Le travail abîmé

  • il y a 8 mois
Pourquoi le travail provoque-t-il toujours aujourd'hui autant de souffrances ? Les troubles musculosquelettiques, TMS en plus court, représentent aujourd'hui 87 % des 50 000 maladies professionnelles reconnues chaque année. Les risques psychosociaux, RPS en plus court, sont quant à eux à l'origine de près de 30 000 accidents du travail annuellement. Pour décrypter l'origine de ces pathologies, emblématiques de l'évolution du travail et de son organisation ces dernières décennies, Santé & Travail et le quotidien Mediapart ont décidé de donner la parole à trois spécialistes :
- Coralie Perez, socio économiste, coautrice avec Thomas Coutrot de l’ouvrage "Redonner du sens au travail, une aspiration révolutionnaire", paru aux éditions du Seuil ;
- François Cochet, expert habilité auprès des CSE, directeur des activités santé-travail du cabinet Secafi Alpha et président de la Fédération des intervenants en prévention des risques psychosociaux (Firps) ;
- Catherine Delgoulet, ergonome, professeure et titulaire de la chaire d’ergonomie au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), directrice du Centre de recherche sur l’expérience et l’âge des populations au travail (Creapt).

Cet entretien fait partie d'une nouvelle émission en trois épisodes, "Parlons travail", coréalisée avec Mediapart.

Animation : Dan Israel, François Desriaux

Réalisation : Alexandre Huez
Image : Stéphane Pruvot
Son : Jimmy Beaufils
Montage : Hanna Taïeb
Création sonore : Alba musique
Création graphique : Solène Bureau
Décor : 21 millimètres
Transcript
00:00 Bonjour à toutes et tous, vous êtes bien à Mediapart et aujourd'hui nous allons parler
00:19 de travail.
00:20 Pas d'emploi, pas de chômage, pas de retraite, pas de salaire, mais de travail.
00:26 On va voir ce que ça veut dire.
00:27 Et pour cela, on a monté un dispositif un peu spécial.
00:31 Nous avons organisé trois émissions sur le thème du travail en partenariat avec le
00:35 magazine spécialisé Santé et Travail.
00:38 Je suis Dan Israel et je présenterai ces émissions avec mon collègue et rédacteur
00:42 en chef de Santé et Travail, François Derriot.
00:44 Bonjour François.
00:45 Pour cette première émission, on fait le constat que le travail est abîmé avec nos
00:49 invités.
00:50 Je te cède la parole François pour les présenter.
00:52 Peut-être avant de rentrer dans le vif du sujet, de vous présenter un chiffre qui résume
00:56 assez bien l'évolution des conditions de travail ces 30 ou 40 dernières années et
01:00 leur influence néfaste sur la santé des travailleurs, ce qui fait qu'on parle de
01:04 travail abîmé effectivement, c'est que 87% des 50 000 maladies professionnelles
01:09 qui sont reconnues chaque année sont ce qu'on appelle des troubles musculosquelétiques,
01:13 les fameux TMS, qui sont des pathologies de l'appareil ostéo-articulaire, c'est-à-dire
01:18 les articulations, les muscles, les tendons et les os.
01:21 On appelle ça aussi la maladie des gestes répétitifs effectués sous contrainte de
01:25 temps.
01:26 Une seconde caractéristique de cette évolution, c'est l'explosion des risques psychosociaux,
01:31 les RPS, deuxième acronyme.
01:32 Alors on en compte beaucoup moins, environ 1 600 maladies professionnelles d'origine
01:37 psychique sont reconnues chaque année, mais c'est une particularité du système, il
01:41 y a près de 30 000 accidents du travail qui ont comme origine un problème de santé
01:45 psychique et qui sont reconnus.
01:47 Ce fléau a pris une importance extrêmement importante et on peut dire qu'au-delà de
01:53 la question des suicides qu'on a vu au tournant des années 2000-2010 avec par exemple l'affaire
01:58 France Télécom, la souffrance au travail, le mal-être, c'est un fait marquant de l'évolution
02:03 des conditions de travail de ces dernières décennies avec des méthodes de management,
02:07 des contraintes de l'organisation du travail et peut-être une perte de sens du travail,
02:11 mais on en reviendra un peu plus longuement.
02:13 Et on va parler de tout ça avec nos trois invités.
02:15 Donc bonjour Coralie Pérez, vous êtes socio-économiste, ingénieur de recherche à l'université Panthéon-Sorbonne,
02:22 travail 1, vous avez collaboré avec la Dares au ministère du Travail, la direction des
02:26 services statistiques, notamment dans l'exploitation des données de l'enquête nationale conditions
02:31 de travail et vous avez publié en 2022 avec Thomas Coutereau l'ouvrage "Redonner du sens
02:36 au travail, une aspiration révolutionnaire" paru aux éditions du Seuil.
02:40 Bonjour François Cochet, vous êtes expert habilité auprès des CSE, des comités sociaux
02:46 et économiques, directeur des activités santé et travail du cabinet CQFI-Alpha, vous
02:51 êtes également président de la fédération des intervenants en prévention des risques
02:55 psychosociaux, la FIRPS, et enfin pour que ce soit transparent, vous êtes aussi membre
02:58 du comité de rédaction du magazine Santé et Travail, donc on se connaît bien.
03:02 Bonjour Catherine Deligoulet, vous êtes ergonome, professeur du CNAM comme on dit, vous êtes
03:07 titulaire de la chaire d'ergonomie et vous dirigez le CREAP, le centre de recherche sur
03:12 l'expérience et l'âge des populations au travail.
03:15 Vous avez participé, tout comme Coralie Pérez d'ailleurs, à l'ouvrage collectif "Que
03:19 sait-on du travail" publié tout récemment aux presses de Sciences Po en partenariat
03:22 avec le journal Le Monde.
03:24 Alors on commence avec vous Coralie Pérez, est-ce que vous partagez le constat que je
03:29 faisais sur l'introduction, sur les conséquences de l'évolution des conditions de travail
03:32 ces 30 dernières années, l'épidémie de TMS, de RPS, et comment vous l'expliquez ?
03:37 Tout d'abord, on peut faire le constat que les contraintes physiques du travail n'ont
03:44 pas disparu.
03:45 On aurait pu penser avec les innovations technologiques qu'on aurait éradiqué l'effort
03:50 physique au travail, ça n'est pas le cas.
03:52 Donc qu'est-ce qu'on appelle les contraintes physiques ? C'est rester longtemps debout,
03:56 c'est le port de charges lourdes, c'est se déplacer à pied longuement pendant le
04:03 travail.
04:04 Et il y a encore un tiers des salariés qui cumulent au moins trois de ces contraintes
04:09 physiques.
04:10 Elles sont même augmentées pour certains salariés, notamment les ouvriers et les employés
04:15 des services, qui sont par ailleurs les catégories les plus exposées.
04:19 Donc le travail reste pénible pour beaucoup de salariés.
04:24 La deuxième caractéristique peut-être de l'évolution des conditions de travail,
04:28 c'est ce qu'on appelle, d'un point de vue générique, l'intensification du travail.
04:32 Donc qu'est-ce que ça signifie ? Ça signifie que les contraintes de rythme de travail aussi
04:38 se sont accrues.
04:39 Alors c'est travailler sous le rythme dicté par une machine, devoir respecter des normes
04:46 et des délais.
04:47 C'est aussi devoir répondre à une demande extérieure, alors ça peut être le client
04:50 ou ça peut être le service interne d'une entreprise, avec l'obligation de répondre
04:55 dans un temps limité.
04:57 Alors une illustration, par exemple les conseillers bancaires, avant recevait leurs clients dans
05:03 leur bureau, depuis ils doivent non seulement recevoir les clients dans le bureau mais aussi
05:08 répondre aux questions qu'adressent les clients via les chats ou les messageries ou le téléphone.
05:14 Et évidemment, ils doivent répondre dans un délai qui est fixé par leur management,
05:19 par exemple 24 heures pour répondre aux mails reçus dans la journée.
05:24 Donc quelle est la conséquence en fait de ces contraintes de rythme de travail ?
05:28 Ça donne le sentiment aux salariés, plus qu'avant, de devoir travailler dans l'urgence,
05:34 de devoir finalement abandonner une tâche pour en faire une autre.
