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00:00 « Les matins de France Culture, Guillaume Erner »
00:06 Voilà, c'est la polémique de cette rentrée qui occupe par exemple la une du journal Libération.
00:12 Le cas Amélie Oudea Castera, embourbée après ses mensonges sur la scolarisation de ses
00:18 enfants dans le privé, la ministre de l'éducation et des sports fragilise le nouveau gouvernement,
00:23 dit Libération en une.
00:24 Au-delà du cas de cette ministre, ce qui est certain, c'est que ses propos réveillent
00:30 un point sensible, très sensible même dans le débat public, celui de la question de
00:35 l'enseignement, de l'enseignement privé et de l'enseignement public.
00:38 Et pour en parler, nous sommes en compagnie de l'un des meilleurs spécialistes de cette
00:43 question, Julien Grenet.
00:44 Bonjour, vous êtes directeur de recherche au CNRS, professeur à l'école d'économie
00:49 de Paris et on vous doit à faire naître en partie, puisque vous êtes président du
00:53 comité de suivi d'Affelnet.
00:55 Affelnet, c'est cette application qui permet aux élèves parisiens de passer du collège
01:02 au lycée avec un effort de mixité sociale.
01:07 J'ai sous les yeux le Figaro avec une interview de Jérôme Fourquet.
01:10 Jérôme Fourquet dit la chose suivante « Dans notre vieux pays égalitaire, la baisse de
01:15 niveau dans l'école publique et l'émergence d'un enseignement privé constituent un
01:19 changement profond et un sujet politique majeur.
01:22 Qu'en pensez-vous ? »
01:23 Alors oui, après il faut bien distinguer les dynamiques à l'œuvre.
01:30 S'agissant de la part de l'enseignement privé, en réalité, elle est assez stable
01:35 au cours du temps.
01:36 On est aujourd'hui autour de 14% d'élèves scolarisés dans des écoles élémentaires
01:42 privées.
01:43 Dans le second degré, c'est-à-dire collège-lycée, on est autour de 21%.
01:48 Il n'y a pas d'augmentation ?
01:49 Et cette part, elle a très peu varié.
01:51 Elle a un peu augmenté de l'ordre de 1 à 2 points depuis 1995.
01:56 Ça remonte quand même à loin.
01:58 Donc en termes de part de l'enseignement privé, ça ne bouge pas trop.
02:04 Et d'ailleurs, ça tient à une règle très claire.
02:06 C'est la règle dite du 80-20, c'est-à-dire que dans les concours de recrutement des
02:10 enseignants, il y a une règle établie depuis 1992 lors des accords langues couplets qui
02:17 fixent cette répartition.
02:18 Donc d'une certaine manière, la part du privé à l'échelle nationale, elle est
02:22 fixée d'une certaine manière de façon réglementaire.
02:25 Ce qui a changé en revanche, c'est la composition sociale de l'enseignement privé.
02:31 C'est-à-dire que le privé, depuis une quinzaine d'années, voit sa composition
02:36 sociale devenir de plus en plus favorisée.
02:38 La part des élèves issus de catégories sociales dites très favorisées selon la
02:45 terminologie du ministère de l'Education nationale, c'est-à-dire les enfants de
02:49 chef d'entreprise, profession libérale, cadre, profession intellectuelle supérieure,
02:55 elle a considérablement augmenté.
02:57 Elle est passée de 30 % au début des années 2000 à aujourd'hui 41 %, quand dans le
03:04 même temps, la part des élèves dites défavorisés, c'est-à-dire des enfants d'ouvriers ou
03:08 de personnes sans activité professionnelle, elle est passée de 24 % à 16 %.
03:12 Donc, le fossé social entre l'école publique et l'école privée augmente.
03:19 Pourquoi ?
03:20 Il augmente parce qu'il y a plusieurs facteurs.
03:24 Il y a un phénomène qui tient au fait que le privé s'est pas mal recentré dans les
03:30 grandes agglomérations urbaines.
03:32 C'est là qu'il augmente le plus vite.
03:34 À Paris, par exemple, la part du privé est passée de 30 % au début des années 2000
03:39 à 37 % aujourd'hui.
03:40 Et on pourra y revenir, mais d'ici une dizaine d'années, les projections suggèrent qu'il
03:46 pourrait atteindre facilement 47, 48 %.
03:49 Malgré ce numerus clausus dont vous avez parlé tout à l'heure ?
03:53 Un numerus clausus qui s'applique au niveau national, mais qui permet une grande flexibilité
03:57 en fait dans la répartition de l'enseignement privé sur le territoire.
04:01 Ça signifie qu'il y aurait moins de place d'enseignement privé en région ?
04:07 En fait, il y a un redéploiement de l'offre scolaire privée dans les zones où effectivement
04:17 la demande est la plus forte, qui sont les territoires densément peuplés, où il y
04:21 a une forte concurrence scolaire.
