Depuis 45 ans, il est omniprésent dans la lumière et dans l’ombre des puissants : pouvoirs politiques, médiatiques et économiques. Il a conseillé, président de la République, grands patrons, premiers ministres... Alain Minc nous emmène dans les coulisses de l'Elysée. Il est le premier invité d'Astrid de Villaines pour la série "Les conseillers de l'Élysée".
Photo de la vignette : portrait d'Alain Minc / Lionel Bonaventure / AFP
#politique #élysée #secret
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Retrouvez la série Les conseillers de l'Élysée https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/serie-les-conseillers-de-l-elysee
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NewsTranscription
00:00 Un bureau à Geneuse 5, des cheveux et un costume gris.
00:04 A 74 ans, il est l'incarnation des pouvoirs politiques, médiatiques et économiques.
00:10 Et il l'assume.
00:12 Il faut dire que ce fils d'immigrés juif polonais résistant communiste en a bûché
00:16 pour en arriver là.
00:17 Il naît et grandit à Paris après la guerre.
00:19 Prépare à Louis le Grand et des diplômes à en revendre.
00:23 Sciences Po, l'ENA, l'école des mines, la politique et l'économie, le public et le
00:28 privé, des mondes qui pour lui s'entremêlent.
00:31 Alors qui de mieux pour écrire le dictionnaire amoureux du pouvoir qui vient de sortir chez
00:37 Plon Grasset ? Depuis 45 ans et presque autant de livres, il est omniprésent, dans la lumière
00:43 et dans l'ombre des puissants.
00:44 C'est aussi parce qu'il est un familier de l'Elysée qu'on l'a invité pour cette
00:48 série sur les conseillers du pouvoir, lui le visiteur du soir.
00:52 Dans sa serviette, toujours avec lui, le facsimilé de la lettre de Pierre Brossolette au général
00:57 de Gaulle dans laquelle il promet d'être toujours franc avec lui.
01:00 L'a-t-il été, lui, franc, avec les hommes de pouvoir qu'il a conseillés, président
01:05 de la République, grand patron, premier ministre et tout ambitieux qui veut se faire une place.
01:09 Que recouvre cette expression bien connue des français pour désigner ceux qui murmurent
01:14 à l'oreille de nos élites ? Quelle est sa part de responsabilité dans les multiples
01:18 crises que nous connaissons, lui qui a soutenu la gauche et la droite ? Chantre de la mondialisation
01:23 heureuse et du cercle de la raison, ses positions lui valent encore des critiques.
01:27 Avant Anne Lauvergeon la semaine prochaine, puis Camille Pascal, Gaspard Ganser et Clément
01:32 Léonard Duzy, les conseillers de l'Elysée, 5 épisodes pour vous faire vivre la politique
01:36 de l'intérieur avec notre premier invité, Alain Minc.
01:40 Bonjour.
01:41 Bonjour.
01:42 Merci d'avoir accepté notre invitation.
01:43 Je rappelle le principe de l'émission, un invité et trois archives pour retracer son
01:48 parcours, son engagement et sa personnalité.
01:50 Merci à vous de nous écouter.
01:52 A plus.
01:53 Vous êtes sur France Culture.
01:54 Alors Alain Minc, vous sortez ce livre, le Dictionnaire amoureux du pouvoir chez Plonc-Grasset
02:04 et je crois que le plus intéressant dans cet ouvrage c'est l'annexe.
02:07 L'annexe, c'est cette lettre que j'évoquais en introduction, celle de Pierre Brossolette
02:11 au général de Gaulle, écrite le 2 novembre 1942.
02:14 J'en lis un extrait que vous devez connaître par cœur et vous nous direz ensuite pourquoi
02:18 c'est votre mantra.
02:19 « Mon général, je vous parlerai franchement.
02:22 Je l'ai toujours fait avec les hommes, si grands fussent-ils, que je respecte et que
02:27 j'aime bien.
02:28 Je le ferai avec vous que je respecte et aime infiniment.
02:31 Car il y a des moments où il faut que quelqu'un ait le courage de vous dire tout haut ce que
02:36 les autres murmurent dans votre dos avec des mines éplorées.
02:39 Ce quelqu'un, si vous le voulez bien, ce sera moi, j'ai l'habitude de ses besognes
02:44 ingrates et généralement coûteuses.
02:46 » C'est un texte extraordinaire parce qu'il faut se remettre dans les circonstances.
02:52 Ce n'est pas le monde paisible où vous et moi nous nous rencontrons.
02:56 On est en novembre 1942, Brossolette est entré dans la Résistance en août 1940.
