre aujourd'hui ?
01:17:44 Je vous laisse pas le temps de réfléchir.
01:17:48 C'est la guerre qui déchire la République démocratique du Congo.
01:17:52 C'est une guerre déclarée par une faction contre l'autre
01:17:56 au début des années 90.
01:17:59 Vous voyez le 30, entre 30 et 40 ans.
01:18:03 Elle aurait pu se terminer, mais s'est prolongée
01:18:06 parce que l'une des factions, dans l'extrême sud du pays,
01:18:09 a repris la main sur les réserves de lithium
01:18:12 que les pays occidentaux voulaient récupérer.
01:18:15 Ces réserves, c'est tellement d'argent que ça permet d'acheter des armes,
01:18:18 d'entretenir la guerre, et surtout, comme on le disait,
01:18:21 sur le désir mimétique, quand on possède quelque chose,
01:18:24 la faction adverse aimerait mettre la main sur ces réserves.
01:18:28 C'est pourquoi les États-Unis sont restés 21 ans en Afghanistan,
01:18:31 la plus longue guerre de leur histoire,
01:18:33 alors que ça ne se passait pas très bien pour eux là-bas.
01:18:36 Ça n'est pas sans rapport avec le fait
01:18:38 que ce pays ait les premières réserves mondiales de lithium.
01:18:42 Et puis, troisième type de violence que l'économie cause,
01:18:48 mais cette fois-ci, directement.
01:18:50 Elle s'en arrange, elle est un cadre extérieur,
01:18:53 elle n'y peut rien, ou elle est une cause indirecte.
01:18:56 Cette fois-ci, elle est une cause directe.
01:18:58 Ce sont les violences non létales, pas toujours létales,
01:19:02 non directement physiques ou physiologiques,
01:19:05 pas liées à cette effraction,
01:19:07 les violences psychiques, morales, sociales, intersubjectives.
01:19:12 L'extrême violence psychique que c'est, aujourd'hui,
01:19:16 de travailler dans les conditions et avec les objectifs
01:19:20 qui sont imposés dans le système économique existant.
01:19:24 Ça prend les formes bien connues, ce vocabulaire que vous connaissez,
01:19:28 du burn-out, du stress, de la haine de soi,
01:19:34 de la rivalité extrême et du harcèlement
01:19:37 que ça peut produire entre les gens, voire du suicide.
01:19:41 On a pu enfin aborder, récemment, dans des procès en justice,
01:19:44 le fait qu'il y a des méthodes de travail
01:19:47 dans des pays développés, civilisés et pacifiés,
01:19:51 qui poussent, non pas une personne par exception et hasard,
01:19:55 mais un ensemble d'employés au suicide, dans la même période.
01:19:59 Et puis, on pourrait ajouter ici, beaucoup plus directement,
01:20:03 que l'esclavage n'est pas psychique,
01:20:06 qu'il est de retour dans le système mondial,
01:20:08 il ne l'a-t-il jamais quitté ?
01:20:10 Son abolition au XIXe et au XXe siècle
01:20:13 n'a pas empêché son prologement ailleurs.
01:20:16 Vous savez que la pauvre COP 28,
01:20:20 qui ne peut pas grand-chose contre le réchauffement climatique,
01:20:23 a lieu à Dubaï, une ville hérissée de gratte-ciel,
01:20:27 où il y a des esclaves,
01:20:29 entre 500 000 et 1 million d'ouvriers sans-papiers
01:20:33 venus d'Asie du Sud, qui habitent dans des baraquements non-climatisés,
01:20:37 à qui on retire leur passeport
01:20:39 et qu'on ne paye qu'à la fin des trois, six ou neuf mois
01:20:42 qu'ils travaillent sur place.
01:20:44 C'est de l'esclavage moderne.
01:20:46 Et puis, ultime violence que le système économique fait à la Terre,
01:20:50 je vais peut-être terminer là-dessus,
01:20:53 parce que ce n'est pas la violence à laquelle on pense le plus.
01:20:56 À cause de Hobbes ou de Rousseau, on pense qu'aux violences entre humains.
01:21:00 La violence faite à la Terre,
01:21:03 faite aux autres éléments du vivant et de la nature,
01:21:06 par le système capitaliste, il faut le nommer,
01:21:10 ce qu'on appelle l'écocide, la mise à mort de la nature,
01:21:16 ce que d'autres appellent l'anthropocène,
01:21:18 cette période de l'histoire humaine
01:21:20 où c'est l'humain lui-même qui est la cause des grandes mutations géologiques,
01:21:25 c'est la période dans laquelle on est depuis deux ou trois siècles,
01:21:28 là, il y a également violence.
01:21:30 Sauf qu'évidemment, ce n'est pas une violence
01:21:33 dont les victimes viendraient à se plaindre,
01:21:37 par voix de presse ou dans le débat public,
01:21:40 puisqu'on ne lui donne pas la parole, car il y a une parole de la nature.
01:21:44 C'est extrêmement vaste, j'en suis désolé,
01:21:47 mais ces cinq déplacements me semblent nécessaires
01:21:50 à une discussion sur la violence aujourd'hui.
01:21:54 Je m'arrête ici.
01:21:56 -Merci beaucoup, François Cusset.
01:22:00 Je vous propose à présent un moment de discussion
01:22:05 entre nos trois invités.
01:22:06 Sûrement, tout ce que vous avez entendu a suscité des questions,
01:22:10 mais la conversation qu'on va avoir également le fera.
01:22:14 Si vous avez des questions, notez-les.
01:22:17 On va essayer de préserver 10 ou 15 minutes avant la fin de la séance
01:22:22 pour que vous puissiez poser vos questions.
01:22:25 À vous écouter, tous les trois,
01:22:28 vous avez tenté des distinctions conceptuelles,
01:22:32 même si on a dit que c'était difficile de définir ce qu'était la violence.
01:22:39 On a essayé de la distinguer de la force, de la puissance de mort, etc.
01:22:43 Mais à vous écouter, je me suis dit aussi
01:22:45 que dans ce thème-là, il était aussi question de récits.
01:22:48 Marie-Hélène Patoumatis, vous nous avez dit
01:22:51 qu'il y a eu un certain récit qui a raconté
01:22:54 que l'après-histoire était un moment extrêmement violent,
01:22:57 sauf que ce récit est faux.
01:22:58 Il y a un certain récit philosophique
01:23:01 qui a raconté que l'humanité est née d'un état de nature extrêmement violent.
01:23:08 C'est le récit obésien, pas celui de Rousseau, on y reviendra peut-être.
01:23:11 Tout ça, ce sont des récits.
01:23:13 On raconte également, François Cussé, vous avez donné plusieurs exemples,
01:23:18 que quand il y a des éruptions, parfois de violences,
01:23:21 le terme "éruption" n'est pas bien choisi,
01:23:23 il est du régime pulsionnel également,
01:23:26 mais on renvoie au côté hormonal, au côté animal.
01:23:29 Tout ça, c'est encore une autre forme de récit.
01:23:32 C'est une question peut-être un peu vaste,
01:23:36 mais que je vous pose à tous les trois.
01:23:38 D'où viennent ces récits ?
01:23:40 Pour commencer, d'où vient ce récit
01:23:43 chez les préhistoriens, chez les spécialistes de l'après-histoire,
01:23:46 d'un moment qui a été extrêmement violent,
01:23:49 alors que vous nous avez montré toutes les évidences du contraire ?
01:23:53 -Le récit, en fin de compte,
01:23:55 est assez simple à comprendre dans mes prédécesseurs du XIXe siècle,
01:24:03 parce que l'après-histoire est une discipline relativement jeune.