05:38 Donc il y a un tiers des salariés qui disent travailler sous pression et c'est près
05:43 d'un cadre sur deux.
05:44 Alors une fois qu'on a évoqué ces contraintes, on pourrait penser que les salariés aujourd'hui
05:51 ont davantage d'autonomie, davantage de marge de manœuvre pour répondre à ces exigences
05:56 liées à la production et à l'organisation du travail.
05:58 Et bien finalement ce n'est pas le cas.
06:01 L'autonomie et les marges de manœuvre ont diminué entre la fin des années 90 et 2013-2016.
06:09 Elles se sont stabilisées depuis.
06:12 Cette diminution, elle a surtout concerné les cadres et professions intermédiaires.
06:16 Alors certes, ils ont davantage de marge de manœuvre que les employés et les ouvriers,
06:21 mais ils ont perdu en autonomie et en marge de manœuvre ces dernières décennies.
06:27 Donc plus de contraintes et finalement moins de latitude pour pouvoir y faire face tendanciellement.
06:33 Et vous parlez des cadres et des employés, mais on se pose la question aussi sur est-ce
06:37 que c'est la même chose dans le secteur privé et dans la fonction publique, les services
06:41 publics ? C'est des choses qu'on retrouve partout ?
06:43 Alors ce sont des choses qu'on retrouve partout, même peut-être davantage dans la
06:46 fonction publique hospitalière où on constate effectivement que les salariés de la fonction
06:52 publique hospitalière sont davantage exposés aux contraintes de rythme de travail notamment.
06:58 J'ai juste une question sur comment est-ce qu'on mesure ça ? Est-ce qu'on vous donne
07:01 des éléments ? Alors effectivement, toutes ces statistiques
07:04 en fait, elles émanent des enquêtes conditions de travail.
07:08 Alors peut-être on peut dire que c'est la grande enquête du système statistique
07:11 français qui depuis 1978 documente les conditions de travail des personnes en emploi en France.
07:18 Et d'ailleurs, la Dares, le service statistique du ministère du Travail, a publié récemment
07:23 en fait une rétrospective ce 35 ans des principaux indicateurs de conditions de travail en accès
07:28 sur le site du ministère.
07:30 François Cochet, vous êtes expert auprès des CSE, vous intervenez dans les instances
07:35 représentatives du personnel.
07:37 Comment est-ce que vous réagissez à ce constat que j'imagine que vous connaissez, mais
07:41 c'est quand même assez accablant.
07:42 Les CSE font appel à nos services quand il y a des changements importants d'organisation.
07:47 La loi le leur permet, ou bien quand ils considèrent qu'il y a un risque grave pour le travail.
07:52 Donc on est un petit peu quand même orienté vers les situations de bouleversement ou les
07:56 situations qui ne vont pas très bien.
07:58 Donc de ce point de vue-là, évidemment, on peut partager ce constat.
08:01 Moi, je voulais apporter peut-être un complément plus qualitatif parce que comme je fais ce
08:07 métier depuis très longtemps, j'ai le privilège d'avoir passé, j'ai fait des milliers
08:12 d'entretiens avec des salariés sur leur travail.
08:15 Et le plus étonnant, c'est que, je ne sais pas, une proportion, mais très élevée
08:19 d'entre eux, en fin d'entretien, font une remarque du style "c'est la première
08:24 fois qu'on s'intéresse à mon travail".
08:26 Alors pourquoi ? Parce qu'on ne leur demande pas s'ils ont un emploi, leurs horaires,
08:29 leur salaire.
08:30 On leur demande de quoi ils sont fiers, de quoi ils ont honte.
08:33 Qu'est-ce qui leur fait peur ? Qu'est-ce qui leur fait plaisir ? Qu'est-ce qui
08:37 est facile ? Qu'est-ce qui est difficile ? Comment il faut alterner des tâches faciles
08:41 et difficiles pour trouver un équilibre ? Qu'est-ce qui donne du sens à leur travail ? Et ce
08:44 type de questionnement, c'est notre métier, et bien, ils sont très surpris, la plupart
08:49 du temps, parce qu'ils n'y ont jamais été confrontés.
08:52 Alors, c'est une confrontation parfois éprouvante pour eux, mais à 99 %, ils expriment à
09:00 la fin une satisfaction de cet échange et la rareté de cet échange.
09:04 Et le plus dramatique, c'est que j'ai eu souvent des réactions sur des gens dont
09:07 le poste était supprimé, c'est-à-dire c'est la veille du jour où ils vont arrêter
09:11 de travailler qu'on leur demande ce qu'est leur travail.
09:14 Ce qui est quand même terrible.
09:15 Donc, ce désintérêt du travail est la première cause du problème, parce que ce qu'on vient
09:19 d'évoquer, c'est les conséquences.
09:22 Les gens sont malades, ils ne vont pas bien, il y a des enquêtes qui ont bien documenté
09:26 tout ça, c'est de la daresse en particulier.
09:27 Mais il y a cette ignorance du travail.
09:32 Et puis le paradoxe, c'est que quand on s'intéresse à leur travail, c'est parfois
09:37 pire, parce qu'on ne le fait pas bien.
09:39 C'est-à-dire que ceux qui s'intéressent à leur travail, c'est les compteurs de
09:41 gestion, c'est ceux qui veulent chercher comment gagner du temps et qui examinent leur
09:47 travail, d'abord en non spécialiste, c'est le moins qu'on puisse dire, et de façon
09:52 complètement...
09:53 C'est comme s'ils parlaient une autre langue, complètement décalé par rapport au contenu
09:58 réel de leur travail.
09:59 Et de ce point de vue-là, ça se traduit, et ça rajoute une pénibilité, par le fait
10:03 que des gens qui ont un métier, qui savent travailler, eh bien il y a plein de gens dans
10:08 les entreprises qui leur expliquent comment ils doivent travailler, à rebours de ce qui
10:12 est pour eux bien travailler.
10:13 Et puis il y a une autre cohorte qui mesure leur travail pour leur redire, attention,
10:18 2 % de plus, 3 % de moins, etc.
10:21 Si bien qu'il y a des entreprises, on se demande s'il n'y a pas plus de gens qui
10:25 s'intéressent au travail, mais de la mauvaise façon, que de gens qui travaillent.
10:28 Et ça, c'est insupportable pour les salariés.
10:32 Alors il y a un premier bionnette que j'aime bien, que je cite régulièrement, c'est
10:37 "tu ne vas pas apprendre à ta mère à faire des enfants".
10:40 Bon, eh bien le nombre de gens dans les entreprises qui sont confrontés à cette situation de
10:44 la mère à qui son fils apprend à faire des enfants, c'est ça, le réel du travail.
10:49 Et c'est une vraie souffrance, c'est insupportable.
10:51 Et c'est ce qui fait qu'au bout d'un moment, les gens ne veulent plus même parler de leur
10:56 travail.
10:57 Ils se referment, parce que quand ils en parlent, ça se passe mal.
10:59 Donc parler du travail, c'est indispensable, mais c'est très compliqué.
11:04 Justement, les assises du travail qui se sont déroulées en avril 2023, donc l'année
11:11 dernière, dans le cadre du Conseil national de la refondation, ont recommandé d'inscrire
11:16 dans le Code du travail ce qu'on appelle un dixième principe général de prévention,
11:20 qui est, donc je donne le nom de l'article, le L41-21-2 du Code du travail, que les préventeurs
11:26 connaissent bien, qui dit "écouter les travailleurs sur la technique, l'organisation du travail,
11:31 les conditions de travail et les relations sociales".
11:33 Un, qu'est-ce que vous pensez de cette recommandation ? Et deux, est-ce que c'est si facile que
11:37 ça de donner la parole au travaileur ?
11:40 Alors, c'est une excellente recommandation, parce qu'elle s'appuie sur quelque chose
11:44 de robuste, qui sont les neuf principes de prévention, et qui s'est exprimé de façon
11:47 simple.
11:48 Parce que les réformes du Code du travail, qui sont toujours dans le sens de la réduction
11:54 des droits et de l'augmentation de la complexité, ça a vraiment, on ne peut pas dire, amélioré
11:59 la situation du travail en France aujourd'hui.
12:01 Cette proposition, je la trouve remarquable par sa simplicité.