03:03 Il a pris des risques dans le réseau du Musée de l'Homme extrêmement grand.
03:09 Il y a l'espèce de tension de l'histoire d'Aix-de-Dencoisse et déjà quand même
03:16 de mythologie gaulliste liée à l'acte fondateur du 18 juin.
03:21 Et il lui parle de cette manière-là, c'est-à-dire à la fois d'égal à égal et avec une incroyable
03:28 différence « à vous que j'aime et respecte infiniment ».
03:31 Alors, pourquoi j'ai toujours un fac similé de cette lettre dans ma serviette ? Parce que
03:37 je m'étais dit que quand on fréquente beaucoup les puissants ou ceux qui se croient
03:41 puissants ou ceux qui rêvent de devenir puissants, il y en a des catégories, des sous-catégories,
03:47 des sous-sous-catégories, c'est une espèce de talisman.
03:50 Et moi je me suis en effet toujours fixé, parce que c'est mon tempérament, de dire
03:57 ce que je pense à quiconque.
03:59 Souvent à mes dépens d'ailleurs, mais ça n'a aucune importance.
04:02 Et à l'âge qui est maintenant le mien, alors ça ne peut plus être à mes dépens.
04:05 Donc ça n'en est qu'un plaisir plus grand.
04:08 Que dites-vous franchement à Emmanuel Macron ?
04:11 Non, là je ne vous dirai pas la quintessence de choses que j'ai pu dire à tel ou tel,
04:19 surtout aujourd'hui.
04:20 Il sait ce que je pense, il sait les aider.
04:24 Mais souvent je le fais publiquement.
04:26 Je lui ai envoyé des admonestations publiques qu'il n'a pas aimées.
04:31 Quand j'ai dit, il y a deux mots en anglais pour politique, policy et politics.
04:36 En policy il a 17 sur 20 et en politics il a 3 sur 20.
04:42 Je pense qu'aucun journaliste ne dit les choses avec cette clarté un peu agressive,
04:50 mais qu'il accepte bien, ou qu'il fait semblant d'accepter, du vieil oncle acariâtre que
04:57 je suis.
04:58 Vous dites régulièrement que le chef de l'État est entouré de conseillers médiocres.
05:02 Est-ce propre à Emmanuel Macron ?
05:04 Non, mais je pense que c'est plus le cas avec lui.
05:08 Et ça c'est un reproche profond que je lui fais.
05:17 Et c'est pour ça que dans le bouquin je mets en contrepoint Georges Pompidou.
05:22 Georges Pompidou, quand il était président de la République, avait deux équipes.
05:27 Une qui gérait l'État, qui était constituée au sommet par Michel Jaubert avec pour adjoint
05:33 Édouard Balladur.
05:34 Une qui faisait de la politique, qui était constituée par deux personnages complètement
05:40 atypiques, un peu braques, qui étaient Pierre Julliet et Marie-France Garaud.
05:44 Mais donc il acceptait d'être entouré de gens avec une puissance, une identité exceptionnelle.
05:52 Parce que je crois qu'on ne dirige bien que quand on est entouré de gens dont vous êtes
06:00 accepté à certains égards qui puissent être meilleurs que vous.
06:03 Alors on peut revenir à Brosselette et au général de Gaulle.
06:06 Parce que je ne suis pas sûr que le général de Gaulle entrait dans cette logique complètement.
06:11 Par exemple, et nul n'a une réponse au point que je vais soulever, mais de Gaulle a un
06:17 moment à choisir son délégué en France.
06:21 Ce peut être Brosselette et ce peut être Moulin.
06:25 C'est-à-dire plutôt que le franc-tireur éblouissant, atypique et relativement incontrôlable
06:33 qu'était Brosselette, il choisit un préfet qui a le sens de l'obéissance et de l'ordre.
06:39 Et donc à cet égard, il a pris le moins puissant, au moins intellectuellement, des
06:46 deux, parce qu'il voulait avoir la capacité de diriger Rennes-Serret.
06:52 Donc même quand on est un personnage quasi surréaliste comme de Gaulle, on peut avoir
06:56 cette tentation-là.
06:57 Mais ce que je dis n'est pas vrai uniquement du pouvoir politique.
07:03 Je le vois, c'est vrai dans les entreprises, c'est vrai dans les grands médias, c'est
07:08 vrai dans la sphère intellectuelle.
07:09 Les gens sur deux, vraiment sur deux, et les meilleurs sont ceux qui s'entourent de
07:16 proches qui parfois leur sont supérieurs.