04:23 Et particulièrement dans les grandes agglomérations.
04:26 Toutes les dix plus grandes villes de France ont des taux d'inscription dans le privé
04:32 supérieurs à 30 %, et qui avoisinent parfois 50 %.
04:34 A Lyon, on est à 49 % d'élèves dans des collèges privés.
04:38 Là aussi, ça fait partie des commentaires qui sont faits par Jérôme Fourquet.
04:43 Ce qui est éclairant aussi dans ses choix, dit-il, c'est qu'on n'est plus sur des
04:48 logiques qui sont des logiques sociales, si on va dans le privé pour essayer de maximiser
04:54 l'entre-soi ou alors l'excellence scolaire.
04:58 Je vais vous laisser préciser ces commentaires, mais plus en tout cas pour des raisons philosophiques
05:03 ou religieuses.
05:04 Et d'ailleurs, ce qui est effectivement éclairant dans les propos de la ministre,
05:08 c'est qu'elle aurait pu justifier tout à fait cette scolarisation par exemple le
05:15 souhait d'avoir un enseignement religieux, si celle-ci avait été bien sûr un choix
05:22 confessionnel.
05:23 Effectivement, traditionnellement, le recours à l'enseignement privé, qui est majoritairement
05:27 catholique en France, très largement, était motivé par des considérations religieuses.
05:33 D'ailleurs, certains territoires, certaines régions ont des parts d'élèves inscrits
05:40 dans le privé qui sont proches de 50% et qui sont des régions, des terres catholiques
05:44 comme la Bretagne, par exemple, où d'ailleurs le privé est finalement d'un point de vue
05:47 social pas si différent du public.
05:49 Mais cette logique-là est différente dans les grandes villes où le choix du privé
05:56 relève aujourd'hui beaucoup plus de considérations d'évitement en réalité de l'école
06:01 publique que d'un choix religieux.
06:03 Même si ça reste quand même un motif important, puisque on voit que les taux d'inscription
06:09 privée par exemple à Paris, les plus élevés sont dans l'ouest parisien où les collèges
06:14 publics sont très favorisés.
06:15 Justement, puisque vous êtes le président du comité de suivi d'Affenet, peut-être
06:21 quelques mots d'ailleurs Julien Grenet pour décrire Affenet ?
06:24 Alors Affenet, c'est une application qui gère les transitions entre le collège et
06:29 le privé.
06:30 Donc on peut décrire ça comme un mini parcoursup, c'est-à-dire que les parents font des
06:36 vœux pour les différents lycées publics de la capitale et sont affectés par un algorithme
06:42 qui tient compte de leurs vœux et de critères de priorité qui vont déterminer s'il y
06:47 a deux élèves pour une place, lequel est admis sur son premier vœu.
06:51 Et si j'en parle, c'est tout simplement parce qu'à Paris, la concurrence pour un
06:57 certain nombre d'établissements publics est aussi quelque chose qui peut relever,
07:03 vous appelez ça l'évitement, on pourrait parler de stratégie scolaire, enfin bref,
07:09 il y a j'imagine peu de différence entre le recrutement social dans certains établissements
07:15 et le privé.
07:16 Alors c'était vrai historiquement.
07:20 On parle de la situation avant Affenet.
07:21 Alors Affenet, il faut quand même remonter à 2008.
07:25 Le logiciel a été mis en place en 2008 et d'ailleurs, il faut le rappeler, c'est
07:30 un logiciel qui est utilisé dans toutes les académies de France en réalité.
07:34 On en parle principalement à Paris parce qu'à Paris, il est paramétré d'une
07:39 façon particulière.
07:40 Dans les autres académies, Affenet fonctionne essentiellement comme de la carte scolaire
07:45 comme au collège, c'est-à-dire on est généralement affecté à son lycée de proximité.
07:48 À Paris, effectivement, le choix est vaste et d'autres critères sont mis en œuvre
07:52 pour départager les élèves.
07:53 Avant Affenet, à quoi ressemblait la situation ? Eh bien, les lycées étaient les plus
08:00 ségrégés de France, aussi bien du point de vue social que scolairement, quatre à
08:04 cinq fois plus ségrégés scolairement, c'est-à-dire qu'on avait ce qu'on appelait des lycées
08:07 de niveau avec des lycées qui recrutaient à 17 de moyenne, d'autres à 16, d'autres
08:11 à 15 et puis d'autres qui avaient des élèves avec en moyenne des résultats très faibles.
08:17 Cette situation, elle a déjà évolué avant la réforme récente par la mise en place
08:23 de quotas en faveur des élèves boursiers, dès le début en fait d'Affenet, ce qui
08:27 a permis de réduire les écarts sociaux entre lycées.