01:24:07 Elle prend vraiment corps,
01:24:08 juste après la publication de Darwin de 1859 sur l'évolution,
01:24:13 qui va développer sa théorie, et après en 1871.
01:24:17 Cette discipline, elle naît en Europe occidentale.
01:24:21 C'est très important à savoir.
01:24:23 L'après-histoire, pendant très longtemps,
01:24:25 va être très occidentale.
01:24:26 C'est l'Europe, l'Angleterre, l'Espagne, la France, l'Italie.
01:24:30 Elle naît dans ce milieu du XIXe siècle.
01:24:33 Ce milieu du XIXe siècle, c'est quoi ?
01:24:35 C'est un milieu de cohérence. On va coloniser, coloniser.
01:24:39 On va voir beaucoup de développement de l'anthropologie physique.
01:24:42 C'est là qu'on va avoir la grande période racialiste.
01:24:45 On va faire plein de mesures, on va mesurer tout.
01:24:47 Là, on va dire que ces mesures sont plus proches des singes.
01:24:53 Les personnes "mesurées" sont plus proches des singes.
01:24:56 On va faire cette espèce d'échelle des êtres humains.
01:25:00 À l'intérieur, les femmes, toujours inférieures à part aux hommes.
01:25:03 C'est une petite parenthèse, mais là aussi.
01:25:05 Alors qu'il y a des biais scientifiques,
01:25:07 je n'ai pas le temps de m'attarder, qui montrent que c'est des sornettes.
01:25:10 On est dans ça parce qu'il faut montrer, à l'époque,
01:25:13 que nous sommes en pleine progression.
01:25:16 C'est une vision, un paradigme qui existe.
01:25:18 C'est la vision de la progression unilinéaire,
01:25:23 de l'évolution unilinéaire des sociétés,
01:25:25 des humains, en tant que biologie, mais aussi des sociétés.
01:25:30 C'est l'alpha et l'oméga.
01:25:31 En fin de compte, maintenant, c'est super, on est au top du top,
01:25:34 on est les meilleurs, en dessous.
01:25:36 On est vraiment dans cette vision
01:25:39 d'une évolution progressive et unilinéaire,
01:25:42 qu'en économie, on appelle la croissance.
01:25:44 C'est une autre parenthèse.
01:25:46 On a vraiment cette vision.
01:25:48 Pour faire valoriser tout ça, et aller coloniser, etc.,
01:25:52 il faut bien dire que nous sommes top.
01:25:54 Pour dire qu'on est top,
01:25:56 il faut dire que ceux qui sont avant nous ne sont pas top du tout.
01:25:58 Ils sont inférieurs.
01:26:00 Et ceux qui sont dans d'autres régions du monde
01:26:02 qu'on veut aller coloniser, ne sont pas top non plus.
01:26:05 De ce fait, on va chercher à minimiser...
01:26:09 D'abord, on va les représenter comme des singes,
01:26:11 ce qui est une vision complètement dépassée.
01:26:14 Il faut arrêter avec ça.
01:26:16 Et puis, surtout, au niveau de l'éducation,
01:26:18 on va vraiment essayer de montrer qu'ils ne savaient pas grand-chose,
01:26:23 qu'on ne sait tellement plus.
01:26:25 On s'aperçoit que ça n'a pas de sens.
01:26:27 S'il n'y avait pas eu toutes les inventions,
01:26:29 chaque période...
01:26:30 Les humains répondent aux problèmes problématiques de leur période.
01:26:35 Là, ils ont inventé la domestication du feu,
01:26:38 la maîtrise du feu, les outils, tout.
01:26:41 Ils sont quand même à la source de ça.
01:26:43 C'était important pour eux de montrer.
01:26:45 C'est pour ça que ce récit est né.
01:26:47 Il fallait montrer qu'on était supérieur,
01:26:49 que notre société était supérieure.
01:26:51 C'était vraiment dans l'ère du temps, si j'ose dire.
01:26:54 Et ça a été très loin.
01:26:56 En fin de compte, ça a été jusqu'à proposer, comme Galton,
01:26:59 le pédologénisme,
01:27:01 des choses à éradiquer pour ne pas qu'on tombe.
01:27:05 On pensait que c'était avant les lois de Mandel.
01:27:07 On pensait que tout était dans les gènes.
01:27:10 Il fallait éliminer ces personnes pour ne pas transmettre des mauvais gènes.
01:27:13 On est vraiment dans ça.
01:27:15 Le récit, c'est tout simple.
01:27:17 Pour ça, qu'est-ce qu'on va choisir comme critères ?
01:27:20 Ce sont des cannibales.
01:27:22 Ça fait partie des grandes...
01:27:23 Le cannibalisme, c'est un autre sujet que j'ai beaucoup travaillé.
01:27:26 C'est multiple et c'est fort intéressant.
01:27:29 Et la violence, bien sûr.
01:27:32 Comme si eux n'étaient pas violents,
01:27:34 comme si leur société n'était pas violente.
01:27:36 On s'interroge.
01:27:38 Et ce côté aussi, proche de l'animal.
01:27:40 Comme on est dans la théorie de l'évolution,
01:27:43 on a ce lien avec cette appartenance au règne animal.
01:27:47 Au XIXe siècle, c'est très récent.
01:27:50 Le fait qu'on accepte d'être dans le règne animal, c'est fait au XVIIIe.
01:27:53 Donc, il faut se détacher de cette animalité.
01:27:56 Je dois dire, je termine sur ça,
01:27:58 c'est quelque chose qui me...
01:28:00 Je ne vais pas être grossière, parler comme les jeunes.
01:28:04 Mais franchement, c'est pénible.
01:28:06 Il faut arrêter avec ça.
01:28:07 C'est quoi, l'animalité ?
01:28:09 Je connais très bien les animaux.
01:28:12 Parce que j'ai été vivre en Afrique
01:28:16 avec les peuples sannes.
01:28:18 Et tout, donc proches de la nature.
01:28:20 Ça veut dire quoi ?
01:28:22 On sait très bien que ça n'a plus de sens.
01:28:25 De penser que les violences sont plus violentes,
01:28:28 non, ce sont des brèves natures.
01:28:30 C'est leur façon de vivre.
01:28:31 Quand on coupe des plantes, on n'entend pas le cri de la plante.
01:28:35 Peut-être que les plantes aussi.
01:28:36 Je plaisante.
01:28:38 Il faut arrêter avec ça.
01:28:39 À chaque fois, on le ressort.
01:28:41 C'est tout.
01:28:42 Tous les récits, les philosophes qui ont beaucoup assisté sur ça.
01:28:48 C'est une excuse, quelque part.
01:28:49 C'est pour excuser, en fin de compte.
01:28:52 On dit qu'on ne peut rien.
01:28:54 C'est la violence primordiale, comme disait René Girard.
01:28:57 Donc, l'animalité, on va laisser.
01:29:01 Parce qu'on est aussi des animaux.
01:29:03 -Pourtant, vous l'avez dit,
01:29:05 les philosophes ont beaucoup aimé comparer l'homme violent à l'animal,
01:29:09 notamment en reprenant cette métaphore,
01:29:11 cette comparaison avec le loup qu'on a chez Hobbes.
01:29:14 Ça peut être intéressant,
01:29:16 parce que cette histoire d'état de nature,
01:29:17 on sait bien qu'il ne s'agit pas d'un fait historique
01:29:20 qui est documenté, etc.
01:29:21 Il s'agit plus d'une sorte d'expérience de pensée.
