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Le sociologue Jean Viard, directeur de recherche au CEVIPOF, donne son regard sur les fêtes de Noël.

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00:00 *Générique*
00:05 7h48 sur Inter, bonjour Jean-Viard !
00:07 Bonjour !
00:08 Vous êtes sociologue, directeur de recherche au Cévipof, centre d'études de la vie politique
00:12 de Sciences Po.
00:13 Merci de nous accorder ce matin un peu de temps entre deux déballages de cadeaux pour
00:17 explorer justement ce que représente encore Noël aujourd'hui.
00:21 D'abord, est-ce encore vraiment une fête religieuse ?
00:23 Pour un gros tiers des français on va dire, qui sont liés à la religion catholique ou
00:30 protestante, au christianisme, on peut dire oui.
00:33 Après il n'y a que 4 à 10% des français qui vont encore à la messe, mais il y a ceux
00:38 qui se sentent de culture chrétienne bien sûr, c'est la première croyance si on peut
00:41 dire prise sous cet angle, mais clairement la majorité des français se déclarent sans
00:45 religion et puis il ne faut pas oublier les 9% qui se déclarent musulmans, dont une partie
00:50 d'ailleurs je pense des enfants font quand même Noël, parce que Noël justement ce
00:53 n'est pas qu'une fête religieuse.
00:54 Alors pour la majorité des français, si ce n'est pas une fête religieuse, que représente
00:59 aujourd'hui Noël ? C'est d'abord une fête de famille ?
01:01 Oui, d'abord c'est les vacances de Noël.
01:05 C'est-à-dire qu'effectivement, on s'est arrêté 10 jours et depuis 81, je dirais
01:09 qu'on a mis la 5ème semaine de congé payé qu'on a obtenue en 80 entre Noël et Jour
01:14 de l'An.
01:15 Avant on travaillait, on travaillait tous entre Noël et Jour de l'An.
01:18 Maintenant il n'y a que les professionnels comme vous, les cuisiniers et les policiers.
01:21 Donc ça veut dire que c'est des vacances, c'est un groupe.
01:23 Après, si vous voulez ce qui est clair…
01:25 C'est plus seulement Noël, ce sont les fêtes ?
01:27 Voilà, c'est les fêtes.
01:28 D'ailleurs on dit souvent les fêtes, voilà, les panneaux dans les villes, tout ça, bon.
01:32 C'est les fêtes et il y a deux grands rythmes, il y a Noël et il y a le réveillon qui sont
01:35 très différentes mais qui sont complémentaires au fond.
01:37 Il y en a une, c'est la fête des enfants bien entendu, c'est la fête de la naissance
01:41 et c'est la fête de la famille.
01:42 Les grands-parents ont un rôle important, on invite en général trois générations,
01:46 deux générations, enfin ceux dont on dispose j'allais dire.
01:49 Donc c'est ça Noël.
01:50 Et puis évidemment le cœur de Noël, c'est les cadeaux aux enfants et c'est le grand
01:54 moment effectivement des cadeaux aux enfants.
01:56 Donc tout ça, c'est le cœur.
01:57 Donc on a si vous voulez déplacer, on va dire, du petit Jésus dans sa crèche entre
02:01 le bœuf et l'âne à l'enfant en général.
02:04 Donc ça je crois que c'est le mouvement de fond auquel on est très attaché.
02:07 Et si vous voulez, il faut dire une chose, c'est que toutes les sociétés marquent
02:10 le passage entre j'allais dire l'hiver et le démarrage de la nouvelle année.
02:15 Vous savez la fête du Thènes, vous avez des fêtes en Chine etc.
02:17 On l'a appelé ça le nouvel an.
02:19 Et en fait c'est les chrétiens qui avaient eu l'intelligence de mettre la naissance
02:22 de Jésus à ce moment-là, ce qui fait que du coup il portait la nouvelle année par
02:26 sa propre naissance.
02:27 Vous disiez une fête de famille, Jean Viard, malgré les mutations, malgré les recompositions
02:33 que connaît cette structure familiale depuis plusieurs décennies ?
02:35 Vous savez, la société est sortie de ces cadres, le mariage, même le CDI.
02:41 On va dire les choses, 63% des bébés naissent hors mariage, 30% des coupes sont recomposées.
02:46 On pourrait prendre d'autres chiffres pour montrer qu'on vit à côté des cadres
02:49 de nos parents.
02:50 Mais la famille tribu n'a jamais été aussi solide.
02:53 Donc si vous voulez, c'est une famille qui n'est pas institutionnelle, dedans il
02:57 y a des aides, il y a des enfants de différents lits.
02:59 Et c'est accepté.
03:00 Ce qu'il faut toujours dire c'est que les personnes âgées en fait acceptent ça.