08:31 Et en 2021, une autre réforme a été mise en place qui a principalement consisté à
08:38 introduire une bonification qui tient compte de la composition sociale du collège d'origine,
08:45 c'est-à-dire ce qu'on appelle un bonus IPS, indice de position sociale, qui attribue
08:49 des points, par exemple aux élèves qui sont issus de collèges en éducation prioritaire,
08:55 qu'ils soient eux-mêmes favorisés ou défavorisés.
08:57 Donc c'est vraiment ce qu'on appelle un bonus social collectif, c'est-à-dire je
09:00 suis dans un établissement défavorisé, j'ai des points supplémentaires.
09:03 Et ce bonus a eu des effets assez massifs puisque en l'espace de deux ans, la ségrégation
09:10 sociale dans les lycées publics parisiens a chuté de 30 à 40%.
09:15 Mais alors justement, cette situation parisienne spécifique, le fait que l'enseignement
09:22 privé ait connu une augmentation significative, est-ce que ça n'est pas une conséquence
09:28 d'Affenet ?
09:29 Non, en fait, l'augmentation du privé, elle est tendancielle.
09:32 Il n'y a pas d'évolution particulière.
09:35 C'est une évolution très progressive.
09:37 En fait, quand on regarde dans le détail, alors c'est vrai qu'il y a une accélération
09:40 ces dernières années.
09:41 Alors évidemment, l'hypothèse numérante, c'est de dire que c'est la faute d'Affenet.
09:44 Les parents fuient vers Affenet.
09:46 En réalité, quand on regarde de près, il y a un autre phénomène dont on parle assez
09:51 peu, mais qui a des conséquences très importantes à Paris, c'est la baisse démographique.
09:55 Entre 2010 et 2022, le nombre de naissances domiciliées à Paris a chuté de 25%.
10:01 On avait 31 000 naissances par an en 2010.
10:04 On est à peu près à 24 000 aujourd'hui.
10:06 Quelle est la conséquence de cette baisse démographique ? Quel lien avec la part du
10:11 privé ?
10:12 En fait, le lien, il vient d'un phénomène qu'on observe historiquement à Paris et
10:16 d'autres grandes villes.
10:17 C'est que les baisses démographiques sont intégralement absorbées par l'enseignement
10:21 public.
10:22 L'enseignement privé sous contrat, il y a plus de monde que de place.
10:26 Donc, qu'on soit en phase de baisse démographique, l'enseignement catholique aura toujours
10:32 la possibilité de remplir ses places et de justifier le fait qu'il ait tous ses enseignants
10:35 et ses classes ouvertes.
10:36 Et donc, c'est exactement ce qu'on observe depuis.
10:39 Donc, ça a commencé au CP en 2017, chute des effectifs en CP intégralement dans l'enseignement
10:45 public et donc mécaniquement.
10:47 Si le nombre d'élèves baisse dans le public, qu'il reste stable dans le privé, la part
10:51 du privé augmente.
10:52 Et c'est ce qu'on observe à Paris maintenant au collège.
10:54 Ça a commencé depuis en 2021.
10:56 L'enseignement privé, sa part augmente de un point par an.
11:02 Et donc, si on projette, on est aujourd'hui à 37%.
11:05 En 2033, on pourrait atteindre 47-48% d'élèves dans le privé, avec des conséquences évidemment
11:13 importantes sur la ségrégation sociale.
11:15 - Julien Grenet, on se retrouve dans une vingtaine de minutes.
11:18 Je rappelle que vous êtes directeur de recherche au CNRS, professeur à l'école d'économie
11:22 de Paris.
11:23 Vous serez rejoint par une historienne, Clémence Cardonquin.
11:26 On verra comment cette guerre scolaire entre le privé et le public s'inscrit dans l'histoire
11:31 de France, qu'est-ce qu'elle signifie et puis comment on pourrait essayer de faire
11:36 pour que celle-ci s'apaise.
11:39 7h56 sur France Culture.
11:40 6h39, les matins de France Culture.
11:46 Guillaume Erner.
11:47 - Et oui, le public ou le privé, la question se pose depuis des décennies, voire des siècles
11:53 en France, de l'attachement confessionnel aux soucis d'excellence scolaire.
11:57 Comment s'articule la bataille entre l'enseignement public et privé ? Nous sommes en compagnie
12:01 de Julien Grenet, vous êtes directeur de recherche au CNRS, professeur à l'école
12:05 d'économie de Paris et nous sommes en duplex avec Clémence Cardonquin.
12:09 Bonjour.
12:10 - Bonjour.
12:11 - Vous êtes professeure d'histoire à l'université Paul-Valéry de Montpellier.