07:18 Est-ce que vous mettez dans cette catégorie de conseiller médiocre Clément Léonard
07:22 Duzi qu'on recevra lors du dernier épisode de cette série qui est souvent présenté
07:25 comme le stratège qui a fait réélire Emmanuel Macron ?
07:28 J'aime beaucoup Clément Léonard Duzi et je considère à certains égards qu'à l'Élysée,
07:34 qu'il a quitté, il faudrait se demander pourquoi d'ailleurs.
07:37 Vous lui demanderez, je le sais, qu'à moins égard il était à l'Élysée le rayon de
07:43 lumière.
07:44 Je ne peux pas dire un truc plus gentil.
07:46 Pour lui, pas pour les autres.
07:49 A la lettre Z de Zola dans ce dictionnaire amoureux du pouvoir à la main, vous écrivez
07:53 le pouvoir unique de la plume et vous écrivez un intellectuel est efficace quand il ne pérore
07:58 pas sur tous les sujets mais mise son crédit sur une cause unique.
08:03 Est-ce que vous vous classez dans la catégorie des intellectuels ?
08:05 Non, moi je fais tout de manière prime sautière.
08:09 J'ai un jour expliqué que je pratiquais la superficialité profonde.
08:14 Alors un intellectuel, il pratique parfois la profondeur superficielle mais ce ne sont
08:20 pas les mêmes catégories.
08:22 Donc étant un touche-à-tout, je ne réponds absolument pas à ce que je dis à propos
08:28 de Zola.
08:29 Mais revenez, c'est extraordinaire parce qu'au fond Zola, à un moment, prend une
08:34 cause et il devient l'homme de cette cause avec un format quand même incroyable et avec
08:41 des risques personnels qui fait quand même qu'il est condamné et qu'il doit s'exiler
08:46 un an à Londres pour ne pas être emprisonné.
08:49 Mais là, vous me prenez un exemple dans la catégorie sur-homme, ce n'est pas la catégorie
08:56 du quotidien.
08:57 Vous parliez de superficialité profonde pour vous définir Alain Minc.
09:06 Est-ce que vous diriez ça aussi des hommes et des femmes politiques ? On va débuter
09:10 cette émission avec une première archive.
09:12 Voilà ce que vous en disiez sur France Inter le 8 septembre 2014.
09:16 C'est le monde actuel.
09:17 Je pense d'ailleurs qu'en termes politiques, les chaînes info sont un événement plus
09:21 bouleversant que les réseaux sociaux.
09:23 C'est-à-dire que les hommes politiques passent leur temps à croire qu'ils doivent parler
09:27 pour un miroir où ils sont les seuls à se regarder.
09:30 Qu'ont changé les chaînes d'information en continu aux conseils que vous avez pu donner
09:34 à des responsables politiques ?
09:36 Ils ne changent pas les conseils, ils changent le décor.
09:39 C'est-à-dire que leur pression est absolue.
09:42 Et dans les chaînes info, ce qui est le plus important, c'est le bandeau qui est en dessous.
09:49 Évidemment, le bandeau qui est en dessous est fait par le stagiaire qui est là pour
09:53 deux mois, avec le risque d'erreur que ceci représente.
09:57 Et pour les médias qui veulent pratiquer, comme on dit, le fact-checking, la vérification,
10:05 il faudrait commencer par vérifier les bandeaux.
10:08 C'est un martèlement permanent.
10:09 Maintenant, vous pouvez entrer dans un bistrot, vous avez toujours une chaîne info.
10:16 Les réseaux sociaux, c'est un monde fermé sur lui-même.
10:23 C'est un monde à plusieurs millions de gens, mais c'est un monde qui est fermé.
10:28 On peut vivre sans être sur les réseaux sociaux, moi je n'y suis pas.
10:31 Mais c'est un choix délibéré.
10:33 Je ne vois pas, à certains égards d'abord, quand vous êtes quelqu'un d'assez visible,
10:39 vous vous trouvez face aux réseaux sociaux, face à un monde qui est la France de la délation
10:45 de 40.
10:46 C'est-à-dire les réseaux sociaux, anonymes par définition, ont une violence.
10:51 Ce n'est pas d'avoir peur de la critique, c'est que je pense que ça vous donne une
10:55 image totalement déformée de la société.
10:58 Et je pense que les hommes politiques qui passent leur temps, matin, midi et soir, sur
11:03 les réseaux sociaux font une erreur fondamentale.
11:06 En revanche, les chaînes d'info, on ne peut pas s'en abstraire.
11:10 Et de aller sur les chaînes d'info, est-ce que pour vous, les politiques qui y vont,
11:14 c'est une erreur fondamentale ?