03:04 Quand une jeune femme est enceinte, quand j'étais jeune, la grand-mère aurait dit
03:07 "et tu fais quoi ? Tu le fais passer ou tu te maries ?" C'est ça que ça voulait
03:11 dire.
03:12 Aujourd'hui cette question a disparu.
03:13 C'est-à-dire si une jeune femme est enceinte, on dit "quelle bonne nouvelle".
03:15 Donc si vous voulez, je pense que la société a profondément changé sur ces questions.
03:19 La famille reste un réseau extrêmement puissant, très solidaire.
03:22 C'est juste une chose, mais la famille est le premier réseau pour trouver du travail.
03:27 Avant Pôle emploi.
03:28 Non pas parce qu'elle vous embauche, mais parce que s'il y en a un dans la famille
03:31 qui cherche du boulot, tout le monde utilise ses capteurs pour dire autour de lui "tiens,
03:35 j'ai un cousin", etc.
03:36 Donc dans les chiffres, c'est la première structure.
03:38 Donc ça veut dire que cette famille, elle est très solide.
03:40 Alors justement, la famille peut-être aussi en tant que bulle, puisque c'est un Noël,
03:43 encore une fois dans un contexte de tensions et d'angoisse multiples, à l'étranger
03:47 avec le conflit au Proche-Orient, en France avec notamment la menace terroriste.
03:51 Est-ce que ces fêtes deviennent aussi de plus en plus, on l'a vu peut-être aussi
03:54 avec le Covid, une bulle en dehors du monde dont on aurait besoin ?
03:58 Oui, mais enfin c'est une bulle, si vous voulez, autour de quelque chose qui est central
04:02 dans le lien des sociétés, c'est les familles.
04:04 Donc si vous voulez, c'est pas vraiment une bulle, c'est pas moi et mon nombril.
04:08 C'est au fond, moi et ma tribu, et puis c'est plus compliqué que ça, parce qu'on fait
04:12 les courses, donc on parle aux gens.
04:14 C'est incroyable comme les gens sont gentils quand vous faites les courses de Noël, vous
04:17 allez dire "j'allais l'acheter la glace", les gens se disent bonjour, etc.
04:20 C'est une fête partagée en réalité.
04:22 Et ça, je crois qu'il faut le garder comme ça, je le verrai pas du tout de manière
04:26 négative.
04:27 Et la famille, vous le disiez comme un peu dernier rempart contre les dangers du monde
04:31 extérieur ?
04:32 Oui, mais ça a toujours été le rempart premier, si vous voulez.
04:35 Alors la famille a changé de nature.
04:37 C'est vrai que dans le monde d'aujourd'hui, on a des grandes peurs, et légitimes, enfin
04:42 je veux dire, vous avez la guerre en Ukraine, vous avez ce qui s'est passé en Israël,
04:45 ce qui se passe, on y reviendra peut-être en Palestine, vous avez le réchauffement
04:49 climatique, donc vous avez des tas de sujets d'angoisse.
04:52 Et donc effectivement, on a besoin de protection, il y a la famille.
04:55 Et ce qui est amusant, c'est que de l'autre côté, ce qui monte beaucoup, c'est l'Europe.
04:57 C'est-à-dire qu'effectivement, le sentiment que l'Europe protège s'est beaucoup développé.
05:01 D'ailleurs, les lois qu'on vient de voter sur le fait de construire enfin des frontières
05:05 solides à l'Europe, à mon avis, sont des lois extrêmement importantes, y compris
05:08 pour la réalité, mais aussi pour le sentiment de protection.
05:10 Donc oui, la famille est la première protection, mais c'est pas la seule.
05:14 Il y a cette bulle des fêtes, mais qui peut exploser à tout moment quand un sujet clivant
05:19 arrive sur la table du réveillon.
05:20 On sort à peine des divisions sur la loi immigration en France.
05:24 Ça, ça va forcément ressurgir à table, sur certaines tables ce midi ?
05:28 Oui, enfin normalement, famille, vous savez, on dit toujours, il faut éviter de parler
05:31 de sexe et de politique.
05:32 C'est deux sujets qui font des clivages.
05:34 Donc voilà, après, ça arrivera à une époque, on était obsédé par le vieil oncle un peu
05:40 indiscret.
05:41 Un peu gênant.
05:42 Bon, aujourd'hui, on craint les débats politiques.
05:45 Il y en aura quelques-uns, mais vous savez, la famille, on passe quand même beaucoup
05:48 de temps, on vit plus ensemble.
05:50 Souvent, on est éloigné dans l'espace.
05:52 Regardez, il y avait 900 kilomètres de bouchons sur les autoroutes avant-hier.
05:55 Donc la famille s'est diffusée dans l'espace.
05:57 Et donc, quand on se voit, on se raconte.
