Nous recevons aujourd'hui Matali Crasset, designer française de renommée internationale, qui signe la scénographie du ballet « Giselle » dont la première représentation s'est déroulée mercredi 6 décembre au Grand-Théâtre, à Bordeaux où ce spectacle se jouera jusqu'au 31 décembre prochain. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-du-13-14/13h30-invite-de-13h-du-vendredi-08-decembre-2023-3617814
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00:00 Bonjour Mathalie Crasset, merci d'être avec nous dans ce 13-14.
00:04 Vous êtes l'une des designers françaises les plus reconnues, les plus en vue, les plus éclectiques aussi
00:10 puisque vous avez ces dernières années créé des objets pour Carrefour, encore Ikea, mais aussi la manufacture de Sèvres,
00:16 aménagé des aires de jeux pour enfants, des cinémas, des hôtels, des écoles, conçus des maisons pour un bailleur social,
00:22 par exemple dans le département du Nord, on va en parler.
00:25 Vos travaux ont été présentés dans de nombreux musées à travers le monde
00:28 et l'on peut voir vos créations, vos costumes en ce mois de décembre sur la scène du Grand Théâtre de Bordeaux
00:34 puisque vous avez signé la scénographie du ballet Gisèle qui y est donnée jusqu'au 31 décembre.
00:39 J'invite les auditeurs à vous poser leurs questions 0145 24 7000 ou via l'application France Inter.
00:46 Mais tout ce que je viens de dire me mène à vous poser cette question, c'est quoi au fond être designer ?
00:50 C'est quoi le point commun entre toutes ces créations ?
00:53 C'est s'occuper de la vie en quelque sorte, c'est un beau métier.
00:57 Moi ce qui me porte justement, ce n'est pas tant de dessiner des objets, de faire des espaces,
01:01 mais c'est plutôt de ramener le commun, de réinscrire le partage.
01:05 Et justement Gisèle, c'est aussi un moment privilégié où on va rentrer dans une histoire et peut-être se réparer.
01:13 Je pense qu'on a besoin de se réparer aujourd'hui vu la violence qui nous entoure.
01:17 Et je pense que regarder un ballet classique, ça peut nous réparer aujourd'hui.
01:23 Je vois bien pour le ballet, pour un objet par exemple, je vois moins ?
01:26 Les objets, on va essayer d'en faire le moins en moins déjà.
01:30 Et puis les objets, je vais essayer de collaborer aussi de plus en plus avec des entreprises de patrimoine vivant
01:35 parce que je sais dans quel écosystème je fais vivre tout simplement.
01:39 En tant que designer, on se reconfigure.
01:42 Moi c'est ma position aujourd'hui et je regarde comment changer ma pratique.
01:49 Et d'ailleurs dans ce basel de Gisèle, j'essaie de parler du monde d'après.
01:58 Puisque le ballet Gisèle introduit une espèce de confrontation entre deux mondes.
02:04 Le monde de la ferme avec Gisèle qui sont des fignerons et le monde d'en haut qui sont les propriétaires terriens à l'époque.
02:14 Et j'essaie de le resituer aujourd'hui en imaginant une actualisation de Gisèle
02:19 en parlant d'un monde d'en bas qui va défendre le vivant et le monde d'en haut qui est le monde des privilèges.
02:27 Le monde d'en haut qui ne veut pas bouger parce qu'il veut garder ses privilèges.
02:31 Quand vous dites "je vais faire de moins en moins d'objets", c'est lié à votre réflexion écologique ?
02:35 Bien sûr ! Et puis les enjeux.
02:39 Quand on est face à des enjeux, je pense que tous dans nos professions, on doit se reconfigurer en quelque sorte.
02:44 Vous parlez du monde de la ferme pour Gisèle, c'est aussi de là que vous venez, Mathalie Crasset ?
02:50 Oui, je suis née avec des parents agriculteurs puisque fermée.
02:53 Dans le département de la Marne, comment vous est venu le goût pour le dessin, pour la création ?
02:58 J'ai beaucoup développé mon imaginaire très rapidement, peut-être en m'ennuyant un peu.
03:07 Et puis j'ai compris qu'un certif de culture, il fallait la chercher en ville, notamment à Paris.
03:15 A l'époque, il n'y avait pas d'école de design dans les écoles de beaux-arts comme on peut avoir aujourd'hui.
03:21 Je savais qu'il fallait que je monte à Paris et que je me confronte à ce monde et que je construise ma propre approche.
03:30 C'est ce qui m'importe beaucoup, de faire en sorte de réapporter de la singularité dans notre monde d'aujourd'hui.