11:15 - Pas du tout.
11:16 Mais ça dépend de ce qu'ils ont envie d'y dire et de la manière dont ils le disent.
11:20 Mais moi, vous savez, on en dira peut-être un mot, j'ai beaucoup de respect pour le
11:25 métier politique, métier que j'ai refusé de faire.
11:28 C'est peut-être pour ça que j'ai du respect.
11:29 Parce que vous devez, dans la politique, surtout quand il y avait le cumul des mandats et que
11:37 vous aviez des grands barons, vous deviez tenir les deux bouts de la chaîne.
11:40 C'est-à-dire être capable de tenir une permanence en vous occupant des problèmes du quotidien
11:47 et comprendre les grands enjeux géostratégiques, c'est-à-dire avoir le nez dans les étoiles.
11:52 Et tenir les deux bouts de la chaîne, c'est quelque chose qui exige beaucoup d'abnégation
11:57 et beaucoup d'intelligence.
11:59 C'est un métier qu'on ne respecte pas assez.
12:02 - Alain Minc, vous êtes diplômé de l'ENA Promotion, Léon Blum en 1975.
12:11 La même promotion que Martine Aubry, que vous combattrez plus tard pour sa réforme
12:16 des 35 heures.
12:17 Quel souvenir gardez-vous d'elle ?
12:18 - J'ai pas besoin de garder un souvenir.
12:21 C'est une excellente amie.
12:22 C'est quelqu'un que j'aime infiniment.
12:25 C'est quelqu'un qui a un caractère extrêmement entier.
12:29 Et c'est quelqu'un qui, dans l'espace politique, incarnait.
12:35 J'aime beaucoup Martine Aubry de la même manière que j'aime et respecte beaucoup son
12:44 père Jacques Delors.
12:46 - Votre carrière est trop longue à résumer Alain Minc, mais ce qui est certain, c'est
12:49 que vous êtes un adepte du mélange des genres.
12:51 Et notamment des genres politiques, médiatiques et économiques.
12:54 Est-il juste à vos yeux que le rôle de conseiller officieux passe au travers des fourches codines
12:58 de la haute autorité pour la transparence de la vie publique ?
13:01 - Écoutez, moi j'ai connu bien plus pire que la haute autorité.
13:06 J'ai eu pendant des années Mediapart à mes trousses.
13:11 Et donc, de ce point de vue, ils n'ont jamais pu me trouver un conflit d'intérêt.
13:18 Et ils ont cherché.
13:19 Il y a même eu un bouquin qui essayait d'avoir affaire à ça.
13:25 Je pense que quand on fait un métier comme le mien, il y a deux aspects.
13:28 Dans mon métier professionnel, c'est un métier où il y a des rémunérations.
13:32 Pas tous mes clients, parce que j'ai mes bonnes œuvres, comme tout le monde, mais
13:36 j'ai des rémunérations.
13:37 Quand vous recevez, vous avez des rémunérations…
13:41 - Mais qui ne sont pas publiques.
13:42 - Non, mais on connaît mes grands clients, peu importe les montants.
13:46 Vous devez être au moins aussi snob que le portier du Jockey Club.
13:52 C'est-à-dire que le nombre de clients de business que j'ai refusés, parce que je
13:57 voyais bien pourquoi ils venaient vers moi et pour des ambiguïtés, est considérable.
14:02 Des étrangers, des gens pas respectables.
14:05 Et j'ai toujours refusé les entreprises publiques.
14:08 - J'allais y venir.
14:09 Vous n'avez jamais dirigé d'entreprise publique.
14:12 - Non, j'ai eu l'occasion à un moment dans ma vie d'en refuser une.
14:15 Une belle, mais peu importe.
14:17 - Pourquoi n'avez-vous pas voulu mettre votre talent au service de l'État ?
14:23 - Parce que le jour où Michel Rocard m'avait proposé une très grande entreprise publique,
14:29 très belle…
14:30 - C'était laquelle ?
14:31 - Peu importe.
14:32 Il m'avait dit aussi « mais la contrepartie, c'est que désormais tu la boucles ».
14:36 Et il avait raison.
14:39 - Comme un devoir de réserve.
14:40 - Vous ne pouvez pas diriger une entreprise, engager des milliers, voire des dizaines
14:44 de milliers de salariés et simultanément être le nez au vent et donner votre avis
14:50 sur tout et n'importe quoi.
14:51 Donc j'ai préféré prévaloir ma liberté.
14:55 Et c'est pour ça que j'ai pris le seul métier qui était compatible avec cette liberté,
15:00 qui était de faire du conseil parce que je ne dépends que de moi.
