Très vite, celui qui incarnait la « force tranquille » lors de la campagne électorale fixe des limites, divise pour mieux régner et cultive le secret. Six mois seulement après son accession au pouvoir, il souffre du dos. Des métastases sont diagnostiquées. Celui qui avait promis la transparence sur son état de santé va alors organiser le mensonge avec la complicité de son médecin personnel, le Dr Gubler. Retour sur ce secret d'Etat qui a tenu onze ans.
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00:00:00 (musique)
00:00:14 Les rumeurs sur la santé de Mitterrand, j'en avais entendu tout le temps, depuis des années, des années, des années.
00:00:18 On n'y croyait pas trop, quoi. C'est des histoires de journalistes.
00:00:22 Depuis une quinzaine de jours, je vais mieux.
00:00:26 J'ai retrouvé ma mobilité. On peut penser que j'ai atteint un stade normal,
00:00:32 de vie normale, d'un homme normal.
00:00:36 François Mitterrand a convoqué dans son bureau, André Rousselet, Pierre Perrigovo et moi, tous les trois.
00:00:41 Il nous dit, j'ai un secret à vous dire, que je voudrais que vous gardiez, je serai mort avant la fin de l'année.
00:00:47 Le président souhaite le secret le plus absolu.
00:00:50 Et le secret le plus absolu vis-à-vis de tout le monde, c'est-à-dire vis-à-vis de sa famille.
00:00:55 La manière dont il a géré sa maladie, évidemment, le révélateur de ce caractère à tiroir, caractère cloisonné.
00:01:01 Il a été pratiqué tout un bilan pour ne laisser aucune zone d'ombre.
00:01:06 Le président le souhaitait, ça a été fait et les conclusions sont parfaitement satisfaisantes.
00:01:11 Tout devait disparaître, tout était dans ma valise, dans des petites boîtes, et après brûlé.
00:01:17 Il savait que je savais, je savais qu'il savait que je savais, mais on n'en parlait jamais.
00:01:23 Êtes-vous à nouveau candidat à la présidence de la République ?
00:01:27 Oui, vous avez mûrement réfléchi, je le crois.
00:01:32 Il a consulté ses conseillers politiques, il a refusé de consulter ses conseillers médicaux.
00:01:42 François Mitterrand a bénéficié d'une sorte d'état de grâce physique.
00:01:47 Sa volonté et sa détermination naturelle ont joué un rôle considérable.
00:01:52 Je sais que je vais mourir, mais je n'y crois pas.
00:01:55 Ce n'est pas une menace comme ça qui pèse sur ma tête en imminence.
00:02:00 Bérégo va venir me voir, il dit "tu sais, il faut que tu parles à Mitterrand, ça ne va pas du tout, il veut démissionner en arrivant à Paris".
00:02:10 Il semblerait qu'il a même écrit sa lettre de démission.
00:02:13 Charas, c'est lui qui a pris le papier, il a dit "on va le déchirer, enfin ce n'est pas possible".
00:02:19 Il n'a jamais vraiment aimé l'Élysée, mais il a tellement bataillé pour s'y retrouver.
00:02:31 En mai 1981, François Mitterrand s'installe à l'étage, dans le bureau qu'occupait son meilleur ennemi, le général de Gaulle.
00:02:38 La gauche est au pouvoir, il doit être à la hauteur des attentes, ne pas décevoir ceux qui ont placé en lui tant d'espoir
00:02:44 et rendre légitime ce qu'il n'est toujours pas pour certains.
00:02:47 Alors il choisit de prendre les habits du président, ce que la Constitution a dessiné, celui du monarque républicain.
00:02:54 Très vite, il va installer cette distance, fixer des limites.
00:02:57 Les proches d'hier deviennent des collaborateurs.
00:02:59 Il va distribuer les bons et les mauvais points, diviser pour mieux régner, et cultiver une chose, le secret.
00:03:05 Et ils seront multiples.
00:03:07 Avant de franchir la grille du palais, il en avait déjà quelques-uns.
00:03:10 Mais il ignorait tout de celui qui allait s'imposer à lui alors que tout commence.
00:03:15 François Mitterrand souffre du dos et le mal persiste.
00:03:18 Il en parle à son médecin qui lui conseille des examens médicaux.
00:03:21 Le rendez-vous est pris.
00:03:22 Des examens qui vont se dérouler discrètement dans un hôpital militaire.
00:03:27 [Musique]
00:03:45 Je l'ai conduit avec ma voiture au Val-de-Grâce, à la petite porte des urgences qui se trouve en bas et à droite.
00:03:53 [Musique]
00:04:01 C'est un hôpital militaire très en point pour soigner et traiter dans le plus grand secret.
00:04:07 [Musique]
00:04:15 C'est un samedi.
00:04:16 On a convoqué les sommités du Val-de-Grâce.
00:04:20 Ils ont été accueillis par deux généraux.
00:04:23 Patron du Val-de-Grâce, le grand médecin-chef sont là.
00:04:27 [Musique]
00:04:29 Le général Thomas avait fait mettre tous les examens au nom d'un membre de sa même famille qui s'appelait Blau.
00:04:38 Albert Blau qui est donc ce patient si important dont l'identité doit rester secrète.
00:04:45 Le patron du Val-de-Grâce et le médecin-chef des services accueillent en fait François Mitterrand, le président de la République élu six mois plus tôt.
00:04:54 Ce sont des douleurs persistantes qui ont poussé son médecin personnel à le conduire ici.
00:05:00 Une espèce de tour de rein ou de lumbago récurrent, permanent, qui est très handicapant.
00:05:06 En jouant au golf, il avait fait une mauvaise manœuvre et il s'était bloqué à un point sensible de ses vertèbres.
00:05:13 C'est devant la progression rapide de ces douleurs et surtout de cette difficulté à la marche que nous avons décidé de faire des examens plus approfondis.
00:05:28 François Mitterrand subit entre autres une échographie mais aussi une scintigraphie, une méthode d'imagerie médicale qui permet de détecter la présence de tumeurs.
00:05:39 On lui a dit qu'il fallait faire ces examens, il les fait. Il sent que c'est nécessaire, il les fait.
00:05:46 Quand c'est été fini, on est reparti dans ma voiture.
00:05:50 Quelques heures plus tard, l'ordre aurait été passé au dirigeant du Val-de-Grâce de mettre dans un coffre le dossier du mystérieux monsieur Blau et d'effacer de leur mémoire la visite de ce patient.
00:06:04 Le ministre de la Justice Robert Ballinter affirme sa volonté de rompre avec la politique répressive de son prédécesseur Alain Perditte.
00:06:11 Ainsi, le nouveau pouvoir envisage-t-il de supprimer les quartiers de haute sécurité ?
00:06:30 Quatre jours plus tard, le médecin personnel du chef de l'État vient lui apporter les résultats des différents examens réalisés au Val-de-Grâce.
00:06:47 Je crois que les termes que j'ai effectivement employés étaient « écoutez, vos examens montrent qu'il y a quelque chose qui est plus important que ce qu'on pensait au départ ».
00:07:02 Gubler prend son courage à deux mains, il lui amène ça progressivement avec pas mal de circonlocution.
00:07:11 J'essaye de mettre un peu de coton autour de ce que je dis tout en faisant comprendre que c'est sérieux.
00:07:18 Ce que le docteur Gubler n'ose pas annoncer directement à François Mitterrand, c'est le diagnostic posé par les médecins.
00:07:27 Un cancer de la prostate et des métastases sur les os.
00:07:37 Même si je lui dis que c'est sérieux, il dit « ça va aller, ça va s'arranger ».
00:07:42 Je pense qu'on exagère, je pense que les médecins militaires exagèrent.
00:07:46 Le chef de l'État mesure-t-il réellement la gravité du mal dont il est atteint ?
00:07:50 Le refus du traitement proposé par les médecins du Val-de-Grâce est déjà une forme de réponse.
00:07:56 Face à cette situation, et pour se couvrir, le général Laverdand, médecin-chef de l'hôpital militaire,
00:08:03 rédige dès le lendemain un compte-rendu de consultation dont voici la première page.
00:08:08 Une décharge pour que ces médecins ne puissent pas être accusés de quoi que ce soit,
00:08:15 de bien montrer qu'ils avaient fait tout ce qu'il fallait, de A jusqu'à Z,
00:08:20 et que c'était le président de la République lui-même qui refusait d'aller plus loin dans les propositions qu'il faisait.
00:08:31 François Mitterrand ne veut plus entendre parler des spécialistes militaires,
00:08:35 mais il accepte toutefois de voir un grand urologue, le professeur Steg, de l'hôpital Cochin.
00:08:41 Le rendez-vous est fixé le lundi 16 novembre 1981, il n'apparaît bien sûr sur aucun agenda officiel.
00:08:49 Parallèlement, le matin de ce rendez-vous, le secrétaire général de l'Élysée reçoit un appel surprenant.
00:08:58 Un médecin du Val-de-Grâce le prévient d'une indiscrétion.
00:09:02 Paris Match serait sur le point de révéler la visite et les examens secrets du mystérieux Albert Blau.
00:09:09 Le collaborateur de François Mitterrand intervient aussitôt, il appelle un journaliste de l'hebdomadaire.
00:09:17 Pierre Bérégovoy me téléphone le lundi, jour de bouclage,
00:09:23 pour me demander s'il est exact, comme il croit le savoir, que Paris Match s'apprête à publier, le jeudi suivant,
00:09:32 un reportage sur la santé du président.
00:09:36 Je lui réponds qu'à ma connaissance, non, mais que je vais m'enseigner.
00:09:40 Je me renseigne auprès de Roger Théron, le directeur, qui me dément en me disant absolument pas, rien.
00:09:50 Je rappelle Bérégovoy pour le lui dire et on en reste là.
00:09:55 À 20 heures, le même jour, comme prévu, le docteur Gubler et le professeur Steg entrent à l'Elysée.
00:10:04 L'urologue doit ausculter le président de la République.
00:10:17 Le professeur Steg demande au président de la République de bien vouloir rentrer en salle de bain,
00:10:22 de se mettre comme il faut pour être examiné.
00:10:25 Le diagnostic, osé et certain, est grave.
00:10:37 Et le professeur Steg le lui dit très nettement.
00:10:43 Vous avez un cancer de la prostate.
00:10:47 Je me souviens très bien de la physiognomie du président de la République qui accuse le coup.
00:11:02 Il lui répond, mais je suis foutu.
00:11:11 Le professeur Steg se redresse et lui dit, mais ne lui dites pas de bêtises.
00:11:16 C'est à ce moment-là que le président de la République dit, arrêtez vos salades, arrêtez.
00:11:22 Vous voulez que je sois à Commenta ? Je le sais.
00:11:33 Réunions des présidents de la République.
00:11:37 Moi je veux avec vous fonder l'histoire qui s'écrira avec les travaux de notre peuple.
00:11:50 Et j'entends être le président de la République qui commencera cette époque de notre histoire.
00:11:58 Il n'y a pas de vacances, de loisirs, ni de repos possible pour ceux qui sont chargés, vous et moi, nous tous ensemble.
00:12:07 Nous avons la charge des intérêts de la France et les Français, tout du moins sous la règlement.
00:12:14 Je serai en tout cas, et je l'ai toujours dit, celui qui fera tout, le plus important.
00:12:23 Je l'ai toujours dit, celui qui fera tout pour que cette élection soit gagnée.
00:12:30 Mes amis, nous allons gagner.
00:12:51 Il a vécu ça comme un paradoxe du destin, comme une sorte de maléfice venant contrarier ce qu'il considérait comme une assomption.
00:13:00 Effectivement, 81, c'est l'aboutissement d'un long combat qui a duré 23 ans.
00:13:05 Et quand il y arrive, c'est pour apprendre qu'il souffre d'une maladie, en tout cas dangereuse.
00:13:17 Après un moment d'absence, le président finit par se ressaisir.
00:13:22 Les médecins, eux, sont déjà dans l'étape suivante, la mise en place du traitement.
00:13:27 Le professeur Stegg se tourne vers moi et dit, dès demain, vous allez commencer à lui administrer par voie intraveineuse un certain nombre de produits.
00:13:37 Et Adolf Stegg et Claude Gubler pensent que par un traitement d'hormonothérapie, il y a moyen de peut-être freiner la maladie.
00:13:47 Les deux médecins prennent congé et dans la cour de l'Elysée, le docteur Gubler pose à son collègue la question qui lui brûle les lèvres.
00:13:56 Quel est votre pronostic sur une forme comme celle-ci ? Combien de temps ?
00:14:02 Il me dit, tout dépend de sa réactivité et de ce qu'on va lui faire. Je dirais, me dit-il, trois mois, trois ans.
00:14:10 Me voilà nanti d'une responsabilité qui dépassait largement celle que je pensais avoir.
00:14:27 À partir de ce moment précis, la maladie de François Mitterrand devient un secret d'Etat.
00:14:34 Quelques temps plus tard, seuls trois proches collaborateurs sont appelés par le chef de l'Etat.
00:14:40 François Mitterrand est convoqué dans son bureau. André Rousselet, Pierre Perrigobo et moi, tous les trois.
00:14:46 Il nous dit, j'ai un secret à vous dire, que je pourrai vous garder et je serai mort avant la fin de l'année.
00:14:52 Prenez vos dispositions, mais personne ne doit le savoir.
00:14:57 Prenez vos dispositions, mais personne ne doit le savoir.
00:15:02 Chacun de ces trois hommes pense détenir le secret le mieux gardé de la République.
00:15:07 Et pourtant, le 19 novembre 1981, Paris Match publie des informations exclusives.
00:15:14 Trois pages qui ont pour titre "Questions sur la santé du président".
00:15:21 Ce jour-là, à 9h15, François Mitterrand entraite au Val-de-Grâce.