12:04 Et alors, le plus étonnant, c'est que quand elle a été inscrite dans l'avis du Conseil
12:11 économique, social et environnemental, cet avis a été voté à l'unanimité.
12:14 Donc, le patronat, tout le monde a soutenu cette excellente proposition.
12:19 La question ensuite, c'est la mise en œuvre, qui est plus compliquée.
12:22 Voilà.
12:23 Parce qu'il y a des tas de difficultés.
12:25 Il y a déjà eu des précédents, souvenons-nous.
12:28 Les lois Oru, en 1982, ont voulu justement inscrire le droit d'expression des salariés
12:34 sur les conditions de travail, sur leurs conditions de travail.
12:37 On ne peut pas dire que ce soit très très bien passé.
12:38 Ça n'a pas donné beaucoup de résultats.
12:41 Alors, moi, je suis un peu réservé sur cette proposition.
12:43 Du moins, j'ai mon explication pour pourquoi ça n'a pas marché.
12:45 C'est que c'était à côté du travail.
12:48 On s'arrête de travailler pendant une heure par mois, et puis on va s'exprimer.
12:51 Ce n'est pas ça l'expression sur le travail.
12:53 C'est au sein du travail qu'on doit s'exprimer.
12:54 C'est dans les réunions d'équipe, c'est quand on est confronté à une difficulté,
12:58 c'est quand on a évité un accident.
12:59 Là, il faut s'arrêter pour comprendre pourquoi on a réussi à éviter un accident,
13:02 un incident, une difficulté.
13:03 Là, c'est essentiel de parler du travail.
13:05 Ça fait progresser tout le monde.
13:06 Évidemment que s'il y a un accident, il faut aussi s'arrêter et comprendre.
13:09 Donc, ce n'est pas à côté du travail qu'il faut parler du travail.
13:13 C'est dans le travail.
13:14 Et pour moi, c'est...
13:16 Enfin, mon analyse sur pourquoi cette proposition n'a jamais mordu.
13:19 Il ne s'agit pas juste d'asseoir les gens, de leur donner la parole pendant un temps limité
13:23 et de leur garantir que rien ne sera retenu contre eux.
13:25 Il faut aller un peu plus loin.
13:27 Quand pendant des années, on n'a pas fait cet exercice, c'est impossible.
13:32 Les gens ne savent plus parler de leur travail,
13:34 tellement ils ne l'ont pas fait pendant des années.
13:36 Donc, il faut aider à formaliser, il faut aider...
13:39 Il faut des méthodes, il faut des essais, des erreurs,
13:42 les corriger en accompagnement.
13:43 C'est assez compliqué, mais ça doit d'abord être le rôle du manager,
13:48 d'arriver dans une équipe, de favoriser l'expression sur le travail.
13:52 Et donc, lui, il doit savoir écouter les travailleurs.
13:54 C'est pour moi la première formation à leur donner.
13:56 - Catherine Delgoulet, vous voulez en chérir ?
13:59 - Je voulais juste peut-être compléter en disant qu'effectivement,
14:02 il faut savoir quelles seront les issues de ces discussions
14:07 et de ces débats sur le travail.
14:08 Parce que si c'est débattre pour débattre et puis redébattre ensuite,
14:12 au bout d'un moment, on s'épuise et on installe ce qu'on appelle le silence organisationnel,
14:16 mais qui n'avance pas et qui ajoute de la pénibilité autre que celle qu'il y a.
14:24 - On entend ça dans les enquêtes à l'avisin.
14:27 - On partage complètement.
14:29 - C'est-à-dire que les gens vont causer, on va leur demander leur avis,
14:31 mais surtout, c'est juste pour qu'ils causent et on ne va pas tellement en tenir compte.
14:34 - Et c'est parfois très institutionnel.
14:36 Tous les matins, vous avez cinq minutes pour dire ce que vous pensez.
14:38 Vous n'avez rien à dire aujourd'hui, ça ne va pas du tout.
14:40 Donc non, effectivement, quand c'est codifié, réglementé et tout,
14:44 ça n'obtient aucun résultat.
14:46 De même qu'une réunion d'équipe, par exemple, ne doit pas avoir une butée.
14:50 Parce que très souvent, si on a prévu l'affaire de 9h à 10h,
14:54 c'est à 10h moins 5 que ça devient intéressant.
14:56 Donc si le manager n'a pas une latitude pour dire "allons-y, on continue",
15:00 si à 10h, on doit s'arrêter, ça ne marchera jamais.
15:03 - Catherine, si je pouvais, vous parliez de silence organisationnel.
15:06 Qu'est-ce que ça veut dire ?
15:07 Ça veut dire que quand on voit qu'on a pris la parole et ça n'a servi à rien,
15:11 on se tait ou c'est autre chose ?
15:13 - Oui, effectivement, c'est en partie ça.
15:15 C'est-à-dire qu'au bout d'un moment,
15:17 quand on voit que les réflexions qu'on a construites ensemble,
15:23 collectivement, n'aboutissent pas,
15:25 qu'elles ne permettent pas de faire changer les choses,
15:27 on s'épuise et on se résigne, finalement.
15:33 C'est une forme de résignation, aussi.
15:35 - J'ai un petit... Allez-y.
15:37 - Parmi les raisons qui font que les gens ne veulent pas s'exprimer,
15:40 c'est non seulement que souvent ça ne servit à rien,
15:42 mais que parfois, ça s'est retourné contre eux.
15:44 Donc quand on leur demande comment mieux travailler
15:47 et que derrière, on réduit les temps qui leur sont alloués,
15:49 évidemment, le coup d'après, c'est...
15:51 Ils ne diront plus rien.
15:52 Et c'est juste raisonnable, de leur part.
15:54 Voilà, donc ça demande aussi un système
15:58 où il y a un minimum de confiance, sinon ça ne fonctionnera pas.
16:01 Alors, vous avez bien fait de rappeler ce point,
16:03 c'est juste que, comme nous, c'est plutôt les syndicats
16:05 qui demandent d'intervenir.
16:06 On est des privilégiés, parce que les gens nous disent
16:08 beaucoup plus de choses qu'ils n'en disent à d'autres.
16:10 Du coup, j'ai tendance à oublier cette excellente réserve
16:12 que vous avez formulée.
16:14 Ce que je voulais rabondir, c'est ce qu'on voulait parler
16:16 avec vous, Catherine Delgoulet, vous êtes ergonome,
16:18 professeure du CNAM, on voulait parler
16:20 des conséquences prévisibles de la réforme des retraites.
16:22 Parce qu'à un moment où, finalement,
16:24 l'expression sur le travail a explosé,
16:26 c'est les six mois de contestations,
16:28 de manifestations
16:30 contre la réforme des retraites,
16:32 le premier semestre 2023.
16:34 C'est vrai qu'on se dit, ce qu'on a beaucoup entendu,
16:36 c'est "Moi, je travaille déjà beaucoup,
16:38 "mes relations de travail sont très pénibles, c'est très difficile,
16:40 "je ne veux pas travailler deux ans de plus."
16:42 C'est un peu ça qu'on avait envie de voir avec vous.
16:44 On a retenu un chiffre qui est intéressant,
16:46 donc je lis.
16:48 Il y a une étude de l'Observatoire Everest,
16:50 donc Évolution et relations de santé au travail,
16:52 qui a interrogé 2000 salariés
16:54 de plus de 45 ans.
16:56 Pour la moitié des ouvriers
16:58 et des employés qui ont
17:00 plus de 60 ans, ils doutent
17:02 que leur état de santé leur permette même
17:04 de poursuivre le travail actuel.
17:06 On a l'impression que
17:08 ça va mal se passer.
17:10 Est-ce qu'on peut déjà dire ça ?
17:12 Ou est-ce que c'est des craintes ?
17:14 Comment vous voyez ces émotions ?
17:16 - Oui, c'est sûr.
17:18 On peut dire, sans prendre
17:20 beaucoup de risques, que effectivement,
17:22 si rien ne change
17:24 du point de vue du travail, d'une part,
17:26 mais aussi de la formation professionnelle,
17:28 bien, effectivement, ça va être compliqué.
17:30 C'est déjà compliqué
17:32 pour un certain nombre de personnes,
17:34 on le sait,
17:36 et ça va l'être d'autant plus
17:38 avec ces deux ans de plus.