15:03 - Ou alors d'être visiteur du soir.
15:05 - C'est pas un métier, visiteur du soir, c'est un amusement.
15:08 - Un amusement.
15:09 En tout cas, vous en faites une définition dans ce dictionnaire amoureux du pouvoir, à
15:13 la lettre EV « Tout visiteur du soir expérimenté est conduit à respecter une règle, ignorer
15:17 les plus proches collaborateurs du monarque et ne jamais leur dire un mot des idées qu'il
15:21 a émises devant ce dernier ». Vous dites aussi « J'ai personnellement connu deux
15:25 fois cette situation de visiteur du soir avec deux présidents, Nicolas Sarkozy et Emmanuel
15:29 Macron, et deux premiers ministres, Edouard Balladur et Pierre Moroy.
15:33 Arrêt aux pages étranges puisque les interlocuteurs étaient de couleurs politiques différentes
15:36 mais celle-ci n'a aucune importance ». Et ça, peut-être que ça pose question aux
15:40 français, aux gens qui nous écoutent, parce qu'on se dit, en fait, depuis 45 ans, vous
15:44 conseillez le monde économique, les politiques, de droite, de gauche, bon, plutôt de droite
15:50 d'ailleurs, mais est-ce que cette porosité-là ne pose pas problème à l'American ? Vous
15:55 vous posez la question mille fois et vous répondez toujours non.
15:57 - Non, d'abord, vous avez… C'est pas plutôt de droite.
16:02 J'ai, par exemple, j'ai eu une admiration sans limite, que j'exprime dans ce bouquin,
16:09 pour Pierre Moroy, parce que je pense que le char de l'État allait dans le mur, économiquement,
16:18 la France allait dans le mur et c'est lui qui a empêché François Mitterrand, en 1983,
16:24 en fait, de nous faire sortir de l'univers européen.
16:27 Alors, j'avais des positions beaucoup plus modérées que lui, mais l'intérêt, et
16:33 ça c'est une vraie hauteur de vue, c'est de discuter avec des gens qui ne sont pas
16:37 d'accord avec vous.
16:38 Si vous discutez avec des gens qui sont d'accord avec vous, ça n'a aucun intérêt.
16:43 Et il faut avoir une liberté totale.
16:45 Alors, maintenant, et à prescription, je peux raconter une anecdote qui est la suivante.
16:50 Après son élection, Nicolas Sarkozy, qui était un ami proche, et qui l'est toujours,
16:56 me dit « est-ce que tu prends quelque chose ? » Et je lui ai dit non.
17:00 - « Tu prends quelque chose », ça veut dire un ministère, une entreprise ?
17:02 - On est resté… Ça pouvait être, peu importe.
17:04 Et il me dit, je lui ai dit non.
17:06 Et il me dit « pourquoi tu me dis non ? » Et je lui ai dit « parce qu'au fond, chacun
17:10 dans sa vie fixe son snobisme.
17:12 Et moi, mon snobisme, c'était de dire, ou ça va être de dire à quelqu'un qui
17:17 occupe le bureau du général de Gaulle « mon vieux, tu déconnes.
17:20 Et pour te dire éventuellement « tu déconnes », il ne faut pas être ton employé de maison.
17:24 - Alors, ça se passe comment, très concrètement, d'être un visiteur du soir ?
17:28 Question Instagram de Céline Angironde.
17:29 Récupère-t-on plus d'informations le soir ? Il y a beaucoup de fantasmes autour de cette
17:32 définition, de ce rôle occulte.
17:36 Est-ce qu'en fait, ce n'est pas plutôt le dimanche après-midi autour du Nogaz ?
17:39 - Non, ça, ça dépend des périodes, ça dépend des époques.
17:42 Macron a inventé le visiteur du soir par texto.
17:45 C'est un malade du texto.
17:46 Peu importe la modalité.
17:48 La différence entre un conseiller et un visiteur du soir, c'est que la vie du conseiller
17:55 dépend de son chef.
17:56 La vie du visiteur du soir ne dépend pas de lui.
18:00 Il fait ça, ça prend très peu de temps, à temps perdu.
18:03 Et après, il lance des balles et l'homme public les reçoit, les prend ou ne les prend
18:09 pas.
18:10 C'est une relation qui est extrêmement simple.
18:14 Mais ça suppose d'avoir un lien personnel.
18:20 Vous ne pouvez pas avoir des visiteurs du soir qui sont des gens que vous n'avez pas
18:24 connus avant.
18:25 Pas possible.
18:26 Parce qu'il faut une forme d'intimité.