12:16 Clémence Cardonquin, en tant qu'historienne, comment voyez-vous cette polémique déclenchée
12:21 par la ministre de l'Éducation nationale, au-delà de son cas personnel ? Comment cette
12:27 polémique résonne avec la controverse autour des modèles scolaires en France ?
12:33 - Alors, je vais m'abstenir de commenter la polémique elle-même.
12:37 En revanche, ce qu'on peut dire en s'appuyant sur les savoirs historiques, c'est que la
12:43 signification de la frontière entre enseignement public et privé, elle a considérablement
12:48 évolué ces deux derniers siècles.
12:50 C'est-à-dire qu'on est parti d'une situation au XIXe siècle où Napoléon avait instauré
12:56 un monopole, l'enseignement devait être contrôlé par l'État, et il y a une revendication
13:03 qui a été portée par les libéraux et par l'Église de pouvoir contrôler des établissements,
13:07 et donc de réclamer à ce titre la liberté de l'enseignement, la liberté d'entretenir
13:11 des établissements qui n'étaient pas sous le contrôle de l'État.
13:15 Donc, au début du XIXe siècle, dans les années 1830, la frontière n'est pas confessionnelle,
13:21 elle n'est pas religieuse.
13:23 Quand la loi Guiseau instaure la liberté de l'instruction primaire en 1833, et donc
13:29 ouvre la possibilité d'avoir des écoles primaires libres et des écoles primaires
13:33 publiques financées sur fonds publics par les communes, les départements ou l'État,
13:39 et bien vous avez un enseignement religieux aussi bien dans les écoles primaires publiques
13:44 que dans les écoles privées.
13:46 La distinction, elle est d'ordre financier entre l'enseignement public et l'enseignement
13:52 privé.
13:53 Et cette frontière financière entre public et privé, on la retrouve au moment de l'instauration
13:58 de la liberté de l'enseignement secondaire en 1850 avec la loi Fallou.
14:02 En fait, ce qui va donner cette dimension confessionnelle, philosophique à l'affrontement
14:08 entre public et privé, ça va être beaucoup plus les grandes lois scolaires des républicains
14:12 dans les années 1880, principalement la loi 1882 avec la laïcisation des programmes,
14:19 avec la disparition de l'instruction morale et religieuse des écoles publiques, et puis
14:23 la loi Gobelet aussi de 1886 qui laïcise le personnel, qui fait qu'une commune ne
14:28 peut plus financer comme école publique une école tenue par des congrégatistes.
14:33 Donc c'est à partir de ce moment-là, à partir des années 1880, que la guerre scolaire,
14:41 l'opposition entre école publique et école privée correspond bien à une frontière
14:45 religieuse entre une école laïque d'un côté et des écoles confessionnelles de
14:50 l'autre.
14:51 Les écoles privées laïques, nous représentons à l'époque une petite partie des écoles
14:56 privées.
14:57 Et donc on est sur une guerre scolaire qui perdure selon ces termes-là jusqu'au,
15:05 pour simplifier, à la loi Debré de 1959, qui modifie encore les règles du jeu puisqu'à
15:10 ce moment-là est instaurée la possibilité pour les établissements privés de signer
15:14 des contrats avec l'État.
15:16 Et on a donc des écoles privées sous contrat simple ou sous contrat d'association qui
15:20 sont financées par l'État.
15:23 Et là, on a à nouveau un nouveau déplacement de la frontière entre publique et privée
15:29 puisque ce qui avait été depuis 1833 un élément discriminant entre école publique
15:35 et école privée, à savoir l'origine du financement, ça disparaît puisqu'avec
15:39 la loi Debré, vous avez des écoles privées qui sont financées sur fonds publics.
15:43 Donc on voit que cette frontière entre école publique et privée, elle a considérablement
15:47 fluctué ces deux derniers siècles.
15:49 Ça c'est une première chose qu'on peut dire au regard de l'histoire.
15:52 Les dernières étapes en la matière, parce qu'on se souvient de la gauche, de François
15:58 Mitterrand qui avait tenté là aussi de modifier l'équilibre avec des conséquences importantes
16:05 et un recul à cet égard.
16:07 Est-ce que ça signifie que cette guerre scolaire, la métaphore, est-elle encore d'actualité
16:14 selon vous ?
16:15 En fait, ce qui a été marquant dans l'histoire de la gauche, c'est qu'après la loi Debré
16:22 de 1959, il y a eu une très forte mobilisation des défenseurs de l'école laïque pour
16:28 réclamer un retour à la situation antérieure, c'est-à-dire pour demander que les fonds
16:34 publics soient réservés aux écoles publiques.
16:36 Et ça faisait partie des promesses de campagne de François Mitterrand en 1981, de revenir
16:43 sur la loi Debré, de modifier l'équilibre législatif pour instaurer un grand service
16:47 public unifié laïque de l'éducation nationale, le Spulen.