00:15:26 Des témoins qui le reconnaissent alors diront qu'il a le teint jaune citron, marche avec difficulté.
00:15:32 Le président est amené dans la salle de radiodiagnostique.
00:15:37 François Mitterrand, quand Paris Match révèle qu'il est allé un samedi incognito, en voiture banalisée, au Val-de-Grâce pour une scintigraphie,
00:15:46 et que son nom d'emprunt, Albert Blot, est mentionné, là, il écume de colère.
00:15:52 Une colère présidentielle qui repose sur le fait que ces fuites viennent forcément de l'hôpital militaire.
00:15:59 Comment ces informations ultra confidentielles ont-elles pu sortir de cette enceinte où tout est classé secret défense ?
00:16:07 C'est la question qui agite le chef de l'État.
00:16:09 Les fuites ne pouvaient pas venir d'un simple militaire qui aurait vu ma voiture avec le président dedans.
00:16:20 Les précisions qui ont été données dans ces fuites, en particulier Blot, faisaient que certains ont eu accès au dossier médical.
00:16:29 Et ça ne peut être que des personnalités médicales.
00:16:32 Aujourd'hui encore, les dessous de ces révélations restent troubles.
00:16:37 Mais un scénario plausible est avancé par plusieurs témoins.
00:16:41 L'histoire d'un incroyable hasard.
00:16:44 C'est une infirmière du Val-de-Grâce qui a, par amour pour son photographe,
00:16:55 obtenu des bribes d'informations, enfin quand même assez précises,
00:16:59 sur l'heure à laquelle il est arrivé, l'heure à laquelle il est sorti, le type d'examen qu'il a fait, etc.
00:17:05 Le samedi 7 novembre, l'infirmière appelle donc son compagnon,
00:17:10 un photoreporteur de Paris Match, qui prévient aussitôt son rédacteur en chef.
00:17:15 Il lui raconte cette histoire que quelqu'un qui aurait vu entrer le président décrit avec un teint sireux,
00:17:24 un teint même citronneux, lui a appris l'entrée discrète de cette voiture.
00:17:30 Bien conscient du caractère brûlant de cette information, et pour éviter la moindre fuite,
00:17:35 le directeur du célèbre magazine prévoit un dispositif très spécial.
00:17:40 Quand c'est un scoop vraiment confidentiel, eh bien on monte un leurre.
00:17:45 C'est-à-dire qu'à la maquette, vous pouvez remplacer un sujet par un autre.
00:17:49 Roger Théron fait établir quatre pages sur Tino Rossi.
00:17:56 Donc personne ne voit apparaître un autre sujet que ce leurre.
00:17:59 Mais à la dernière minute, lorsque tout ça est envoyé à l'imprimerie,
00:18:03 il y a une substitution et on remet le bon à la place du faux.
00:18:07 Donc c'est à l'apparition, c'est quand vous recevez le journal que vous découvrez.
00:18:12 Personnellement, je suis atterré dans la mesure où on m'a fait mentir auprès du président.
00:18:17 C'est quand même une position délicate.
00:18:24 Dans l'entourage proche du président, seuls trois collaborateurs sont au courant.
00:18:30 Alors, comment vont réagir les autres conseillers à ces révélations ?
00:18:36 Les rumeurs sur la santé de Mitterrand, j'en avais entendu tout le temps depuis des années, des années, des années.
00:18:44 J'ai dû feuilleter le match et penser que c'était des idiosies comme d'habitude.
00:18:47 On n'y croyait pas trop, quoi. C'est des histoires de journalistes.
00:18:51 Ça nous paraît à l'évidence une manœuvre de déstabilisation qui vient d'une partie de la droite et de l'opposition.
00:18:57 Moi, je n'imaginais pas une seconde qu'ils puissent avoir une maladie quelconque.
00:19:01 En coulisses, François Mitterrand veut à tout prix savoir comment ces informations sur sa santé ont pu être révélées.
00:19:09 Une enquête a été faite au niveau de Hadegraz.
00:19:17 Il y a eu une sanction vis-à-vis de… c'est un appelé, un appelé du contingent.
00:19:22 Ça n'a pas été au-delà. Aucune tête vraiment des responsables médicaux n'est tombée.
00:19:27 Une lanterne, un porte-lanterne, voilà, qu'on a mis dehors.
00:19:31 Un président nouvellement élu, malade.
00:19:40 Aujourd'hui, une telle information aurait fait l'effet d'une bombe.
00:19:43 Une contre-enquête aura été menée.
00:19:45 À l'époque, les révélations de Paris Match n'ont pas marqué l'opinion,
00:19:48 déjà habituée aux rumeurs sur la santé de François Mitterrand.
00:19:51 Cette fois pourtant, le cancer est bien là.
00:19:54 Et devant l'insistance de ses médecins, le président a accepté l'idée d'être soigné.
00:19:58 Personne ne le sait, hormis Anne Pinjot, la compagne cachée, la mère de Mazarine.
00:20:04 Dans les jours qui suivent le diagnostic, le traitement pour tenter d'enrayer le cancer est lancé.
00:20:12 Chaque matin, le président de la République est déposé par son chauffeur
00:20:17 à son domicile de la rue de Bièvre, où il ne vit plus réellement.
00:20:21 - François Mitterrand, à partir de 1981,
00:20:25 habitait maritalement avec Anne Pinjot. C'était son quotidien.
00:20:29 - Il passe ses nuits avec Anne Pinjot et Mazarine.
00:20:32 Mais évidemment, tout ça à l'insu de Claude Gubler,
00:20:36 qui n'ignore rien de la maladie, mais qui est un peu le seul à le connaître.
00:20:40 - Il n'ignore rien de la maladie, mais tout de la seconde vie de François Mitterrand.
00:20:43 Le chef de l'Etat regagne sa chambre au dernier étage,
00:20:47 et il attend à 7h30 l'arrivée de son médecin, à qui il a fait passer une consigne.
00:20:52 - Le président souhaite le secret le plus absolu.
00:20:55 Le secret le plus absolu vis-à-vis de tout le monde, c'est-à-dire vis-à-vis de sa famille.
00:21:00 - C'était un homme du secret. Le secret était une question de survie.
00:21:09 - Il faut que je m'arrange pour faire un petit coucou à Daniel Mitterrand comme ça,
00:21:14 et de dire que je viens pour soigner le cérématisme.
00:21:17 - Sa femme était beaucoup plus émotive et réactive que lui,
00:21:20 se contrôlait beaucoup moins bien, et il est probable que si elle avait su ça,
00:21:23 elle aurait, à l'inverse de lui, surréagi.
00:21:27 Sur instruction du professeur Steg, le docteur Gubler pose chaque matin une perfusion.
00:21:38 Le produit injecté vise à bloquer le développement des cellules cancéreuses.
00:21:42 Les 15 premiers jours du traitement sont décisifs.
00:21:46 François Mitterrand reste serein.
00:21:49 - Avec de la part du président de la République, un petit côté un petit peu pervers.
00:21:56 Il y a son chien Nils, son labrador, qui ne m'aime pas du tout.
00:22:01 Et je n'ai qu'une peur, c'est que dès que je vais sortir à 5, il va me mordre, je sais pas quoi.
00:22:05 Ça fait sourire, le président.
00:22:08 Bon alors, il met Nils dehors, et puis je peux faire mon travail
00:22:11 et ressortir par un petit escalier dérobé.
00:22:13 Après ce rendez-vous médical, le chef de l'État se rend à l'Élysée,
00:22:19 où même auprès de ses plus proches collaborateurs, rien ne doit transparaître de ce qu'il en dure.
00:22:26 - C'est vrai qu'il a dû supporter un point terrible, mais il était comme ça.
00:22:34 Une personne habitée par une formidable confiance en soi
00:22:37 et en sa capacité de maîtriser les événements, y compris la maladie.
00:22:41 - Il était... coriace.
00:22:44 Un mois après le diagnostic et les révélations dans la presse,
00:22:48 le président de la République veut mettre fin aux rumeurs sur son état de santé.
00:22:53 Il va se servir pour cela d'un entretien télévisé, en direct.
00:22:59 - Mitterrand est arrivé et il m'a dit "vous allez me poser une question sur ma santé, hein ?"
00:23:05 Alors j'ai dit "oui, oui, je suis obligé".
00:23:10 "Non, non, mais si vous ne le faisiez pas, vous feriez une erreur".
00:23:13 Donc c'est bien qu'il voulait me couper court aux articles de match
00:23:18 et peut-être aux fuites qui avaient lieu à partir de l'hôpital.
00:23:23 - Si vous le voulez bien, ma première question ne sera ni politique, ni économique, ni sociale.
00:23:27 Je vous la pose franchement, carrément. Est-ce que vous allez bien ?
00:23:31 - On m'a déjà posé la question.
00:23:34 Il est normal que la presse s'intéresse à la santé du président de la République.
00:23:39 Il est vrai qu'à partir du mois d'août dernier,
00:23:43 j'ai ressenti des douleurs dans le dos, dans les jambes.
00:23:48 Et je pense qu'à partir d'un certain moment, des choses durant,
00:23:53 il n'était plus possible de s'en tenir à la seule explication d'un long bagout.
00:23:57 J'ai donc fait procéder aux analyses, aux examens,
00:24:01 avec toutes les règles de l'art médical,
00:24:04 afin que toutes les hypothèses soient recouvertes,
00:24:07 y compris les hypothèses qui auraient pu se conclure par un verdict.
00:24:15 - On en a parlé après avec Desgraupes,
00:24:18 et Pierre Desgraupes, ce n'était pas un perdo de l'année.
00:24:20 Et franchement, on s'est dit, voilà, maintenant,
00:24:25 il a mis un terme à ces interrogations.
00:24:27 - Il a manifestement élaboré une stratégie de contre-information.
00:24:33 En fait, il a élaboré une stratégie de désinformation.
00:24:37 - Depuis une quinzaine de jours, je vais mieux.
00:24:41 J'ai retrouvé ma mobilité.
00:24:43 On peut penser que j'ai atteint un stade normal,
00:24:47 de vie normale, d'un homme normal.
00:24:50 - Ça n'était pas possible pour François Mitterrand en 1981
00:24:52 de dire la vérité sur ce maladie,
00:24:54 surtout avec l'événement historique que représente le premier président de gauche.
00:24:57 - Je n'ai d'ailleurs à aucun moment arrêté mes activités.
00:25:00 - Il faut se souvenir qu'en 1981,
00:25:02 la droite nous prédisait les chars soviétiques sur la place de la Concorde.
00:25:06 - Le gauche au pouvoir est quand même encore considéré comme illégitime
00:25:10 par une partie des forces politiques et une partie des médias.
00:25:13 Donc c'est un combat très dur.
00:25:15 - J'ai maintenu mon rythme de vie qui me fait rester à l'Elysée
00:25:18 dix à douze heures par jour.
00:25:21 - J'ai le sentiment que ça a plutôt accru sa détermination.
00:25:24 - Et puis, il avait toujours l'idée qu'il allait vaincre son cancer.
00:25:28 - Dans le cadre actuel de mes activités, de mon état de santé,
00:25:32 je pense pouvoir librement continuer
00:25:36 sans me poser de questions inutiles.
00:25:42 - Lors de sa campagne, le candidat Mitterrand avait promis
00:25:45 la transparence sur sa santé.
00:25:48 Un premier bulletin détaillé a été publié avant la découverte de son cancer.
00:25:52 Sa conclusion était "l'état général du président de la République
00:25:56 est tout à fait satisfaisant".
00:25:59 Six mois plus tard, qu'en sera-t-il du second ?
00:26:02 Que va décider le chef de l'Etat ?
00:26:05 - Le président me dit "il faut écrire le bulletin de santé,
00:26:08 mais je ne veux pas que vous mettiez le mot cancer".
00:26:11 Je lui réponds "ben alors, je ne le fais pas".
00:26:14 Alors il me répond "si, vous êtes lié par le secret d'Etat".
00:26:19 "J'ai promis, donc je veux que vous le fassiez".
00:26:22 Je lui réponds "écoutez, vous me mettez dans une situation extrêmement difficile, délicate".
00:26:26 - Le docteur Gubler va finalement se plier aux ordres du président de la République
00:26:32 et signer le second bulletin de santé le 15 décembre 1981.
00:26:37 Un document qui cache la réalité du cancer, derrière une banale sciatique et des termes à sconds.
00:26:44 Le médecin personnel ne se contente pas d'écrire le mensonge.
00:26:48 Il se livre à un étonnant exercice d'équilibriste en répondant à un journaliste de télévision.
00:26:54 - Alors si le président souffrait, avait des difficultés pour marcher, s'il boitait,
00:26:57 c'est à cause de ces trois choses ?
00:26:59 - C'est à cause de la cruralgie dont la cause était une incarthrose et une dyscarthrose.
00:27:07 - Et apparemment cela se soigne ?
00:27:09 - Cela se soigne très très bien, cela se soigne par des traitements médicaux,
00:27:12 en général par le repos, mais c'est impossible de demander ça au président de la République compte tenu de ses fonctions.
00:27:18 - C'est vrai que c'était un mensonge que de publier des bulletins de bonne santé.
00:27:24 - Alors on aurait pu me dire "pourquoi vous n'êtes pas parti ?"
00:27:26 - Je ne suis pas parti parce qu'un médecin ne part pas quand un malade va mourir.
00:27:29 - On ne part pas, on ne le laisse pas.
00:27:32 Le docteur Gubler prend sa mission à cœur.
00:27:35 Il est entièrement dévoué à François Mitterrand depuis de longues années
00:27:38 et désormais il se consacre à lui exclusivement.
00:27:43 Le rythme imposé par sa fonction n'effraie en rien François Mitterrand.
