Marie Portolano reçoit Jean-Marie Roughol, ancien sans abri et auteur de « Je tape la manche : une vie dans la rue »publié chez Calmann Levy. Avec la vague de froid, l'inquiétude s'accroit pour les personnes en situation de précarité, une situation délicate sur laquelle revient notre invité.
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00:00 - Bonjour Jean-Marie Rogol. - Bonjour.
00:01 - Merci beaucoup d'avoir accepté notre invitation.
00:03 Quand il fait froid, on a froid, mais surtout on ne peut pas s'empêcher de penser aux gens qui vivent et qui dorment dehors.
00:09 Ça a été votre cas pendant de longues années, pendant plus de 20 ans.
00:12 Vous avez vécu dans la rue.
00:14 Déjà, à quoi ça ressemble la vie d'un SDF quand il fait froid dehors ?
00:18 - La vie dans la rue, c'est essayer de trouver déjà un endroit pour vraiment s'abriter.
00:23 Et puis bon, moi j'ai appris par des anciens.
00:27 Parce que quand je suis arrivé, j'avais 19 ans, je sortais de mon service militaire, tout ça.
00:31 Je me suis retrouvé avec mon 5 ados dans la rue.
00:34 Et heureusement, j'ai rencontré des anciens qui m'ont aidé beaucoup, qui m'ont appris des techniques.
00:39 Alors on a des petites techniques...
00:41 - Pour garder le chaud, par exemple ?
00:42 - Pour garder le chaud, des journaux.
00:44 On met des journaux qu'on peut mettre.
00:46 Et la technique, acheter des collants.
00:48 - D'accord.
00:49 - Parce qu'on parait que ça protège énormément contre le froid.
00:53 - Des fois, on achetait des collants pour pouvoir se protéger contre le froid et des journaux.
00:58 Essayer de rentrer dans des halls d'immeubles, à l'époque c'était beaucoup plus facile à rentrer que maintenant.
01:03 - Faut trouver un abri pour justement être...
01:05 - Ah oui, c'est la surprise.
01:06 - Pour ne pas rester dehors.
01:07 - On ne peut pas rester dehors.
01:08 Même si on a du vent à un moment, parce qu'on est fragile sur les pieds, les oreilles, les mains.
01:14 Et à un moment, on n'arrive pas à tenir.
01:18 - Qu'est-ce qui a été le plus difficile pour vous ?
01:21 - Pour moi, le plus dur, c'est au départ, quand je suis arrivé dans la rue.
01:26 On pense tous, c'est au suicide.
01:29 Parce qu'on se dit, voilà, on est jeune.
01:34 Quel avenir que j'ai ?
01:36 On n'a personne qui peut nous aider.
01:39 Et on s'est dit...
01:41 Et on pense ça, et heureusement qu'on rencontre des autres gens dans la rue.
01:46 - Vous dites qu'il y a une entraide, en fait, finalement.
01:48 - Oui, dans la rue, oui.
01:49 Avant, après, il y a eu.
01:52 Mais là, maintenant, je ne sais pas s'il y a toujours d'entraide.
01:54 Mais je pense qu'il y a quand même une solidarité qui reste entièrement dans la rue.
01:58 - Et alors, quand il fait froid comme maintenant,
02:01 est-ce que vous avez senti que les gens étaient plus généreux, par exemple ?
02:05 - Les gens, je trouve qu'ils sont restés...
02:08 Il y a encore une partie généreux, mais beaucoup de gens, maintenant, qui restent, m'en foutissent.
02:13 - Qu'est-ce qui vous donnait, les gens ?
02:15 - Les gens, un peu d'argent.
02:18 Il y en a qui m'achetaient à manger ou ils donnaient des tickets à restaurant.
02:21 Ou des gens qui nous apportaient vraiment des plats chauds ou qui t'invitaient à manger.
02:25 C'est arrivé, voilà.
02:27 Ou on a eu de la chance aussi qu'on a les Maraudes, qui existent.
02:30 Heureusement qu'on a les restaurants du cœur.
02:32 Et d'autres qui tournent, qu'on peut boire un café chaud.
02:35 - Et alors, de quoi vous aviez besoin, vous, en particulier, quand il fait froid comme ça ?
02:39 Qu'est-ce qu'on peut vous donner ? C'est quoi le plus important ?
02:41 - Le plus important, c'est l'abri.
02:42 - D'accord, donc, savoir chaud.
02:44 Ouvrir une porte, par exemple.
02:46 - Voilà, ouvrir une porte, se retrouver dans un endroit...
02:50 - Parce que vous dites qu'appeler le 115, ça ne marchait pas à chaque fois.
02:53 - Non, dans le 115, vous appelez 3 heures, 3 heures au téléphone.
02:56 Moi, je m'en rappelle avec mon pote Rasta, à l'époque,
02:59 ou d'autres amis qui appelaient le 115.
03:02 Au bout de 3 heures, on ne répond pas.
03:05 Puis après, on sort. Oui, on est complet.
03:08 Pourquoi beaucoup de gens, maintenant, hésitent d'appeler le 115 ?
03:13 - C'est parce qu'ils savent.
03:14 - Ils savent très bien qu'ils vont perdre du temps.
03:15 Et puis souvent, nous, on n'a pas les moyens pour un téléphone.
03:18 On achète des recharges à 10 euros pour le voir,
03:22 mais bon, le temps de communication, ça passe vite.
03:24 Après, on n'a plus les moyens.