16:52 Et cette réforme, elle a échoué.
16:54 En 1984, il y a eu des manifestations monstres qui ont conduit à la démission d'Alain
16:59 Savary, ministre de l'éducation nationale et puis du gouvernement plus largement, de
17:04 Pierre Meroy.
17:05 Et pourquoi ? C'est à ce moment-là qu'on observe déjà un glissement dans les raisons
17:12 pour lesquelles les familles allaient rechercher l'école publique.
17:16 Une des hypothèses qui a été avancée dès cette époque par des historiens, par les
17:20 observateurs, c'est qu'en réalité, l'école privée apparaissait comme un recours, une
17:25 école de la seconde chance, quand l'école publique n'avait pas permis à l'élève
17:29 de progresser ou quand on contestait, parce qu'à l'époque l'orientation était
17:32 très ferme, quand on contestait une décision d'orientation.
17:35 Ce qui vient que le soutien à l'école privée allait bien au-delà de l'attachement
17:42 à la religion, à une confession, dans une société qui de toute façon était de moins
17:46 en moins marquée par la culture et la tradition catholique.
17:49 Donc dès les années 1880, en réalité, la question confessionnelle passe au second
17:55 voire au troisième plan qui conduisent les familles à scolariser leurs enfants dans
18:01 des établissements privés plutôt que dans des établissements publics.
18:05 Il y a des petits soucis de connexion.
18:08 En tout cas, on l'entend bien dans votre propos Clémence Cardonquin.
18:13 La question principale c'est la question du financement avec de la part de la gauche
18:19 une volonté de considérer que les fonds doivent d'abord aller à l'enseignement public.
18:27 Aujourd'hui, lorsque l'on prend les choses, cet établissement est devenu momentanément
18:33 un symbole, le collège Stanislas, qui est un établissement privé catholique sous contrat,
18:39 qui est un grenet, j'ai sous les yeux la manière dont celui-ci est financé.
18:44 Libération, le détail.
18:46 Tout d'abord, évidemment, les enseignants sont formés et payés par l'État, puisque
18:50 c'est un établissement privé sous contrat.
18:53 Ensuite, l'État verse une somme forfaitaire par élève de l'ordre de 800 euros par an
19:00 et par collégien.
19:01 Et puis également une dotation pour l'établissement.
19:05 Et puis enfin, comme aujourd'hui la région est dirigée par Valérie Pécresse, des Républicains,
19:14 et bien Stanislas a encore reçu des subventions qui sont des subventions facultatives de l'île
19:21 de France.
19:22 Et puis enfin, bien sûr, les familles règlent une certaine somme de l'ordre de 2200 euros
19:29 pour le collège et 2500 pour le lycée, auquel il faut ajouter 1200 euros supplémentaires
19:35 pour les études dirigées.
19:37 Alors voilà, je pense que ces différentes sommes, j'aimerais que vous les commentiez.
19:42 Julien Grenet, qu'est-ce que ça signifie ?
19:43 Ça signifie avant tout que l'essentiel du financement de l'enseignement privé sous
19:49 contrat en France est assuré par l'État et les collectivités locales.
19:52 Donc si on prend pas seulement Stanislas, mais l'ensemble des établissements privés,
19:57 ça représente 10 milliards dans le premier degré et le second degré, c'est pas une
20:01 somme négligeable et c'est 76% du budget de ces établissements.
20:05 Donc le modèle français est assez particulier de ce point de vue parce qu'à l'étranger,
20:11 on a plutôt deux modèles différents.
20:12 Soit un modèle où le privé n'est pas subventionné ou très peu, modèle américain,
20:17 et la scolarité correspond au coût.
20:20 Les frais de scolarité, c'est pas 2 à 3 000 euros, c'est plutôt 10 à 15 000 dollars.
20:25 Est-ce que vous réglez tout ?
20:27 La conséquence, c'est que la part des élèves scolarisés dans le privé est beaucoup plus
20:31 faible.
20:32 Il y a un autre modèle où le privé est massivement subventionné, il y a des Pays-Bas,
20:36 en Espagne également.
20:37 Dans ces pays, le privé subventionné a condition de ne pas avoir la main sur son recrutement.
20:46 C'est-à-dire que les règles sont communes entre public et privé.
20:49 Il n'y a pas de concurrence entre les établissements du point de vue de la sélection des élèves.
20:53 Donc la France a fait un choix historique, on l'a entendu, un peu différent, qui est
20:57 de subventionner, mais sans contrepartie du point de vue du recrutement, ce qui pose
21:01 effectivement toutes ces questions de ségrégation qu'on observe aujourd'hui à l'œuvre
21:05 dans les grandes villes.
21:06 C'est-à-dire que le privé est libre de son recrutement, aussi bien à l'école
21:12 élémentaire que dans le second degré.