00:27:48 Comme si le chef de l'État voulait prouver à tous sa grande forme, il multiplie même les déplacements.
00:27:54 - En montant dans la voiture, je lui dis "vous allez bien ?"
00:27:57 C'est la première fois que je vous ai demandé de ces nouvelles.
00:27:59 Il me regarde et me dit "ces imbéciles de médecins se sont trompés".
00:28:03 Mais il est passé à autre chose.
00:28:05 Après avoir dit dans un premier temps la vérité à Jacques Attali sur son état de santé,
00:28:10 François Mitterrand fait machine arrière et choisit le mensonge.
00:28:14 Un écran de fumée entretenu par le si discret docteur Gubler.
00:28:18 - Il était là à tout moment, il sortait tout de suite derrière lui, il avait sa petite valise.
00:28:23 On ne le voyait pas mais on savait qu'il était là.
00:28:25 - En plus il se promène avec un appareil photo en bandoulière, il prend des photos sans arrêt.
00:28:34 Un personnage comme les aime Mitterrand, c'est à dire qu'il sort de l'ordinaire.
00:28:39 Et il ne fait pas de bruit mais il est là.
00:28:42 - C'était un homme original, pittoresque, avec ses roues flaquettes, tout ça.
00:28:49 Avec des costumes de velours extrêmement sympathiques.
00:28:53 - C'était Rousselet qui m'en avait parlé le premier en ces termes.
00:28:57 Ce cochet de fiacres londonien du 19e siècle.
00:29:01 Il trouvait que Mitterrand n'était pas sérieux d'avoir pris comme médecin ce type.
00:29:05 - Plus le mensonge est proche de la vérité, moins on le voit.
00:29:11 Je ne dirais pas qu'il faut se rendre plus bête qu'on est, je dirais qu'il faut se rendre plus transparent.
00:29:19 D'être là sans qu'on puisse savoir ce qu'il y a dedans.
00:29:23 Me traverser, c'est tout.
00:29:27 Ce 14 mai 1982, il est attendu à Hambourg par Helmut Schmidt, le chancelier de l'Allemagne de l'Ouest.
00:29:46 Le docteur Gubler se glisse sans être vu dans l'une des voitures du cortège présidentiel.
00:29:52 Juste derrière celle de François Mitterrand et du chancelier Helmut Schmidt.
00:29:58 - Je me devais d'avoir dans mes bagages comme un samu, comme un petit samu.
00:30:08 Un samu de poche, si je puis dire, pour une personne.
00:30:12 Que ce soit ventilation, intubation, que ce soit endormissement, que ce soit perfusion, que ce soit tout ce que vous voulez.
00:30:20 Dans ses valises, le médecin personnel dispose également d'un arsenal de médicaments pour éviter les effets secondaires du traitement contre le cancer.
00:30:30 - J'attache beaucoup d'importance à la signification de cette rencontre.
00:30:38 - Afin d'approfondir nos points de vue sur les sujets qui seront...
00:30:42 C'est Claude Gubler qui, jour après jour, les dose, les lime pour que le traitement soit au plus près et ne mette pas du tout en danger François Mitterrand.
00:30:55 - Il arrivait que les malades meurent brutalement d'une complication du traitement.
00:31:04 - Donc ça nécessitait effectivement que je sois proche, que je regarde qu'il les prenne bien, que je regarde qu'il ne prenne pas de choses contraires à ses thérapeutiques.
00:31:12 Cette contrainte impose au médecin d'être vigilant 24 heures sur 24.
00:31:18 - Le chef du protocole savait que je devais avoir ma chambre à côté de celle du président.
00:31:22 - Une obligation.
00:31:26 Le 15 mai 1982, à 5 heures du matin, alors que tout le monde dort encore, le docteur Gubler est soudain appelé en urgence par François Mitterrand.
00:31:36 - Le président me dit qu'il respire mal, qu'il a un point douloureux à gauche, si je m'amuse là, qui le gêne.
00:31:49 - Je palpe ses mollets, je palpe ses jambes, je trouve que ses mollets ne sont pas tels qu'ils étaient la veille, ils sont plus durs.
00:31:59 Le médecin reconnaît tout de suite les signes de l'accident qu'il redoutait.
00:32:03 Une embolie pulmonaire, un caillot de sang risque de boucher une artère, il faut agir vite, mais seul.
00:32:16 - Une embolie pulmonaire, on peut mourir et donc je suis bien embêté et je me dis tant pis, j'injecte la dose maximale et puis je vais le suivre à la trace.
00:32:28 - Et pourvu qu'il ne saigne pas, c'est tout ce que je peux dire.
00:32:33 Car après l'injection de ce puissant anticoagulant, le président risque une grave hémorragie à la moindre blessure.
00:32:45 François Mitterrand a bien failli mourir. Le geste de son médecin l'a sauvé.
00:32:50 Quelques heures plus tard, personne ne se doute de ce qui a pu se passer lorsqu'il va tenir sa conférence de presse.
00:32:57 - La France restera très attachée à cette notion et n'acceptera pas aisément, bien même n'acceptera pas du tout qu'une règle de la majorité puisse intervenir.
00:33:13 - Tout s'est bien passé. Le sommet s'est bien passé. Le président s'est un peu moqué de moi. Non mais je vais très bien, je n'ai plus de douleur, je n'ai plus rien.
00:33:21 Mais comme ça a passé très vite avec ce que je lui ai donné, il a minimisé.
00:33:27 Lors de ce voyage en Allemagne, comme à chaque fois qu'il soigne le président, Claude Gubler ne déroge pas à une règle essentielle.
00:33:37 - Il ne laisse strictement rien traîner, ni le coton, ni la seringue, ni l'aiguille, ni quoi que ce soit, ni même l'emballage des compresses.
00:33:45 - J'avais appris que les services secrets américains savaient très bien que le président Pompidou était atteint d'une maladie de galère et donc tout devait disparaître.
00:34:02 Tout était dans ma valise, dans des petites boîtes et après brûlé dans le four où on brûle les détritus à la clinique où j'avais mes entrées.
00:34:13 Cette première alerte en Allemagne ne change rien au rythme intense que s'impose le chef de l'État.
00:34:23 La politique passe avant tout. Sur ce plan, la courbe de popularité de François Mitterrand est en baisse.
00:34:28 L'euphorie des débuts a cédé la place aux principes de réalité économique.
00:34:32 En 1984, une politique de rigueur s'annonce.
00:34:35 Le président n'a pas vraiment le temps de penser à son cancer.
00:34:38 Il a déjà dépassé l'espérance de vie que le professeur Stegg situait entre trois mois et trois ans.
00:34:44 Et il a fini par considérer qu'il n'était plus malade.
00:34:49 Ce 10 juin 1984, François Mitterrand gravit à 67 ans, comme chaque année, la roche de Solutré en Bourgogne.
00:34:59 Un hommage symbolique à la résistance, un rendez-vous auquel participent ses amis fidèles.
00:35:13 On était bluffés par sa résistance physique, la question de l'âge même, ne se posait absolument pas.
00:35:21 François Mitterrand a bénéficié d'une sorte d'état de grâce physique.
00:35:26 Sa volonté et sa détermination naturelle ont joué un rôle considérable.
00:35:32 En à peine une heure de marche, d'un pas allègre, le chef de l'État arrive au sommet.
00:35:39 Les journalistes qui le suivaient, à ce train d'enfer que menait François Mitterrand,
00:35:44 revenaient de déplacement avec lui en disant "ah, mais alors, il nous a tués".
00:35:49 Ah, c'est 10 ans, mais c'est tiré spécialement.
00:35:51 C'est bien gentil, hein.
00:35:52 Ses douleurs ont disparu, ses analyses sont redevenues normales.
00:35:58 Nous avons une rémission spectaculaire. Spectaculaire. Pourvu que ça dure.
00:36:06 Bienvenue à ce lieu de travail, mes représentants.
00:36:09 Vous habitez une vieille maison.
00:36:13 N'avouez jamais !
00:36:15 Il a cru qu'il avait vaincu la maladie. C'était un combat gagné pour lui.
00:36:20 Donc c'était pas un sujet. Donc il était pas malade.
00:36:24 À ce moment-là, il se sentait sorti d'affaire.
00:36:27 Le président ne sent plus de menace pesée sur lui.
00:36:35 Il a même récemment demandé à son médecin d'arrêter tout traitement.
00:36:39 J'en ai marre, moi, de prendre vos cachets, là.
00:36:44 Il m'a dit "je me sens bien, je veux l'arrêter".
00:36:46 François Mitterrand se sent mieux,
00:36:49 et il veut s'épargner les effets secondaires de l'hormonothérapie sur son poids et sur sa sexualité.
00:36:55 De ce point de vue-là, il est quand même très diminué.
00:36:58 Même si on continue, dans les gazettes, à lui prêter pas mal de conquêtes,
00:37:02 ça lui pèse aussi d'avoir une libido en berne.
00:37:05 Je lui ai répondu "c'est hors de question, car tout arrêt du traitement
00:37:11 ferait repartir quelque chose qu'on ne pourrait peut-être plus contenir.
00:37:15 Si vous l'arrêtez, d'un moment vous êtes mort".
00:37:17 La maladie est donc toujours là, tapis, dans l'ombre.
00:37:26 Et François Mitterrand doit vivre avec.
00:37:31 En ce dimanche de Pentecôte, à l'issue de l'ascension,
00:37:35 une discussion informelle s'engage avec les journalistes qui le suivent.
00:37:39 Le président est interrogé sur une nouvelle candidature au terme de son premier septennat.
00:37:44 - Alors finalement 88. - 88 ?
00:37:48 - Qu'est-ce que vous voulez savoir ? - On verra.
00:37:52 J'espère que je serai encore en bon état.
00:38:00 Personne ne relève cette petite phrase murmurée, pourtant lourde de sens.
00:38:05 Si vous croyez qu'aujourd'hui il n'y a qu'un téléphone en plus...
00:38:09 C'est un jeu, il joue avec ses interlocuteurs.
00:38:15 Ce serait le moment, justement.
00:38:17 Et il va à une certaine limite de la sincérité.
00:38:21 On peut très bien dire "je vais mourir de toutes les façons sans jamais y croire".
00:38:29 C'est tout l'art de François Mitterrand.
00:38:32 Sa manière de se dévoiler sans le dire, de laisser filtrer une part du secret à mot couvert.
00:38:39 Il me disait "bon, vous savez, il n'y a que le cancer qui tue, les autres maladies on s'en tire".
00:38:46 Je suis arrivée, moi, pliée en deux de douleur avec un limbago.
00:38:50 Et il m'a dit "ne plaisantez pas avec ça, il y a des limbagos qui cachent des maladies très graves".
00:38:57 Il y avait beaucoup de non-dits, oui.
00:38:59 D'une certaine manière, j'ai vécu sa maladie un peu comme j'ai vécu l'épisode de Mazarine.
00:39:04 Il savait que je savais, je savais qu'il savait que je savais, mais on n'en parlait jamais.
00:39:10 À la fin de chaque pèlerinage à celui-là, le président a un autre rituel, secret celui-là.
00:39:19 Un rendez-vous que ses proches collaborateurs ne connaissent pas, à une trentaine de kilomètres de là.
00:39:25 Je savais par qui le joindre et comment le joindre, mais je ne savais pas exactement ce qu'il faisait.
00:39:29 Il y avait quelque chose qui était comme un peu tacite entre nous.
00:39:32 On n'en a jamais, au fond, jamais parlé.
00:39:34 Mais il ne parlait pas de sa venue à Taizé et nous ne parlions pas de sa venue.
00:39:41 C'était une sorte d'intimité, comme une visite de voisinage.
00:39:45 Sa fuite discrète mène François Mitterrand dans un lieu de retraite spirituelle et religieuse, la communauté chrétienne de Taizé.
00:39:53 Il avait envie de se retrouver, de fuir la cour, les courtisans, la foule autour de lui, de se retrouver lui-même.
00:40:01 Parce que c'est un homme qui aimait d'ailleurs ces moments de solitude.
00:40:05 Une église, un lieu dans la nature, il y avait des lieux dans lesquels il sentait quelque chose,
00:40:16 en présence de quoi il avait besoin d'être pour se retrouver, pour descendre dans sa crypte intérieure.
00:40:24 C'est une phrase qu'il employait souvent.
00:40:27 La crypte, c'est là où on est en présence de son mystère le plus profond.
00:40:41 François Mitterrand me disait que quand j'arrive dans l'église de Taizé, je me mets dans le fond, sur un petit banc, je m'assois là.
00:40:49 Il regardait, on voyait qu'il regardait beaucoup, il regardait l'église, il regardait les icônes dans l'église.
00:40:55 Peut-être qu'on peut dire qu'on sentait qu'il cherchait quelque chose.
00:40:58 Il y a une présence extraordinaire dans ce lieu.
00:41:04 Donc je suis là, silencieux, et je sens cette présence. Il y a une énergie.
00:41:11 Une retraite mystique pour ce président qui s'est toujours diagnostique, malgré son éducation catholique.
00:41:20 Ce mysticisme, je pense qu'il l'a toujours eu, mais il l'a toujours gardé secret.
00:41:28 Ce n'était pas compatible du tout avec la posture d'homme politique, le discours politique.
00:41:34 Donc c'était vraiment quelque chose qui restait extrêmement secret.
00:41:38 À Taizé, ce n'est plus le président rationnel. C'est un autre homme qui vient rencontrer le prieur.
00:41:45 Avec le frère Roger, François Mitterrand laisse entrevoir les grandes questions qui le préoccupent, parmi lesquelles la mort, la quête de l'au-delà.
00:41:57 Les sujets religieux l'intéressaient. En même temps, il n'était pas religieux, mais il avait une réflexion métaphysique.