01:29:23 On peut aussi rappeler,
01:29:25 non pas que je veuille absolument réhabiliter Hobbes,
01:29:27 mais que Hobbes a vécu dans un contexte extrêmement violent
01:29:32 et qu'il pense ce moment-là.
01:29:33 -Oui.
01:29:36 Déjà, le milieu dans lequel vit Hobbes,
01:29:42 on peut exagérer ou atténuer,
01:29:44 c'est vrai que c'est une période de guerre civile
01:29:47 extrêmement forte, extrêmement brutale.
01:29:51 Quand je dis que j'exagère,
01:29:55 c'est que je reprends des formules
01:29:58 qui étaient celles des ruisseaux de sang dans la rue, etc.
01:30:02 C'est vrai qu'il a vécu dans une espèce de hantise de la guerre civile.
01:30:09 Vraiment de la guerre civile.
01:30:10 C'est un élément d'explication.
01:30:13 Après, pour ce qui est de la fonction du récit,
01:30:16 vous avez raison de le souligner, parler d'état de nature,
01:30:21 c'est d'abord une expérience,
01:30:23 c'est surtout une expérience de pensée,
01:30:26 mais évidemment, ça prend assez vite la forme d'un récit.
01:30:31 Au début, avant l'apparition de l'État,
01:30:35 les hommes vivaient sans autorités politiques qui les surplombaient.
01:30:40 Et le récit, le récit philosophique qui court
01:30:46 tout au long des grandes philosophies politiques de la modernité,
01:30:52 avec des variations, évidemment,
01:30:54 c'est de dire que cet état de nature est un état de guerre
01:30:58 ou qui finit par dégénérer en état de guerre
01:31:02 parce qu'il n'y a pas de juge, de police, d'État, etc.
01:31:07 Après, quelle est la fonction de ce récit ?
01:31:10 On l'entend très bien, c'est une fonction de légitimation.
01:31:14 C'est-à-dire que ça permet deux choses.
01:31:17 Ça permet d'abord à l'État de dire
01:31:20 "Sans moi, vous êtes condamné au chaos.
01:31:24 "Si quelque chose comme l'État n'existait pas,
01:31:28 "vous seriez condamné à vous entretuer indéfiniment.
01:31:33 "Donc, je suis le garant de l'ordre, de la paix publique
01:31:37 "et de votre survie."
01:31:40 C'est la première fonction, donc vraiment légitimation,
01:31:44 au nom de la sécurité.
01:31:46 Ce qui légitime, c'est vraiment la version de Hobbes.
01:31:49 Ce n'est pas la liberté, c'est la sécurité
01:31:52 qui serait l'ultime fondement de légitimité de l'État.
01:31:57 Deuxièmement, ça criminalise toute tentative de désobéissance
01:32:03 politique, c'est la deuxième fonction.
01:32:05 C'est-à-dire, attention, dès que vous désobéissez,
01:32:09 vous dessinez une pente au bout de laquelle il y a l'anarchie
01:32:14 et le retour à l'état de nature.
01:32:15 C'est absolument impossible.
01:32:17 Toute désobéissance politique, c'est aussitôt...
01:32:21 Si chacun se met à désobéir, c'est bientôt le chaos.
01:32:26 Troisième fonction, c'est la fonction de la neutralisation
01:32:31 de la violence étatique.
01:32:32 Ce qu'on a bien vu, c'est qu'il n'y a pas de violence policière,
01:32:36 il y a de la brutalité policière, mais on ne peut pas parler de violence
01:32:39 parce que la vraie violence, c'est celle dont on vous sauve.
01:32:42 Ce récit est très puissant dans notre modernité.
01:32:48 C'est une espèce de formatage que vous trouvez tout le temps
01:32:52 dans le débat public et à laquelle qui va répondre ?
01:32:56 C'est le slogan anarchiste qui consiste à dire
01:33:02 "Le désordre, c'est l'ordre, moi, le pouvoir."
01:33:04 C'est de dire que c'est un mythe,
01:33:08 cette idée qu'on est fait pour s'entretuer
01:33:11 et qu'il n'y avait pas l'État...
01:33:13 C'est cette manière de rendre impossible, impensable,
01:33:19 inenvisageable toute forme d'organisation
01:33:22 un peu immanente de coopération, de solidarité, etc.,
01:33:27 et de dire "Sans moi, l'État, vous ne pouvez rien faire."
01:33:31 Le récit de l'État de nature, il sert à ça,
01:33:35 il sert à légitimer et il ne cesse d'être...
01:33:41 Les dernières années, en tout cas, on l'a ressorti,
01:33:46 on ne cesse de le ressortir.
01:33:49 -Oui, je vais être absolument dans ce sens-là.
01:33:54 De toute façon, l'État de nature, c'est une fiction.
01:33:58 C'est plus ou moins ressemblant à un dessin animé de Walt Disney,
01:34:02 mais c'est absolument une fiction d'origine religieuse.
01:34:05 C'est l'idée que si Dieu a créé le monde,
01:34:10 il y a donc un État de nature.
01:34:11 S'il n'y a pas de Dieu pour créer le monde,
01:34:13 on a toujours été dans l'histoire.
01:34:15 C'est une fiction en grande partie religieuse.
01:34:18 Et les deux fictions qui dominent cette idée d'État de nature,
01:34:24 celle de Rousseau et celle de Hobbes sur la question de la violence,
01:34:28 celle qui dit, Rousseau, que nous sommes tous des anges,
01:34:33 ou disons, en tout cas, naturellement,
01:34:36 enclin à l'entraide, à la solidarité et à la bienveillance,
01:34:41 et que c'est la civilisation, l'État ou la propriété,
01:34:45 selon les récits, qui a fait de nous des êtres mauvais,
01:34:49 ou le récit inverse de l'État de nature de Hobbes,
01:34:52 l'homme est un loup pour l'homme, il faut l'État pour l'arrêter,
01:34:54 le contenir, le contrôler.
01:34:57 Les deux sont faux, car les deux n'existent pas,
01:34:59 car les deux sont des États de nature, des fictions intégrales.
01:35:03 Mais c'est vrai, tel que vous avez formulé la question,
01:35:05 ce qui compte le plus, c'est de contrôler le grand récit de la violence.
01:35:11 C'est ça qui va venir légitimer tout.
01:35:14 On dit qu'il n'y a plus de grand récit.
01:35:16 C'est une grande chose qu'on dit aujourd'hui, c'est fini.
01:35:19 Il n'y a plus ni de grand récit idéologique,
01:35:22 le communisme ou le libéralisme, fiers de lui,
01:35:25 ni même religieux.
01:35:27 En vérité, il y a encore un grand récit sur la violence.
01:35:29 Si nos politiciens se permettent d'employer ce langage de démagogue,
01:35:35 c'est-à-dire "des civilisations en sauvagement",
01:35:39 c'est qu'ils surfent sur ce grand récit de la violence,
01:35:43 qui est un grand récit fait pour leur donner raison.
01:35:46 De même qu'on dit que l'État a le monopole de la violence légitime.
01:35:51 C'est le grand sociologue Max Weber et des historiens
01:35:56 qui ont montré que l'État est apparu comme une forme moderne
01:35:59 qui régule les rapports entre les humains
01:36:02 et qui est le seul à avoir le droit d'exercer la violence.
01:36:05 "Je t'arrête, je te mets en prison parce que tu as commis la violence."
01:36:08 Il n'a pas seulement le monopole de la violence légitime,
01:36:11 il a le monopole du récit de la violence.