17:40 Pour compléter peut-être les chiffres
17:42 que vous avez donnés,
17:44 l'enquête "Conditions de travail"
17:46 dont on a déjà parlé,
17:48 souligne en 2019
17:50 que 57% des personnes
17:52 interrogées pensent
17:54 ne pas être en capacité
17:56 de poursuivre leur travail jusqu'à la retraite,
17:58 et on va jusqu'à
18:00 plus de 60% des employés
18:02 du secteur des services,
18:04 mais aussi plus de 50% des ouvriers.
18:06 Donc ça, c'est un point
18:08 avéré, et donc ça veut dire qu'un certain
18:10 nombre de personnes se posent
18:12 des vraies questions sur
18:14 leur travail et la possibilité dont
18:16 celui-ci leur permettra
18:18 de se maintenir jusqu'à la retraite.
18:20 Ensuite, il y a un certain nombre de données
18:22 que l'on a déjà et qui sont
18:24 des enseignements que l'on
18:26 a puisés dans
18:28 les précédentes réformes, et notamment
18:30 celle de 2010,
18:32 qui nous a
18:34 passé de 60 ans
18:36 à 62 ans,
18:38 et dans les travaux qui ont
18:40 suivi, justement, cette réforme,
18:42 certains travaux ont montré que
18:44 effectivement, il y avait eu un réel
18:46 report de l'âge effectif
18:48 de prise de la retraite,
18:50 qu'il y avait aussi eu une augmentation
18:52 du taux d'activité
18:54 des plus de 60 ans,
18:56 mais également, tout récemment, en 2023,
18:58 des collègues du Centre d'études
19:00 de l'Emploi et du Travail ont montré
19:02 que, à partir
19:04 de données à la fois de la Caisse d'Assurance
19:06 Maladie, mais aussi de la Caisse d'Assurance
19:08 Vieillette, que les absences
19:10 en fin de carrière
19:12 avaient aussi fortement
19:14 augmenté, et que ces absences
19:16 avaient un surcoût
19:18 non négligeable
19:20 de 68 millions d'euros.
19:22 Donc, voilà, c'est des questions qui
19:24 effectivement sont
19:26 importantes, et puis, comme vous le dites,
19:28 ces craintes, on les a entendues
19:30 dans les débats
19:32 et les discussions
19:34 en lien avec la réforme des retraites,
19:36 on les entend aujourd'hui
19:38 auprès des employeurs, mais aussi des
19:40 acteurs de la santé au travail, parce que
19:42 depuis septembre,
19:44 en tant que directrice du
19:46 Groupement d'intérêt scientifique
19:48 sur les questions d'âge au travail,
19:50 on est régulièrement sollicité
19:52 par des directions des ressources
19:54 humaines, par des
19:56 cellules de prospective
19:58 qui se disent "la question du vieillissement au travail
20:00 est une question de prospective pour nous".
20:02 Donc, voilà, il y a des
20:04 craintes aussi, du point
20:06 de vue des employeurs, et puis
20:08 effectivement aussi du côté des acteurs de la santé,
20:10 notamment des médecins du travail,
20:12 et bien eux sont très inquiets par
20:14 la probable
20:16 augmentation des inaptitudes
20:18 et potentiellement derrière des dissenciements.
20:20 - Est-ce que vous annoncez
20:22 comme le fait que plus de gens
20:24 âgés s'arrêtent, ça ne va pas se régler
20:26 avec le contrôle sur les arrêts maladie ?
20:28 Ça va être un peu plus compliqué que ça ?
20:30 - Oui, effectivement, parce que
20:32 ces personnes-là,
20:34 pour la grande majorité,
20:36 sont vraiment malades,
20:38 et donc ce sont des
20:40 vraies alleries.
20:42 Il y en a des plus ou moins longs,
20:44 mais effectivement un certain nombre sont longs,
20:46 et donc ne pourront pas être
20:48 réglés juste par un contrôle
20:50 plus important.
20:52 - On revient à vous, Coralie Pérez,
20:54 et on en vient au cœur
20:56 de votre ouvrage
20:58 avec Thomas Coutereau,
21:00 "Rendonner du sens au travail, une idée révolutionnaire".
21:02 Comment ça se manifeste,
21:04 cette perte de sens du travail ?
21:06 On en parle beaucoup, mais c'est un peu
21:08 pas à dire mystérieux,
21:10 mais qu'est-ce qu'il y a derrière la perte de sens ?
21:12 Comment ça se manifeste ?
21:14 Les gens s'en vont, la grande démission ?
21:16 Est-ce que vous pouvez
21:18 nous raconter tout ça,
21:20 nous préciser un peu tout ça ?
21:22 - Tout d'abord, j'aimerais dire que cette idée de travailler sur le sens du travail,
21:24 elle provient d'entretiens
21:26 qu'on avait eus avec des salariés,
21:28 qui parlaient de leur travail,
21:30 et qui souvent disaient ne plus trouver de sens,
21:32 particulièrement lorsqu'ils
21:34 travaillaient dans des organisations qui étaient en proie
21:36 à des restructurations financières,
21:38 des changements organisationnels
21:40 récurrents.
21:42 C'est bien là l'origine de notre
21:44 intérêt pour ce sujet, c'est d'essayer
21:46 finalement d'objectiver
21:48 ce sens du travail
21:50 et ce que fait la perte de sens
21:52 aux salariés.
21:54 Donc,
21:56 il y a différentes définitions
21:58 dans la littérature du sens du travail,
22:00 très peu en économie,
22:02 l'intérêt de notre discipline pour le sujet
22:04 est vraiment très très récent,
22:06 pas énormément non plus en sociologie,
22:08 mais en sciences de gestion, on trouve
22:10 pas mal d'articles sur le sens du travail,
22:12 en lien avec l'idée de comment
22:14 motiver davantage les salariés.
22:16 Nous, on est allés chercher du côté
22:18 des sciences du travail,
22:20 pour mettre finalement en valeur
22:22 la spécificité du travail comme activité
22:24 de transformation, transformation
22:26 du monde réel, naturel,
22:28 et donc ça a à voir avec la
22:30 première dimension qu'on retient du sens du travail,
22:32 c'est est-ce que finalement
22:34 je me sens utile aux autres, par mon travail,
22:36 quelles sont les finalités de mon travail.
22:38 La deuxième dimension,
22:40 c'est à voir avec
22:42 en travaillant,
22:44 on contribue à produire et reproduire
22:46 des normes professionnelles,
22:48 des normes éthiques,
22:50 donc est-ce que dans mon travail,
22:52 j'ai le sentiment de bien pouvoir l'effectuer
22:54 en cohérence avec mes normes
22:56 professionnelles, mes normes éthiques,
22:58 est-ce que je me reconnais dans ce que je fais,
23:00 donc ça c'est la deuxième dimension du sens du travail.
23:02 Et puis enfin,
23:04 en travaillant, on se transforme soi-même,
23:06 et c'est la capacité de développement.
23:08 Troisième dimension du sens du travail,
23:10 c'est est-ce que j'ai la capacité,
23:12 la possibilité de m'exprimer
23:14 dans mon travail, de pouvoir prendre
23:16 des initiatives, de me développer professionnellement.
23:18 Donc voilà nos trois dimensions
23:20 du sens, utilité sociale,
23:22 cohérence éthique et capacité de développement.
23:24 Et donc on est allé chercher dans l'enquête
23:26 conditions de travail, des questions
23:28 pour finalement documenter,
23:30 objectiver chacune de ces dimensions.
23:32 Et à partir de là,
23:34 on met en évidence, effectivement,
23:36 que lorsqu'on trouve
23:38 peu de sens à son travail,
23:40 plus probablement, on va déclarer
23:42 son travail insoutenable.
23:44 C'est-à-dire, on va déclarer,
23:46 plus probablement, ne pas se sentir en capacité
23:48 de tenir ce travail
23:50 jusqu'à la retraite.
23:52 Toute chose égale par ailleurs, c'est-à-dire quand on prend en compte
23:54 les autres conditions de travail.