00:42:05 Il était en quête de quelque chose. Il interrogeait beaucoup les gens, les philosophes et les savants.
00:42:13 C'est ce qui donne un sens, c'est ce qui peut pour certains s'appeler Dieu.
00:42:17 Les questions de "qui suis-je ? Où est-ce que je vais ? Où allons-nous ?" Il cherchait ce qui est en deçà des apparences, en lui-même.
00:42:27 Et la maladie, probablement, l'attirait encore plus dans l'intériorité.
00:42:32 Ces conversations mystiques, métaphysiques, le président en a le goût depuis longtemps, et pas uniquement avec le frère Roger.
00:42:46 À Paris, il a pris l'habitude de contacter très régulièrement la psychothérapeute Marie de Haenzel, pour des discussions à l'Elysée ou des promenades en ville.
00:42:58 Il m'a laissé entendre qu'on lui avait donné peu de temps à vivre. C'est une façon de dire les choses, j'ai très bien compris.
00:43:08 Je sentais qu'il avait besoin de sentir que quelqu'un l'incitait à vraiment croire dans sa force intérieure, sa force psychique, peut-être dans les forces de l'esprit aussi.
00:43:20 Il est certain que lui vivait avec cette conscience de sa mortalité, sa façon de vivre, ses actes, sa politique même, devait être sur fond de cette conscience.
00:43:37 Conscience d'un temps limité.
00:43:39 Des visites athésées, de longues conversations sur le sens de la vie, la quête spirituelle de François Mitterrand ne s'arrête pas là.
00:43:47 Elle passe également par des déambulations dans des lieux qui l'affectionnent.
00:43:52 Il était persuadé que les morts continuaient d'être autour de nous, à vivre autour de nous, avec une seule condition pour cela, c'est qu'on pense à eux.
00:44:06 Quand il était venu me voir dans les Cévennes, où j'avais une maison, une des premières choses qu'il m'avait demandé, ça avait été de l'emmener voir le cimetière.
00:44:15 Il était resté là une demi-heure, se promenant entre les tombes, réfléchissant.
00:44:25 Il avait une sorte d'étrange compagnonnage avec la mort.
00:44:31 D'ailleurs, ça fait partie des contradictions extraordinaires de ce personnage, qui pouvait être, pour certaines méthodes ou certaines initiatives, l'homme le plus roué du monde, et qui en même temps avait une sorte de dialogue métaphysique avec le ciel.
00:44:48 Il était comme ça.
00:44:58 Mon mari est mort d'un cancer, et Mitterrand venait le voir tous les jours.
00:45:02 Et le jour où il est mort, il se penchait, il voulait savoir si le passage de la vie à la mort, il se passait quelque chose.
00:45:11 Comme si quelque chose de palpable allait vous arriver.
00:45:17 C'était très spécial comme obsession.
00:45:23 Comment les gens meurent-ils ? Justement, comment est leur visage ? Qu'est-ce qui se passe dans les derniers moments ?
00:45:29 C'était des questions qu'il me posait, et je crois effectivement, qu'est-ce que vit l'être humain dans ce passage ?
00:45:36 Le pouvoir serait-il le meilleur antidote contre la maladie ?
00:45:46 Après sept ans de traitement, le cancer se fait plus discret.
00:45:51 François Mitterrand pense l'avoir dompté.
00:45:53 Sur le plan politique, la cohabitation avec Jacques Chirac entre 1986 et 1988 lui a redonné du souffle.
00:45:59 Il a donné des coups, sans se faire prendre.
00:46:02 Il a façonné son image de père protecteur de la nation face à un premier ministre libéral fidèle à sa réputation de bulldozer.
00:46:08 Auréolé d'une très forte popularité, ce président, âgé de 71 ans, va-t-il solliciter un nouveau mandat ?
00:46:16 Un mois avant le premier tour de l'élection présidentielle, François Mitterrand ménage le suspense.
00:46:21 Antenne 2, 20h, le journal de la rédaction, Henri Sagné.
00:46:24 Il avait traversé l'épreuve de la cohabitation et il dominait de plus en plus.
00:46:30 Et donc il avait une espèce de, non pas d'optimisme, mais presque d'exaltation au fur et à mesure que les mois passaient.
00:46:37 Monsieur le président, bonsoir et merci d'avoir accepté l'invitation de la rédaction d'Antenne 2.
00:46:42 Il a commencé à se positionner, non pas en leader de l'Union de la gauche conquérante, mais en une sorte de père de la nation au-dessus des conflits.
00:46:48 Il a l'air de plus en plus impérieux, impérial. Il a ce côté naturellement installé dans une fonction quasi monarchique, qui est celle du président de la Vème République.
00:46:57 Ma première question est simple et directe à la fois. Monsieur le président, êtes-vous à nouveau candidat à la présidence de la République ?
00:47:03 Oui. Vous avez mûrement réfléchi ? Je le crois.
00:47:11 Il avait envie de rester au pouvoir. Le pouvoir, c'est comme une thérapie. Le pouvoir, ça maintient en vie.
00:47:19 On peut savoir quand vous avez pris cette décision. Certains disent c'est en juillet 87, d'autres disent c'est pendant les fêtes de fin d'année.
00:47:24 Ce jour-là, c'est en regardant la télévision que les médecins du président apprennent en direct que leur passion est candidat à sa réélection.
00:47:32 Ma réaction a été grave.
00:47:38 Président, je veux dire, monsieur le candidat.
00:47:40 J'en ai parlé au professeur Stegg, qui lui-même était à Uri. On avait gagné la bataille médicale et politique pendant sept ans.
00:47:49 Il me semblait impensable qu'on puisse la tenir de la même manière cette autre année.
00:47:55 La jeunesse, c'est le temps que l'on a devant soi. Mais qui est-ce qui peut répondre à ça ?
00:48:03 Il n'est pas dans le déni de sa maladie, il est dans le refus qu'on lui en parle.
00:48:10 Il a consulté ses conseillers politiques, il a refusé de consulter ses conseillers médicaux.
00:48:19 François Mitterrand sait au fond de lui que son maintien à la tête de l'État l'obligera à se battre, à repousser les assauts de la maladie.
00:48:28 Le 8 avril 1988, à Rennes, il apparaît déterminé, comme galvanisé par le premier meeting d'une campagne éclair.
00:48:37 Dans quinze jours, il affrontera entre autres son ancien premier ministre Jacques Chirac au premier tour de l'élection présidentielle.
00:48:45 Il ne s'appartenait plus, il était déjà au-delà de la maladie, il l'avait oubliée, il voulait gagner les élections.
00:48:52 Il a voulu s'assurer d'avoir en moi-même assez d'énergie, à la fois pour faire face, à la fois pour faire front, à la fois pour persévérer,
00:49:02 et aussi pour assurer le passage du témoin, qu'en l'heure sera venue.
00:49:07 Il avait ce qui était quand même son grand ressort, une volonté absolue de battre Jacques Chirac.
00:49:12 Il avait été défait par Jacques Chirac aux élections législatives, il voulait battre Chirac.
00:49:18 Le 8 mai 1988, alors que les Français ignorent tout de son état de santé, François Mitterrand est réélu à une large majorité, avec 54% des voix, contre Jacques Chirac.
00:49:31 Avec ce nouveau septennat, la publication biannuelle des rapports médicaux reprend, toujours plus rassurant.
00:49:44 Pendant les deux années qui suivent sa réélection, la maladie laisse le président de la République en paix.
00:49:50 Jusqu'à l'été 1990, François Mitterrand convoque au début du mois de juillet son médecin pour préparer le traditionnel bulletin de santé.
00:50:04 Et après 18 communiqués mensongers, il a une exigence pour le moins inattendue.
00:50:12 Il m'appelle dans son bureau et il me dit "Vous allez préparer un bulletin de santé, avec un sourire ironique, où vous ferez comprendre qu'il y a quelque chose, et au moins d'autre vous direz que j'ai un cancer."
00:50:34 Le docteur Gubler transmet aussitôt un projet de communiqué, affirmant que François Mitterrand est très fatigué et qu'il doit subir des examens urgents.
00:50:44 Lorsqu'il voit ça, ils sont dessus, tous. Jean-Louis Bianco était là et il l'a vu et il dit "Mais c'est pas possible, Charas s'en empare, c'est pas possible, il faut arrêter ça."
00:50:58 Le ministre du budget, Michel Charas, et le secrétaire général de l'Elysée, Jean-Louis Bianco, arrivent à convaincre le docteur Gubler d'édulcorer son texte.
00:51:13 Je vois les uns les autres et puis on arrive à une formulation qui dit qu'il y a des petits examens qui sont pas tout à fait normaux, qu'il est fatigué. Bon, j'essaie d'édulcorer un petit peu ce que j'avais mis et ce bulletin là est passé.
00:51:32 Le communiqué est finalement publié le 28 juillet 1990 dans une version censurée.
00:51:41 Les examens cliniques et biologiques habituels ont permis de mettre en évidence une petite augmentation de la vitesse de sédimentation, ceci étant à mettre sur le compte de l'intense activité diplomatique du président.
00:51:53 Tous les autres paramètres sont normaux.
00:51:58 Les gardiens du temple ont-ils eu peur de perdre le pouvoir ? François Mitterrand, lui, n'a pas renoncé. Quelque chose en lui a changé et la période des vacances lui a permis d'aller encore plus loin dans sa réflexion.
00:52:13 Bérégo va venir me voir, il dit "il faut que je te parle". Je lui dis "qu'est-ce qui se passe ?" Il me dit "tu sais, il faut que tu parles à Mitterrand, ça va pas du tout, il veut des missionnaires d'arriver à Paris".
00:52:26 Il semblerait qu'il ait même écrit sa lettre de démission.
00:52:29 Charras, c'est lui qui a pris le papier et a dit "on va le déchirer, c'est pas possible".
00:52:33 Charras s'est beaucoup menté de l'avoir dissuadé de démissionner.
00:52:38 Alors, qu'est-ce qui a réellement poussé François Mitterrand à rédiger une lettre de démission ? Pour certains, il s'agit d'une brouille avec sa fille, Mazarine. Pour d'autres, c'est une dispute avec sa femme, Daniel.
00:52:55 Charras a écrit "c'est une dépression passagère". Ce n'est pas vrai. Je peux affirmer qu'il n'avait aucun syndrome dépressif. Aucun.
00:53:04 L'explication se trouve peut-être ailleurs.
00:53:09 En juillet 1990, François Mitterrand passe quelques jours à Gordes, chez l'une de ses conseillères, Laurence Soudé.
00:53:20 On était restés 4 ou 5 jours, il était avec Anne et Mazarine, tout à fait normal.
00:53:25 Tout d'un coup, une crise épouvantable.
00:53:28 Une crise comme j'avais jamais vu, vraiment. Une crise épouvantable, une nuit.
00:53:37 Il hurlait de douleur. Si bien que j'ai appelé l'avion du clam, parce qu'il ne pouvait plus rester.
00:53:46 J'ai toujours pensé que c'était une rechute importante. Son idée de partir, c'était plutôt en se disant "je n'aurai pas les forces de continuer".
00:53:56 Par conséquent, je préfère quitter plutôt que de faire ça mal, ou sans toutes mes facultés.
00:54:05 L'influence de Michel Charras aura sans doute été capitale.
00:54:10 François Mitterrand repousse finalement l'idée de démissionner.
00:54:15 Le rythme de la vie politique reprend ses droits, accentué par un événement international.
00:54:21 Depuis ce matin, la crise internationale est entrée dans une phase décisive.
00:54:28 Depuis ce matin, le délai accordé par les Nations Unies à la réflexion et autant que possible au dialogue
00:54:39 entre ceux qui pouvaient infléchir le destin est maintenant dépassé.
00:54:45 Sauf événement imprévu, donc improbable, les armes vont parler.
00:54:53 C'est donc en janvier 1991 que le président engage les troupes françaises dans la guerre du Golfe.
00:55:03 Un conflit déclenché par l'invasion du Koweït par l'Irak quelques mois plus tôt.
00:55:08 Cette année-là, François Mitterrand doit faire face à une grande fatigue
00:55:11 et à certaines conséquences de sa maladie qui lui compliquent la vie.
00:55:14 Et il a de plus en plus de mal à sauver les apparences.
00:55:18 À l'Élysée, ses collaborateurs se rendent compte qu'il ne va pas bien.
00:55:22 Je l'ai trouvé fatigué.
00:55:27 Si, je l'ai trouvé fatigué.
00:55:29 Visiblement fatigué.
00:55:31 Il était très souvent très pâle.
00:55:33 Si je puis dire, c'était des pâleurs très blanches.
00:55:37 Un masque un peu de plâtre presque.
00:55:39 Des médecins extérieurs qui le voyaient disaient, ce tas, c'est pas du tout normal.
00:55:45 Il y avait des moments où son visage était tellement immobile que c'était presque effarant.
00:55:50 Le traitement qui lui a sauvé la vie pendant presque dix ans ne suffit plus.
00:55:55 De nouveaux troubles lui rendent la vie inconfortable.
00:55:58 Le professeur Stegg souhaite l'opérer désormais,
00:56:01 mais pour le moment, François Mitterrand fait mine de ne pas l'entendre.
00:56:05 Il était toujours un peu sceptique à l'encontre de la médecine.
00:56:09 Et là, si vous voulez, on horreure tout le monde médical.
00:56:12 Il a peur éventuellement de ne pas se réveiller après une anesthésie générale
00:56:16 ou de ne plus être le même après les bistouris.
00:56:19 C'est une âme profondément paysanne, si je puis dire.
00:56:26 On n'attaque pas la chair.
00:56:28 On ne touche pas la chair.
00:56:32 On peut soigner avec des onguents, avec des pommades,
00:56:35 mais on ne touche pas, on ne met pas le fer dans la plaie.
