Il est 23 heures avec Jean-Charles de Castelbajac. Au programme de ce nouvel épisode de la saison 2 de notre podcast, un voyage dans le temps et dans l’univers du styliste… Quelle activité Jean-Charles de Castelbajac associe-t-il à 23 heures ? Dans quel pays le temps s’arrête-t-il pour lui ? Quel moment souhaiterait-il ralentir et pourquoi ? Et, au contraire, quand voudrait-il que ce dernier s’accélère ? Il était une fois un Voyage dans le temps, le podcast original de la journaliste Laura Tenoudji, qui aborde l’heure qui tourne de façon inédite.
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00:00 Il est 23h, très précisément, et j'ai la chance d'être avec Jean-Charles de Castelbajac.
00:05 Bonsoir.
00:06 Bonsoir.
00:07 Alors, 23h, vous vous apprêtez à vous coucher ou c'est le moment où tout commence ?
00:28 En fait, 23h, c'était le seuil de mon sommeil quand j'étais en pension,
00:34 puisque je repoussais au plus tard, au plus tard, au plus tard,
00:37 la remontée des rivières que j'entreprenais de conquérir en me racontant des histoires.
00:43 Donc c'était 23h, je tombais de sommeil.
00:46 Et 23h, dans mon quotidien aujourd'hui, c'est resté la porte des songes.
00:51 C'est resté un moment où je commence à programmer mes rêves
00:56 ou à programmer ce qui va se passer dans mon inconscient.
01:00 23h, c'est le début du silence aussi, c'est beaucoup de choses, oui.
01:06 Est-ce que vous êtes ponctuel ?
01:09 Je suis devenu ponctuel.
01:11 J'avais une ponctualité de Gascon, c'est-à-dire que j'arrivais toujours
01:16 un quart d'heure, une demi-heure en retard, mais je suis devenu ponctuel.
01:21 Parce que le temps a pris une autre importance pour moi.
01:24 Plus on avance dans la vie, plus chaque minute est un délice,
01:30 est une perle, est un diamant.
01:33 En fait, la jeunesse, on se dit les choses ne vont pas assez vite.
01:39 Et là, j'ai la chance de vivre ma jeunesse dans un corps qui n'est plus
01:44 aussi jeune qu'avant, mais d'être toujours avec une âme extrêmement jeune.
01:49 Donc j'ai cette dualité concernant le temps
01:52 qui fait que je veux que ça aille vite, mais je prends le temps.
01:56 Est-ce que l'effet d'avoir une petite fille de 3 ans,
01:58 ça vous permet de faire en sorte que le temps ralentisse un petit peu ?
02:03 En fait, ça m'a aussi fait prendre conscience que lorsque j'étais père
02:09 de deux petits garçons, je n'ai peut-être pas justement pris assez le temps
02:14 pour vivre avec eux des instants clés de l'enfance,
02:19 puisque je les vis aujourd'hui au quotidien avec ma fille Eugénie.
02:24 C'est vrai que c'est un miroir transformant d'avoir une petite fille à mon âge.
02:31 C'est quelque chose qui ne parle que d'amour, que de connaissances.
02:35 Et puis aussi, le temps s'accélère parce que sa maman et moi,
02:41 on veut lui construire une armure d'amour.
02:44 Donc, la constitution de cette armure éternelle qui la protégera,
02:51 elle prend du temps.
02:54 Et est-ce que pour vous, le temps est un allié ou plutôt un ennemi aujourd'hui ?
03:00 Vous savez, j'ai, en étant couturier, créateur de mode,
03:05 qui est une de mes vocations parmi tant d'autres,
03:09 ou un des médiums que j'ai explorés,
03:12 j'ai toujours eu le sentiment de vivre en anticipation.
03:18 Quand je dessine une collection chez Rossignol,
03:20 je la dessine un an et demi avant.
03:22 Lorsque je dessinais mes collections de prêt-à-porter,
03:25 je les dessinais huit mois, neuf mois avant.
03:29 Donc, il y a cette dimension, que je dirais un peu ésotérique,
03:34 médiumnique qu'on a avec le temps, puisqu'on est en anticipation.
03:39 Cependant, moi, j'ai construit mon travail autour d'un style.
03:43 Donc, il y avait un sillon fort, et qui dit sillon, dit répétition.
03:48 Et je dois dire que, confrontés au temps,
03:56 je ne les appellerais pas des habitudes,
03:58 mais je les appellerais des armes, les choses qu'on se constitue,
04:02 qui sont des rendez-vous avec nous-mêmes,
04:05 qui sont des rendez-vous avec des méthodes, avec des protocoles,
04:09 avec des gestes.