03:36 Il y a quelque chose de votre enfance à la campagne, dans votre travail, dans ce que vous créez ? Des influences ?
03:43 Je dirais plutôt que c'est la façon d'interagir avec les gens qui m'apporte là.
03:50 L'idée de faire communauté, en quelque sorte, quand on se pose, comme j'ai eu l'occasion de le faire,
03:58 au sein de l'organe de l'Opéra de Bordeaux, on doit faire communauté avec tous les gens qui sont là.
04:07 Ça veut dire quoi faire communauté ?
04:10 C'est plus que collaborer, c'est autour d'une idée.
04:15 Et là, en l'occurrence, de réactiver ce Gisèle, mettre au service de ce projet, son énergie, ses intentions.
04:26 Et faire en sorte que d'un seul coup, on vient transcender tous ensemble.
04:29 Et ça, vous pensez que ça vous vient de vos origines ? Parce qu'il y a la communauté villageoise, par exemple.
04:33 Voilà, il y a des échelles. C'est la façon d'interagir aussi.
04:38 Est-ce que, on parlait de prise de conscience écologique, c'est peut-être l'expression qu'il faut employer,
04:44 en quoi ça a changé votre façon de travailler ? Pas uniquement sur les objets,
04:49 mais quand vous devez créer une école, une bibliothèque ou des logements, comme c'est le cas aujourd'hui ?
04:54 C'est à la fois les matières qu'on utilise, mais c'est trouver des logiques.
04:59 Je suis vraiment dans cette idée de trouver des nouvelles logiques pour recombiner les choses.
05:05 Ce n'est pas une série d'injonctions, parce que ça ne fonctionne pas comme ça.
05:09 C'est surtout le rôle du designer d'être en capacité d'avoir de l'affordance,
05:15 c'est-à-dire une façon de présenter les choses qui paraissent naturelles.
05:19 Sinon, on ne va pas y arriver. Personne n'a envie de changer en profondeur,
05:26 mais on va y arriver tous ensemble, parce qu'on va trouver les moyens de le faire.
05:32 Pour qu'on comprenne bien, est-ce qu'il y a des choses que vous avez pu faire par le passé,
05:35 qu'aujourd'hui vous ne faites plus ? Ou des approches que vous avez pu utiliser,
05:38 et que vous avez décidé d'abandonner ?
05:40 J'avais déjà cette idée de faire un pas de côté.
05:43 Mon travail était déjà une pratique d'association du social et de l'artistique,
05:51 parce que je trouve que c'est encore possible en France.
05:54 Quand je montre mon travail aux Etats-Unis, les gens ne comprennent pas,
05:57 parce que soit c'est artistique, soit c'est social, mais on ne peut pas faire les deux en un ensemble.
06:00 L'artistique ne peut pas avoir un objectif social aux Etats-Unis ?
06:03 Très rarement. Ce sont deux mondes différents, alors qu'en France, on a cette capacité encore de le faire.
06:08 J'ai défendu ça depuis le début.
06:11 Maintenant, ça devient social, artistique et écologique.
06:17 Ça se complète, mais ce sont des nouvelles logiques.
06:20 J'étais déjà en train d'essayer de trouver des nouvelles logiques,
06:22 et cette fois-ci, on peut dire que ce sont des nouvelles logiques écologiques.
06:25 Lié à l'artistique et le social, c'est ce que vous aviez fait en concevant cette école en Bretagne ?
06:30 Oui, tout à fait. Mais à chaque fois, il y a une partie sociale et une partie artistique dans mes projets.
06:38 J'ai envie de vous faire réagir à l'actualité de la semaine. On parlait beaucoup de décarbonation hier sur France Inter.
06:42 On va en parler ensemble. Il y a eu aussi l'actualité de l'école, la baisse du niveau des élèves dans nos écoles.
06:48 Est-ce que vous pensez qu'en construisant différemment,
06:50 vous parliez de ce projet en Bretagne d'école en milieu rural, je crois que c'était dans une petite commune des Côtes d'Armor,
06:55 est-ce qu'il y a des choses à faire autour de la conception de nos écoles aujourd'hui ?
06:58 Est-ce que ça pourrait aider les enfants à mieux apprendre ?
07:00 Bien sûr, forcément. Les espaces inter proposent des scénarios de vie.
07:06 Ces scénarios de vie peuvent en créer le partage, l'idée d'être ouvert aux choses.
07:13 Ils peuvent en créer l'école que j'ai faite à Trébonand. En effet, tout est ouvert sur le village.
07:17 Le village est la plateforme d'apprentissage des enfants. Ce n'est pas juste à l'intérieur.
07:22 Et Nolven, qui dirige cette école, fait beaucoup d'activités à l'extérieur. C'est aussi ça, le rapport au vivant.
