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Transcription
00:00 "Ouais, en fait, elles n'attendent que ça de se faire violer."
00:02 C'est genre...
00:03 "Non, c'est pas parce que t'as un fantasme de viol
00:05 que tu veux te faire violer."
00:06 Je dirais même "au contraire".
00:08 On peut être, ces mêmes personnes,
00:18 très obsédées par le consentement, obsédées par le bien-être,
00:21 parce que c'est peut-être, à mon avis, ça, la sexualité réussie,
00:25 mais avoir des fantasmes qui sont presque à l'opposé de nos pratiques.
00:29 J'ai longtemps culpabilisé, énormément culpabilisé, déjà,
00:32 de regarder du porno, au-delà de la question morale,
00:35 qui est centrale, évidemment,
00:37 parce qu'on sait que les conditions de fabrication
00:40 sont souvent dégueulasses, atroces.
00:41 Mais je dirais même, juste par rapport à mon imaginaire,
00:45 je me disais "Mais pourquoi j'ai cette imaginaire-là ?
00:47 Est-ce que j'ai de la violence en moi ?
00:49 Est-ce qu'en fait, ça m'excite en vrai ?
00:52 On culpabilise, on a honte ?"
00:54 Du coup, j'ai commencé à en parler de plus en plus autour de moi
00:57 et à voir, quoi. On était nombreuses, nombreux,
00:59 à être dans cette espèce de dissociation de "Ma sexualité est ultra safe,
01:04 mais par contre, mon imaginaire sexuel, il est dégueulasse,
01:07 il est vraiment pas safe du tout. Pourquoi ? Comment ?"
01:09 Moi, j'ai été exposé un peu de manière très classique,
01:12 très stéréotypique à ces violences patriarcales,
01:15 comme je le raconte dans le livre,
01:17 notamment avec des situations de ce qu'on appelle du "grooming", maintenant.
01:20 Un adulte qui fait croire, à l'époque, une adolescente que j'étais,
01:25 qu'il y a une relation d'amour, une relation partagée, un désir partagé,
01:29 alors qu'en fait, il y a juste le désir d'un agresseur,
01:33 en réalité, sur une personne mineure.
01:36 Donc, c'est des situations qui, pour moi, n'étaient pas traumatisantes
01:39 sur le moment, parce que je les comprenais pas, en fait.
01:42 Des années plus tard, en me rendant compte que j'avais, du coup,
01:45 besoin de convoquer ces souvenirs pour être excité,
01:50 en remettant en scène ces violences-là, que je me suis dit
01:52 "Tiens, quand même, ça m'a vachement marqué,
01:55 "puisque 20 ans, 25 ans plus tard, je suis encore, entre guillemets,
01:58 "enfermé dans cette cage, dans ce souvenir,
02:01 "et que c'est ça qui déclenche mon excitation."
02:03 J'aimais l'hypothèse que c'est un traitement de l'information
02:07 et qu'en fait, remettre en scène ces violences,
02:09 c'est reprendre le pouvoir aussi, au moment du fantasme, en tout cas.
02:12 C'est-à-dire, quand t'as vécu, entre guillemets,
02:15 soit des viols, soit la menace du viol,
02:17 ou soit un inceste ou la menace de l'inceste,
02:19 tu as été ce qu'on appelle victime, c'est quoi, en fait ?
02:21 C'est être passif.
02:22 Et donc, avoir subi quelque chose dans une espèce de sidération
02:26 où t'as peut-être pas du tout pu réagir.
02:28 Et finalement, rejouer une scène qui convoque, en fait,
02:32 cette situation de domination, même d'écrasement, parfois,
02:35 c'est une façon de reprendre le pouvoir,
02:37 puisque ça va être toi, le metteur en scène.
02:40 Au moment du fantasme,
02:42 justement parce qu'elles sont confinées à l'imaginaire,
02:45 alors cette angoisse peut se libérer,
02:49 et toi, tu peux avoir l'impression que tu aurais été
02:53 consentante, consentant au moment des faits.
02:56 Je me suis rendu compte, adulte, que ces jeux-là,
02:58 ces mises en scène-là, ces imaginaires-là,
03:00 résonnaient aussi pour des personnes
03:02 qui, entre guillemets, n'avaient rien vécu de concret.
03:05 Mais en fait, le fait même de grandir
03:08 dans cette culture du viol et de l'inceste
03:10 fait que ce poids, cette angoisse, en fait, on la retrouve
03:14 chez, je trouve, toutes les personnes sexisées.
03:16 Cette menace du viol, elle est tellement présente,
03:19 c'est comme un truc un peu poisseux qui est là, en fait.
03:21 Peu importe le degré de violence auquel on a été confrontés,
03:24 on a été dans cette culture-là.
03:26 On m'a fait croire que les jeunes filles
03:28 avaient envie d'avoir des relations sexuelles
03:30 avec des petites salopes
03:31 et avaient envie d'avoir des relations sexuelles
03:32 avec des messieurs adultes.
03:34 Quelque part, imaginer ces scènes-là
03:35 ou les regarder dans la pornographie,
03:38 c'est comme si...
03:39 OK, j'arrête de me battre, ça me soulage, je regarde,
03:42 alors qu'au fond, ça nous angoisse complètement.
03:44 Mais il y a un moment où c'est un apaisement,
03:47 c'est la fin du conflit, en fait, le temps du fantasme.
03:51 Je pense qu'il manque des mots pour parler de fantasme,
03:53 je pense qu'il faudrait plusieurs mots,
03:54 mais en tout cas, il y a vraiment une fonction de soin,
03:57 une fonction de care, étrangement, avec ces mises en scène,
04:00 et cela n'a aucunement la fonction d'être réalisé.
04:03 Je pense que ces fantasmes n'existent que parce qu'ils sont
04:06 une réponse à cette violence.
04:08 Si on arrivait enfin à sortir de la domination
04:12 et de l'écrasement dans lequel, franchement, on est à tous les niveaux,
04:15 je pense que ces fantasmes-là s'estomperaient progressivement
04:19 et n'auraient plus lieu d'être, justement,
04:21 parce qu'il n'y aurait plus besoin de guérir quelque chose
04:24 qui a été abîmé.
04:26 Donc moi, je souhaite qu'on arrive à cette étape-là,
04:28 mais pour l'instant, on n'a pas beaucoup d'indicateurs
04:31 qui montrent qu'on va y arriver.
04:32 [Musique entraînante diminuant jusqu'au silence]

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