Il est 23 heures avec Éléonore Bernheim. Au programme du second épisode de la saison 2 de notre podcast, un voyage dans le temps et dans l’univers de l'actrice… Quelle activité Éléonore Bernheim associe-t-elle à 23 heures ? Dans quel pays le temps s’arrête-t-il pour elle ? Quel moment souhaiterait-elle ralentir et pourquoi ? Et, au contraire, quand voudrait-elle que ce dernier s'accélère ? Il était une fois un Voyage dans le temps, le podcast original de la journaliste Laura Tenoudji, qui aborde l’heure qui tourne de façon inédite.
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00:00 Il est 23 heures et juste avant d'aller se coucher,
00:03 j'ai la chance de pouvoir m'entretenir avec Léonore Bernheim.
00:06 Bonsoir.
00:07 Bonsoir.
00:08 Pourquoi 23 heures ?
00:26 C'est là où tout commence ou c'est là où tout s'arrête ?
00:28 C'est là où il y a la possibilité que tout recommence.
00:32 C'est là où il y a le choix de la prolongation.
00:36 C'est-à-dire que quand on se lève le matin, on doit se lever.
00:39 On a le choix de rester au lit, mais en général, on doit se lever.
00:42 Il y a une petite obligation.
00:44 Et c'est le moment où, 23 heures, on peut continuer soit la soirée, soit la nuit.
00:50 La nuit que j'aime énormément.
00:52 Donc c'est un peu moins vrai maintenant, mais je suis beaucoup sortie.
00:57 Et c'était un moment où je savais que la liberté allait arriver,
01:04 le plaisir de la nuit, de la fête que j'aime beaucoup.
01:09 Et maintenant où je sors moins, c'est quand même le moment où,
01:12 quand par exemple un dîner avec des amis,
01:14 on peut choisir de prolonger la soirée et de quand même un peu sortir.
01:19 C'est le moment où, quand on est dans une fête,
01:22 c'est l'heure raisonnable pour se dire, OK, si je prolonge,
01:26 ça devient bien ou pas bien.
01:27 C'est l'heure où tu choisis la suite des événements.
01:31 Chez toi, quand tu es dans ton lit, c'est l'heure où tu peux encore lire un peu,
01:34 par exemple, ou quand tu regardes une série où tu te dis,
01:37 je vais avoir le plaisir de prolonger ça ou pas.
01:41 Donc c'est une heure de bascule que j'aime beaucoup.
01:44 - Est-ce que vous êtes ponctuelle ?
01:46 - Je n'ai jamais été ponctuelle. Enfin, c'est-à-dire que je suis souvent en retard,
01:52 dans une limite qui est vraiment super acceptable,
01:54 c'est-à-dire à peu près 5-10 minutes.
01:57 Un quart d'heure, c'est vraiment, dans les cas vraiment extrêmes, pas plus que ça.
02:04 Mais je suis en retard quand je suis, quand je mets dans l'attente une, deux, trois personnes.
02:12 Je ne suis jamais en retard quand je mets 20-30 personnes.
02:15 Voilà, par exemple, sur un plateau où je sais que ça va faire attendre 30 ou 40 personnes.
02:21 Là, je ne suis absolument jamais en retard.
02:23 Mais sinon, je passe mon temps.
02:25 Vraiment, je suis dans une grande révolution intérieure.
02:28 Donc, j'arrive à moins l'être.
02:30 Par exemple, aujourd'hui, j'étais à l'heure.
02:32 - Parfaitement à l'heure. - Parfaitement à l'heure.
02:35 Mais je n'ai pas le souvenir de n'avoir jamais couru dans ma vie.
02:42 C'est-à-dire, je passe mon temps à courir comme un hamster dans sa cage,
02:47 à essayer de faire rentrer des ronds dans des carrés.
02:52 En fait, je crois que je suis en retard, ce n'est pas par manque de respect ou d'inattention à l'autre.
02:57 Pas du tout. Une espèce de "je m'en foutis", mais pas du tout.
03:01 C'est parce que vraiment, je me dis, je vais arriver à faire tout ça avant mon rendez-vous.
03:06 Et si, par exemple, je vois qu'il me reste un peu de temps, je fais rentrer autre chose dans la case.
03:12 Donc, en fait, je suis optimiste, mais pas très réaliste.
03:17 Et est-ce qu'il y a un retard qui a changé votre vie ? Le vôtre ou celui de quelqu'un d'autre ?
03:23 Pour me rassurer, pour me consoler ou j'en sais rien, enfin pour m'arranger avec moi-même.
03:30 À chaque fois que je suis en retard, je me dis, si j'avais été à l'heure, je me serais pris un bus.
03:35 Si j'avais été à l'heure, je me serais tordu la cheville.
