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00:00 6h39, les matins de France Culture, Guillaume Erner.
00:06 Marc-Éric Caton, je vous salue.
00:08 Bonjour Guillaume, bonjour à tous.
00:10 222 alinéa 23, 222 alinéa 23, c'est désormais votre mantra.
00:16 Oui, enfin c'est l'article du Code pénal qui caractérise le viol et cet article fait
00:21 aujourd'hui l'objet d'un débat important, aussi bien au sein de l'Union Européenne
00:24 qu'à l'Assemblée Nationale ou dans la société civile.
00:27 Pour la loi française, tout acte de pénétration sexuelle ou tout acte bucogénital commis
00:32 par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol.
00:36 Mais pour certains, cette définition n'est pas opérante.
00:38 Il faut la changer, introduire la notion de consentement.
00:41 Tout acte sexuel sans consentement serait un viol alors.
00:45 Bonjour Michael Beniluch.
00:47 Bonjour Marguerite Caton.
00:48 Vous êtes avocat au barreau des Hauts-de-Seine, docteur en droit privé et sciences criminelles.
00:51 Dans l'état actuel du droit, comment expliquer les chiffres du ministère de la Justice à
00:56 peine 14% des plaintes déposées pour viol aboutissent à une condamnation ?
01:00 Déjà le texte en lui-même a été modifié à de nombreuses reprises.
01:05 Depuis une loi du 23 décembre 1980, il y a eu plusieurs modifications qui sont intervenues
01:10 pour inclure des agissements qui sont des agissements de plus en plus nombreux de l'acte
01:15 imposé par la victime sur l'auteur ou encore dans l'hypothèse des rapports bucogénitaux.
01:22 Il y avait des distinctions qui étaient des distinctions byzantines selon la jurisprudence.
01:26 Aujourd'hui on a un texte qui est suffisamment large.
01:28 Je pense qu'il ne faut pas regarder spécialement du côté du texte en lui-même mais plutôt
01:33 du côté de son application.
01:34 Il est extrêmement difficile d'appliquer le texte relatif au viol parce qu'il est
01:38 difficile de prouver le viol et d'amener la victime jusqu'au procès.
01:42 Alors une fois que la victime est au procès, pourquoi c'est difficile à prouver ? Généralement
01:46 on classe sans suite parce que l'infraction n'est pas suffisamment caractérisée concrètement.
01:50 Qu'est-ce que ça veut dire ?
01:51 C'est cette difficulté-là.
01:52 C'est-à-dire qu'en droit pénal on a le principe de présomption d'innocence qui
01:55 bénéficie à tous.
01:56 C'est une garantie, c'est une garantie ici qui est fondamentale.
01:59 Dès lors il appartient aux autorités de poursuite de prouver la culpabilité de la
02:04 personne qui est poursuivie.
02:05 Pour parvenir à prouver, il faut là-dessus pour les autorités de poursuite s'appuyer
02:09 sur la victime.
02:10 Souvent l'agresseur va être une personne que la victime va connaître.
02:13 Il faut que la victime très rapidement prenne ses dispositions pour se ménager un certain
02:19 nombre de preuves.
02:20 Ce qui n'est pas tout à fait évident, lorsqu'elle est en état de choc, se ménager
02:23 des preuves, ce sont des enregistrements.
02:25 C'est aussi aller immédiatement après les faits à l'hôpital.
02:29 Or souvent, hélas, la société, plutôt notre société, fait en sorte que la victime est
02:35 culpabilisée.
02:36 Un rapport de l'Inspection Générale de la Justice en 2019 pointait aussi le manque
02:41 d'investigation.
02:42 On ne mettrait pas assez de moyens, pas d'audition systématique de l'homme mis en cause,
02:47 ce qui est un peu étonnant pour un néophyte comme moi.
02:50 De rares enquêtes d'environnement, comment vous l'expliquez-vous ? C'est une question
02:52 de moyens ou c'est une question de volonté ?
02:54 C'est d'abord une question de moyens.
02:55 La justice n'a pas les moyens.
02:56 C'est un point qui est tout à fait délicat.
02:58 Mais il y a aussi un aspect de volonté.
03:00 C'est un point qui est assez délicat.
03:01 Alors même qu'il y a un certain nombre d'études qui sont parues pour montrer que les accusations
03:06 fantaisistes de viol sont extrêmement rares, pour autant, alors qu'il y a des investigations,
03:12 celles-ci ne sont pas menées à leur terme, ou n'apparviennent pas à leur terme.
03:15 Alors pour des raisons qui sont diverses et variées.
03:18 Et c'est aussi parce que le témoignage de la victime, il est friable, il peut être
03:24 mouvant et surtout qu'il est particulièrement traumatisant.
03:27 Donc déjà, recueillir ce témoignage-là, c'est un vrai parcours du combattant.
03:32 Il ne faut pas oublier que la victime, tant qu'elle ne se constitue pas partie civile,
03:35 normalement, elle n'a pas d'avocat.
03:36 L'autre partie, celui du consentement, dénonce dans ce texte de loi une mécompréhension
03:42 de l'acte lui-même et des réactions de la femme.
03:45 Sidération, dissociation cognitive à tel point que, vous l'avez souligné, dans 91%
03:50 des cas, les victimes connaissent leur agresseur, donc elles ne se débattent pas, elles ne
03:53 crient pas, elles sont incapables de réagir, la coercition est difficile à prouver.
03:57 Dans le cas où l'on définirait le viol comme un acte sexuel obtenu sans consentement,
04:02 ce serait à l'accusé de prouver qu'il a obtenu le consentement ?