18:29 - Il y a un reproche aussi qu'on vous fait souvent, c'est que vous vous trompez toujours.
18:33 Vous qui aimez la ménagerie du pouvoir, observer les hommes et les femmes au plus haut niveau,
18:39 on pourrait vous appeler le chat noir à la main.
18:41 - Non, c'est pas dur.
18:42 - Vous avez soutenu Alain Juppé.
18:45 Vous avez prédit la victoire de Hillary Clinton et pas celle de Donald Trump.
18:50 - Non, non, mais ça, j'étais pas le seul.
18:51 Ça, c'est autre chose.
18:52 C'est pas lié à des positions politiques françaises.
18:55 Je n'ai jamais cherché à jouer le gagnant.
18:57 J'ai voté pour celui que j'estimais à mes yeux le meilleur, donc rien ne garantissait
19:03 qu'il serait le gagnant.
19:04 Alors, on peut en prendre plusieurs.
19:06 J'ai en effet soutenu Édouard Balladur dans l'élection de 1995.
19:11 J'ai soutenu Alain Juppé dans la primaire de 2016.
19:17 Mais parce que j'estimais que pour le pays, ils eussent été les meilleurs.
19:24 - On va en écouter un extrait d'Edouard Balladur que vous avez soutenu en 1995.
19:30 - C'est un bobard.
19:32 C'est un bobard qui a été complaisamment répandu.
19:38 Je vais vous dire comment les choses se sont passées.
19:40 Dans la conversation que nous avions eue le samedi qui avait précédé le deuxième
19:45 tour des élections législatives en 1993, Chirac m'avait dit « si vous êtes Premier
19:53 ministre, est-ce que vous soutiendrez ma candidature à l'élection présidentielle ? »
19:57 Et je lui avais répondu « mon soutien dépendra du soutien que vous apporterez vous-même
20:05 à mon action à la tête du gouvernement ». Voilà quel était le décor.
20:11 - La voix d'Edouard Balladur interrogée dans le documentaire de Jean-Charles Degnaud
20:16 en 2017 sur Public Sénat et France 3 intitulé « Balladur, Chirac, mensonge et trahison
20:21 ».
20:22 - C'est vrai que cette guerre fratricide, vous y prenez totalement parti Alain Marquin
20:26 pour Edouard Balladur.
20:27 A quel niveau se situent les conseils que vous pouvez lui donner ?
20:30 - Je pensais qu'il représentait parfaitement ce que j'ai appelé à l'époque le cercle
20:38 de la raison.
20:39 - Vous dites même que Jacques Chirac, lui, n'est pas dans le cercle de la raison.
20:41 - À ce moment-là, Jacques Chirac n'était pas dans le cercle de la raison.
20:44 C'est Alain Juppé qui l'y a ramené après l'élection.
20:48 - Pourquoi ? Parce qu'il faisait campagne sur la fracture sociale ?
20:52 - Parce qu'il a fait une campagne démagogique et on lui prête ce mot « je vous surprendrai
20:56 par ma démagogie ». C'est tout.
20:58 Et que son programme électoral n'était pas conforme à l'état du pays et à notre
21:03 entrée dans l'euro.
21:04 - Mais est-ce que ce que vous avez…
21:07 - Si Jacques Delors avait été candidat contre Edouard Balladur, alors j'aurais été dans
21:12 une situation avec deux lobes de cerveau, mais avec au fond de moi le sentiment profond
21:18 que les deux étaient des personnages clés, respectables du cercle de la raison et qu'à
21:24 la limite c'était secondaire lequel gagnait.
21:26 - Mais vous la maintenez cette expression « à la main avec le cercle de la raison » ?
21:29 - Oui, plus que jamais parce que…
21:30 - On a l'impression qu'en fait, ceux qui ne sont pas dans le cercle de la raison, ce
21:33 sont simplement les Françaises et les Français qui ont envie que ça change pour eux.
21:37 - Non, non, non, pas du tout.
21:38 - Et notamment, par exemple, pour lutter contre les inégalités, pour avoir un meilleur salaire,
21:42 de meilleures conditions de vie.
21:44 - Non, non, non, non, non.
21:45 Quand on est dans le cercle de la raison, c'est respecter un certain nombre de règles
21:51 qui permettent de faire des changements.
21:53 Quand vous sortez du cercle de la raison, vous finissez dos au mur et à ce moment-là
21:58 ce sont les inégalités qui augmentent, le mode de vie qui est modifié, l'inflation
22:03 qui grignote, le pouvoir d'achat.