00:56:39 Malgré ses réticences, François Mitterrand va céder à la pression de ses médecins.
00:56:46 Et sans doute pour préparer le terrain médiatique de cette future opération,
00:56:50 - On rentre, et le réveillez-vous, il y a une heure moitié.
00:56:53 il va convier à la fin du mois d'août 1992,
00:56:57 deux journalistes influents dans sa bergerie des Landes.
00:57:00 - Avec Jean-Pierre Elkabach, il nous avait proposé, comme il le faisait chaque année,
00:57:06 de venir passer la journée à Latché, où il était en vacances.
00:57:10 Il faisait beau, il faisait chaud.
00:57:12 Il aimait ce sort de soleil qui brillait et qui leur échauffait.
00:57:17 Et on a parlé comme ça un long moment de tout de rien.
00:57:21 - Vous venez de la jardine, chez vous ?
00:57:23 La discussion se prolonge, et à l'heure du déjeuner,
00:57:28 les journalistes sont rejoints par deux autres invités.
00:57:31 - Il y avait Gubler, il y avait surtout le grand professeur Adi Stegg.
00:57:35 - Stegg, je savais très bien qui il était, ce qu'il représentait.
00:57:38 - Le grand urologue qui avait déjà opéré le général de Gaulle en 1964.
00:57:43 Et à partir de ce moment-là, nous nous sommes regardés, Dieu m'en aide et moi, nous nous sommes dit...
00:57:54 - Ce qui nous a fait penser à ce qu'il avait dit, c'est que si François Mitterrand nous invitait à déjeuner,
00:57:59 et qu'il y avait le professeur Stegg, c'est qu'il voulait nous faire comprendre
00:58:04 qu'il souffrait d'un cancer de la prostate.
00:58:07 Pour le coup, c'était une évidence.
00:58:09 - Une évidence qui reste toujours une inconnue pour le grand public.
00:58:13 Combien de temps encore le secret de la maladie va-t-il pouvoir tenir ?
00:58:17 Contraint, le président a accepté l'idée de se faire opérer,
00:58:22 mais après quelques semaines du référendum sur le traité européen de Maastricht,
00:58:25 la victoire du Ouïe paraît de plus en plus incertaine.
00:58:28 - Nous sommes tous extrêmement réticents à l'idée d'un référendum,
00:58:32 parce qu'on pense qu'il y a des chances fortes de perdre.
00:58:34 - Maastricht et le Ouïe à l'Europe est pour lui presque l'aboutissement de sa vie politique et de ses deux septennats.
00:58:41 - Il s'était dit "ça, c'est trop important, c'est moi qui m'en occupe".
00:58:45 François Mitterrand va faire campagne,
00:58:50 et le président de son communication, Jacques Pilan, qui va organiser pour lui une grande émission de télévision.
00:58:54 Trois heures de programme en direct, une durée difficilement compatible avec son état de santé.
00:59:00 - Exceptionnellement pour cette émission, Hubler lui pose une sonde urinaire qui lui permet de tenir le coup.
00:59:10 - Si vous annoncez qu'en cas de victoire du "non", je veux dire qu'en cas de victoire du "oui"...
00:59:16 - J'ai parfaitement compris ce que vous venez de me dire, ne vous en excusez pas.
00:59:19 - En cas de victoire... - En sorte qu'on me demande de partir en cas de "oui" et en cas de "non".
00:59:22 - Je crois qu'il était avec à la fois ses convictions et ses tripes, ce qui l'a rendu d'autant meilleur.
00:59:31 Sous le feu des questions pendant une heure, François Mitterrand fait preuve d'un sens aiguisé de la répartie.
00:59:40 Son médecin personnel, lui, observe tout cela en coulisses.
00:59:44 - La communauté sauvera le Sénéral.
00:59:47 - Nous avions négocié avec Guillaume Durand non pas une pause supplémentaire, mais une pause. Il ne devait pas y en avoir.
00:59:54 - Ça n'existait pas. C'est la première fois que ça arrivait.
00:59:57 - Nous nous retrouvons dans quelques instants, donc François Mitterrand, Philippe Seguin, dans quelques instants.
01:00:01 Au cours de cette pause, le président de la République s'éclipse discrètement.
01:00:06 - Il est passé derrière les tribunes de la Sorbonne pour se reposer.
01:00:11 - Il y avait une sorte de petite infirmerie derrière, en fait, une sorte d'hôpital ambulant.
01:00:14 - Il fallait bien qu'au milieu de la séance, je puisse moi regarder si tout allait bien.
01:00:19 Juste avant la reprise du direct, le chef de l'État invite dans la salle de repos celui qui va être son contradicteur dans quelques instants,
01:00:29 le député gaulliste Philippe Seguin, partisan du non au traité.
01:00:35 - Ça avait évidemment déstabilisé Philippe Seguin qui, sur le plan humain, était mal à l'aise pour affronter quelqu'un qui visiblement souffrait beaucoup.
01:00:42 - Philippe était pulversé de cette austérité, de cette stoïcité, cette absence totale des penchements.
01:00:50 - Donc nous nous retrouvons... - Bonsoir, monsieur le président de la République.
01:00:53 - Voilà, monsieur le président de la République.
01:00:55 Après six minutes de pause, le face-à-face entre les deux hommes peut débuter.
01:00:59 - On ne peut pas rester à l'acte unique de 1985-86 que nous avons d'ailleurs proposé en combat.
01:01:04 - C'est au moins un point sur lequel je suis en total accord avec vous.
01:01:07 - On a l'impression que Philippe Seguin n'est pas tout à fait au mieux de sa forme politiquement,
01:01:11 alors qu'il est quand même le numéro un, l'opposant à François Mitterrand donc sur ce sujet.
01:01:15 - C'est tout à fait différent. - Mais précisément, monsieur Seguin, si vous avez été interrompu.
01:01:19 - Je vous en prie, monsieur le président. - Mais précisément, le traité de Maastricht innove considérablement par rapport aux traités antérieurs,
01:01:27 puisqu'il fait repasser les compétences et les pouvoirs dans les mains du Conseil politique.
01:01:33 Conseil européen, chef d'état et de gouvernement et conseil des ministres, ministre des affaires étrangères.
01:01:38 En ajoutant toute une autre série de contrôles que je viens de vous énumérer, et encore pas tous.
01:01:44 - Et Seguin n'a pas été bon parce que l'homme a pris le pas sur le politique.
01:01:48 Il n'était plus dans son rôle. Au lieu d'être l'opposant, le contradicteur de Mitterrand, le secoué même, le bousculé.
01:01:55 Il regardait Mitterrand face à lui, ça l'a ému.
01:02:00 - Je vous en prouve totalement. - Mais si vous ne le réprouviez pas... - Je ne serai pas devant vous, monsieur le président.
01:02:04 - Il a été de grande courtoisie avec François Mitterrand et peut-être d'une trop grande courtoisie pour ses amis politiques.
01:02:13 C'est donc bien François Mitterrand qui a dominé le débat ce soir-là, devant des millions de téléspectateurs.
01:02:19 Mais avant le vote des Français, dans 16 jours, le président de la République doit faire face à une autre échéance, médicale et personnelle.
01:02:30 Le 11 septembre 1992, une certaine agitation règne devant le service durologie de l'hôpital Cochin.
01:02:37 Le président de la République vient de subir une opération de la prostate et ses proches viennent lui rendre visite.
01:02:45 - Juste un petit mot sur la façon dont vous l'avez trouvé ? - Très bien.
01:02:50 - Il a porté des chocolats et il en a mangé. - Il est beaucoup moins fatigué que moi.
01:02:56 Le professeur Steig, qui a dirigé l'opération, est invisible ce jour-là.
01:03:00 Bernard Debray, qui n'a pourtant pas participé à l'intervention, prend la parole en tant que chef de service.
01:03:06 - Le président de la République va actuellement parfaitement bien. Il a eu comme de communiquer les idées que vous voulez que je puisse entendre.
01:03:12 On a resté sur la prostate, c'est-à-dire par les lois naturelles, la relation de la partie malade de la prostate.
01:03:17 C'était tout à fait bénin et les suites opératoires sont parfaitement simples.
01:03:22 En gros, on nous dit tout de suite, tout va bien, circulez, il n'y a rien à voir, il n'y a aucun problème.
01:03:27 Impossible pour le grand public de connaître la nature de cette maladie.
01:03:31 Alors que François Mitterrand est toujours à l'hôpital, les médecins ont préféré confier les analyses post-opératoires à un laboratoire extérieur.
01:03:41 Nous avions un nom de code, tous les examens étaient au nom de M. Carpentier.
01:03:51 Mon confrère, le docteur Taro, a pris le petit flacon et m'a dit je m'en occupe et je le fais analyser.
01:03:58 C'est la première fois que le docteur Taro apparaît dans cette histoire.
01:04:02 Il prendra bientôt une place essentielle auprès du chef de l'Etat, mais pour l'heure, il n'est qu'un intermédiaire.
01:04:09 Le 15 septembre 1992, les résultats tombent et ils ne sont pas bons.
01:04:18 Le président de la République apprend la nouvelle dans sa chambre de l'hôpital Cochin.
01:04:23 Il baisse pavillon, il dit c'est perdu. Il reconnaît que ce coup-ci, la maladie est de retour et que le combat qu'il croyait gagner ne l'est pas.
01:04:32 Il ne peut plus se mentir à lui-même, donc il ne peut plus mentir aux Français.
01:04:35 Cette révélation le crispait un peu parce que finalement il allait mettre à nu un mensonge de plus de dix ans.
01:04:44 Il avait pris son parti, il savait qu'il n'aurait pas de troisième septennat, qu'il ne se présenterait pas et par conséquent, mieux valait le dire.
01:04:50 Il attendu l'ultime moment.
01:04:52 Cinq jours après l'opération, le professeur Stegg, qui soigne François Mitterrand depuis la découverte de son cancer, s'apprête à lire un communiqué devant les journalistes.
01:05:08 L'examen histologique des tissus retirés lors de l'intervention a montré au sein d'un tissu prostatique de lésions adénocarcinomateuses.
01:05:19 Il ne peut pas être plus clair que cela. Il y a des lésions qui sont des lésions, comme on appelle, cancéreuses, si vous aimez mieux, dans une forme de cancer assez typique de la prostate.
01:05:30 Et que ces lésions se situent au sein d'un tissu prostatique avec, je me répète, des examens biologiques qui montrent, en particulier les phosphatases acides prostatiques, ou tartratlabiles, comme on les appelle, qui sont normales.
01:05:45 Donc c'est ce qui veut dire qu'on a effectivement, je me répète encore, une lésion cancéreuse, mais qui est classique, si je puis dire.
01:05:55 La révélation du cancer après 11 années de silence tombe en plein Conseil des ministres.
01:06:00 Un conseil exceptionnellement présidé par Pierre Bérégovoy à l'hôtel Matignon.
01:06:04 À la sortie, cette annonce sème bien sûr le trouble.
01:06:08 Pour moi, c'est la personne la moins malade qui existe. Donc je suis tout à fait, je suis repris de ça.
01:06:22 Je ne fais jamais de commentaire à la fin d'un Conseil des ministres, pas plus aujourd'hui que les autres jours.
01:06:26 Je ne m'y attendais pas. Je suis tout à fait surpris de quelque chose dont je n'avais pas pressenti ni vu le moindre signe.
01:06:33 Après cette révélation, François Mitterrand sait désormais qu'il sera regardé comme un homme malade.
01:06:40 Sa sortie de l'hôpital, à sa demande, un jour plus tôt que prévu, vise donc un objectif, rassurer l'opinion.
01:06:49 On le voit debout, sortant, entre Bernard de Bray, Steig, etc.
01:06:53 Il était là, en haut d'un escalier, il y avait quelque chose d'assez majestueux dans sa descente, et puis il marchait, il avait l'air d'être en forme.
01:07:02 En réalité, cette mise en scène a été soigneusement orchestrée par un homme de l'ombre, Jacques Pilan, le conseiller en communication.
01:07:15 L'idée de Pilan, le pire, c'est la voiture qui file avec les litres teintés, qui aurait donné l'impression d'un corbillard.
01:07:22 Derrière le mot "cancer", il y a le mot "mort". Et là, c'est compliqué à gérer pour un président.
01:07:29 Il faut une preuve réelle de sa vie.
01:07:40 Il est là, il est vivant, il sourit.
01:08:07 Quand Samy Teran pratiquait un humour implacable, alors l'humour c'est souvent, comme on le dit, la politesse du désespoir.
01:08:14 À partir du moment où il a été opéré, il a assumé publiquement.
01:08:18 Il a créé quelque chose de fort dans la société française, parce qu'on ne le dit pas beaucoup aujourd'hui, mais on le disait encore moins il y a 20 ans.
01:08:29 Et vous réagissez bien à la maladie, au fond ?
01:08:32 Comment voulez-vous que je fasse ? Je pense que c'est un combat honorable à mener contre soi-même.
01:08:41 François Mitterrand a dû considérer cela comme une épreuve supplémentaire.
01:08:47 C'était une de plus qu'il fallait surmonter, dépasser. Et je pense qu'il l'a considéré comme, au fond, une épreuve politique.
01:08:57 C'est la première fois dans l'histoire de la Vème République qu'une telle transparence est affichée.
01:09:13 C'est la première fois dans l'histoire de la Vème République qu'un président en exercice parle de sa propre maladie aussi tranquillement.
01:09:22 On était dans une logique non seulement de transparence, mais on se disait même qu'il était assez gonflé. Il racontait sa maladie, il a raconté son évolution.
01:09:30 Le chef de l'État a menti aux Français et à ses ministres pendant de longues années.
01:09:35 Et paradoxalement, au moment de la révélation, il apparaît comme le premier président transparent.