21:13 Ce financement, est-ce qu'il a évolué, Julien Grenet ?
21:16 En fait, le financement, il est très encadré.
21:20 Il y a des évolutions récentes plutôt du point de vue de la conditionnalité des aides.
21:26 L'essentiel du financement, c'est la rémunération des enseignants.
21:31 Ça, ça ne bouge pas trop, mais c'est quand même 90% du financement.
21:33 Ensuite, il y a des petites parts qui dépendent notamment des départements, ce qu'on appelle
21:39 le forfait éducatif, par exemple, qui finance des projets d'établissement.
21:42 Et certains départements ont fait le choix de moduler cette aide en fonction de la composition
21:48 sociale des établissements privés en disant "on a un système de bonus/malus.
21:52 Si vous avez une composition sociale qui s'éloigne beaucoup de celle de votre bassin de recrutement,
21:59 vous avez moins de ressources".
22:01 Évidemment, ces ressources ne pèsent pas beaucoup dans le budget, donc ce n'est pas
22:05 très incitatif, mais c'est une des évolutions récentes qu'on n'a plus noté.
22:09 Clémence Cardonquin, au-delà des tentatives faites par la gauche, cette question du financement
22:18 de l'école privée a-t-elle déclenché différentes polémiques ?
22:22 Oui, en fait, le point de départ du choix français de financer les écoles privées,
22:29 ça vient d'une situation particulière.
22:31 C'est d'abord un choix politique au moment où De Gaulle arrive au pouvoir.
22:35 Le mouvement républicain populaire lui apporte son soutien et c'était un enjeu pour le
22:40 mouvement républicain populaire d'apporter une réponse aux problèmes financiers que
22:45 traversaient alors les établissements privés qui n'avaient pas les moyens d'assurer
22:49 un salaire décent à des maîtres qui, de plus en plus souvent, étaient des laïcs.
22:52 Cette question financière est centrale dans la guerre scolaire dès 1958-59.
23:01 Ce qui est frappant quand on observe les archives sur les décisions qui ont été prises et
23:06 la manière dont elles étaient appliquées, c'est qu'il y a une forme de tabou, de
23:10 non-dit, qu'on ne peut vraiment saisir qu'à travers les archives, sur la manière
23:17 et le niveau d'aide qu'allait apporter l'État aux établissements privés.
23:21 En réalité, ce qu'on observe au départ, c'est un accord tacite pour un niveau de
23:27 financement des établissements privés inférieur à celui octroyé aux écoles publiques, y
23:35 compris pour les dépenses que l'État dit prendre en charge.
23:38 C'est l'origine de contentieux qui ne cessent de se répéter sur la prise en charge
23:46 les aides sociales pour les enseignants, la question des charges sociales, la question
23:50 des modalités de calcul du forfait d'externat.
23:53 L'histoire des rapports entre l'enseignement privé et le gouvernement, c'est une suite
23:58 de contentieux financiers sur le niveau de l'aide qui va être apporté avec derrière
24:03 une espèce de non-dit dans la manière dont les gouvernements gèrent cette question financière
24:10 qui est qu'au fond, on essaie toujours un petit peu de donner moins par rapport à ce
24:15 qui est prévu par la loi.
24:16 C'est prévu dans le régime des contrats que certaines dépenses ne sont pas prises
24:19 en charge par l'État.
24:20 Le contentieux ne porte pas là-dessus, il porte sur le fait que même pour les dépenses
24:23 que l'État est censé prendre en charge, au départ, il finance un peu moins pour toute
24:28 une série de raisons qui sont liées notamment aux modalités de calcul de l'aide.
24:32 Et en fait, il y a une tendance sur le long terme des années 70 jusqu'à nos jours à
24:37 petit à petit revenir sur ce qu'avait été ce choix initial et à égaliser de plus en
24:43 plus les conditions de financement par exemple par le soutien que l'État apporte à la formation
24:49 des enseignants.
24:50 Ça, c'est un des aspects des accords longs cloupés de 92-93.
24:53 Mais ça va être aussi un arbitrage qui sous-tend le choix du régime de sécurité sociale
25:01 en passant du régime général au régime des fonctionnaires au début des années 2000.
25:05 Donc, il y a toute une série de décisions qui participent d'un alignement de l'effort
25:10 financier consenti par l'État pour les établissements privés par rapport aux établissements
25:15 publics, mais ceci dans un cadre général où bien sûr, il y a des dépenses qui ne
25:19 sont pas prises en charge par l'État pour les établissements privés.
25:22 Donc, ça, c'est une ligne qu'on voit se dessiner de manière assez claire.
25:25 Et d'un point de vue historique, il y a un deuxième élément qui est important, je
25:31 pense, à garder en tête pour bien comprendre ces débats sur le financement des établissements.