22:05 Le cercle de la raison, c'est on est dans un monde avec des règles économiques.
22:10 C'est comme la loi de la pesanteur.
22:12 C'est pas agréable la loi de la pesanteur, ce serait bien plus simple.
22:15 - Mais ça ne pouvait pas changer.
22:16 - Ça ne peut pas changer.
22:18 Et d'ailleurs, vous en avez, tous ceux qui ont essayé de s'évader des règles économiques
22:22 sont ramenés par les faits à une vitesse très grande.
22:25 Je vais vous en donner un exemple récent qui est fascinant sur ce qu'est la puissance
22:30 en particulier des marchés.
22:32 Une fugitive première ministre britannique qui s'appelait Madame Truss se voulait la
22:37 grande prêtresse du libéralisme, des marchés, du capitalisme.
22:42 Elle a présenté un programme démagogique et idiot, les marchés l'ont foutu dehors.
22:47 C'est ce qui m'a permis un jour en débat de dire à Monsieur Coquerel, Madame Truss
22:53 a été foutue dehors en 24 heures, vous, vous serez foutu dehors en une nanoseconde.
22:59 - S'il était au pouvoir, si la France Insoumise était au pouvoir ?
23:00 - Evidemment.
23:01 - Est-ce qu'il ne manque pas juste, Alain Minc, dans vos analyses, une chose toute simple
23:04 qui s'appelle le peuple ? Et j'en veux pour preuve que dans ce livre, Dictionnaire amoureux
23:07 du pouvoir, à la lettre P, il n'y a pas le mot peuple.
23:09 Pourtant il y a la pompadour par exemple.
23:11 - Non mais là, vous me faites un petit paradoxe habilement provocateur.
23:18 Mais je connais les trucs de votre métier.
23:21 J'ai quand même présidé 14 ans le monde.
23:24 - Mais qu'est-ce que vous répondez ? Les catégories populaires sont-elles exclus de
23:27 votre logiciel, Alain ?
23:28 - Pas du tout les catégories populaires.
23:29 Les catégories populaires, elles ont en réalité un mode d'expression qui est le vote.
23:35 Il y a en revanche un débat de fond sur lequel j'ai une position très claire et qui sera
23:40 un débat sans doute de la campagne présidentielle de 2027.
23:44 Il y a deux définitions de la démocratie.
23:46 Il y a une première définition qui est de dire c'est le suffrage universel, rien que
23:51 le suffrage universel et rien d'autre.
23:52 Et il y a une deuxième définition qui est de dire c'est le suffrage universel avec un
23:57 jeu de pouvoir et de contre-pouvoir pour assurer la stabilité de la démocratie.
24:02 - Dans le pouvoir économique ?
24:03 - Non, je parle du pouvoir institutionnel.
24:06 Et ça c'est un débat qui est dans ce bouquin récurrent et permanent qui un jour a été
24:13 caractérisé par le jeu de catégorie républicain-démocrate.
24:19 Ceux qui se prétendaient entre guillemets républicains c'était le suffrage universel.
24:24 Exemple Philippe Seguin.
24:25 Ceux qui se prétendaient démocrates, c'est-à-dire le suffrage universel plus les pouvoirs et
24:30 les contre-pouvoirs, dans la même famille politique c'était le cas d'Alain Juppé.
24:34 Dans la campagne de 2022, il était clair que Marine Le Pen était sur le thème le
24:40 suffrage universel.
24:41 L'article 11, je ne respecte pas l'article 49 et Emmanuel Macron était dans une conception
24:47 qui est le suffrage universel plus le jeu de pouvoir et de contre-pouvoir.
24:51 Et ça c'est un enjeu majeur.
24:53 Et si Marine Le Pen est en situation, j'espère, sans aller jusqu'au bout, de gagner.
24:59 Puisque j'espère vraiment qu'elle ne sera pas présidente de la République.
25:03 Mais dans la campagne, vous verrez que ce sujet sera considérable.
25:07 Moi, on a vu ce sujet d'ailleurs très récemment en Pologne, où vous aviez le parti conservateur
25:15 au pouvoir qui a tout fait pour atténuer le poids des contre-pouvoirs.
25:23 Heureusement, et ça va à rebours des propos, disons, les leaders populistes gagnent toujours,
25:29 les libéraux, démocrates, respectueux des contre-pouvoirs ont gagné à travers la personnalité
25:35 de M.
25:36 Tusk, ancien président du Conseil européen.
25:38 Ce qui était un signe de l'engagement européen.
25:40 Est-ce que si Marine Le Pen n'accédait à l'Elysée, vous pourriez être son visiteur
25:44 du soir ?