01:09:41 Les communiqués médicaux sont pourtant évasifs, succincts.
01:09:46 Rien n'est dit sur le diagnostic du cancer métastasé posé dès 1981. Rien n'est dit non plus sur le stade d'avancement de la maladie.
01:09:54 On n'a aucun élément qui nous permette de savoir quelle est la nature de la lésion, est-ce qu'elle est étendue ou pas, quel est son degré d'évolutivité, est-ce qu'il y a des métastases.
01:10:07 Tout ça, c'est impossible de le savoir.
01:10:10 Je pense que ça l'a plutôt humanisé. Les gens ont toujours de la sympathie pour quelqu'un de puissant, d'âgé, puisqu'il était âgé à ce moment-là, et de très malade.
01:10:20 Ça l'a servi dans la relation sentimentale qu'il avait avec les gens. Je dirais même dans l'opposition.
01:10:26 Je lui souhaite réellement de tout cœur un rétablissement qui soit à la fois rapide et complet.
01:10:32 Je lui renouvelle l'expression de mes voeux de complet et rapide rétablissement.
01:10:39 Ses adversaires les plus résolus ont été impressionnés par son comportement face à la maladie et dans la perspective de l'inexorable qui allait arriver.
01:10:50 Une vague d'empathie qui tombe à point nommé pour le référendum de Maastricht.
01:10:55 Les électeurs vont-ils suivre l'appel au oui de François Mitterrand ?
01:10:59 Quatre jours après sa sortie de l'hôpital, le chef de l'État vote à la mairie de Châteauchynon.
01:11:06 Ce sera finalement une courte victoire. Le oui l'emporte avec 51% du suffrage.
01:11:13 L'annonce de l'opération et la révélation du cancer ont-elles compté dans le vote en faveur du oui ?
01:11:22 Tout cela est difficilement mesurable. Seule certitude, François Mitterrand a gagné son pari.
01:11:27 Et c'est avec le sentiment du devoir accompli qu'il part se reposer quelques jours à Bélin-en-Mer.
01:11:33 La guerre de succession ne tarde pas à s'ouvrir.
01:11:35 Le Premier ministre Pierre Bérégovoy est fragilisé par la révélation d'un prêt d'un million de francs
01:11:40 sans intérêt consenti par Roger Patrice-Pela, un ami intime du président.
01:11:44 Une affaire qui écorne l'image de la gauche quelques semaines avant le premier tour des élections législatives.
01:11:50 Le 21 mars 1993, c'est au palais de l'Élysée que François Mitterrand attend les résultats.
01:11:56 Et il se doute qu'il va perdre sa majorité.
01:12:01 On va découvrir ensemble l'estimation BVA.
01:12:04 Et la défaite est encore plus sévère que prévue pour le Parti Socialiste.
01:12:07 Le vainqueur de ce premier tour de scrutin 93 serait l'UPR. Je le découvre avec vous, 40,5% des voix.
01:12:15 Et en siège, le RPR et l'UDF obtiendraient ces conséquences.
01:12:19 François Mitterrand comprend que c'est le tournant de son second septennat.
01:12:31 Un tournant vers le crépuscule de sa vie politique et de sa vie tout court.
01:12:36 Quelques jours plus tard, les membres du gouvernement encore sous le choc
01:12:47 attendent le début du Conseil des ministres.
01:12:50 C'est le Conseil qui suit le désastre en fait.
01:12:54 Quatre jours plus tôt, ce premier tour des législatives est effectivement un carnage pour la gauche.
01:12:59 Tout le monde était quand même complètement déstabilisé.
01:13:01 On voyait bien que c'était la fin sur le plan politique, que c'était une autre phase qui allait s'ouvrir.
01:13:07 Il y a une ambiance à l'époque un peu lourde, qui est une ambiance d'anticipation politique.
01:13:11 Pour le chef de l'État, cette journée entre les deux tours est symbolique.
01:13:18 Il a la quasi-certitude que ce Conseil des ministres est le dernier de son septennat
01:13:22 avec celles et ceux qui forment sa famille politique.
01:13:26 Mitterrand parle pendant une longueur.
01:13:29 Il nous dit "Vous savez, c'est comme quand on perd quelqu'un, une défaite, c'est comme la mort d'un être cher.
01:13:34 Et on croit que la mort l'emporte tout. Ce n'est pas vrai. Il y a quelque chose de plus fort que la mort, c'est la vie.
01:13:38 Et vous verrez que la vie politique et le combat l'emportera sans cette défaite."
01:13:42 Le plus vieux d'entre nous, malade, frappé par la mort qui ronge dans son corps,
01:13:49 nous parle à tous en nous disant
01:13:53 "Tenez bon, vous reviendrez au pouvoir bien plus vite que vous ne le croyez."
01:13:56 A l'issue de ce dernier Conseil,
01:14:01 François Mitterrand tient à saluer personnellement chaque membre du gouvernement.
01:14:06 Je lève la tête et je regarde autour de la table, il y en avait au moins la moitié qui pleuraient.
01:14:10 Le président sait qu'il va au devant du président,
01:14:13 il sait qu'il va au-delà du président,
01:14:16 il sait qu'il va au-delà du président,
01:14:19 il sait qu'il va au-delà du président,
01:14:22 il sait qu'il va au-delà du président,
01:14:25 il sait qu'il va au-delà du président,
01:14:28 il sait qu'il va au-delà du président,
01:14:31 il sait qu'il va au-delà du président,
01:14:34 il sait qu'il va au-delà du président,
01:14:38 il sait qu'il va au-delà du président,
01:14:40 il sait qu'il va au-delà du président,
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01:15:24 il sait qu'il va au-delà du président,
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01:16:45 il sait qu'il va au-delà du président,
01:16:48 il sait qu'il va au-delà du président,
01:16:51 il sait qu'il va au-delà du président,
01:16:54 il sait qu'il va au-delà du président,
01:16:57 il sait qu'il va au-delà du président,
01:17:00 il sait qu'il va au-delà du président,
01:17:03 il sait qu'il va au-delà du président,
01:17:05 il sait qu'il va au-delà du président,
01:17:08 il sait qu'il va au-delà du président,
01:17:11 il sait qu'il va au-delà du président,
01:17:14 il sait qu'il va au-delà du président,
01:17:17 il sait qu'il va au-delà du président,
01:17:20 il sait qu'il va au-delà du président,
01:17:23 il sait qu'il va au-delà du président,
01:17:26 il sait qu'il va au-delà du président,
01:17:29 il sait qu'il va au-delà du président,
01:17:32 il sait qu'il va au-delà du président,
01:17:34 il sait qu'il va au-delà du président,
01:17:37 il sait qu'il va au-delà du président,
01:17:40 il sait qu'il va au-delà du président,
01:17:43 il sait qu'il va au-delà du président,
01:17:46 il sait qu'il va au-delà du président,
01:17:49 il sait qu'il va au-delà du président,
01:17:52 il sait qu'il va au-delà du président,
01:17:55 il sait qu'il va au-delà du président,
01:17:58 il sait qu'il va au-delà du président,
01:18:01 Val-de-Grâce, j'étais là,
01:18:03 le président est arrivé, il y avait Baladur aussi,
01:18:06 c'est un souvenir atroce.
01:18:08 J'ai été dans les personnes qui ont accompagné
01:18:11 François Mitterrand au Val-de-Grâce,
01:18:14 lorsqu'il a souhaité voir la dépouille de Pierre Bérégovoy
01:18:18 et son visage,
01:18:21 le visage de François Mitterrand,
01:18:24 tellement touché.
01:18:27 Il y avait quelque chose de très profond qui avait été atteint,
01:18:30 et que l'on a retrouvé lorsque nous sommes allés à Nevers.
01:18:35 Je parle au nom de la France,
01:18:38 lorsque je dis devant son cercueil
01:18:41 qu'avec Pierre Bérégovoy,
01:18:44 elle a perdu l'un de ses meilleurs serviteurs
01:18:48 et qu'elle en prend conscience
01:18:51 sous le choc d'un drame
01:18:54 où se mêlent grandeur et désespoir.
01:18:59 La grandeur de celui qui choisit son destin,
01:19:02 le désespoir de celui qui souffre d'injustice,
01:19:06 à n'en pouvoir se plaindre,
01:19:09 à n'en pouvoir crier.
01:19:12 Je me souviens très bien de ce discours
01:19:15 où il a cette blancheur du teint
01:19:19 de quelque chose qui vient de très très loin.
01:19:22 Et c'est vrai que
01:19:26 je pense que François Mitterrand n'a jamais pu considérer
01:19:29 que la politique puisse conduire un tel acte.
01:19:33 Et le fait que Pierre Bérégovoy,
01:19:36 et Pierre Bérégovoy, c'est-à-dire pas n'importe quel ministre,
01:19:40 pas n'importe quel parcours de vie,
01:19:43 soit passé à cet acte-là,
01:19:46 je pense qu'il en a été très profondément atteint.
01:19:50 François Mitterrand a pris ça à cœur
01:19:52 avec sa familiarité avec la mort,
01:19:55 ses formes de superstition, etc.
01:19:58 Il y a vu un avertissement du destin.
01:20:01 Il a vu "la prochaine fois, c'est vous".
01:20:04 Les mois passent
01:20:14 et l'état de santé de François Mitterrand
01:20:18 ne s'améliore pas.
01:20:20 En juillet 1994, l'évolution du cancer
01:20:23 oblige le professeur Stegg à opérer une deuxième fois.
01:20:26 Dans les semaines qui suivent,
01:20:29 le président de la République se repose à Souzy-la-Briche,
01:20:32 une propriété de l'État en région parisienne,
01:20:35 qu'il occupe le week-end avec Anne Pinjot et leur fille Mazarine.
01:20:39 Après cette deuxième opération,
01:20:46 les choses vont se dégrader assez vite.
01:20:48 Le docteur Calfon, médecin-chef à l'Élysée,
01:20:52 est là pour l'aider à supporter ses douleurs.
01:20:55 C'est un homme qui a de la volonté,
01:21:01 qui est punasse, qui veut aller au bout.
01:21:04 Et chaque moment de la journée où la douleur s'estampe,
01:21:07 parce qu'on lui a donné des médicaments, des médications,
01:21:10 c'est une victoire pour lui.
01:21:14 Une victoire au goût amer,
01:21:16 car la convalescence s'éternise.
01:21:19 François Mitterrand finit par être agacé par ses médecins,
01:21:22 les docteurs Gubler, Stegg et Calfon.
01:21:25 Il va surtout rentrer dans une phase de douleur,
01:21:32 de gêne, de fatigue.
01:21:35 C'est quand même là où la médecine est la plus incompétente.
01:21:38 Comme tout malade, il va se raccrocher
01:21:43 et c'est la dernière parole bienfaisante qu'on va lui dire.
01:21:45 "Mais tu devrais consulter un tel, mais tu devrais faire ça,
01:21:48 mais tu devrais, mais tu devrais prendre un tel."
01:21:51 D'où le commencement d'une avalanche de médecins.
01:21:54 Et l'un d'entre eux va prendre une place prépondérante.
01:21:59 Il s'appelle Jean-Pierre Tarrot.
01:22:03 C'est lui qui, quelque temps plus tôt, avait déposé le prélèvement de François Mitterrand,
01:22:06 inscrit sous le nom de M. Carpentier.
01:22:09 Alors pourquoi lui, désormais ?
01:22:12 Jean-Pierre Tarrot va prendre de plus en plus de place
01:22:14 et va se coltiner et s'affronter avec les autres médecins.
01:22:19 C'est un anesthésiste réanimateur qui maîtrise très très bien la douleur.
01:22:26 Donc je comprends parfaitement qu'on fasse appel à lui.
01:22:29 Quand Mitterrand souffre, il peut appeler Tarrot et Tarrot arrive.
01:22:32 Justement, ce qu'il demandait à Tarrot, c'est de ne pas souffrir physiquement,
01:22:36 mais de lui laisser l'esprit libre.
01:22:40 C'est ce que Tarrot savait faire.
01:22:42 En parallèle, un cinquième homme, conseillé cette fois par Anne Pinjot,
01:22:46 rend discrètement visite au président de la République, le docteur de Cuper.
01:22:51 J'ai vu arriver ce type qui donnait de la poudre de père à papa,
01:22:56 qui le soignait avec des herbes.
01:22:58 Il y a aussi chez François Mitterrand l'idée d'une pensée magique,
01:23:02 c'est-à-dire pouvoir éventuellement arriver au bout de son mal
01:23:07 avec des choses qui ne seraient pas tout à fait classiques, rationnelles
01:23:10 ou de la médecine telle qu'on peut la connaître.
01:23:13 François Mitterrand est même tenté d'abandonner son traitement
01:23:17 sur les recommandations de cet homéopathe peu conventionnel.
01:23:21 J'ai dit je ne le connais pas et je ne peux pas cautionner.
01:23:28 D'ailleurs, je crois avoir écrit une lettre au secrétaire général de l'Elysée
01:23:33 pour dire que je ne voulais pas être responsable des traitements
01:23:36 qui étaient appliqués par devers moi.
01:23:38 Cinq médecins et cinq méthodes différentes.
01:23:42 Les tensions entre les blouses blanches de l'Elysée ne tardent pas à apparaître
01:23:46 et elles sont entretenues par le président lui-même.
01:23:48 De temps en temps, on entend des réflexions pas très agréables
01:23:52 les uns sur les autres.
01:23:54 C'est effectivement une espèce de concurrence, chacun son prix carré
01:23:57 et plus le prix grand, mieux c'est.
01:24:00 Il y aurait une encyclopédie à raconter sur ces médecins.
01:24:02 Les relations entre eux, la jalousie qu'ils avaient de le posséder.
01:24:07 Ça a été une guéguerre épouvantable.