03:39 Donc, je pense que tous mes retards me sauvent la vie.
03:41 Ils sont là pour conjurer le mauvais sort.
03:43 On va dire ça. Je m'arrange un.
03:46 Et est-ce que le temps est un allié ou un ennemi pour vous ? Surtout dans votre métier.
03:52 Alors, ça va exactement...
03:55 Alors, moi, il a été un allié dans mon métier, mais ça va avec le reste,
04:00 avec cette manière d'être toujours en retard, c'est-à-dire que... et qui est en train de changer.
04:04 C'est-à-dire que toute ma vie, j'ai couru après le temps.
04:07 Donc, à force de courir derrière le temps, en fait, on a toujours un train de retard.
04:12 Contrairement à ce qu'on peut penser.
04:14 Et j'ai passé ma vie à vouloir être après, après, après.
04:21 J'étais enfant. Je me disais, j'ai hâte d'être adolescente,
04:25 j'ai hâte d'être adolescente, j'ai hâte d'être adulte, etc.
04:27 Et donc, je n'étais pas vraiment dans le temps présent et ce qui se passait.
04:34 Et donc, c'était vraiment un ennemi. Vraiment.
04:37 Et puis, j'ai compris que c'était vain et que ça faisait rater à peu près tout.
04:44 Non pas... Ce n'est pas des échecs, mais en fait, ça faisait ne pas vivre,
04:49 ne pas avoir un temps intérieur suffisamment puissant pour pouvoir être dans le temps physique.
04:57 Et du coup, j'ai changé ça. Et j'ai vraiment...
05:02 Je l'ai décidé et j'ai eu... Disons qu'à partir de 30 ans, j'ai eu très peur de vieillir.
05:10 J'ai eu très peur d'avoir 40 ans. Donc, je suis passée à côté de ma trentaine.
05:15 Non, mais c'était super quand même.
05:17 Mais bon, disons qu'il y avait quelque chose qui était là en permanence,
05:21 comme un petit brouillard, comme une menace qui planait.
05:24 Et quand je suis arrivée devant, je me suis dit, ça va.
05:27 En fait, ce n'est pas un mur. C'est très cool.
05:30 Et depuis ça, le temps est mon allié, vraiment.
05:36 - Et est-ce qu'il y a un temps que vous aimeriez accélérer parce qu'il passe trop lentement ?
05:42 - Alors... - L'attente ?
05:43 - Non, ouais. Alors...
05:47 De manière tout à fait personnelle, le temps le plus lourd pour moi, c'est avant de rentrer sur scène.
05:55 C'est un temps... Je ne voudrais pas l'accélérer, je voudrais l'annuler.
05:59 Je voudrais que ça n'existe pas.
06:01 - Et combien vous avez besoin de temps pour vous déconnecter ?
06:06 - Je me déconnecte super vite.
06:08 Il suffit que je sois vraiment à ce que je fais, en fait.
06:12 C'est-à-dire que là, je suis arrivée, tac, tac, il y a eu le maquillage et tout ça.
06:16 Donc il suffit que je sois vraiment à ce que je fais
06:19 et que souvent, ça passe par l'échange et l'écoute par une forme d'altérité
06:28 pour que je déconnecte immédiatement.
06:30 - Quand vous prenez l'avion, quand vous voyagez, est-ce que le temps s'arrête ?
06:36 - Alors oui, parce que c'est vraiment un sas pour moi
06:39 de faire tout ce que je n'ai pas le temps de faire ordinairement.
06:43 Tout ce que je ne peux plus faire, c'est-à-dire que mon grand plaisir de voyager
06:46 avant que j'ai des enfants, c'était de lire.
06:51 C'est-à-dire, j'ai l'équivalent de mon prix de billet d'avion en journaux, en fait.
06:56 Je dévalise le kiosque et je ne pouvais plus le faire.
07:00 Et maintenant, je peux le refaire à nouveau parce qu'ils sont plus grands.
07:06 Et donc ça, c'est un plaisir immense.
07:08 Je me vautre là-dedans.
07:09 Évidemment, je lis deux magazines sur les 650 que j'ai achetés.
07:14 Mais oui, c'est un moment que je déconnecte complètement.
07:19 - Alors, la bruyère disait "le temps affaiblit l'amour et renforce l'amitié".
07:23 Est-ce que vous partagez son point de vue ?
07:27 - Alors, pas du tout.
07:29 Parce que je...
07:33 Pourquoi est-ce qu'il serait question d'opposition ?
07:37 Ou justement, la question du temps, c'est pas d'opposer un oui ou un non.
07:43 D'abord, c'est le même radical, amitié et amour.