07:27 Il est important. C'est se confronter à ce vivant, le connaître,
07:32 et faire en sorte que la culture devienne la culture du vivant. C'est un peu ça, l'idée.
07:37 Et concrètement, quel choix vous aviez fait pour cette école ?
07:39 Justement, d'ouvrir complètement. Quand on regarde les écoles,
07:42 toute la partie basse était fermée pour garder l'attention des enfants.
07:47 Pour ne pas qu'ils regardent dehors.
07:48 Les fenêtres étaient mises en partie. C'est comme ça qu'étaient construites les écoles primaires,
07:53 en tout cas celles de Trébondand.
07:56 J'ai replacé en même temps, en essayant de changer la qualité thermique du bâtiment,
08:03 comme une ossature, en ouvrant complètement le lieu sur l'extérieur.
08:09 Et ça ne distrait pas les enfants d'avoir plus d'ouverture vers l'extérieur ?
08:11 Non, pas du tout. Parce que c'est leur village. Ils le connaissent.
08:16 L'attention peut être aussi dans le dynamisme qu'on propose.
08:22 Plus un enfant bouge dans une classe, mieux c'est.
08:26 Ça veut dire qu'il est actif. On a envie d'avoir des gens actifs et pas des gens passifs.
08:30 Vu les enjeux écologiques qui se présentent, il faut que les gens prennent les choses en main.
08:35 Et ce n'est pas en faisant en sorte que les enfants ne bougent pas en classe
08:38 qu'on va arriver à faire en sorte qu'ils soient des adultes actifs.
08:42 On parle de ce projet que vous avez mené en Bretagne.
08:44 Vous avez aussi aménagé le bureau de Brigitte Macron à l'Elysée.
08:48 Deux projets complètement différents.
08:50 Non, je n'ai pas aménagé le bureau. J'ai fait un bureau pour le mobilier national.
08:54 Vous avez créé un bureau à mobilier ?
08:55 Oui, qui a été choisi pour équiper le bureau de Brigitte Macron.
08:59 A chaque fois, est-ce que vous partez des demandes ?
09:02 Là, il n'y avait pas de demande.
09:04 Mais est-ce que vous partez des demandes des élèves ou des professeurs ?
09:08 Ou bien est-ce que c'est vous qui apportez votre idée ? Comment ça se passe ?
09:10 Ça dépend. En l'occurrence, pour ce bureau, je me suis dit que j'aimerais bien faire un bureau pour une femme.
09:16 Ne sachant pas qui allait le prendre.
09:19 Mais vous saviez que c'était pour le bureau de la première dame a priori ?
09:21 Pas du tout. Quand on travaille avec le mobilier national, on ne sait pas qui va le prendre.
09:25 Ça aurait pu être le bureau d'Emmanuel Macron ou du président de la République ?
09:28 J'ai fait un bureau assez petit, avec cette idée de rentrer en interaction avec la personne qui est devant.
09:34 C'est quoi un bureau pour une femme, puisque c'était votre idée ?
09:37 J'ai essayé de ne pas mettre l'idée de statut au premier plan.
09:41 J'ai essayé de dire que ce n'est pas vraiment le pouvoir qui est intéressant, mais plutôt l'échange.
09:47 Avec celui qui vient se poser en face, notamment.
09:51 Et puis avoir un système de bureau à plusieurs hauteurs pour qu'on puisse serrer tête assise,
09:56 pour se concentrer, mais aussi pourquoi pas regarder un dossier debout.
09:59 Donc avoir une dynamique autour du bureau, ça peut se jouer autour de ça.
10:03 Parce qu'un bureau, ça peut être impressionnant quand on est de l'autre côté.
10:06 Il y a déjà une forme de domination.
10:08 Voilà, il y avait, tout à fait.
10:10 On a parlé de ce projet d'école.
10:13 Vous travaillez aussi en ce moment, et je l'ai dit, sur un projet d'habitat
10:18 qui est en train de sortir de terre à Ouattrelo, près de Lille.
10:21 La maison design pour tous.
10:23 Est-ce que vous pouvez nous parler de ce projet qui est mené avec un bailleur social ?
10:26 Oui, avec Villogia.
10:27 C'est une belle aventure aussi, c'est-à-dire essayer de créer un habitat tout en bois,
10:32 avec un système qu'on appelle hors-site.
10:35 On le fait fabriquer, puis on arrive en module et on le construit de façon à éviter
10:41 les défauts de construction, et de faire le maximum de choses à l'intérieur,
10:46 et pas à l'extérieur, comme aujourd'hui le propose le bâtiment.