01:36:14 J'ai juste deux choses à dire.
01:36:16 Contre ce monopole dangereux, il y a juste deux choses à dire.
01:36:20 Un, qu'il faut et qu'il y a des contre-récits, qu'ils existent.
01:36:25 Il y a un proverbe africain très simple qui dit
01:36:29 que si les récits de chasse étaient racontés par le lion,
01:36:33 ils seraient très différents.
01:36:34 Aujourd'hui, on est à l'époque où on est en train de comprendre
01:36:38 que l'histoire est plurielle,
01:36:40 on est en train de réviser les récits de beaucoup de choses.
01:36:43 Prenez les guerres de décolonisation.
01:36:45 On n'a plus seulement le point de vue des anciennes puissances coloniales.
01:36:49 Tout ce dont on parle là, on pourrait très bien ajouter,
01:36:52 quitte à être un peu provocateur,
01:36:54 ces questions de violence, d'État, de modernité,
01:36:58 sont peut-être tout à fait occidentalo-centrées,
01:37:01 sont peut-être notre récit à nous,
01:37:03 et que ces discussions auraient lieu ailleurs sur la Terre,
01:37:07 mais en d'autres termes, avec d'autres régulateurs, d'autres concepts.
01:37:11 La deuxième chose qu'on peut faire, en plus des contre-récits,
01:37:14 c'est se souvenir qu'on n'est pas des idiots,
01:37:17 au sens où il y a des récits dominants,
01:37:19 mais il y a une capacité d'interprétation
01:37:22 de ces récits dominants.
01:37:23 Je vais mettre les pieds dans le plat.
01:37:26 Vous savez quelles sont les récits les plus violents
01:37:29 de toute l'histoire humaine ?
01:37:32 C'est tout simplement les trois grands textes religieux
01:37:36 des trois monothéismes.
01:37:38 La Torah, la Bible et le Coran
01:37:42 sont trois textes d'une violence inouïe,
01:37:45 à la fois dans l'injonction,
01:37:47 parce que quand Dieu parle et dit "fais ceci, fais cela",
01:37:50 il y a une violence de l'autorité, et dans ce que ça raconte.
01:37:53 Ce que ça raconte, c'est des massacres collectifs
01:37:56 à côté desquels l'histoire réelle, l'histoire moderne,
01:38:00 a l'air bien tranquille.
01:38:01 Là, je vais vous faire une note d'optimisme.
01:38:05 Avec des textes aussi violents,
01:38:08 si la majorité des façons de pratiquer la religion,
01:38:13 de l'histoire des religions, a été assez peu meurtrière,
01:38:17 si l'évangélisation par les croisades
01:38:23 en décapitant les gens n'est pas tout le christianisme,
01:38:26 et si le terrorisme islamiste est une toute petite partie de l'islam,
01:38:30 ça prouve que les gens interprètent un récit violent
01:38:35 ou un récit de légitimation de la violence
01:38:38 de manière non violente.
01:38:40 Il n'y a pas que le récit qui compte, il y a ce qu'on en fait.
01:38:44 -Si on creuse un peu cette idée du récit,
01:38:46 il y a quelque chose qui revient régulièrement
01:38:49 quand on parle de violence, de guerre, c'est l'idée du cycle,
01:38:52 ou du retour.
01:38:54 La violence serait cyclique et on assisterait à un retour régulier.
01:38:58 On a parlé du retour de la guerre en Europe
01:39:01 avec l'éclatement de la guerre entre la Russie et l'Ukraine.
01:39:04 Depuis la rentrée...
01:39:06 Je parle de discours médiatiques,
01:39:09 puisque c'est ce que je suis de plus près par mon métier,
01:39:12 mais on parle d'un retour de la violence.
01:39:15 Les gens ont l'impression que depuis la rentrée,
01:39:18 regarder la télévision ou ouvrir les pages des réseaux sociaux,
01:39:22 c'est être confronté à quelque chose qu'ils n'ont rarement vécu,
01:39:25 encore une fois d'un point de vue occidental,
01:39:28 au centré, et qui est très protégé.
01:39:30 Peut-être on peut interroger cette question du retour,
01:39:34 de cette sensation du retour,
01:39:36 de notre perception de la violence.
01:39:39 Je pose la question à Frédéric Gros,
01:39:41 puisque c'est notamment par ça que vous entamez votre livre,
01:39:44 "Pourquoi la guerre ?"
01:39:45 -Oui, j'avais été assez frappé par la manière
01:39:49 dont on avait présenté la guerre ukrainienne
01:39:53 au moment de son déclenchement.
01:39:55 Les éditoriaux avaient quand même assez massivement titré
01:40:00 "Le retour de la guerre sur le sol".
01:40:03 Parfois, ils ajoutaient "sur le sol européen",
01:40:07 heureusement, parce que "le retour de la guerre",
01:40:09 c'était quand même oublié.
01:40:11 Comme si, l'après-guerre,
01:40:14 comme si on avait vécu pendant les 50 dernières années
01:40:17 une période de paix absolument inouïe.
01:40:20 C'est oublié des guerres classiques,
01:40:24 complètement meurtrières, comme celle entre l'Irak et l'Iran.
01:40:28 C'était oublié aussi l'épisode terroriste.
01:40:33 Mais je crois que dans cette idée...
01:40:37 On ajoutait "le retour de la guerre sur le sol européen",
01:40:40 mais là aussi, c'était quand même passé par pertes et profits.
01:40:44 L'éclatement de la Yougoslavie, qui a quand même été...
01:40:47 Avec le Kosovo...
01:40:50 Enfin bon, c'était...
01:40:52 Après, qu'est-ce qui faisait qu'on a pu parler du retour de la guerre ?
01:40:58 Je crois que ça témoigne d'une espèce de difficulté
01:41:05 de nos sociétés, justement, à se projeter dans un futur.
01:41:14 Et cette difficulté,
01:41:17 je trouve qu'elle prend forme dans cette manière de dire
01:41:26 que ça revient, il y a peut-être eu une espèce de parenthèse minuscule,
01:41:33 mais c'est l'éternel présent de la violence qui va se réinstaller.
01:41:39 Il y a quelque chose, je trouve, de très désabusé.
01:41:46 On ne sait plus penser le futur.
01:41:51 -Une dernière chose sur laquelle je voudrais vous faire réagir,
01:41:55 et je vais vous poser tous les trois rapidement,
01:41:57 avant de passer aux questions de la salle.
01:42:00 Ce qui peut rendre la violence difficile à appréhender,
01:42:03 c'est qu'elle dit rarement son nom.
01:42:05 On parle soit de manifestations, parfois des meutes,
01:42:08 de jacqueries, un peu moins souvent,
01:42:10 mais il y a des termes qui se confrontent dans l'espace médiatique,
01:42:15 parfois universitaire, etc.
01:42:17 On parle de guerre, d'intervention, d'opération spéciale.
01:42:20 Que racontent également tous ces termes ?
01:42:23 François Cussé, peut-être ?
01:42:25 -Peut-être qu'il faut faire un lien avec la question précédente
01:42:31 du retour d'eux.
01:42:32 Il y a aussi le retour de ces mots.
01:42:34 Effectivement, c'est un éternel retour.
01:42:37 Ça ne nous avait jamais quittés.
01:42:39 Pourquoi on a eu l'impression que ça nous avait quittés ?
01:42:43 Parce qu'un certain récit nous a raconté
01:42:46 qu'on avait de la chance de ne pas vivre au Moyen Âge,
01:42:49 de ne pas vivre dans des régions en guerre,
01:42:52 ou même de ne pas vivre il y a 70, 80 ans,
01:42:54 quand des guerres déchiraient l'Europe.