04:12 Ce sont des choses qui ponctuent ce temps de mille petits cailloux,
04:18 qui sont des bornes, en fait, et des bornes importantes.
04:21 - Est-ce qu'il y a un temps que vous aimeriez accélérer,
04:26 qui passe trop lentement ?
04:28 - Paradoxalement, je dirais que j'aimerais être au mariage de ma fille, par exemple.
04:36 Donc, j'accélérerais et je raterais beaucoup de choses.
04:40 Et qu'elle épouse un homme bien, ou quelqu'un de bien.
04:44 Accélérer, non, parce que je m'aperçois que tout est une question de proportion dans le bonheur.
04:57 C'est-à-dire que j'ai appris à cristalliser les choses dans une multiplicité, en fait.
05:07 Je commence toujours, en ce moment, par exemple, je crois que j'ai une quinzaine de projets en cours.
05:13 Mais quand je dis projet, j'ai du mal à dissocier ce que sont des projets intimes,
05:20 de famille, de projets professionnels, parce que tout est fait avec passion.
05:26 - Et est-ce qu'il y a un moment où, pour vous, le temps s'arrête ?
05:30 Est-ce que c'est lorsque vous voyagez, ou est-ce que c'est lorsque vous êtes dans un lieu particulier ?
05:35 - Le temps s'arrête lorsque je raconte des histoires du canapé bateau à ma fille.
05:42 C'est des histoires que j'ai inventées lorsque j'écris des chansons pour elle.
05:48 Le temps s'arrête lorsque ma femme Pauline me lit ses poèmes, ou me dit ses poèmes.
05:55 Le temps s'arrête lorsque je découvre mon petit-fils qui vient de naître il y a quelques mois.
06:03 Donc le temps s'arrête en permanence face au bonheur et aux joies que me donne la vie.
06:10 - Et lorsque vous prenez l'avion, quelle sensation vous avez lorsque vous êtes dans les airs ?
06:15 Est-ce que le temps est suspendu ? Est-ce que vous continuez à créer ?
06:20 Ou est-ce que c'est un moment où on est coupé de tout l'extérieur, de tout le monde terrestre,
06:26 et on réfléchit, on est face à soi-même ?
06:29 - Je crois que je suis frappé d'un syndrome qui fait que je crée tout le temps.
06:39 Ce que je vois, en dehors du lieu où on est, là qui a déjà été investi par un créateur,
06:46 qui est Philippe Starck, un immense créateur.
06:48 Mais a priori, l'essence même de mon vivant, l'essence même de mon âme, c'est de créer ou de recréer.
06:59 Par exemple, récemment j'ai travaillé avec Gien, qui est une manufacture de faïence.
07:07 Il y a ce bleu traditionnel chez Gien que j'ai saisi, que j'ai kidnappé et que j'ai redessiné.
07:14 Donc je me suis inscrit dans le temps.
07:17 En fait, je n'ai pas vraiment de notion d'époque.
07:24 Il y a des moments où je suis au Moyen-Âge, des moments où je suis au 18ème, si je vais au petit Rihannon,
07:32 des moments où je plonge dans le futur.
07:34 Mais en ce moment, je suis dans une période qui est moins une période d'avant-garde,
07:40 mais presque une période post-moderne ou rétro-futuriste.
07:46 Parce que je m'aperçois que beaucoup de choses sont devenues seulement des images et ont perdu de leur contenu,
07:54 et que les générations futures sont en danger de ne pas connaître l'histoire des choses.
08:00 Donc j'ai cette vocation de transformer l'histoire.
08:07 Comme j'ai participé à accompagner l'Église en 1997 lorsque j'ai habillé le Pape et que j'ai travaillé au GMJ,
08:17 j'aime saisir à bras-le-corps l'histoire, l'électriser et la proposer au futur.
08:23 - Et la marquer aussi.
08:25 - Bien sûr, d'une empreinte artistique.
08:29 - Et spirituelle par rapport à vos dessins.
08:32 - Aussi chromatique, voilà.
08:35 - Et est-ce qu'il y a des destinations hors de France où vous aimez vous retrouver et où vous prenez le temps d'aller ?
08:42 - Alors, j'ai beaucoup de mal avec des destinations purement touristiques.
08:52 Je suis totalement habité par des destinations où la présence humaine a marqué.
09:02 Par exemple, j'ai découvert Lanzarote récemment.
09:06 J'entendais Lanzarote, une destination touristique avec des grandes...
09:11 Et j'ai découvert un endroit extraordinaire avec une ancienne civilisation, des grottes,
09:19 le travail de Manrique, de fusion entre la nature et l'humain.
09:25 Merveilleux, merveilleux.