23:56 Et c'est ce que j'aimerais aussi apporter
23:58 à la discussion. Bien sûr, il y a les risques de facteurs
24:00 psychosociaux,
24:02 mais le sens du travail
24:04 n'était pas vraiment pris en charge
24:06 jusque-là. Et on montre
24:08 que quand on prend en compte les autres
24:10 risques, les facteurs de risque
24:12 psychosociaux, le sens du travail
24:14 apporte une contribution
24:16 significative et explicative
24:18 au fait de
24:20 trouver son travail insoutenable, mais aussi
24:22 au fait de changer
24:24 d'emploi volontairement.
24:26 Quand on trouve peu de sens à son travail,
24:28 on a envie de...
24:30 on ressent le besoin de le quitter.
24:32 Et donc, ça accroît
24:34 les mobilités professionnelles.
24:36 D'ailleurs, on a vu, au sortir de la crise
24:38 sanitaire, un regain
24:40 de mobilité
24:42 des personnes qui ne sont
24:44 pas sorties du marché du travail,
24:46 mais qui ont souhaité finalement
24:48 échapper à des conditions de travail difficiles
24:50 en changeant d'emploi,
24:52 en changeant parfois de secteur.
24:54 Donc, on l'a vu
24:56 avec notamment les employés
24:58 de l'hôtellerie-restauration
25:00 qui ont pu aller dans d'autres
25:02 secteurs, comme les secteurs
25:04 de l'industrie, pour trouver
25:06 des horaires finalement davantage
25:08 compatibles avec leur vie familiale,
25:10 ou bien des infirmières
25:12 qui travaillent à l'hôpital public,
25:14 qui se mettent à leur compte
25:16 comme infirmières libérales, ou bien même
25:18 travail en intérim pour pouvoir davantage
25:20 décider de leur planning,
25:22 de l'organisation de leur travail.
25:24 Donc, trouver peu de sens
25:26 à son travail est corrélé aux mobilités,
25:28 est corrélé au fait de trouver son travail
25:30 insoutenable, est corrélé aussi
25:32 à l'absentéisme pour maladie.
25:34 Et ça, on le montre de manière
25:36 empirique. Si vous le permettez,
25:38 j'aimerais quand même insister sur un point
25:40 quand on parle effectivement
25:42 du vieillissement des
25:44 travailleurs, de comment finalement
25:46 peut-on faire en sorte
25:48 qu'ils restent en emploi.
25:50 Il y a quand même un facteur
25:52 essentiel qui est l'organisation
25:54 du travail. Et ça,
25:56 on en parle peu
25:58 dans les assises du travail,
26:00 on en parle peu dans le nouveau pacte
26:02 de l'avis au travail que promeut
26:04 le gouvernement. C'est vraiment
26:06 une dimension qui est assez
26:08 occultée, alors que nos travaux montrent
26:10 que l'organisation du travail,
26:12 notamment les changements
26:14 organisationnels permanents,
26:16 la fixation d'objectifs chiffrés,
26:18 tout ça,
26:20 finalement, sans informer
26:22 les salariés, sans les consulter,
26:24 sans qu'ils puissent finalement
26:26 donner leur avis, contribuer
26:28 à prendre des décisions
26:30 pour finalement
26:32 décider de ce qui concerne
26:34 leur travail, et bien à des effets
26:36 tout à fait délétères sur le sens
26:38 du travail et donc sur la santé au travail.
26:40 Je rebondis sur ce que vous venez de dire pour poser une question
26:42 à François Cochet. Je profite juste
26:44 pour dire qu'on a consacré une émission complète
26:46 à votre livre avec Thomas Coutereau, où vous avez reçu,
26:48 donc j'invite les gens qui nous regardent à l'écouter
26:50 encore plus longuement.
26:52 Ce qui est détaillé ici,
26:54 c'est ce que vous venez de dire,
26:56 on ne adroge pas les gens, on ne les fait pas parler,
26:58 c'est ce que vous disiez François Cochet.
27:00 C'est vrai que
27:02 la qualité de vie au travail,
27:04 c'est un concept qui date
27:06 maintenant au moins, en 2013,
27:08 il y a eu un accord national et non professionnel
27:10 signé par les partenaires sociaux,
27:12 syndicats, patronats, sous l'égide du gouvernement
27:14 qui a mis en avant ce concept
27:16 de qualité de vie au travail. Je ne sais pas
27:18 ce que ça a donné concrètement,
27:20 mais en tout cas, ça n'a pas
27:22 enrayé vraiment la montée des risques
27:24 psychosociaux et le fait qu'on en parle
27:26 beaucoup. Donc, j'ai posé cette question
27:28 un peu sur est-ce que ça sert à quelque chose, et puis j'ai une autre question
27:30 sur comment on organise
27:32 ces débats
27:34 dans le... On sait ce que vous disiez,
27:36 mais comment on organise ces débats ? Donc, à la fois,
27:38 est-ce qu'on peut écouter les salariés
27:40 et est-ce que ça fait partie de la qualité de vie au travail ?
27:42 Et puis, comment est-ce qu'on fait pour vraiment les écouter ?
27:44 - Ah non, ça fait beaucoup de...
27:46 - Tout à fait. - Beaucoup de sujets.
27:50 - Ecouter les salariés, c'est...
27:52 C'est très lent, parce que
27:54 ça renvoie aussi à qu'on soit à la confiance.
27:56 Donc, se lancer dans ces processus, c'est nécessaire.
27:58 Ça ne sera ni facile ni rapide.
28:00 Il va falloir des étapes,
28:02 faire ça progressivement,
28:04 et effectivement, s'assurer que les salariés
28:06 qui rentreraient dans cette démarche
28:08 en aient des retombées positives.
28:10 Éviter, évidemment, parce qu'une retombée négative
28:12 vaut plus que dix retombées positives.
28:14 Ils ont envie d'être...
28:16 Et je reviens aussi à la question des
28:18 salariés qui, en gros,
28:20 se sont dit "Tiens, on va faire deux ans de plus",
28:22 et à l'organisation du travail. C'est-à-dire que
28:24 les fins de carrière sont très, très mal gérées.
28:26 Moi, je... Parce que
28:28 c'est ce qui ressort de ce que j'entends
28:30 dans les entretiens avec les salariés. Moi, ça me fait penser à la...
28:32 Je crois que le TGV,
28:34 quand il arrive à Paris,
28:36 il coupe le moteur 30 ou 40 kilomètres
28:38 avant d'arriver, parce qu'il a une énergie telle
28:40 qu'il peut arriver jusqu'à la gare tranquillement.
28:42 Et il y a beaucoup de fins de carrière qui sont un peu comme ça.
28:44 Donc, les salariés se débranchent
28:46 eux-mêmes, mais personne ne s'en aperçoit.
28:48 Et ils se disent "J'en sais
28:50 assez,
28:52 j'ai des routines professionnelles qui marchent bien,
28:54 je vais pouvoir aller gentiment jusqu'à la retraite",
28:56 et personne ne s'aperçoit de leur désengagement
28:58 progressif. Et moi,
29:00 je ne sais pas combien de témoignages, avec la réforme des retraites,
29:02 des gens qui ont dit "On peut me rajouter six mois,
29:04 un an, un an et demi, je ne rallume
29:06 pas le moteur. C'est-à-dire qu'il faudra
29:08 que l'inertie m'amène un peu plus loin."
29:10 Alors, tout ce qu'a dit Catherine est tout à fait
29:12 réel sur la maladie, les... Voilà.
29:14 Et même ceux qui ne sont jamais malades
29:16 et qui sont au boulot, il y en a un certain nombre
29:18 qui sont en emploi,
29:20 mais qui ne sont plus au travail.
29:22 Ou de moins en moins. Et ça, on le voit tout le temps.
29:24 Alors, avec une bonne dose de...
29:26 L'appétit des seniors pour le télétravail,
29:28 en plus, ils ont un peu de place chez eux,
29:30 ils peuvent s'installer tranquillement dans la chambre des enfants
29:32 qui sont partis, etc., mais c'est la...
29:34 Voilà. Et les entreprises
29:36 ont constaté ça avec le Covid,
29:38 se sont immédiatement précipitées,
29:40 enfin, les directeurs financiers se sont précipités
29:42 sur "on va pouvoir réduire l'immobilier",
29:44 ça leur a fourni un nouveau champ pour s'exprimer
29:46 et réduire les coûts, et certains DRH
29:48 sont en panique complète en se disant
29:50 "mais on joue avec le feu".