03:25 - Il y a des gens qui n'appellent pas,
03:26 mais il y a des gens qui ne veulent pas y aller, dans ces centres.
03:28 - Qui ne veulent pas y aller parce que, bon, ça, c'est chaud, quand même.
03:31 - Il y a de la violence ?
03:32 - Il y a de la violence.
03:35 - Des vols ?
03:36 - Des vols, agressions...
03:40 - Puis un soir, vous, Jean-Marie Rougel,
03:41 vous rencontrez le président du Conseil constitutionnel, Jean-Louis Debré.
03:45 - Il est en gardant son vélo.
03:47 - Alors, qu'est-ce qui s'est passé ?
03:49 - On était en train de...
03:50 Moi, j'étais devant, comme d'habitude, Florian Publicis,
03:53 et j'arrive...
03:56 Je vois M. Debré qui arrive, que je reconnais.
03:59 Je lui dis que je garde votre vélo.
04:00 Il n'a pas hésité, il m'a donné les clés de son cadenas, le vélo.
04:04 - Et vous lui avez gardé son vélo ?
04:05 - Oui, je lui ai gardé son vélo.
04:06 - Et qu'est-ce qu'il a fait, après ?
04:07 - Très sympa.
04:08 Après, il est revenu, puis il a discuté avec moi.
04:10 Puis il y avait deux personnes qui étaient célèbres,
04:13 mais on ne va pas dire le nom,
04:14 et qui étaient en train de critiquer.
04:17 Et M. Debré, il a été vraiment outré dessus.
04:20 - Qui a critiqué le fait qu'il vous parlait, c'est ça ?
04:22 - Oui, qu'il parlait.
04:23 Tiens, il parle à un clodo,
04:24 le président qui parle à un SDF.
04:28 Et ça, ça ne lui a pas plu.
04:29 Il m'a dit, Jean-Marie, écris-moi un bouquin.
04:32 Et on va montrer c'est qui le moins con des deux.
04:35 - Et alors, comment vous avez écrit votre livre ?
04:37 - Dans la rue.
04:38 J'ai mis un an et demi avant de l'appeler.
04:41 Parce que, bon, c'est pas évident d'écrire dans la rue.
04:44 Et puis, c'est pas évident pour écrire un bouquin, aussi.
04:47 - Oui, il faut l'écrire.
04:48 - Il faut raconter des anecdotes.
04:50 Puis après, j'ai commencé,
04:51 puis j'ai appelé M. Jean-Louis Debré.
04:53 Et il m'a dit...
04:55 Il m'a répondu tout de suite.
04:56 - On va l'éviter.
04:57 - Il n'a pas hésité.
04:58 - Et donc, il vous a aidé à sortir le livre.
05:00 - Il m'a aidé à sortir.
05:01 Et après, il dit, rejoins-moi au Conseil du Constitutionnel.
05:05 Je suis retrouvé là-bas, je me suis dit quand même...
05:08 Ça fait quand même drôle, d'un gars de la rue,
05:10 à se retrouver...
05:12 Oh, mais très gentil.
05:14 J'ai toujours contact avec lui.
05:16 C'est quelqu'un de très, très, très bien.
05:18 - Et aujourd'hui, c'est quoi, votre quotidien, aujourd'hui ?
05:20 - Maintenant, je travaille.
05:21 - Vous travaillez en tant que garde d'hôtel, c'est ça ?
05:24 - Non, chef de rang dans un hôtel.
05:26 - Chef de rang dans un hôtel.
05:27 - Voilà.
05:28 - Et quand vous voyez les gens dehors, par ce froid,
05:30 qu'est-ce que ça vous procure ?
05:32 - J'aide.
05:33 Si j'ai des sous, je donne, et puis voilà.
05:37 - Merci beaucoup, Jean-Marie Rogel, d'avoir été avec nous en Science-DF,
05:41 auteur de "Je tape la manche", publié chez Calmany.
05:43 - Par contre, je voudrais dire une chose.
05:45 Si le gouvernement nous entend,
05:47 s'ils peuvent faire ouvrir un peu des établissements...
05:50 - Il faut en ouvrir plus.
05:51 - Beaucoup, dans toute la France.
05:53 Essayez, on a des stades, on a pas mal de choses qu'on peut ouvrir,
05:56 qui est fermée.
05:57 - Pour le plan Grandfroid, il faut plus de...
05:58 - Pour le Grandfroid, parce que là, ça va s'accélérer,
06:00 et on ne sait pas combien de décès.
06:01 - Je les accueille.
06:02 - Je les accueille cette nuit.
06:03 Il ne faut pas oublier qu'on n'en parle pas tellement,
06:06 mais à mon avis, il y a eu des décès de personnes de rue.
06:09 - Donc vous encouragez le gouvernement à ouvrir plus d'espace,
06:12 quantité de croix, comme ça.
06:13 - Plus d'espace, et à débloquer de l'argent aussi,
06:15 pour les restaurants du coeur, tout ça.
06:17 S'ils en ont besoin, parce que je suis un peu au courant
06:20 qu'ils ont des difficultés,
06:22 que beaucoup de gens ne peuvent pas manger aussi,
06:25 qu'ils fassent le nécessaire.
06:26 - On espère qu'ils nous écoutent.
06:27 - Et que le gouvernement, que M. le président, s'il nous entend,
06:30 qu'il fait sortir un peu d'enveloppe, les enveloppes.
06:35 - Votre message est passé.
06:36 - Voilà.
06:37 - Merci beaucoup d'avoir été avec nous.
06:38 - De rien, je vous en prie.