25:34 C'est-à-dire qu'on a souvent cette image avec la thématique de l'égalité républicaine
25:39 qu'au fond, l'État donne la même chose pour chaque élève des écoles publiques.
25:43 En fait, la réalité des modalités de financement de l'enseignement n'est pas du tout celle-là.
25:47 C'est-à-dire que les dépenses consenties à la fin pour un élève dans un établissement
25:53 dépendent d'une pluralité de facteurs qui font qu'on a, par exemple, au début
25:57 des années 80, quand on débat de la loi Savary, on a en fait de très très fortes
26:01 disparités d'un établissement à l'autre dans les écoles publiques elles-mêmes.
26:06 Donc, il ne faut pas se représenter cette question du financement des établissements
26:11 privés par rapport aux établissements publics en ayant en tête l'image d'une dépense
26:15 par élève qui serait exactement la même dans tous les établissements publics et par
26:19 rapport à laquelle on pourrait comparer les dépenses consenties pour les élèves de
26:22 l'enseignement privé.
26:23 Je crois que c'est un point important à avoir en tête.
26:26 Et sur le plan historique, il y a un autre élément qui est important aussi, et ça
26:31 revient sur un point qui a été abordé par mon collègue tout à l'heure, c'est cette
26:34 question de la règle des 20-80%.
26:37 En fait, ce qui se passe, c'est que dans les années 70, les gouvernements prennent
26:42 conscience que la législation telle qu'elle a été mise en place par la loi Debré en
26:48 1959 et la loi Germer en 1977 ne permet pas vraiment de contrôler la progression de l'enseignement
26:55 privé parce qu'elle permet de contrôler le nombre de contrats qui vont être signés
27:02 avec des établissements privés.
27:03 Mais si les conditions qui encadrent la signature des contrats sont respectées, il faut bien
27:10 à la fin rémunérer les enseignants même si les crédits ne sont pas prévus.
27:13 Et donc c'est effectivement ce qui justifie cette règle.
27:18 Julien Grenet, on voit qu'on a affaire à, aujourd'hui, un certain nombre de justifications
27:25 pour la scolarisation des enfants dans les établissements privés.
27:30 La ministre a mis en avant les heures non remplacées.
27:34 Il y a une polémique pour savoir si c'est vrai ou pas.
27:37 Mais moi, j'aimerais comprendre si ce que vous observez en matière de fonctionnement
27:43 de l'enseignement privé explique, par exemple, qu'on a affaire à un enseignement qui va
27:51 mieux remplacer les professeurs absents, qui va avoir un certain nombre de caractéristiques
27:57 liées à ces budgets supplémentaires, puisque les budgets, dès lors, sont supplémentaires,
28:02 ou bien s'il s'agit de stratégies sociales d'entre-soi, puisque là aussi, il y a un
28:08 certain nombre de travaux sociologiques qui considèrent que l'entre-soi est aussi une
28:13 manière de maximiser les résultats scolaires des enfants.
28:16 Alors, sur le premier volet, sur la question des absences sans remplacer le fait que ce
28:20 serait un des motifs, effectivement, de choix du privé, la réalité, c'est qu'on a très
28:26 peu de chiffres fiables sur cette question, en tout cas pas de chiffres accessibles aux
28:29 chercheurs.
28:30 Les données les plus récentes sur la question viennent d'un rapport de la Cour des Comptes
28:32 en 2021 qui indique qu'il y a effectivement moins d'absences dans l'enseignement privé,
28:38 mais dans une proportion quand même assez limitée par rapport au public.
28:43 Il y a une statistique qui est mentionnée, donc il y a que les absences en moyenne, c'est
28:47 17 jours dans le public, 13 jours dans le privé.
28:49 Mais au-delà, il n'y a rien, par exemple, sur le remplacement des absences.
28:54 Est-ce qu'elles sont mieux remplacées dans le privé ou pas ? On n'a pas vraiment de
28:57 chiffres là-dessus.
28:58 Donc cet élément-là, il faudra demander au ministère de fournir davantage de précisions.
29:03 Sur la question de l'autre question qui est celle de l'efficacité du privé ou la valeur
29:08 ajoutée du privé.
29:09 En fait, il faut faire attention à un effet d'optique qui est effectivement de regarder
29:14 les palmarès au brevet au bac ou toujours le privé arrive en tête.
29:19 Stanislas est un des établissements qui obtient les meilleurs résultats.
29:21 Ensuite, la question, c'est oui, mais est-ce que c'est lié à l'efficacité de cet établissement
29:27 qui arriverait à faire progresser mieux les élèves ou simplement au fait qu'il est
29:31 crème au départ des CSP+ dont les enfants vont de toute façon réussir très bien à
29:36 l'école ?
29:37 Et donc, la question importante, c'est de dire à composition sociale égale, est-ce
29:41 que le privé fait mieux ?