01:42:57 Donc c'est compliqué.
01:43:00 On pourrait sourire et dire que puisque ça ne nous quitte jamais
01:43:04 et qu'on nous raconte des histoires, il n'y a rien de neuf.
01:43:07 Finalement, fermons la page,
01:43:09 ne regardons pas nos réseaux sociaux toute la journée.
01:43:12 Sauf qu'il y a au moins deux choses à dire.
01:43:15 Un, le fait que ce retour de la violence est mis en scène.
01:43:19 Il est profitable pour des raisons évidentes,
01:43:22 même pas cyniques, mais logiques,
01:43:25 aux médias, à ceux qui tirent un profit de ce récit.
01:43:30 D'ailleurs, je vous rappelle que le média le plus récemment inventé,
01:43:35 que sont les réseaux sociaux, fonctionne avec des algorithmes
01:43:39 dont l'écriture mathématique de ces algorithmes
01:43:43 favorise ce qu'on appelle la polarisation artificielle,
01:43:46 c'est-à-dire la violence.
01:43:48 C'est-à-dire que sur un désaccord d'opinion sur un sujet,
01:43:53 l'algorithme va préférer, parce que ça ratissera plus large,
01:43:58 commencer par les opinions opposées, polaires, extrêmes,
01:44:03 avant d'aller vers les opinions modérées.
01:44:05 Ce que je veux dire, c'est qu'il y a, dans nos désaccords
01:44:08 et dans nos violences quotidiennes,
01:44:10 un effet artificiel d'aggravation lié à nos technologies
01:44:14 et à ceux qui en profitent.
01:44:16 En gros, oui, guerre, dévastation, écocide et haine ancestrale,
01:44:22 mais pas que.
01:44:24 Des réseaux sociaux et des médias ont plus d'intérêt à montrer ça.
01:44:28 Après, il y a un autre phénomène, mais c'est plus difficile.
01:44:32 Si tout ça fait retour, y compris dans les mouvements sociaux,
01:44:37 il y a cette impression que tout à coup, c'est sans frein,
01:44:40 on peut tout détruire.
01:44:42 C'est qu'il y a la fin d'un cycle historique,
01:44:45 que j'appelle le cycle de la pacification.
01:44:48 Je mets des énormes guillemets,
01:44:50 car "pacification", c'est le mot qu'avait inventé le pouvoir.
01:44:53 C'est un cycle qui s'est ouvert après la Deuxième Guerre mondiale,
01:44:56 où les pouvoirs, les gouvernements en place,
01:45:00 ont eu pour but un, plus jamais ça.
01:45:03 Et deuxièmement, attention à ce que les gens vont pouvoir faire
01:45:07 dans nos pays déstabilisés, en plein chaos.
01:45:10 Attention au communisme qui pourrait monter,
01:45:13 c'était la guerre froide, aux mouvements sociaux.
01:45:15 Et donc, pour la pacification, on a surveillé, contrôlé,
01:45:22 éduqué, équipé de technologies nouvelles,
01:45:26 plein de caméras, etc.
01:45:28 On a diabolisé toute expression collective et sociale
01:45:31 de mécontentement, car ça y est, ça recommence.
01:45:34 Cette doctrine-là arrive au bout, elle est en échec.
01:45:39 Elle n'a pas empêché le système de se radicaliser,
01:45:43 de creuser le fossé entre les plus riches et les plus pauvres,
01:45:46 et donc, les gens, de vouloir réagir à ça
01:45:50 par des méthodes qui ne seront pas pacifiques,
01:45:54 qui ne respecteront pas les règles de cette pacification.
01:45:58 Cette pacification, aujourd'hui, est le prétexte
01:46:01 d'une violence policière, étatique, économique,
01:46:05 qui n'a rien à voir avec ce mot optimiste et doux.
01:46:12 -Il nous reste, je crois, dix minutes.
01:46:16 La fin de la séance fait 10-15 minutes.
01:46:18 Certains d'entre vous ont des questions ?
01:46:21 Un micro peut circuler dans la salle.
01:46:23 Si vous avez des questions, levez la main.
01:46:26 Faites de grands gestes, j'y vois pas.
01:46:29 Il y a quelqu'un, là.
01:46:30 ...
01:46:42 -Le micro fonctionne, normalement.
01:46:44 -J'avais une question par rapport à la violence rationnelle.
01:46:48 La violence rationnelle, c'est celle qui est la plus violente.
01:46:53 Elle provient d'une violence qui est organisée, structurée.
01:46:59 Elle est beaucoup plus dangereuse que les autres types de violences,
01:47:05 alors qu'on a tendance à penser l'inverse.
01:47:08 Mais d'un autre côté,
01:47:11 sans ces systèmes structurels et organisés,
01:47:16 c'est aussi une porte ouverte à une autre violence.
01:47:21 On a besoin de ces structures pour combattre la violence,
01:47:25 mais dans un autre sens.
01:47:27 Cette structure amène à une violence plus grande
01:47:30 que si on n'avait pas de règles.
01:47:32 C'est ça ou il y a une autre solution ?
01:47:36 -C'est une très bonne remarque, plus que question.
01:47:40 Je me permets de prendre le micro.
01:47:42 Là, deux références indispensables sur ces questions-là
01:47:47 qui montrent qu'il n'y a pas de réponse simple.
01:47:50 La violence n'est pas du côté de l'État et des institutions
01:47:54 ou du côté des pulsions individuelles.
01:47:56 On a besoin d'institutions collectives pour réguler la violence.
01:48:00 Les deux références sont une qui a déjà été nommée,
01:48:03 Sigmund Freud, notamment son essai tardif à la fin de sa vie,
01:48:08 "Malaise dans la civilisation",
01:48:10 qui est peut-être son seul écrit sur les dimensions collectives
01:48:15 de la psychanalyse, les pulsions en nous,
01:48:17 comment la société, les institutions,
01:48:19 peuvent les réguler, les contrôler.
01:48:21 Elles doivent le faire, c'est nécessaire.
01:48:24 Et l'autre, c'est un grand historien et anthropologue allemand,
01:48:28 Norbert Elias, qui a étudié l'histoire,
01:48:31 là, c'est de l'Occident,
01:48:33 comme l'histoire d'une graduelle répression
01:48:38 et autorépression de la violence par ce qu'il appelle la civilité,
01:48:42 c'est-à-dire la diffusion des bonnes manières, du savoir-vivre,
01:48:46 proposer de discuter quand on vous insulte
01:48:48 au lieu de répondre avec un poing dans la figure.
01:48:51 Et aussi, les manières de table, une série de méthodes d'existence,
01:48:55 diffusées un peu de haut en bas, un peu ruissellement,
01:48:59 c'est peut-être aussi...
01:49:00 Et pour vous répondre, il dit très clairement dans ce livre,
01:49:03 c'est pour ça qu'il ne faut pas caricaturer Elias,
01:49:05 c'est pas un gentil optimiste naïf,
01:49:08 il dit que les façons qu'ont eues les classes supérieures
01:49:12 d'imposer ces façons de réprimer nos violences
01:49:15 nous ont fait violence aussi.
01:49:18 Un micro exemple, puis je m'arrêterai là-dessus.
01:49:21 Oui, il y a des façons de parler, de se comporter.