01:24:11 Claude Gubler, qui pendant 10-12 ans a été seul au front,
01:24:17 là se sent un peu débordé, parfois un peu même amer d'être court-circuté.
01:24:24 Et François Mitterrand, qui est un homme très très très très très très
01:24:28 et François Mitterrand n'a pas beaucoup à ce moment-là, j'allais dire, d'égard.
01:24:34 Il va faire souffrir Gubler, il va délaisser Calfon
01:24:39 et il va avouer à Tarot comme une femme qu'on trompe, qui voit de cuivre.
01:24:42 Il y a des médecins sous tension, qui essayaient de faire le mieux possible,
01:24:47 qui avaient le sentiment qu'ils étaient traités avec ingratitude,
01:24:50 rejetés comme ça, violemment, et qui venaient s'épancher chez eux.
01:24:57 François Mitterrand jouait avec ça, une pièce de concurrence, de jalousie.
01:25:02 Il va organiser une sorte de désordre sur lequel il va régner,
01:25:06 et il va régner sur ses médecins.
01:25:08 Pour terminer son mandat qui s'achève en mai 1995,
01:25:22 François Mitterrand doit encore tenir 9 mois.
01:25:27 Un défi de taille, car la maladie et les souffrances progressent chaque jour.
01:25:34 Il est cisaillé par la maladie, par la douleur,
01:25:43 il ne quitte plus beaucoup sa chaise ou son lit.
01:25:45 Mitterrand restait couché souvent, faisait des siestes très longues,
01:25:49 recevait des visiteurs importants couchés.
01:25:54 Au début, c'est vrai que pour moi, c'est un petit peu impressionnant
01:25:56 de voir le président de la République en pyjama, dans son lit,
01:25:59 je ne sais pas trop comment faire.
01:26:01 Et puis, il me fait toujours cette même phrase,
01:26:03 que j'entendrai jour après jour,
01:26:05 "Je suis désolé de ne pas me lever pour vous saluer,
01:26:08 mais vous comprendrez pourquoi."
01:26:10 Le mercredi, jour de conseil des ministres,
01:26:14 François Mitterrand s'habille et quitte la chambre.
01:26:17 En cette période de cohabitation, il tient à maintenir une forme d'autorité.
01:26:24 Plusieurs fois, en descendant au conseil des ministres,
01:26:26 François Mitterrand dit à Édouard Balladur,
01:26:28 "Si je défaille, vous prendrez la relève."
01:26:31 Il y tient vraiment beaucoup.
01:26:33 Balladur est obligé de suppléer,
01:26:42 est obligé de redoubler d'attention.
01:26:45 Chaque geste, chaque initiative compte.
01:26:48 Tout peut être mal interprété.
01:26:52 Défaut de gerbe par M. Édouard Balladur, Premier ministre.
01:26:56 Ce qui est mal interprété et mal vécu par François Mitterrand,
01:27:01 c'est le fait de ne plus pouvoir totalement assumer ses obligations.
01:27:05 Ce 15 août 1994,
01:27:09 Édouard Balladur préside les cérémonies du 50e anniversaire du débarquement en Provence.
01:27:14 Il y avait évidemment beaucoup d'irritation chez François Mitterrand
01:27:20 en voyant le pouvoir lui échapper
01:27:22 et en voyant Édouard Balladur exercer le pouvoir
01:27:26 avec une sorte de majesté déjà présidentielle.
01:27:29 Il avait l'impression qu'il y avait eu un putsch,
01:27:32 que Balladur et ses hommes voulaient sa fin, la fin la plus rapide.
01:27:36 Il s'accrochait au pouvoir et à l'apparence
01:27:42 comme le seul dérivatif possible
01:27:45 et d'une certaine manière comme la seule thérapeutique efficace à sa maladie.
01:27:49 Je tiendrai jusqu'au bout, je ne cèderai pas une minute.
01:27:52 Seulement, une question commence à se poser.
01:27:57 François Mitterrand est-il encore en état d'assumer ses fonctions ?
01:28:01 Pour qu'il ne se voit pas, on est obligé de lui donner des médicaments.
01:28:06 Et on sait que la thérapeutique va annihiler
01:28:10 une grande partie des capacités intellectuelles de n'importe quel individu.
01:28:14 Un homme qui se goinfre de médicaments est-il
01:28:18 un homme qui a pris pour prendre des décisions qui engagent l'avenir d'un pays ?
01:28:20 La grande question était de dire, est-ce qu'il aurait dû démissionner ou pas démissionner ?
01:28:24 Si c'était un pilote d'avion, il serait arrêté.
01:28:28 Si c'était un président du CAC 40, il serait arrêté.
01:28:32 La garde rapprochée du président est unanime sur ce point.
01:28:36 Jamais François Mitterrand n'aurait perdu sa lucidité, sa clarté d'esprit.
01:28:41 La grande angoisse pour lui, c'était les métastases au cerveau.
01:28:46 C'était surtout ma lucidité intellectuelle.
01:28:48 Garder ma capacité d'analyse, ma capacité de vivre, ma capacité de sentir.
01:28:53 Donc ça, c'est vrai que c'était la limite du combat.
01:28:59 S'il n'y avait plus ça, il ne fallait plus combattre.
01:29:02 Il avait dit du reste à quelques amis, la seule chose qui me ferait démissionner,
01:29:12 c'est le jour où mes amis les plus proches me diront,
01:29:15 ça ne va pas, les raillers, alors là, je démissionnerai.
01:29:18 Tout ce qu'il racontait sur le fait qu'il perd la maîtrise de soi-même,
01:29:22 qu'il n'était plus capable d'être président, que la confusion s'était installée,
01:29:26 que ceci, cela, c'est faux. C'est vraiment faux.
01:29:29 Tous les six mois, les bulletins de santé signés par le docteur Gubler continuent d'être publiés.
01:29:42 Ils analysent de manière assez laconique la "bonne santé" du président.
01:29:46 À l'approche du terme de son deuxième mandat, l'homme est affaibli,
01:29:49 plus préoccupé par la place qu'il laissera dans l'histoire que par la gestion des affaires de l'État.
01:29:53 Il a d'ailleurs accepté de répondre au journaliste Pierre Péan sur ses engagements pendant la Seconde Guerre mondiale.
01:29:59 Ce livre, Une jeunesse française, va faire grand bruit lors de sa sortie en septembre 1994.
01:30:05 Depuis plusieurs jours, la polémique enfle autour du passé de François Mitterrand.
01:30:11 De sa poignée de main avec le maréchal Pétain, de ses relations amicales avec René Bousquet, chef de la police sous Vichy.
01:30:17 Des révélations contenues dans un livre de Pierre Péan, qui ne tardent pas à faire réagir au Parti socialiste,
01:30:23 notamment au sein de la nouvelle génération.
01:30:26 Ce qui me choque, c'est qu'en 1994, il confesse qu'il a vu avec plaisir, jusqu'en 1986,
01:30:31 un homme qui a quand même été secrétaire général pour l'administration du régime de Vichy,
01:30:35 qui donc a été compromis dans la déportation des Juifs,
01:30:38 quelqu'un qu'on décrit comme d'une carrière exceptionnelle.
01:30:41 J'avoue que comme socialiste, comme Français, ça me choque.
01:30:44 Ces révélations représentent en tout cas une tâche sombre pour la gauche et le Parti socialiste.
01:30:49 C'est toute une partie de la gauche, et c'est dans les premiers cercles du PS,
01:30:55 où on trouve quand même que le vieux, ça commence à bien faire et qu'il faut passer à la suite.
01:30:59 Il était mal vu de Paris, il était mal vu de la droite, qui trépignait et qui attendait sa mort.
01:31:05 Il était mal vu de la gauche, il était mal vu des Juifs à cause de Vichy.
01:31:08 Comme les controverses deviennent virulentes, il dit "il faut que je m'exprime"
01:31:13 parce que ça commence à ébranler même des gens très proches de moi.
01:31:17 Et c'est la première fois où Mitterrand, je crois la seule fois, a vraiment appelé Pilan au secours.
01:31:23 Que faut-il faire ? Que faut-il dire ?
01:31:27 Jacques Pilan va tenter d'organiser la réponse présidentielle,
01:31:32 en faisant un grand entretien à un journaliste devenu incontournable.
01:31:35 C'est une demande expresse, insistante, de François Mitterrand pour que je fasse moi l'interview.
01:31:43 Pilan fait preuve d'un cynisme total, c'est-à-dire qu'il dit qu'il faut un journaliste juif face au président,
01:31:48 sur cette question qui est celle de bousquer l'occupation.
01:31:52 Alors ça, c'est… là je le rejette de la manière la plus brutale,
01:32:00 c'est d'une vulgarité telle que je ne pense pas que Pilan ait eu cette idée.
01:32:05 Le 12 septembre 1994, quelques heures avant le direct,
01:32:10 François Mitterrand est apparemment fatigué,
01:32:13 et Jean-Pierre Elkabache va être invité à en être le témoin.
01:32:17 Mitterrand est allongé sur un divan, comme un cadavre.
01:32:24 Je me dis "mais dans quel état il est ? Il ne va pas pouvoir tenir, comment on va faire ?"
01:32:28 Et j'avais prévenu Jérôme Revan, le réalisateur, et toute l'équipe avec qui je travaillais,
01:32:32 je leur ai dit "il ne tiendra probablement pas, préparez des programmes de rechange,
01:32:37 attention, on ne finira peut-être pas l'émission".
01:32:40 Le chef de l'État va-t-il pouvoir répondre à toutes les questions qui font polémique ?
01:32:45 Sa maladie, une possible démission, son statut de fonctionnaire à Vichy en 1942,
01:32:51 et ses liens avec René Bousquet ?
01:32:54 Jean-Pierre Elkabache, on lui dit tout de suite "tu ne retiens pas tes coups, il faut que ça soit dur, surtout vas-y".
01:33:04 La réalité, c'est que c'est François Mitterrand lui-même qui me l'a dit à moi,
01:33:08 de l'interroger de la manière la plus dure.
01:33:11 Il me l'a répété au maquillage.
01:33:14 Il faut que cette émission soit obscène, c'est ce que dit Pilan,
01:33:18 qu'elle ne peut être convaincante que si elle est obscène.
01:33:22 Il faut que l'affrontement soit clair et brutal.
01:33:26 Que le moment de vérité entre les deux hommes soit à la hauteur de la perturbation que ça a provoqué dans l'opinion.
01:33:34 Monsieur le Président, bonsoir.
01:33:36 Il y a des moments exceptionnels, en voici un.
01:33:39 C'est en effet la première fois qu'un président de la République en exercice
01:33:43 accepte de parler de sa maladie et de son rôle dans une période qui reste encore taboue de notre histoire récente.
01:33:51 Est-ce que l'été a été difficile, douloureux pour vous ?
01:33:54 Ça m'a laissé un peu sur le flanc, mais en fait je me suis absenté de cinq jours.
01:33:59 Est-ce que vous souffrez encore aujourd'hui, j'ai envie de dire chaque jour ?
01:34:03 Oh, ça ne me regarde pas ça.
01:34:06 Ça ne me regarde pas.
01:34:08 Mais la maladie, vous la sentez, elle est présente ?
01:34:10 Elle est là, naturellement.
01:34:12 Elle n'a pas été réduite.
01:34:15 Ce n'était plus le président de la République qu'on voyait.
01:34:19 On voyait un homme près de sa fin, essayant de lutter.
01:34:23 Il y a un mélange d'homme très malade, d'empereur romain sur la faim,
01:34:28 de quelqu'un qui arrive mourant mais qui se requint au fur et à mesure que les missions avancent.
01:34:34 Au bout du compte, quel est votre propre jugement sur le régime de Vichy ?
01:34:38 Est-ce qu'il y a des choses qui sont aujourd'hui pour vous condamnables, et je veux dire irréparables ?
01:34:44 Écoutez, ça fait combien de fois que je le dis ?
01:34:48 La première chose condamnable pour Vichy, c'est d'avoir tiré un trait sur la République.
01:34:55 C'était un acte vraiment intolérable.
01:34:59 Et c'est comme ça que s'est installé un état de fait.
01:35:02 Vous nous dites aussi ce soir que vous n'accepteriez pas, comme ça, qu'on réhabilite peu à peu ce que fut Vichy.
01:35:10 Mais certainement pas. On ne réhabilite pas ce qui ne mérite pas de l'être, et qui mérite même certaines formes de condamnation.
01:35:17 C'est donc ni votre envie, ni votre conception. Que les gens soient clairs.
01:35:21 Quand l'aurai-je fait ? N'ai-je jamais bougé le petit doigt dans ce sens ?
01:35:26 Il répond à toutes les critiques sur son passé, sur Vichy. Il veut paraître tel qu'il est.
01:35:32 Il veut laisser l'image de ce qu'il est dans tous ses défauts, toutes ses qualités.
01:35:38 Il veut que toutes les zones ambiguës, d'ombres, non dites, il veut qu'elles apparaissent au grand jour.
01:35:42 Il veut qu'il ne meure pas sans que les choses soient mises en ordre.
01:35:46 Vous combattrez tous les aspects qui semblent ambiguës dans votre personnalité ?
01:35:50 Parce que vous répétez, je suis clair, je suis transparent.
01:35:53 Vous voulez que je me convertisse, quoi ? À quoi ?
01:35:55 Je vous le demande. Ça dépend si vous parlez avec Monseigneur Lustigier ou avec des théologiens, je sais pas.
01:36:00 J'ai pas besoin. J'ai pas besoin.
01:36:02 Non ?
01:36:04 Je me sens très en paix avec moi-même.
01:36:07 Vous savez, je me trouve devant des échéances qui ont un rapport avec la sincérité.