07:47 Et je pense qu'au contraire, c'est l'enracinement dans une relation.
07:56 Il n'y a pas d'amour sans amitié et il n'y a pas d'amitié sans amour.
07:59 Donc, c'est l'enracinement qui fait la force et la puissance d'une relation.
08:05 Alors oui, évidemment, le quotidien peut abîmer l'histoire d'amour, etc.
08:09 Mais quand on choisit, quand c'est un choix de l'inscrire dans le temps,
08:16 le temps est un très, très grand allié des histoires d'amour.
08:21 Et ça permet de voir une colline au loin qui paraît assez infranchissable,
08:26 dire "Ah, ça va être galère".
08:28 Le temps permet de faire "Ah, ce qu'il y a derrière, c'est pas mal la petite rivière, les oiseaux et tout ça".
08:35 - Et est-ce que vous pensez que vous avez plutôt un temps d'avance ou un temps de retard ?
08:41 En général.
08:41 - J'ai eu...
08:43 À force de vouloir avoir un temps d'avance, j'ai pris beaucoup de retard.
08:48 Parce que justement, on revient toujours à la question de "Est-ce que vous êtes à l'heure ponctuelle ou pas ponctuelle ?"
08:54 C'est cette chose-là de...
08:59 C'est la question fondamentale qui ferait qu'on serait tous des très grands sages si on y arrivait.
09:05 C'est le fondement du bouddhisme.
09:07 Je ne suis pas du tout bouddhiste, mais c'est de réussir à avoir une qualité de temps intérieur
09:19 qui fait vivre le temps physique, vraiment, qui transcende le temps physique.
09:23 On sait bien que 60 minutes, 1 heure, par exemple, d'un point de vue de chronomètre, t'as 60 minutes,
09:29 mais tu ne vas pas en faire la même chose que moi.
09:33 Selon ce que chacun en fait, on transcende cette physicalité-là.
09:39 Et du coup, en fait, cette espèce de manière de ne pas être tout le temps ancrée et dans le présent,
09:48 et de toujours avoir un coût d'avance, fait perdre beaucoup de temps.
09:52 - Est-ce que, enfin, votre métier vous fait quelque part mieux rentabiliser le temps, le fait d'avoir plein de vie dans une ?
10:03 - Alors, déjà, il y a un endroit où, moi, mon métier fait que l'endroit où je suis le mieux au monde,
10:13 et ça a un rapport avec ce rapport au temps qui a été, disons, longtemps conflictuel,
10:24 c'est sur un plateau de tournage, au théâtre aussi, mais c'est encore autre chose.
10:32 Parce que le temps de la fiction, justement, puisqu'il est départi de toute contingence existentielle,
10:39 me convient absolument parfaitement.
10:42 Il suffit que j'entende "moteur" pour que ça me fasse basculer dans ce temps-là,
10:50 et que ce soit d'un... c'est même pas un inconfort, mais d'une plénitude absolument totale.
10:56 Donc c'est là où, pour moi, c'est même pas une déconnexion, parce que déconnexion, ce serait comme vouloir fuir quelque chose.
11:02 C'est vraiment mon temps qui me convient le mieux au monde.
11:08 Et, en plus, il y a quelque chose qui contribue complètement à ça et qui me convient aussi, c'est que...
11:16 Quand vous êtes acteur sur un tournage, toutes les contingences autour sont vraiment conditionnées par le temps,
11:25 puisque le temps, c'est de l'argent, il faut pas en perdre, et ça coûte très cher, les minutes au cinéma.
11:31 Et que d'être isolée dans cette bulle, d'avoir ce privilège-là de "toi, acteur, au contraire, il faut que tu prennes ton temps",
11:41 c'est un endroit qui me satisfait complètement.
11:45 Et on est complètement mis pendant une période de tournage, donc qui peut durer...
11:51 Je sais pas, par exemple, sur des séries, c'est des tournages qui sont très longs, qui peuvent être 3-4 mois,
11:56 ou tous les jours, de 7h du matin à 20h.
12:01 Ton temps quotidien physique est totalement pris en charge, tu es totalement déconnectée d'une vie réelle.
12:11 C'est-à-dire qu'on te prend à partir du moment où on dit "t'as ton pick-up à 6h du matin",
12:14 après, tu n'es plus en charge de rien. Mais je parle pas en charge matérielle, en charge psychologique, complètement.
12:22 De "qu'est-ce que je vais faire de ce temps-là de rien ?"
12:26 Et ça, moi, j'adore ça.
12:29 Merci beaucoup, il est honneur d'avoir pris le temps.
12:33 J'étais avec la comédienne et la philosophe.
12:36 Je te remercie, Laura.
12:38 Je t'aime.
12:40 Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org
12:43 [Musique]