29:52 On a beaucoup réduit les espaces de bureau,
29:54 on peut mettre 100, le fonds...
29:56 Il y a d'énormes contradictions, moi je les vois au sein
29:58 de certains comités de direction, le directeur financier
30:00 veut réduire les mètres carrés, et le DRH
30:02 ne sait plus comment faire revenir les salariés au travail
30:04 parce qu'il se rend bien compte que ça ne va pas marcher.
30:06 Et les directeurs de production,
30:08 ils voient aussi la productivité qui baisse tous les jours
30:10 en se demandant ce qui se passe.
30:12 Mais écoutons les travailleurs, on comprendra pourquoi
30:14 la productivité a un problème en France.
30:16 C'est flagrant.
30:18 On a beaucoup parlé de pénibilité,
30:20 la pénibilité, même si elle est plus large
30:22 que les travailleurs manuels, elle renvoie quand même un peu au corps,
30:24 mais la lassitude qui renvoie
30:26 à ce qui se passe dans la tête, elle est
30:28 immense à certains endroits, pas partout.
30:30 Je voudrais revenir avec vous, Coralie,
30:34 deux minutes, parce que quand on vous entend
30:36 sur la question du sens,
30:38 de la perte de sens, on comprend bien,
30:40 mais on se dit quand même, est-ce que ça ne touche pas davantage
30:42 soit les CSP++,
30:44 donc les gens qui ont un fort engagement,
30:46 un fort investissement dans leur travail
30:48 parce qu'ils y trouvent un énorme intérêt et que peut-être
30:50 ils en ont perdu, ou alors
30:52 les salariés ou les agents
30:54 qui sont dans le soin,
30:56 du côté du CARE, et qui n'ont plus
30:58 les moyens de faire un travail de qualité,
31:00 mais pour qui ça a effectivement
31:02 une résonance forte, et donc eux,
31:04 ils ne peuvent pas être fiers dans leur travail.
31:06 Au salarié des maisons de retraite, c'est clair
31:08 que vu les conditions de travail dans les maisons
31:10 de retraite, la maltraitance qui est quasi
31:12 organisée, on peut comprendre qu'il y a
31:14 une perte de sens. Est-ce que ça touche
31:16 plus ces catégories, ou est-ce que c'est un phénomène
31:18 général qu'on retrouve dans le privé, etc.
31:20 Ça, c'est ma première question.
31:22 Et puis, la deuxième,
31:24 la question du désengagement
31:26 dont vous parliez tout à l'heure, ou de la
31:28 grande démission, est-ce que c'est pas aussi
31:30 d'abord une question de salaire, tout simplement, de salaire
31:32 plus faible ?
31:34 Alors, sur la première question,
31:36 nous, ce qu'on constate, c'est que
31:38 effectivement,
31:40 les cadres trouvent en moyenne davantage
31:42 de sens à leur travail que
31:44 les ouvriers, mais pour
31:46 autant, face à une perte de sens du travail,
31:48 les ouvriers en souffrent
31:50 tout autant que les cadres, et ça, on le mesure
31:52 par, finalement, le déclenchement
31:54 d'un syndrome dépressif.
31:56 On voit que, et bien,
31:58 ça provoque, finalement, cette entrée en dépression
32:00 dans la même ampleur pour les ouvriers
32:02 que pour les cadres. Par ailleurs,
32:04 effectivement, il y a des caractéristiques
32:06 liées au travail
32:08 qui influent sur le sens.
32:10 On trouve davantage de sens à son travail
32:12 quand on travaille en contact avec
32:14 le public.
32:16 Pour autant,
32:18 on se sent davantage utile,
32:20 c'est comme ça qu'on l'explique.
32:22 L'utilité sociale, je dirais, elle est presque naturelle.
32:24 Elle est presque naturelle. Pas consubstantielle
32:26 au métier. Tout à fait.
32:28 Pour autant, elle ne suffit pas à faire tenir
32:30 le sens. En effet, les personnes
32:32 qui travaillent en contact avec le public
32:34 sont aussi davantage exposées
32:36 à des conflits éthiques.
32:38 C'est-à-dire, quand ils ne sont
32:40 pas en capacité de pouvoir
32:42 bien faire leur travail
32:44 parce que leur organisation ne leur en donne pas
32:46 les moyens, eh bien, ils souffrent
32:48 davantage que les autres parce qu'ils ont
32:50 les usagers
32:52 en face d'eux.
32:54 Et ça, c'est le cas, effectivement, des professions du soin,
32:56 mais c'est aussi le cas des enseignants
32:58 de ce point de vue.
33:00 Donc, les métiers
33:02 qui trouvent davantage de sens
33:04 à leur travail que les autres ne sont pas
33:06 que des professions qualifiées,
33:08 prestigieuses.
33:10 Ça, ça touche toutes les professions.
33:12 Alors, par rapport
33:14 à la rémunération, on met en évidence
33:16 un résultat intéressant
33:18 par rapport à la mobilité.
33:20 Donc, je vous l'ai dit,
33:22 trouver peu de sens à son travail
33:24 conduit plus probablement
33:26 à quitter son emploi, à autres caractéristiques
33:28 du poste
33:30 de travail,
33:32 alors qu'avoir le sentiment d'être mal rémunéré
33:34 n'a pas d'impact significatif
33:36 sur la mobilité.
33:38 Alors, ça ne signifie pas que le salaire
33:40 n'est pas important, mais en tout cas,
33:42 c'est pas l'élément
33:44 qui déclenche une
33:46 mobilité.
33:48 Et ce qu'on a vu, notamment,
33:50 avec le Ségur de la santé,
33:52 c'est que, finalement,
33:54 une prime supplémentaire
33:56 ne permet pas
33:58 de compenser sur la durée
34:00 le fait
34:02 d'exercer un travail
34:04 qui fait peu de sens.
34:06 Finalement, ça attaque la santé
34:08 et ça, financièrement,
34:10 ça n'est pas possible
34:12 de le compenser longtemps.
34:14 J'ai une question
34:16 sur la question de la santé, évidemment, pour Catherine Delgoulet.
34:18 On a parlé de mobilité professionnelle,
34:20 mais on a aussi beaucoup de gens
34:22 qui ne sont ni en emploi, ni en retraite
34:24 à partir d'un certain âge.
34:26 On entend beaucoup, évidemment, qu'il y a des questions de pénibilité,
34:28 des questions de salaire de sens, mais pas seulement.
34:30 Donc là,
34:32 selon l'INSEE, 45 % de ces gens
34:34 qui ne sont ni en emploi, ni en retraite,
34:36 qui ont dépassé les 60 ans,
34:38 les 55 ans,
34:40 le sont pour des raisons de santé,
34:42 de handicap.
34:44 Les deux tiers d'entre eux déclarent avoir
34:46 une maladie ou un problème de santé chronique ou durable.
34:48 C'est tous ces gens qui disent, en quelque sorte,
34:50 "Je ne peux plus travailler
34:52 et je ne peux pas encore prendre ma retraite parce que je n'ai pas rempli les conditions."
34:54 - C'est ça. - Donc, ce sont
34:56 les "ni en emploi, ni en retraite" qu'on qualifie
34:58 de "nerfs". C'est pas très beau.
35:00 Ces questions, évidemment, les problèmes de santé,
35:04 ils découlent, ils peuvent découler des conditions de travail,
35:08 des expositions professionnelles.
35:10 Et est-ce qu'il n'y aurait pas une question de prévention,
35:12 tout simplement ? Est-ce que pour éviter ces situations
35:14 qui sont à la fois
35:16 très difficiles humainement,
35:18 qui coûtent de l'argent,
35:20 qui influent sur un taux d'emploi de seigneur
35:22 qui est très bas, est-ce que la prévention de ces questions,
35:24 de la pénibilité du travail,
35:26 ne devrait pas être mieux prise en compte en amont
35:28 pour qu'il y ait moins de gens qui se retrouvent dans des situations
35:30 impossibles avant de pouvoir prendre une retraite ?
35:32 Oui, effectivement.
35:34 Cette question-là, c'est à la fois
35:36 une question de...
35:38 potentiellement de meilleure
35:40 reconnaissance des pénibilités
35:42 dans leur diversité.