05:59 Tu fais quoi ? T'en es où ? T'as refait ta maison ? Tes enfants vont quoi ?
06:02 Enfin, vous voyez, le récif, c'est un idéal qui se construit.
06:05 Mais le débat apaisé qu'on a de plus en plus de mal à avoir dans l'espace public,
06:09 même à l'Assemblée nationale, est-ce qu'il reste possible dans la famille ?
06:12 Est-ce qu'on discute plus sereinement en famille qu'on discute à l'Assemblée ?
06:15 Oui, mais ça, c'est sûr.
06:17 Mais vous savez, c'est l'Assemblée qui est un cas particulier.
06:18 Je vous rappelle que 90% des accords dans les entreprises sont signés par tous les syndicats.
06:23 C'est-à-dire que dans l'entreprise, qui est quand même le cœur du travail dans ce pays,
06:26 ça se passe bien aussi.
06:27 Donc il faut faire attention, c'est l'Assemblée nationale qui est décalée
06:31 parce que le politique est en crise, parce que si vous voulez, on est en train de changer de monde.
06:35 Pierre Vels dit "il y a une bifurcation".
06:37 Je suis d'accord.
06:38 On était dans une société du progrès où on s'engueulait sur la répartition des fruits du progrès.
06:42 On a tourné.
06:43 On est en train d'engager une immense guerre climatique pour essayer de sauver l'humanité.
06:47 Et donc ça tourne.
06:48 Les enjeux ne sont plus les mêmes.
06:49 Mais pour l'instant, les politiques, les camps politiques ne correspondent pas à ça.
06:52 Donc ils s'affrontent mais sur des sujets secondaires.
06:55 Et si vous voulez, je crois qu'il faut dire "le monde a tourné".
06:58 Et au fond, ce que j'aime dans Noël, si vous voulez, c'est que c'est devenu la fête de la naissance.
07:03 Or le grand enjeu de la guerre climatique, c'est de continuer à faire des bébés.
07:06 Vous savez, plus de 30% des jeunes étudiants disent qu'ils n'en auront pas à cause de la crise climatique.
07:10 - Pour des raisons écologiques, oui.
07:11 - Et aussi pour faire des carrières.
07:13 Il faut être quand même un peu honnête.
07:14 Donc le fait de remettre la vie au centre de la société, y compris comme on voit en Iran, etc.
07:19 C'est absolument essentiel.
07:20 - Vous parliez des cadeaux tout à l'heure.
07:22 Un Noël encore sous inflation.
07:24 Est-ce que la pratique du cadeau change aussi sous l'effet de l'inflation ?
07:28 Sous l'effet aussi peut-être justement de la crise climatique ?
07:31 Qu'est-ce qu'on constate là-dessus ?
07:32 - Si vous voulez, il y a deux choses.
07:33 Alors bon, on voit très bien que le cadeau de deuxième main peut devenir une élégance.
07:38 Mais c'est vrai aussi pour le vêtement de deuxième main.
07:39 Alors là encore, c'est comme tout à l'heure ce que vous disiez sur la laïcité.
07:42 Il y a un énorme écart entre les jeunes et les plus vieux.
07:44 J'ai vu dans une étude que plus de 60% des moins de 25 ans sont prêts à faire un cadeau de deuxième main.
07:49 À donner une chose peut-être qu'ils ont aimée.
07:51 - Et un quart sont prêts à les revendre dès le 26 décembre.
07:54 - Oui, mais aussi à les revendre pour faire de l'argent.
07:56 C'est-à-dire que ce n'est pas forcément pour échanger contre un autre cadeau.
07:59 C'est pour récupérer.
08:00 Il y a l'inflation qui est là.
08:02 La jeunesse n'a pas beaucoup d'argent.
08:03 Et puis l'inflation tape beaucoup dans beaucoup de familles.
08:06 Donc si vous voulez, si on peut se faire un peu de monnaie, si on peut dire, on prend.
08:09 Mais sur le fond, là encore, si vous voulez, je pense qu'on va vers un chemin
08:13 où il y a effectivement cette culture de la réutilisation
08:16 qui est une des grandes lignes d'une société beaucoup plus écologique.
08:19 Et Noël le symbolise.
08:20 Parce que Noël, même si on n'est pas religieux,
08:22 on a quand même l'idée que c'est un moment où il faut faire le bien.
08:25 C'est ça que nous a appris la religion, si vous voulez.
08:28 Donc je pense que chacun, même les puissants athées,
08:31 ont un peu cette idée dans un coin de la tête.
08:32 - Merci beaucoup Jean-Viar.
08:34 Je rappelle le titre de votre dernier livre, "Un juste regard aux éditions de l'aube".
08:38 Bonne journée et bonne fête !
08:40 Joyeux Noël à vous !

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