29:42 Et à cette question, en fait, quand on fait cette simple correction, il ne reste pas grand
29:47 chose.
29:48 Et particulièrement à Paris, il ne reste absolument aucune valeur ajoutée du privé,
29:50 c'est-à-dire que les établissements privés et publics à même composition sociale obtiennent
29:55 les mêmes résultats au bac et au collège au brevet.
29:58 Et donc, ça pose la question de finalement ne pas réguler le recrutement du privé tout
30:04 en lui accordant une subvention publique.
30:07 À quel objectif ça répond ?
30:09 Est-ce que ça répond effectivement à un objectif d'élévation du niveau ?
30:13 Ce n'est pas du tout certain.
30:14 Par contre, ce que ça produit de façon très claire, c'est une ségrégation accentuée.
30:20 Enfin, je veux dire, pour reprendre un exemple qui est celui de Stanislas.
30:25 Stanislas, le collège, c'est 90% d'élèves de CSP+, 0,4% d'enfants d'origine défavorisée.
30:35 Dans l'établissement, sur les 1260 élèves, il y a cinq élèves qui sont enfants d'ouvriers
30:39 ou de personnes sans activité professionnelle.
30:41 À Paris, parmi l'ensemble des collégiens, c'est 16%.
30:43 Donc là, on voit bien qu'il peut y avoir un souci.
30:46 Comment justifier un financement public d'un enseignement qui ne permet pas à tous les
30:53 enfants d'accéder à cette ressource ?
30:55 Et je rappelle juste que l'article 1 de la loi de Bray dit que tous les enfants sans
30:59 condition d'origine, d'opinion ou de croyance ont accès à cet enseignement.
31:05 Aujourd'hui, c'est la partie qui n'est pas garantie.
31:08 Un mot de conclusion Clémence Cardonquin ?
31:10 Oui, peut-être une remarque sur cette question de l'hétérogénéité.
31:16 Je crois qu'il y a vraiment deux éléments à prendre en compte dans les choix des familles.
31:20 Il y a la question de l'hétérogénéité sociale, la recherche d'un entre-soi social
31:25 et il y a la question de l'hétérogénéité scolaire.
31:26 Ce qu'on observe aussi dans le comportement des familles vis-à-vis du privé par rapport
31:32 au public, mais ça vaut aussi à l'intérieur du public dans les démarches de dérogation
31:36 pour avoir accès à certains établissements publics plutôt que d'autres.
31:40 Ce qu'on observe, c'est aussi la crainte que les établissements et les enseignants
31:46 ne sachent pas gérer les situations d'hétérogénéité scolaire ou sociale.
31:51 Et ça correspond à un phénomène qui est relativement bien documenté ou relayé, c'est-à-dire
31:58 qu'on a en France un système qui, comme beaucoup d'autres pays, et pour d'excellentes
32:02 raisons, a fait le choix de l'hétérogénéité dans l'enseignement primaire et au collège,
32:07 hétérogénéité sociale et scolaire.
32:08 C'est important du point de vue de la cohésion sociale et c'est important aussi pour la
32:12 progression des élèves les plus faibles.
32:14 Mais aussi, on est l'un des pays où les enseignants sont les moins armés, les moins
32:18 préparés, les moins à l'aise avec toutes les difficultés que soulève au quotidien
32:23 le fait d'avoir des classes qui sont hétérogènes sur le plan scolaire et social.
32:28 C'est-à-dire qu'on a une très forte tradition en France de gérer l'hétérogénéité
32:32 en faisant des groupes homogènes.
32:34 C'est ce qui explique aussi le poids du redoublement en France.
32:37 Et je crois que c'est important d'intégrer cette dimension de ce que font les enseignants
32:42 dans la classe et ce qu'ils sont en capacité de faire compte tenu des moyens que leur donne
32:45 le système.
32:46 Julien Grenet, vous voulez conclure de quelques mots ?
32:51 Je vous vois opiner du chef.
32:52 Oui, c'est vrai que la France est particulièrement mal armée.
32:56 En tout cas, l'enseignement français ne gère pas bien l'hétérogénéité scolaire
33:01 et la différenciation pédagogique.
33:03 Et donc, effectivement, la solution qui est adoptée, c'est davantage cette séparation
33:07 des élèves.
33:08 Alors, les groupes de niveau qui ont été annoncés répondent bien à cette logique.
33:12 Est-ce que c'est la bonne façon de construire une société ?
33:14 Je ne suis pas certain.
33:15 Merci à tous les deux.
33:17 Merci Clémence Cardonquin.
33:18 Je rappelle que vous êtes professeure d'histoire à l'Université Paul-Valéry de Montpellier.
33:23 Merci à vous, Julien Grenet, directeur de recherche au CNRS.

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