10:49 Ma prise de position a été de dire, aujourd'hui, on ne peut pas légitimer les pavillons,
10:55 ni les maisons individuelles, mais par contre...
10:59 Ça c'est dur pour beaucoup de Français, parce qu'il y a beaucoup de Français qui rêvent de pavillons.
11:02 On m'a demandé de faire une maison individuelle.
11:05 Et donc je me suis dit, la seule façon de légitimer ce projet, c'est de créer une petite serre devant,
11:10 pour faire en sorte que les gens qui vont pouvoir habiter cette maison vont pouvoir regagner
11:14 un contact à la terre, ils vont pouvoir faire pousser leurs légumes.
11:18 Ce n'est pas tant pour devenir autonome, elle fait 9 mètres carrés, ce n'est pas petit,
11:21 ce n'est pas non plus suffisant, mais on sait très bien que ça répare, là encore une fois,
11:27 de préparer ses légumes, d'être fière aussi de pouvoir le présenter à sa famille,
11:32 de les transformer, donc il y a toute une quête.
11:34 C'est la façon la plus simple de changer de logiciel par rapport à notre relation à la nature.
11:40 - Mais c'est le potager qu'on a dans le jardin, c'est ça l'idée ?
11:43 - C'est un peu l'idée de... - Avec une particularité sans doute.
11:46 - Oui, mais c'est assez rare pour ce genre de lieu qui est en location.
11:51 Et il y aura de toute façon un autre potager à partager,
11:54 il y a 8 maisons qui sont construites avec 3 tailles différentes.
11:58 C'est vraiment cette idée de construire là encore une petite communauté.
12:03 C'est un peu comme si on mettait le jardin ouvrier au pied de la maison.
12:08 C'est un peu l'image que j'en avais.
12:10 - Question de Lorenzo de Mirbeau, je suis sensible et j'ai travaillé dans la construction terre-paille.
12:15 Qu'en pensez-vous ? Voyez-vous un avenir pour cette méthode ancestrale et très écologique aujourd'hui
12:19 qui permet par exemple de remplacer le béton ?
12:21 - Bien sûr, oui. On va de toute façon aller regarder la façon dont nos ancêtres construisaient,
12:29 puisqu'il y a beaucoup d'enseignements.
12:31 Souvent aujourd'hui pour se reconfigurer, on va lire, je ne sais pas,
12:35 on se rapproche des peuples autochtones.
12:38 Et en fait, il suffit de regarder les pratiques verniculaires.
12:41 C'est encore là, donc il faut faire cet inventaire.
12:45 Il y a beaucoup de choses à prendre en effet dans nos territoires.
12:48 - C'est un travail de mémoire. Marc nous appelle de Malzère. Bonjour Marc.
12:52 - Oui bonjour. - C'est dans quel département ?
12:54 - 45. - 45 Ménéloir ? - Loiret.
12:58 - Pardonnez-moi. Allez-y Marc, on vous écoute.
13:00 - En fait, j'habite autour de Petiteville, qui est un petit peu abandonnée.
13:04 Et je voulais savoir pourquoi il y avait autant de poteaux qu'il y avait de fonctions.
13:09 C'est-à-dire qu'en fait, il y a autant de fonctions, comme dans les gares SNCF.
13:13 Il y a au parleur un poteau, une signalétique un poteau, une lumière un poteau.
13:18 Enfin, il y a autant de poteaux qu'il y a de fonctions.
13:20 Je ne sais pas pourquoi, et c'est moche, ça fait des forêts de poteaux.
13:23 C'est très laid à l'entrée des villes. - Merci.
13:25 - Je ne sais pas pourquoi on ne regroupe pas tout ça.
13:27 - Merci Marc. Peut-être Mathilde Classé.
13:29 - Je ne sais pas, on a travaillé un peu l'idée de répondre à des besoins et à des fonctions.
13:34 Ce qui donne un peu ces aberrations puisqu'on les empile.
13:37 Je pense que je dédie mon travail plutôt à l'idée de travailler au niveau des désirs maintenant.
13:43 On ne va plus être au niveau des besoins, puisque les besoins ont été quelque part inventés.
13:49 On a des services marketing qui sont faits pour ça, pour inventer des faux besoins.
13:55 Maintenant, il faut travailler au niveau des désirs.
13:57 - Merci Mathalie Classé d'avoir accepté l'invitation de ce 13-14.
14:01 Votre scénographie à voir.
14:03 - J'ai fait la scénographie et les costumes. Je tiens à remercier toute l'équipe de l'Opéra qui a contribué à faire ce superbe...
14:11 - Le Ballet Gisèle c'est à Bordeaux jusqu'au 31 décembre. Merci beaucoup.