09:27 Il y a sans doute cette dimension passionnée d'histoire qui est en moi perpétuellement.
09:32 Et vous savez, je dessine des anges à la craie depuis maintenant presque 20 ans, 22 ans.
09:39 - Surtout support ?
09:41 - Surtout support. D'ailleurs, mon livre s'appelle "Dessin tout terrain", le livre que j'ai sorti chez Flammarion.
09:46 Et je m'en suis aperçu qu'on pouvait avoir un dialogue avec les villes,
09:53 qu'on pouvait avoir non seulement un dialogue de shopping ou de rencontre de musées, de culture,
10:00 mais que le contact des murs, caressés, les surfaces qui ont vu passer tant d'êtres et tant de carrosses et tout,
10:09 il y a cette vibration très particulière.
10:12 Et donc, ce prétexte, cette alibi de dessiner à la craie,
10:21 m'a donné envie de courir aussi, de faire du sport.
10:25 Comme ça, j'ai une destination, j'ai des choses.
10:28 Mais surtout, ça m'a montré les coulisses des villes.
10:32 Et ça, j'aime. J'aime en fait, même dans la mode, c'est ce que j'aimais.
10:37 J'aimais le backstage. J'aimais ce qui se passait derrière.
10:41 J'aimais ce qui était avant ou ce qui était après.
10:45 - Jean Delabrouière disait "Le temps renforce l'amitié et affaiblit l'amour".
10:51 Est-ce que vous partagez son avis ?
10:55 - Vous savez, je n'ai pas d'amis. Je n'ai que des frères choisis ou des sœurs choisis.
11:01 En fait, comme je suis fils unique, j'ai mis un peu d'emphase sur mes relations amicales.
11:09 Et c'était un club relativement petit qui a tendance à diminuer, mais pas vraiment à diminuer.
11:15 Hier, par exemple, j'ai été voir l'exposition sur Basquiat et sur Warhol.
11:23 - La Fondation Vidal. - Voilà, il y avait Jean-Michel Basquiat,
11:26 Andy Warhol, Francesco Clemente, tous ces gens présents.
11:32 C'est des gens avec qui j'ai eu des moments d'amitié, des dîners,
11:37 ou avec qui j'ai vécu des aventures artistiques.
11:40 Et beaucoup ont disparu, mais leur trace est tellement forte,
11:45 cette présence est tellement forte qu'en fait, ils ne sont pas partis.
11:52 Et quant à l'amour, non. L'amour c'est une flamme.
11:58 Je crois qu'il faut avoir en permanence conscience qu'il faut souffler.
12:06 Moi je suis sagittaire, donc c'est les braises.
12:10 Mais quand j'oublie de souffler, ce n'est pas bien.
12:16 Et je crois que l'amour a besoin d'être attisé.
12:23 - Et pour quelle chose, quelle activité vous aimeriez prendre plus de temps ?
12:29 - Alors j'aimerais beaucoup... En ce moment je suis en train d'écrire mes souvenirs.
12:36 Mais c'est un peu sous forme de petites histoires.
12:42 C'est comme des nouvelles de mots passants, des rencontres avec les êtres dont je vous parlais tout à l'heure.
12:49 J'aimerais monter sur scène pour les raconter.
12:54 J'aimerais bien faire du stand-up, raconter des histoires avec le bruit du vent.
13:02 Vous voyez, installer le trouble, le fameux "blur" comme disent les américains.
13:08 Et puis avoir un guitariste à côté de moi, quelqu'un au clavier.
13:13 Vraiment emporter mon propos.
13:16 C'est comme dans l'exposition que j'ai eue au Centre Pompidou l'année dernière, "Le peuple de demain".
13:21 C'est l'immersion.
13:22 J'aime bien immerger jusqu'à saturation les êtres dans mon univers.
13:33 Les emmener.
13:35 C'est un peu cette métaphore de l'arche de Noé.
13:41 C'est comme une aventure en route.
13:44 Et donc le temps est forcément mon complice.
13:48 Merci infiniment du temps que vous nous avez consacré.
13:51 Et on a bien compris que très vite, on va vous retrouver sur scène.
13:54 On l'espère, vous nous donnez envie.
13:56 Mais non, vous savez, je construis un archipel d'utopies.
14:01 Mais certaines se réalisent quand même.
14:03 Et j'essaie de les réaliser.
14:05 Jusqu'ici, ça n'a pas mal fonctionné.
14:07 C'est important.
14:09 Merci beaucoup.
14:11 Merci.
14:12 Merci.
14:13 Merci.
14:14 Merci.
14:15 Merci.
14:16 Merci.
14:17 Merci.
14:18 Merci.