01:49:24 Vous savez, si dans un dîner en ville,
01:49:28 dans une classe bourgeoise,
01:49:30 quelqu'un n'appartient pas à ses classes,
01:49:33 qui est d'une classe inférieure, plus populaire,
01:49:37 sa façon de parler, de se comporter à table,
01:49:40 ou de ne pas parler, de se comporter à table,
01:49:42 sa gestualité révélera cette différence.
01:49:47 Donc, on peut dire que lui imposer le respect
01:49:51 ou la simulation de ses codes,
01:49:53 de ses codes de bonne conduite qui font que nous sommes des gens civilisés,
01:49:56 lui fait une grande violence,
01:49:58 et en plus, déploie une violence sociale à même le dîner,
01:50:00 puisqu'il y a quelqu'un qui est traité différemment
01:50:03 et dont la différence est très visible.
01:50:04 C'est pour vous dire, oui, on a à la fois absolument besoin
01:50:08 de règles qui endiguent et qui contiennent,
01:50:10 et ces règles pourtant font violence.
01:50:12 Cette contradiction, Freud comme Norbert Elias l'ont étudiée,
01:50:16 je vous recommande ces lectures.
01:50:18 -Juste rapidement, j'en profite pour rebondir sur la question des structures.
01:50:24 Ce qui était intéressant avec votre intervention,
01:50:26 c'est que vous le dites,
01:50:28 on pourrait presque dater pour certaines leur apparition.
01:50:31 Vous avez parlé de l'apparition du patriarcat.
01:50:33 C'est intéressant de se dire que ce n'est pas quelque chose
01:50:36 qui existait de tous les temps.
01:50:37 -Oui, je pense qu'il y a des circonstances
01:50:44 qui font qu'on va être dans une situation
01:50:47 qui va, pour certains,
01:50:49 le seul remède va être de faire un tel ou tel système.
01:50:52 Si on prend le système patriarcat,
01:50:55 quand on travaille, et surtout mes collègues,
01:50:57 moi, je travaille sur le plus ancien,
01:50:58 qui travaille sur cette période charnière, fin néolithique,
01:51:01 on va dire,
01:51:02 ils s'aperçoivent, et on le voit d'après les témoignages,
01:51:05 qu'il y a d'un seul coup une division sexuelle du travail
01:51:07 qui est beaucoup plus marquée
01:51:09 et surtout qui est aussi liée au fait
01:51:13 que les hommes vont, par l'apprentissage,
01:51:16 en faire des guerriers, ils vont avoir plus de force.
01:51:19 On voit l'adumorphisme sexuel augmenté
01:51:23 entre les hommes et les femmes, parce que c'est important.
01:51:25 Et on voit aussi l'alimentation des femmes,
01:51:27 qui va être moins protéinée, surtout en protéines animales.
01:51:30 Bref, on voit un changement.
01:51:31 Et ça serait lié, si vous voulez, à la transmission des biens.
01:51:35 Pour être certain, en fin de compte, de bien transmettre,
01:51:39 parce que comme ils sont guerriers, ils prennent plus le pouvoir,
01:51:41 c'est quand même eux.
01:51:42 Et donc, pour être plus sûr de la transmission des biens
01:51:45 à sa descendance, parce qu'on est toujours sûr de la femme,
01:51:48 pas toujours de l'homme, surtout à ces périodes-là,
01:51:53 en fin de compte, il faut avoir un système
01:51:55 qui permet de surveiller les femmes,
01:51:58 de surveiller que c'est bien qu'avec eux, par exemple,
01:52:02 et donc que c'est bien à leurs enfants
01:52:03 qu'ils vont transmettre les biens.
01:52:05 Donc on pense que c'est dans cette charnière-là,
01:52:07 parce que c'est quand même un système qui est assez bien réussi.
01:52:10 Donc ça s'est propagé assez vite,
01:52:11 parce que là aussi, le côté pouvoir et tout s'est propagé.
01:52:14 Il n'y a pas qu'en Occident, j'ai vu d'un an partout.
01:52:17 Et donc c'était une façon, là aussi,
01:52:19 de prendre une maîtrise sur le corps des femmes
01:52:22 pour justement combattre cette peur de l'homme
01:52:26 que ça ne soit pas ses enfants.
01:52:28 -Est-ce qu'il y a d'autres questions ?
01:52:40 -Oui, je m'interroge sur les façons...
01:52:42 Est-ce que vous pouvez nous dire comment on peut envisager
01:52:45 de réduire les violences, de les contenir ou de les désamorcer
01:52:49 dans l'espace d'une société ?
01:52:51 Il est clair qu'au-delà des coups, les paroles ou même les regards,
01:52:57 des fois, peuvent faire plus mal à long terme que des coups.
01:53:01 Et dans une société où on est de plus en plus cloisonné
01:53:04 entre une société de l'unité où chacun ne fonctionne
01:53:09 qu'avec les gens qui lui ressemblent,
01:53:11 il y a de plus en plus de difficultés à partager la parole, justement.
01:53:16 Est-ce que vous pouvez donner des suggestions
01:53:20 de lieux de temps d'échange entre groupes, intergroupes,
01:53:26 de façon à contenir ces violences multiples ?
01:53:32 -Qui veut ? Allez-y.
01:53:37 -Je ne sais pas si je vais répondre à votre question directement,
01:53:42 mais ça me fait penser à l'exploitation des différences
01:53:45 plutôt que de voir les similitudes entre les groupes.
01:53:49 Je vais prendre comme exemple, je suis pristoyenne,
01:53:52 je suis passionnée par les Nendertaliens,
01:53:55 et c'est une humanité qui interroge beaucoup.
01:53:59 En fin de compte, c'était un peu la vision qu'on avait.
01:54:02 On disait que les Nendertaliens sont inférieurs aux sapiens, etc.
01:54:06 Les Nendertaliens, c'est une population, une espèce
01:54:09 qui a vécu entre 400 000 et 35 000 ans,
01:54:13 et a côtoyé des sapiens.
01:54:15 On voyait cette différence que nous, modernes,
01:54:19 on mettait entre eux et les sapiens.
01:54:22 Mais en fin de compte, en 2010, on a montré
01:54:25 qu'il y avait des croisements entre les Nendertaliens et nous,
01:54:28 et les sapiens.
01:54:29 Donc, ça fait réfléchir.
01:54:32 Ça veut dire que nous, actuellement, on mettait cette différence,
01:54:37 qui paraissait énorme, en disant qu'ils étaient tellement différents.
01:54:41 Et en fin de compte, sur le terrain, si j'ose dire,
01:54:44 quand ils se sont croisés, ils n'ont pas vu cette différence.
01:54:48 Ils se sont mélangés.
01:54:50 Et ça, je trouve que c'est pour moi,
01:54:52 on peut s'intéresser à des vieux humains.
01:54:56 Moi, ça m'a fait beaucoup réfléchir.
01:54:59 Parce que je me suis dit, en fin de compte, on voit très bien
01:55:02 comment, actuellement, on nous a aussi entraînés.
01:55:05 Quand on parlait du patriarcat, quand j'ai commencé mes études,
01:55:09 on ne se posait pas la question de savoir qu'il n'y avait pas un Asko.
01:55:13 Ceux qui avaient inventé le feu, c'est forcément des hommes.
01:55:16 Et maintenant, on dit qu'il n'y a pas de preuves archéologiques.
01:55:20 On réfléchit, et là, c'est pareil.
01:55:22 C'est nous qui avions mis ces différences.
01:55:25 En réalité, il faut se poser la question,
01:55:27 est-ce qu'elles sont vraies, ces différences ?
01:55:30 J'aime beaucoup les différences, c'est ce qui fait aussi le chat.