35:44 Parce qu'aujourd'hui, le dispositif
35:46 qui permet de reconnaître ces pénibilités
35:48 est un dispositif qui s'appelle
35:50 le Compte Personnel
35:52 de Prévention, le CDP,
35:54 et bien, est seulement
35:56 et essentiellement axé sur des dimensions
35:58 physiques, fortes,
36:00 d'horaire aussi, très
36:02 exigeants, et puis aussi
36:04 des dimensions environnementales
36:06 de bruit, notamment,
36:08 très fortes aussi.
36:10 Et donc laisse de côté
36:12 tout un tas de métiers,
36:14 d'activités qui ne rentrent
36:16 pas dans ces critères
36:18 et dans ces seuils
36:20 et ces durées tels qu'elles ont été
36:22 définis par la réglementation.
36:24 Et puis, effectivement,
36:26 c'est une question aussi de politique
36:28 et de système de prévention, parce que
36:30 aujourd'hui, quand on regarde
36:32 un peu comment est organisée la prévention,
36:34 on a
36:36 quatre, me semble-t-il,
36:38 quatre grandes façons de faire
36:40 de la prévention. On a
36:42 la première, de la prévention qui vise à réparer,
36:44 c'est-à-dire reconnaître
36:46 effectivement les dégâts
36:48 occasionnés par le travail,
36:50 et donc là, on médicalise, finalement,
36:52 la prévention en
36:54 accordant
36:56 et en
36:58 donnant des inaptitudes.
37:00 Deuxième type
37:02 de système de prévention,
37:04 c'est ce qui relève, finalement,
37:06 de la compensation,
37:08 et donc là, eh bien, on compense
37:10 effectivement des contraintes
37:12 par un certain nombre,
37:14 alors par une prime,
37:16 par aussi des points
37:18 dans le cadre de ce fameux compte
37:20 de prévention de la pénibilité.
37:22 Et puis,
37:24 autre façon
37:26 de prévenir, c'est tout ce qui
37:28 relève à l'augmentation, c'est-à-dire
37:30 qu'on augmente l'humain,
37:32 alors souvent avec des assistantes
37:34 techniques et technologiques
37:36 qui permettent de faire de la manutention
37:38 avec des systèmes mécanisés
37:40 qui permettent,
37:42 on entend beaucoup parler des exosquelettes
37:44 aussi, aujourd'hui, donc voilà,
37:46 c'est une autre manière de
37:48 penser la prévention. Et puis enfin, c'est ce qui
37:50 relève de la substitution, c'est ce qui est le plus
37:52 fréquent, c'est-à-dire que soit
37:54 on automatise, soit on externalise,
37:56 soit on délocalise, soit on remplace
37:58 les plus âgés par
38:00 les plus jeunes, mais au risque
38:02 effectivement d'user prématurément
38:04 ces plus jeunes. Donc,
38:06 ces différentes, finalement,
38:08 palettes de systèmes
38:10 de prévention, aujourd'hui, montrent
38:12 à la fois leurs
38:14 limites dans le fait
38:16 que, comme le rappelait tout à l'heure
38:18 François Derriot, eh bien les trous
38:20 musculosquelettiques, les RPS
38:22 sont bien là et depuis très
38:24 longtemps et on n'arrive pas à avancer
38:26 sur ces questions-là. Et donc, on voit
38:28 bien qu'aujourd'hui, ces dispositifs
38:30 de prévention qui sont
38:32 basés sur les personnes
38:34 âgées ou sur des solutions techniques
38:36 ne permettent pas, effectivement,
38:38 de régler ces questions-là
38:40 et font qu'en fin de carrière,
38:42 certaines personnes n'ont pas le choix
38:44 que d'être ni en emploi, ni en retraite.
38:46 - Et donc, pour palier ça, ce que vous proposez,
38:48 c'est le travail soutenable tout au long
38:50 de la vie professionnelle. En deux mots,
38:52 c'est quoi ?
38:54 - En deux mots. - C'est pas une thèse, là.
38:56 C'est vraiment en deux mots.
38:58 - En deux mots,
39:00 l'idée de la soutenabilité
39:02 du travail, c'est une idée qui
39:04 remonte... - Qui vient de loin.
39:06 - Qui vient de Suède et qui remonte
39:08 aux années 90, dans un mouvement
39:10 et des travaux entre
39:12 chercheurs et syndicalistes, aussi, ça, c'est intéressant.
39:14 Et
39:16 l'idée, c'est qu'un système
39:18 de travail qui est soutenable, c'est un système
39:20 de travail qui est capable
39:22 de reproduire, mais aussi
39:24 de développer
39:26 l'ensemble des ressources et des
39:28 composantes qu'il utilise. Et donc,
39:30 de penser dans la durée,
39:32 dans les temps longs, voire
39:34 d'une génération à l'autre. Et donc, on n'est
39:36 plus dans des systèmes de travail
39:38 qui visent la production
39:40 par la destruction
39:42 des ressources, jusqu'à l'épuisement
39:44 potentiellement, des ressources
39:46 en termes de force de travail, mais aussi
39:48 en termes de matière première,
39:50 mais vraiment dans une production
39:52 qui construit des
39:54 formes de régénération
39:56 des personnes
39:58 et des ressources tout au long
40:00 justement de ce développement.
40:02 Et donc, ce
40:04 travail soutenable permet d'appréhender
40:06 la prévention autrement, notamment
40:08 par le prendre soin des choses
40:10 et des personnes, la maintenance, mais
40:12 aussi, voilà, l'attention aux autres.
40:14 Et puis, également, qui permet
40:16 finalement de travailler
40:18 ces questions-là dans la durée, dans la transmission
40:20 et dans la réflexion
40:22 sur la
40:24 continuité et
40:26 la passation entre les générations.
40:28 - Alors Corélie Pérez,
40:30 puisqu'on parle de "qu'est-ce qu'on pourrait faire mieux",
40:32 comment est-ce qu'on peut, comment est-ce qu'on s'en sort
40:34 finalement, comment est-ce qu'on peut redonner du sens au travail ?
40:36 Alors, c'est pareil, je ne vais pas vous demander
40:38 de détailler votre livre, mais
40:40 est-ce qu'il y a des exemples de changements
40:42 de gouvernance d'entreprise, de
40:44 modes d'organisation qui permettent
40:46 de faire mieux ? - Alors, déjà,
40:48 orienter effectivement le travail vers le
40:50 prendre soin, donc ça
40:52 c'est un bon cap, je dirais,
40:54 à tenir. Alors,
40:56 comment ? Nous, le point
40:58 nodal, c'est vraiment la question de l'organisation
41:00 du travail, une organisation
41:02 effectivement qui
41:04 prenne soin, en quelque sorte,
41:06 des travailleurs
41:08 et qui leur permettent de
41:10 développer, d'entretenir leurs
41:12 compétences sans les user
41:14 au travail.
41:16 Et ces formes
41:18 d'organisation du travail,
41:20 il y en a qui sont plus vertueuses,
41:22 on va dire, que d'autres. Si on regarde
41:24 à l'étranger,
41:26 de ce point de vue, la France
41:28 dans les travaux sur
41:30 les comparaisons des conditions de travail
41:32 apparaît vraiment comme le mauvais élève,
41:34 avec des conditions à la fois
41:36 physiques et psychiques plus pénibles
41:38 en France que dans d'autres
41:40 pays européens. Et il se trouve que
41:42 notamment dans les pays nordiques,
41:44 qui apparaissent un peu comme les bons élèves,
41:46 il y a des organisations dites
41:48 apprenantes, avec
41:50 un contenu cognitif du travail
41:52 plus élevé, avec des
41:54 processus d'apprentissage en continu
41:56 qui sont plus
41:58 respectueux pour la santé des salariés
42:00 et qui aussi sollicitent
42:02 davantage leurs
42:04 compétences, leur intelligence. Et en plus
42:06 ce sont des organisations qui
42:08 sont plus propices à l'innovation, comme l'ont
42:10 montré plusieurs travaux. Donc on a là
42:12 quand même une première piste. Et puis
42:14 plus globalement, je dirais
42:16 que la question
42:18 de l'organisation du travail est derrière
42:20 du sens du travail. C'est une question de pouvoir.