04:05 - Ça semble être une bonne idée en soi, c'est-à-dire qu'on va se focaliser sur
04:10 la victime, ça peut être une bonne chose.
04:13 Après, on renverse complètement la façon de raisonner du code pénal, qui se focalise
04:17 sur l'auteur de l'infraction.
04:18 Il y a un principe, celui de responsabilité personnelle, on se focalise sur l'auteur.
04:23 Et puis, au final, je rejoins des critiques qui ont été émises par rapport à ce consentement,
04:28 cette façon de concevoir les choses, si on se focalise sur la victime, ça va signifier
04:32 quoi ? Ça va signifier que, en fait, l'homme propose, la femme dispose.
04:36 Donc, l'homme, c'est une sorte de monstre ici, assoiffé de sexe, et la femme, elle
04:41 va disposer là-dessus, il lui appartiendra, cet homme-là, justement, de démontrer que
04:46 la femme, elle est consentante.
04:47 Est-ce qu'on n'est pas ici en train de glisser vers un anti-féminisme sous de bonnes
04:53 raisons, sous de bons réflexes pour accroître l'effectivité d'une loi ? Le droit pénal,
04:57 ce n'est pas la réponse à tout.
05:00 Il y a des réponses qui sont autres que cette branche du droit qui est focalisée sur l'auteur
05:04 de l'infraction.
05:05 Là, vous reprenez notamment les arguments de la philosophe Manon Garcia qui a publié
05:09 une tribune en ce sens, par "U Mardi dans le Monde", et dans le même type d'opposition
05:16 à la notion même de consentement, il faut aussi citer la juriste américaine Catherine
05:20 McKinnon.
05:21 Elle est opposée à cette notion parce qu'elle dit que ça crée une fausse situation d'égalité
05:25 entre l'homme et la femme.
05:26 C'est une fiction juridique, en fait, cette égalité qui permettrait de dire oui ou
05:29 de dire non, qui fait abstraction des mille et une inégalités, qui explique la manière
05:33 dont en fait, nombre d'agresseurs obtiennent le consentement des femmes.
05:37 Vous aussi, vous suivez cette ligne ?
05:39 Tout à fait, surtout qu'il y a une notion en droit français.
05:41 Le viol, c'est d'obtenir justement un rapport sexuel par violence, contrainte, menace
05:45 ou surprise.
05:46 La surprise, c'est la prise de drogues diverses et variées, GHB, ainsi de suite.
05:52 Violence, on voit que ça correspond aux menaces aussi.
05:54 Et la contrainte se dissocie en contrainte physique et contrainte morale.
05:58 Et la contrainte morale, il y a une définition qui est très large par le code pénal, la
06:02 plus large possible.
06:03 Ça peut être une différence d'âge, ça peut être un rapport d'autorité.
06:06 Et là, on peut justement inclure ce type d'hypothèse là.
06:10 Mais est-ce que c'est le cas dans les faits ? Parce que vous dites on peut l'inclure.
06:13 Que dit la jurisprudence ?
06:14 Alors, justement, c'est le point qui est délicat.
06:18 C'est à dire que ce point là, cette notion là, elle doit être plaidée par les avocats,
06:23 de être appliquée également le cas échéant, mais aussi faire l'objet d'un aspect qui
06:27 est un aspect éducatif.
06:28 Il ne faut pas qu'une femme, puisque dans l'extrême majorité des cas, c'est une
06:32 femme, se sente forcée d'avoir des rapports sexuels.
06:34 Et elle va se sentir forcée par rapport au contexte, par rapport à un certain nombre
06:37 d'éléments, par rapport à des messages ou des signaux que l'homme va estimer avoir
06:42 été envoyé.
06:43 Avec souvent cette inversion de l'auteur à la victime qu'on a souvent dans un certain
06:48 nombre de dossiers, qui va consister pour l'auteur à s'ériger en victime.
06:51 Mais comment ça ? Tu n'étais pas consentante, mais enfin tu m'as envoyé tous les signes,
06:55 tu m'as demandé de te ramener chez toi, tu as dormi à côté de moi, en sous-vêtements.
06:59 Et dès lors qu'on a cette inversion, là je pense que c'est plus un aspect qu'un
07:04 aspect éducatif pour dire attention.
07:05 Il peut y avoir une telle hypothèse, une contrainte morale.
07:07 Ce n'est pas parce que la femme accorde sa confiance à un moment donné à un homme
07:11 que pour autant, ici, elle a justement un accord sur le rapport sexuel.
07:15 Un dernier point très rapidement, Michael Benilouch.
07:17 La France a ratifié la Convention d'Istanbul en 2014, dont l'article 36 stipule qu'est
07:22 considéré comme viol les actes sexuels non consentis.
07:24 Est-ce que ça n'aura pas d'impact sur notre article 222-23 sur la définition française ?
07:30 Est-ce qu'il faut le transcrire ?
07:31 Il est beaucoup plus, comment dire, il est beaucoup plus spécifique.
07:34 Le droit pénal aussi est marqué par un principe qui est un principe ici de clarté du texte,
07:39 de précision du texte.
07:40 Actes sexuels non consentis, on est quand même sur quelque chose d'extrêmement large
07:44 de façon générale.
07:45 Néanmoins, il a inspiré le droit positif puisque jusqu'en 2018, par rapport aux rapports
07:49 buccogénitaux, on avait justement une distinction ici pour savoir s'il y avait ou non pénétration.
07:55 Merci Michael Benilouch, merci beaucoup.
07:57 Je rappelle que vous êtes avocat au barreau des Hauts-de-Seine.
07:59 Merci.