01:55:33 Mais n'y a-t-il pas plus de ressemblances
01:55:36 qui nous permettent de partager avec les autres plein de choses
01:55:40 et pas toujours d'avoir cette façon de voir, en disant,
01:55:44 "différence est inférieure ou supérieure."
01:55:47 C'est différents points.
01:55:49 -Peut-être que monsieur a posé la question
01:55:51 d'un point de vue presque pratique.
01:55:54 On l'a vu dans vos interventions, il y a été question de la force.
01:55:57 Qu'est-ce qu'on peut opposer à la violence ?
01:55:59 Il y a peut-être la question de la force ou de la justice.
01:56:02 J'imagine que ça inspirera le philosophe parmi vous.
01:56:05 -On a tous fait de la philosophie, on a tous réfléchi ensemble.
01:56:11 Mais c'est vrai que je suis toujours sensible
01:56:16 à cette distinction que fait Spinoza
01:56:20 entre le pouvoir et la puissance.
01:56:22 La manière dont il dit, au fond,
01:56:24 le pouvoir comme pouvoir de domination,
01:56:29 qui serait du côté de ce qu'on a appelé la violence,
01:56:33 se sert essentiellement des passions tristes.
01:56:37 C'est-à-dire que le pouvoir, c'est ce qui va évidemment solliciter
01:56:42 et nourrir les frustrations, les haines, les envies, etc.
01:56:48 Pourquoi je dis ça ?
01:56:51 Parce que je pense que ce qui nous sort de la violence,
01:56:53 c'est de faire l'expérience, précisément,
01:56:56 des expériences de coopération, de solidarité, d'entraide,
01:57:03 où on s'aperçoit que c'est profondément...
01:57:06 Mais dans un sens que Spinoza s'est retrouvé,
01:57:11 par rapport à tout ce qu'on a pu dire des récits de Hobbes,
01:57:14 dans un sens profondément naturel.
01:57:17 Parce que ce qu'il appelle naturel, c'est ce qui augmente notre puissance.
01:57:21 Ce qui n'est pas du tout ce qui augmente notre pouvoir.
01:57:25 C'est-à-dire qu'effectivement, à faire des choses à plusieurs
01:57:30 et à développer ces structures, encore une fois, de solidarité,
01:57:38 met, par exemple, quelque chose comme de la joie.
01:57:43 Et ça, c'est ce qu'il appelle la composition des puissances.
01:57:47 Et on s'aperçoit que tout le système social est là pour nous décourager.
01:57:52 Le propre d'un système social, c'est de faire croire aux gens
01:57:56 qu'ils ont raison de se méfier les uns des autres,
01:58:00 qu'il faut, pour s'en sortir, développer la concurrence
01:58:06 et que, finalement, c'est seulement sur soi qu'on peut compter, etc.
01:58:12 Et je crois que ce qui réduit la violence,
01:58:17 c'est précisément de s'apercevoir que la paix est ce qui nous est profondément naturel.
01:58:24 Et ça nous est naturel au sens où ce qu'on appelle nature,
01:58:31 c'est effectivement ce qui augmente notre puissance.
01:58:36 Quand je dis "notre puissance", c'est notre capacité d'agir,
01:58:39 notre joie, notre positivité.
01:58:43 Et c'est vrai que la violence, c'est ce qui la réduit,
01:58:48 c'est ce qui est du côté de la tristesse, du malheur, etc.
01:58:53 -Exactement, on pourrait aller dans ce sens-là.
01:58:59 L'un des grands spinosistes de l'époque récente,
01:59:03 le philosophe Gilles Deleuze, avait cette si belle formule,
01:59:06 il disait "le pouvoir nous veut tristes",
01:59:10 qui ouvre plein de possibles.
01:59:12 La simple joie collective, pas la joie individuelle,
01:59:16 la joie partagée, la joie qui fait traîner de poudre,
01:59:20 qui rassemble, est ce que craint le plus le pouvoir,
01:59:25 car c'est une joie qui est puissance collective.
01:59:28 Pour faire une réponse en un seul mot, très scolaire,
01:59:32 à votre question essentielle,
01:59:35 comment faire pour ne pas être séparés en permanence
01:59:40 par l'expression ou la surexpression de nos différences ?
01:59:43 Je ne répondrais pas par le commun.
01:59:45 Il ne faut pas opposer le commun et la différence.
01:59:48 Je ne pense pas que l'expression soit un problème en soi.
01:59:52 Le problème n'est pas là, c'est l'assomption,
01:59:54 d'assumer, d'accepter, de se réjouir de la différence.
01:59:58 Où apprend-on ça ?
02:00:00 Je suis désolé de faire une réponse aussi scolaire.
02:00:03 A l'école. Il me semble que la seule...
02:00:05 Mais son état catastrophique, à l'école,
02:00:09 est une grosse partie du problème.
02:00:11 La seule réponse à votre question, c'est l'éducation.
02:00:14 On peut ajouter immédiatement, pas comme on le fait maintenant,
02:00:17 pas avec les objectifs qu'on a, pas dans l'école,
02:00:19 avec si peu de moyens qu'on nous fait aujourd'hui,
02:00:22 mais en soi, seule l'éducation peut développer notre puissance.
02:00:26 -Est-ce qu'on a le temps pour une dernière question ?
02:00:30 Il y a un monsieur, là.
02:00:37 -Excusez-moi, ma question serait sur tout ce qui est sacrifice humain.
02:00:42 Je n'ai pas compris.
02:00:44 Est-ce qu'on devrait en parler, comme pour les cités grecques,
02:00:49 avec les esclaves, pour dire que c'était nécessaire ?
02:00:54 Ou bien c'est plutôt une sorte d'organisation de la violence ?
02:00:58 Ça viendrait appuyer quel argument ?
02:01:06 -Sur le sacrifice humain, est-ce que c'est nécessaire ?
02:01:09 Comment envisager ?
02:01:12 -Ca fait partie des rites.
02:01:15 Toutes les sociétés, au cours de l'histoire,
02:01:18 même les plus anciennes dont je vous parlais,
02:01:20 il y avait des rites.
02:01:22 Par exemple, pour mes anciens, il y avait beaucoup des rites de chasse
02:01:27 qui sont traduits, d'ailleurs, dans les représentations,
02:01:31 dans les grottes-zornées.
02:01:33 À travers le temps, il y a toujours eu des rites.
02:01:35 Par exemple, on voit, pour les sacrifices,
02:01:38 lorsqu'il y avait une construction d'un édifice,
02:01:40 on voit certaines bases de villages.
02:01:43 Je parle pour le néolithique, il y a à peu près 5 000 ans.
02:01:47 Ca commence à ces périodes, surtout.
02:01:49 On voit qu'il y a des sacrifices.
02:01:51 On va sacrifier quelqu'un de la communauté, probablement,
02:01:54 d'après les études ADN, c'est la même population.
02:01:59 On sacrifiait quelqu'un.
02:02:01 Souvent, c'était une personne assez jeune.
02:02:04 Et puis, on l'enterrait.
02:02:05 C'est parce que là, on pensait qu'en faisant ce sacrifice
02:02:08 aux dieux, aux divinités, aux esprits, etc.,
02:02:12 ça allait être bénéfique pour l'ensemble du village.
02:02:14 Il y a ce type de sacrifice.
02:02:16 Notre sacrifice, ça va être...
02:02:18 Par exemple, on voit beaucoup au néolithique,
02:02:22 parce que c'est très lié.