42:22 Il faut donner davantage de pouvoir
42:24 d'agir aux
42:26 salariés, donc davantage
42:28 en termes d'autonomie professionnelle
42:30 et aussi
42:32 de pouvoir de délibérer finalement
42:34 sur les finalités
42:36 du travail. C'est pour ça que le
42:38 sous-titre de notre ouvrage était une aspiration
42:40 révolutionnaire, parce que ça remet
42:42 en cause finalement
42:44 les prérogatives sur l'organisation du travail
42:46 qui jusque-là sont l'apanage des
42:48 détenteurs de capitaux, des actionnaires,
42:50 qu'il faudrait ouvrir plus
42:52 largement. Alors dans l'ouvrage, on plaide
42:54 aussi pour des espaces de
42:56 délibération sur le travail.
42:58 L'organisation du travail actuel
43:00 finalement a fragmenté
43:02 les collectifs de travail, a considérablement
43:04 accru les rythmes
43:06 de travail. Il n'y a pas de temps,
43:08 finalement, pour délibérer
43:10 sur le travail. Et donc il faut
43:12 dégager du temps. Donc c'est
43:14 la proposition qu'on porte dans l'ouvrage
43:16 qui est celle d'une réduction du temps de travail
43:18 subordonnée, c'est-à-dire de donner
43:20 un nouveau droit aux salariés
43:22 un temps sur lequel délibérer
43:24 dans le travail.
43:26 - Et peut-être pour finir,
43:28 j'ai une question pour vous, on a une question d'ailleurs, tous les deux, pour François Cochet
43:30 qui est stratigopratique
43:32 et qui réinterroge
43:34 en gros le pouvoir du politique.
43:36 En fait, en 2017,
43:38 les ordonnances
43:40 sur les ordonnances travail
43:42 voulues par le président Macron ont supprimé
43:44 ce qu'on appelle les CHSCT,
43:46 les comités hygiène, sécurité,
43:48 santé, conditions de travail,
43:50 qui était
43:52 l'instance des représentants du personnel
43:54 pour toutes les grandes entreprises, en tout cas,
43:56 où on parlait santé, sécurité, conditions de travail.
43:58 Ça a été très réduit,
44:00 voire ça a disparu. Est-ce que,
44:02 un, pour vous, ça a eu un effet néfaste,
44:04 ou pas, sur au moins la prise en compte
44:06 de ces questions, ou la connaissance de ces questions ?
44:08 Est-ce qu'il faut rétablir des instances de ce type ?
44:10 Alors,
44:12 le bilan est notoirement négatif.
44:14 Il n'y a que le
44:16 directeur de cabinet de Pénicaud
44:18 pour défendre encore le côté positif de cette suppression.
44:20 Pénicaud, ex-ministre du Travail.
44:22 Au moment des ordonnances.
44:24 Bref, donc oui, concrètement,
44:26 c'est catastrophique. C'est-à-dire qu'il y avait toute une génération
44:28 de représentants du personnel
44:30 actifs dans les CHSCT. Alors, tout n'était pas
44:32 rose dans les CHSCT, je ne vais pas idéaliser,
44:34 mais il y en avait beaucoup, quand même, qui travaillaient
44:36 de façon concrète,
44:38 soutenues,
44:40 vigilantes sur un certain nombre de questions de conditions de travail.
44:42 Et j'ai aussi
44:44 entendu des employeurs
44:46 regretter cette époque.
44:48 Parce que les questions, aujourd'hui, qui sont centralisées
44:50 au CSE dans les grosses entreprises, se sont
44:52 politisées, même si ce terme
44:54 ne veut pas dire grand-chose.
44:56 Mais y compris une partie des représentants du personnel
44:58 sont dans des instances très centrales
45:00 où ils traitent énormément
45:02 de sujets, des sujets qu'ils ne peuvent pas tous
45:04 connaître, et ils en traitent
45:06 moins bien. Enfin, que je sache,
45:08 il y a toujours un ministre pour chaque sujet,
45:10 et puis là, on a décidé que les représentants du
45:12 personnel, ils ne pouvaient plus être spécialisés, qu'ils devaient
45:14 tous s'occuper de tout. Bon, donc ça n'avait pas
45:16 de sens. Et puis, ce que vous n'avez pas évoqué,
45:18 qui est tout au moins aussi grave, c'est la suppression
45:20 des représentants du personnel, des délégués
45:22 du personnel, qui sont devenus facultatifs.
45:24 Bon, très bien. Alors, les entreprises qu'ils ont
45:26 mis en place de façon proche de ce qu'ils faisaient
45:28 avant, et ça fonctionne. Et ça veut dire
45:30 que le quotidien des travailleurs,
45:32 des difficultés des individus,
45:34 elles étaient portées par ces délégués
45:36 du personnel, et en gros, un salarié
45:38 qui avait un problème, il pouvait s'adresser
45:40 à son chef ou au délégué du personnel.
45:42 Et le fait d'avoir deux canaux, c'était très bien.
45:44 Moi, j'ai entendu je ne sais pas combien de DRH
45:46 autrefois, qui disaient "mais je sais
45:48 très bien qu'il y a des choses qui me remontent par le management,
45:50 mais pas tout, mais comme j'ai de bonnes relations
45:52 avec mes syndicats, j'ai ma corde de rappel,
45:54 et je sais à quel moment un manager me cache
45:56 des trucs." Bon, et bien ça, ça ne fonctionne
45:58 plus. Alors, il y a des managers qui,
46:00 sur le terrain aussi, sont bien embêtés,
46:02 parce qu'eux aussi savaient très bien des fois
46:04 avoir un petit triangle avec le délégué
46:06 du personnel pour arrondir les ans,
46:08 trouver une solution, gérer les problèmes du quotidien.
46:10 Ces problèmes, dans beaucoup d'endroits,
46:12 ne sont plus traités. Un problème
46:14 qui n'est pas traité ne disparaît pas.
46:16 Il pourrit. Donc, il traîne,
46:18 il n'a pas de solution,
46:20 il y a des managers qui trouvent très bien de jamais
46:22 remonter de difficultés à leur chef, parce que
46:24 c'est la culture d'entreprise dans laquelle on les a évoqués,
46:26 donc ils éteignent, ils ne traitent pas, etc.
46:28 Et qu'est-ce qui se passe ? Et ça, on le voit arriver maintenant,
46:30 puisqu'on est 5 ou 6 ans après,
46:32 il y a une floraison
46:34 de problèmes de harcèlement.
46:36 Bon, c'est pas que les gens
46:38 sont plus harcelés qu'avant. C'est un problème
46:40 non résolu pendant des années,
46:42 et bien le salarié finit par l'exprimer
46:44 sur le thème "je suis harcelé". Et comme
46:46 dans la loi, si on prononce le mot "harcèlement",
46:48 c'est la seule façon qu'un DRH se bouge immédiatement,
46:50 parce que là, il craint le pénal
46:52 et qu'il doit faire une enquête, des sujets
46:54 qui n'en sont pas ne peuvent être traités maintenant
46:56 qu'on s'y alors colle l'étiquette "harcèlement" dessus.
46:58 Et il y a aussi des sujets qui, à force
47:00 de ne pas avoir été traités, sont devenus graves.
47:02 Et maintenant, on encombre les prud'hommes,
47:04 même si les barèmes ont baissé,
47:06 avec des demandes de réparation. Donc c'est ce qui était
47:08 indiqué. Comme on ne fait plus de prévention,
47:10 on se retrouve avec la réparation. Et je pense
47:12 qu'il y a des employeurs qui commencent un peu à se mordre les doigts,
47:14 de s'apercevoir qu'entendre parler
47:16 de harcèlement partout, dans tous les services,
47:18 et à tous les moments et sur tous les sujets,
47:20 c'est ingérable. Et bien, il fallait
47:22 qu'ils maintiennent le représentement du personnel.
47:24 - Écoutez, je vous remercie beaucoup de faire la transition parfaite
47:26 avec notre prochaine émission de cette petite série
47:28 avec Santé et Travail,
47:30 où on va parler des syndicats.
47:32 Je vous remercie beaucoup de votre présence.
47:34 Merci François. - Merci.
47:36 - Merci de nous suivre.
47:38 À très bientôt pour une prochaine émission. On va parler travail.
47:40 Merci à tous.
47:42 (Générique)

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