01:36:14 Avec cet entretien en forme de testament, François Mitterrand a débuté d'une certaine manière ses adieux.
01:36:24 Plus de trois mois après cette émission, le docteur Gubler signe le 20 décembre 1994, le 28e et dernier bulletin de santé du président.
01:36:36 À la fin, Mitterrand ne pouvait plus souffrir, Gubler. L'omniprésence de Gubler était synonyme de sa maladie, de son déclin. Il ne pouvait plus le voir.
01:36:49 Le 31 décembre, le docteur accompagne François Mitterrand à l'enregistrement des voeux, comme il en a l'habitude depuis 14 ans.
01:37:04 Je suis derrière lui et il est avec Tarot et il me dit non, c'est pas la peine, il y a Tarot, il y a pas la peine d'être deux.
01:37:12 Avec ces quelques mots, François Mitterrand vient de congédier Claude Gubler.
01:37:18 Il aura passé 25 ans à ses côtés, dont plusieurs à maintenir le secret d'Etat. À partir de cette date, il n'aura plus accès au chef de l'Etat.
01:37:29 C'est fini, j'ai porté mon sac au dos pendant 14 ans, j'ai fait ce que j'avais à faire.
01:37:35 Ça fait partie de sa rancœur, il a été utilisé, on s'est servi de lui jusqu'au dernier bulletin, c'est sûr.
01:37:41 Après des années de vrai bon traitement, de vraie complicité, c'est une des grandes victimes de cette période-là.
01:37:49 C'est une espèce de répudiation. C'est dur pour Claude, Claude Gubler, ça a été dur.
01:37:58 L'an prochain, ce sera mon successeur qui vous exprimera ses voeux.
01:38:02 Là où je serai, je l'écouterai.
01:38:06 Le cœur plein de reconnaissance pour le peuple français qui m'aura si longtemps confié son destin,
01:38:12 est plein d'espoir en vous.
01:38:16 Je croise aux forces de l'esprit et je ne vous quitterai pas.
01:38:25 Le 23 avril 1995, c'est le premier tour de l'élection présidentielle.
01:38:30 La première depuis 30 ans à laquelle François Mitterrand n'est pas candidat.
01:38:35 Lionel Jospin pour le Parti Socialiste affronte deux prétendants à droite, Édouard Balladur et Jacques Chirac.
01:38:43 Un jour, il était dans son lit et il m'a dit, il m'a fait cette confidence qui était formidable,
01:38:52 je me disais, c'est malade, il m'a dit, je ne serai pas malade, je vous garantis, je l'ai battré une troisième fois.
01:38:59 Les derniers 15 jours, 3 semaines, on était dans le compte à rebours.
01:39:05 On faisait le compte à rebours tous les matins, tous les deux.
01:39:08 J'ai moins 20, j'ai moins 19, j'ai moins 18.
01:39:12 Et cette date arrive le 17 mai 1995.
01:39:16 François Mitterrand s'apprête à accueillir celui qu'il a souvent affronté,
01:39:21 mais qu'il a fini par soutenir indirectement.
01:39:23 Aujourd'hui, Jacques Chirac va être investi président de la République.
01:39:27 À quelques minutes de la passation de pouvoir, le chef de l'État profite une dernière fois des jardins de l'Élysée,
01:39:35 accompagné de ce médecin qui ne le quitte plus désormais, le docteur Tharault.
01:39:40 Il s'est noué une relation très forte et c'est vrai que, les derniers temps, Tharault était toujours là.
01:39:48 Le président Mitterrand est venu à la cour d'honneur.
01:39:52 J'ai accueilli le président élu à l'entrée de la cour d'honneur.
01:40:04 Il y a eu un moment émouvant.
01:40:13 On sentait le président Mitterrand extraordinairement soulagé d'avoir pu accomplir ses deux mandats.
01:40:20 Donc ça n'était pas du tout quelqu'un qui est parti de l'Élysée en regrettant.
01:40:33 Il est resté dans la majesté jusqu'au bout et il a tenu le coup jusqu'à la fin.
01:40:40 J'ai eu le surpris de regarder Chirac.
01:40:43 Il avait quelque chose de sensible en disant « c'est la dernière fois que je le vois ».
01:40:49 Le président Chirac était très ému.
01:40:59 Il avait un regard très fort.
01:41:04 Il a montré beaucoup de respect et d'attention pour le président Mitterrand au moment où François Mitterrand a définitivement quitté l'Élysée.
01:41:13 Voilà pour ce document réalisé avec animation par le président Mitterrand.
01:41:28 [Musique]
01:41:31 Voilà pour ce document réalisé avec Agnès Hubschman et Francis Vézin.
01:41:35 Ce 17 mai 1995 marque la fin de 14 années de pouvoir.
01:41:40 Le plus long mandat d'un président sous la Ve République, 14 années de pouvoir, est de face à face ou d'esquive avec la maladie.
01:41:47 Avec nous Dominique Bertinotti. Bonsoir.
01:41:49 Merci d'être avec nous.
01:41:51 Vous étiez une collaboratrice de François Mitterrand et vous êtes historienne de formation.
01:41:56 Vous avez travaillé avec lui sur ses mémoires à partir de 1992, c'est ça ?
01:42:00 Oui, tout à fait. Il y avait la volonté de François Mitterrand d'écrire ce qu'il disait être sa vérité.
01:42:08 Il avait un tel regard intellectuel sur l'histoire, la part de l'histoire, la trace que l'on peut laisser ou ne pas laisser dans l'histoire.
01:42:19 Vous ne la choisissez pas. Il était peut-être d'une certaine façon assez soucieux de savoir s'il allait laisser une trace.
01:42:29 Une trace. Alors historienne de formation, collaboratrice de François Mitterrand, ses mémoires qui seront publiées sous le titre "Mémoires interrompues" en 1996.
01:42:39 Vous allez être à ses côtés jusqu'à la fin.
01:42:43 Quelle était l'ambiance dans ses appartements de l'avenue Frédéric Le Play ?
01:42:48 Écoutez, du point de vue de la partie professionnelle, c'était très surprenant.
01:42:55 Certains soirs, il ouvrait lui-même cette double porte.
01:42:59 Entre le privé et le professionnel.
01:43:01 Exactement. Il y avait un très grand canapé. Et puis, on se retrouvait tous dans cette très grande entrée.
01:43:08 Tous en canapé, nous parlant. Je ne sais pas si c'était une façon de conjurer peut-être la tristesse ou la maladie.
01:43:19 J'ai des souvenirs quand même où on fêtait à peu près tout.
01:43:24 On fêtait les anniversaires, on fêtait les fêtes.
01:43:29 Mais la journée ne se terminait jamais de façon triste, sombre.
01:43:38 Avez-vous eu accès à François Mitterrand jusqu'à la fin ?
01:43:44 On a l'impression que dans les derniers moments, dans ce lieu qui était devenu aussi l'antichambre de la mort,
01:43:52 c'est vrai, le docteur Tarot avait refixé une autre porte coulissante.
01:43:58 Il y avait le professionnel, il y avait le privé et puis il y avait la porte du docteur Tarot.
01:44:02 Il y avait au mois de janvier. Donc, ça a été très bref.
01:44:08 C'est vrai que le docteur Tarot a été beaucoup plus présent dans la mesure où effectivement,
01:44:19 il a mis un filtre entre François Mitterrand et nous.
01:44:23 Et les autres.
01:44:26 Parce qu'il estimait peut-être qu'il avait aussi une relation privilégiée, qu'il voulait partager uniquement avec lui ?
01:44:32 Je ne sais pas. Peut-être qu'il voulait qu'on garde aussi une image présidentielle, peut-être plus…
01:44:44 Je ne comprends même pas, j'allais dire plus noble.
01:44:50 En même temps, moi je l'ai vu sur son lit de mort et c'était le même François Mitterrand.
01:44:56 Donc, j'ai regretté.
01:44:58 Vous l'avez mal vécu, cette période ?
01:45:00 Je l'ai regretté, oui, parce que je pense que d'une certaine façon, on n'a pas eu l'occasion de se dire au revoir.
01:45:11 François Mitterrand meurt au petit matin du 8 janvier 1996.
01:45:18 Vous arrivez bien évidemment sur place, à Bouffrez-Avec-Le-Plais. Quelle journée ?
01:45:23 D'abord, nous sommes arrivés aux horaires habituels.
01:45:28 Et c'est dans l'ascenseur qu'un des officiers de sécurité m'a annoncé la nouvelle.
01:45:35 Et il y avait, quand on est rentré dans l'appartement, un silence, alors qu'il y avait des gens.
01:45:46 Un silence qui était un silence très… je ne sais pas… très prenant.
01:45:52 Et puis, lorsque la dépêche est tombée, les téléphones se sont mis à sonner.
01:45:59 Et je me souviens très bien du premier coup de fil auquel j'ai dû répondre.
01:46:06 C'était une femme sculptrice qui me demandait si elle pouvait venir sculpter les mains de François Mitterrand.
01:46:15 Les mains d'un gisant.
01:46:16 Les mains d'un gisant. Et là, vous basculez de quelque chose qui était de l'ordre de la douleur, de la tristesse, de l'émotion,
01:46:32 à "François Mitterrand redevient un politique".
01:46:35 L'histoire.
01:46:37 Il retourne vers l'histoire, il retourne sous les projecteurs.
01:46:41 Et cette demande que j'ai trouvée d'une incongruité totale, je me suis dit, bon, voilà.
01:46:45 Et on a basculé dans autre chose.
01:46:48 Cinq jours après ces obsèques, Claude Gilbert publie un livre.
01:46:51 Un livre qui va faire scandale à l'époque, puisqu'il révèle le grand secret.
01:46:54 Un certain nombre de personnes savaient François Mitterrand malade,
01:46:57 le connaissaient de manière publique depuis qu'il avait révélé sa maladie,
01:47:00 mais très peu de gens, finalement, avaient réellement conscience que depuis 1981,
01:47:05 depuis son accession au pouvoir, il était malade.
01:47:10 Claude Gilbert sera condamné à quatre mois de prison avec sursis
01:47:12 pour violation du secret médical, rayé de l'ordre des médecins à vie,
01:47:16 déchu de l'ordre national du mérite, de l'ordre de la Légion d'honneur,
01:47:19 document signé notamment par Jacques Chirac.
01:47:22 Vous considérez que ce livre était si obscène que cela, vous ?
01:47:27 Je pense que le moment choisi par Gilbert était certainement totalement indécent.
01:47:39 Ce qui a le plus choqué, je me souviens de la réaction de Daniel Mitterrand,
01:47:43 qui était très en colère sur la publication de ce livre,
01:47:48 c'était d'enlever quelque chose à François Mitterrand.
01:47:51 Mitterrand avait décidé de ne pas révéler sa maladie et de mener ce combat comme il l'a mené.
01:47:59 C'est comme si le docteur Gilbert voulait s'emparer de quelque chose d'une importance.
01:48:06 Finalement, il justifiait après coup que François Mitterrand avait peut-être eu raison de le mettre un peu de côté.
01:48:13 Ce que certains disent aussi, c'est que finalement,
01:48:16 Claude Gilbert n'a pas respecté la volonté de François Mitterrand. En est-on sûr ?
01:48:21 Est-ce qu'on en est sûr de ça ?
01:48:24 Avec François Mitterrand, on n'est jamais sûr.
01:48:30 Je ne pense pas. Non, parce qu'au fond, sur ces derniers mois de vie,
01:48:37 François Mitterrand met tout au clair dans sa vie.
01:48:43 Sur le livre de Pierre Péan, "La jeunesse française", sur Mazarin.
01:48:49 Je pense que s'il avait voulu véritablement s'exprimer…
01:48:54 Affirmer qu'il était souffrant depuis 1981.
01:48:56 Voilà, il l'aurait fait.
01:48:59 Le Cours européen des droits de l'homme, en tout cas le 18 mai 2004,
01:49:01 il faut le souligner, a donné en partie raison au Dr Gilbert,
01:49:05 en considérant que la capacité du président ne relève pas du secret médical,
01:49:08 mais concerne la vie de tout un peuple.
01:49:11 Un sourire ?
01:49:16 La vraie question, c'est de savoir si on est en capacité,
01:49:23 quand on est un responsable politique, d'exercer…
01:49:25 Il était, selon vous ?
01:49:28 Oui, à chaque instant, toujours et jusque la fin.
01:49:30 Bien sûr.
01:49:32 Et ce n'est pas simplement parce que c'était François Mitterrand.
01:49:36 Vous n'avez qu'à voir des chefs d'entreprise, des employés, des dirigeants.
01:49:41 Ils sont malades et ils sont totalement présents.
01:49:46 C'est une maladie qui atteint le corps, qui n'atteint pas l'esprit.
01:49:51 Selon vous, il reste encore quelques secrets qui seront révélés dans quelques temps
01:49:57 ou finalement les secrets de François Mitterrand commencent à se tarir un petit peu ?
01:50:02 Je pense qu'il n'y a plus de secrets.
01:50:05 Je le dis très clairement.
01:50:07 Je vois encore, au travers de quelques polémiques sur les archives,
01:50:12 c'est peut-être François Mitterrand qui crée ce fantasme-là,
01:50:17 mais je ne pense pas qu'il y ait de véritables secrets.
01:50:21 Vous croyez donc aux forces de l'esprit ?
01:50:24 Oui, d'une certaine façon, je me souviens très bien d'un de ses plus proches collaborateurs
01:50:28 qui est venu avec moi faire "Direct le Plai", qui trouvait ça insupportable cette phrase.
01:50:32 Et moi, je trouvais ça très beau, très très beau.
01:50:35 Merci Dominique Bertinotti d'être venue nous rendre visite.
01:50:37 Merci à vous.
01:50:39 Fin de ce numéro d'Un jour une histoire.