02:02:23 Contrairement à avant, c'était probablement moins difficile
02:02:27 pour les peuples chasseurs-cueilleurs,
02:02:29 quand on disait que c'était froid, il y avait toujours du gibier.
02:02:32 Là, ça va être très lié, l'agriculture, notamment au climat.
02:02:35 Il va y avoir des mauvaises années, très sèches.
02:02:38 On voit que quand on fait l'analyse de l'environnement,
02:02:42 on s'aperçoit qu'il y a plus de sacrifices,
02:02:44 par exemple, dans certaines régions, au moment de sécheresses.
02:02:47 Là, on va sacrifier aux divinités, aux esprits, aux dieux.
02:02:50 Ca dépend dans quelle région vous travaillez,
02:02:53 dans quel type de société.
02:02:55 On va voir qu'il va y avoir des sacrifices.
02:02:57 Par exemple, pour faire un présent terrible,
02:03:01 parce que c'est l'un du clan ou du village,
02:03:06 on va sacrifier, parce que c'est un gros sacrifice,
02:03:08 pour qu'il envoie de l'appui.
02:03:11 Donc, c'est toujours des rites,
02:03:14 souvent, qui répondent à une demande...
02:03:16 Enfin, à une demande, non,
02:03:18 mais à une croyance au fait que des esprits, des dieux,
02:03:21 vont vous aider à aller mieux,
02:03:23 vont vous aider à ce qu'il n'y ait pas de famine.
02:03:26 Donc, une épidémie.
02:03:27 On voit aussi beaucoup de sacrifices au moment des épidémies.
02:03:30 On le voit quand on fait la paléopathologie des squelettes,
02:03:33 on voit qu'il y a une épidémie.
02:03:35 Et on voit qu'il y a des sacrifices, un peu plus.
02:03:37 Beaucoup de sociétés ont répondu à ça.
02:03:40 Contrairement à ce qu'on croit,
02:03:42 les sacrifices humains ont été avant les sacrifices d'animaux.
02:03:45 On est passé du sacrifice humain au sacrifice animal,
02:03:49 et puis ensuite au sacrifice symbolique.
02:03:53 Il y a toute cette transformation.
02:03:55 Mais c'est une crainte.
02:03:57 On peut favoriser les esprits de la montagne, les dieux, etc.
02:04:01 C'est très lié à ces rites-là.
02:04:03 -Peut-être une toute dernière question.
02:04:06 Il y avait un monsieur juste là.
02:04:09 Je pense que ce sera la dernière.
02:04:12 -Que pensez-vous des dangers de l'arme atomique ?
02:04:25 Elle est en reconnaissance dans pas mal de pays.
02:04:28 -Il reste des questions ?
02:04:32 -L'arme atomique est une arme qui a été pensée, construite,
02:04:41 non pas pour gagner les guerres, mais pour les empêcher.
02:04:45 C'est une arme, j'allais dire, très spéciale.
02:04:49 C'est une arme dissuasive.
02:04:51 En même temps, il fallait qu'elle fasse la preuve de sa monstruosité
02:04:56 pour être vraiment dissuasive.
02:05:00 Le problème, c'est qu'à partir du moment
02:05:04 où vous avez un club des pays atomiques
02:05:09 qui, à la fois, augmente et qui rentre dans des rivalités
02:05:15 un peu incontrôlables,
02:05:18 le problème, c'est de savoir jusqu'à quel point cette rationalité de la peur...
02:05:25 Parce que c'est ça, la dissuasion, c'est une rationalité de la peur.
02:05:28 Jusqu'à quel point, effectivement, ça tiendra.
02:05:35 Voilà, jusqu'à quel point ça tiendra.
02:05:39 On peut considérer qu'à partir du moment
02:05:44 où ce sont deux puissances relativement égales
02:05:48 qui disposent de l'arme atomique,
02:05:50 c'est dissuasif de fait.
02:05:52 Si vous voulez, c'était la doctrine mad.
02:05:56 Ce qu'ils pouvaient vouloir dire, "destruction mutuelle assurée",
02:06:00 en anglais.
02:06:02 Pendant la Guerre froide, c'était ça.
02:06:05 On pouvait augmenter les arsenaux,
02:06:07 mais ce qui empêchait l'usage,
02:06:10 c'était que ça signifiait le sacrifice mutuel assuré.
02:06:15 Maintenant, avec une...
02:06:18 La carte géopolitique actuelle,
02:06:25 dans sa fragmentation, dans sa non-bipolarité,
02:06:30 fait que l'usage de l'arme atomique,
02:06:32 qui est encore une fois en situation de bipolarité,
02:06:37 ça marche très bien, cette rationalité de la peur,
02:06:40 parce que chacun sait qu'il ne va pas appuyer sur le bouton rouge.
02:06:43 On peut faire monter la pression, comme à Cuba, ce qu'on veut.
02:06:47 C'est vrai qu'on est peut-être passé près du gouffre,
02:06:50 mais un système géopolitique bipolaire
02:06:57 permet de construire une rationalité de la peur.
02:07:02 Quand on sort de la bipolarité, il y a beaucoup plus d'inconnus.
02:07:07 -Ca corrige le manque ?
02:07:09 -Oui.
02:07:10 Pas grand-chose à ajouter, sinon que, effectivement,
02:07:13 c'est un danger pour l'espèce humaine.
02:07:16 Il y a des grands militants et penseurs antinucléaires
02:07:23 qui considéraient que même jamais utilisé,
02:07:26 même voué à n'être jamais utilisé,
02:07:28 le nucléaire est le plus grand danger
02:07:31 pour la survie de l'espèce humaine, militaire comme civile.
02:07:35 L'arme nucléaire fait exception à une logique,
02:07:38 qui est une certaine logique de l'armement,
02:07:41 fonctionnaliste, qui veut que si on fabrique,
02:07:44 produit et vend des armes, on soit amené à les utiliser.
02:07:48 C'est une logique réelle,
02:07:50 car l'histoire des guerres est celle-là.
02:07:52 Quand un missile est lancé dans une guerre traditionnelle,
02:07:56 10 missiles identiques sont commandés automatiquement,
02:07:59 puisqu'on renouvelle un arsenal.
02:08:02 Une arme est faite pour être utilisée,
02:08:04 et l'industrie le fera.
02:08:06 L'arme atomique échappe heureusement à cette logique-là,
02:08:09 à même la logique inverse, par définition,
02:08:12 jusqu'au moment où une tragédie nous prouvera le contraire,
02:08:15 surtout dans un monde post-bipolaire
02:08:18 ou dans le cadre d'un conflit régional.
02:08:20 Je pense beaucoup aux grands militants antinucléaires allemands,
02:08:25 Gunther Anders, qui considéraient que, contre ce danger-là,
02:08:30 il faut pouvoir recourir à la violence dont ils pensaient.
02:08:33 S'il y a un silo avec des armes nucléaires gardées par des soldats,
02:08:37 la foule doit leur passer dessus pour démanteler ce silo
02:08:41 et pour faire que ces armes soient désactivées.
02:08:44 Je pense que c'est encore d'actualité.
02:08:47 -Merci à tous.
02:08:49 J'espère que notre discussion vous aura donné des pistes,
02:08:52 des envies de lecture,
02:08:54 et d'un point de vue plus pratique,
02:08:57 de quoi alimenter les concours que vous passerez à la fin de l'année.
02:09:02 Je vous remercie à Marilène Patou-Mathis, Frédéric Gros et François Cussé,
02:09:06 et à vous d'être venus aussi nombreux cet après-midi.
02:09:09 Merci.
02:09:11 (Applaudissements)

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