25:45 Ah certes pas.
25:46 Je pense qu'elle ne lui viendrait pas à l'esprit non plus.
25:47 Est-ce que vous croyez à l'en main qu'à l'égalité ?
25:55 Je crois à l'équité.
25:58 Parce que ce mot non plus n'apparaît pas dans votre dictionnaire.
26:01 Le débat égalité-équité, ce n'est pas un mot de pouvoir.
26:05 Qu'est-ce que je veux dire entre égalité et équité ?
26:07 Ça dépend, parce qu'on pourrait dire que le pouvoir sert à améliorer l'équité,
26:10 l'égalité.
26:11 C'est un dictionnaire très subjectif que vous avez fait.
26:13 Vous avez même mis le mot "woke" à la lettre W.
26:16 Je le mets parce que je pense que c'est un combat idéologique très important.
26:20 Et vous imaginez bien que je suis anti-woke.
26:22 Oui, j'ai vu.
26:23 Et vous dites même "nous les anti-wokistes avons perdu le pouvoir".
26:26 Vous êtes sûr ?
26:27 Oui, et vous le savez très bien dans le milieu où vous êtes.
26:30 Et vous le savez très bien quand vous allez dans une université.
26:33 Et vous le savez très bien quand vous voyez aujourd'hui l'espèce de chaîne victimaire.
26:39 Quelle est l'idéologie dominante aujourd'hui ?
26:40 Je me demande si ce n'est pas la vôtre.
26:42 Non, en aucun cas.
26:43 Ça l'a été, mais ça ne l'est plus.
26:45 Je pense profondément que l'idéologie à laquelle je m'incarne est sur la défensive.
26:49 La chaîne victimaire qui part du LGBT et qui se termine dans les manifestations pro-palestinienne,
26:57 au titre de l'anticolonialisme, c'est une idéologie extraordinairement forte et
27:03 prégnante.
27:04 C'est d'ailleurs une idéologie, pour quelqu'un qui reste à certains égards influencé par
27:09 le marxisme comme je le suis, qui nie les classes sociales.
27:12 Et je pense d'ailleurs que la grande erreur que la gauche française a faite, c'est
27:17 le jour où elle a troqué sa relation avec les classes populaires, pour revenir à votre
27:25 propos, pour une espèce d'alliance interlope qui tournait autour des victimes en tout genre.
27:32 Entre guillemets victimes.
27:33 À quoi sert la politique à la main si ce n'est d'améliorer la vie des gens ?
27:37 C'est ce qu'elle prétend ou ce qu'elle veut faire.
27:41 Tous les hommes politiques pensent pouvoir le faire et il y en a qui le font.
27:46 Mais souvent, améliorer la vie des gens, ça consiste à prendre des décisions qui
27:50 sont très loin du quotidien.
27:52 Quand François Mitterrand impose l'euro à Helmut Kohl, parce que ça c'est un grand
28:00 deal politique, au fond François Mitterrand dit à Helmut Kohl, oui à la réunification
28:06 de l'Allemagne, mais l'arrimage de l'Allemagne à l'ouest du continent passe par l'euro.
28:11 Eh bien je pense que ce jour-là, il a protégé la vie des Européens.
28:15 Et justement, c'est une tradition dans cette émission à la main que vous le savez, l'invité
28:19 n'arrive jamais les mains vides.
28:20 Vous êtes venu avec une archive, on l'écoute.
28:22 Ce soir justement à Berlin, François Mitterrand a saisi l'occasion des cérémonies anniversaires
28:27 de la victoire de 1945 pour prononcer un hymne passionné à l'Europe et à la réconciliation
28:33 franco-allemande.
28:34 Ce que nous avons fait doit être poursuivi et le sera.
28:38 Je disais tout à l'heure, la première victoire qui soit commune, c'est la victoire de l'Europe
28:46 sur elle-même.
28:47 Le président Mitterrand à Berlin le 8 mai 1995 pour commémorer au Bundestag le 50ème
28:53 anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale.
28:55 Pourquoi être venu avec cet extrait ?
28:56 Parce que ma conviction absolue, l'épine dorsale de toute forme de réflexion que je
29:05 peux avoir, c'est l'Europe et la construction européenne.
29:08 Et je me définis comme européen avant même d'être français.
29:13 Je pense que dans le monde qui est le nôtre, si nous voulons nous recroqueviller à l'échelle
29:20 de nos petites frontières et d'un pays de 65 millions d'habitants, nous serons un fêtu
29:24 de paille balotté par les flots.
29:27 Et je reconnais, j'ai eu vis-à-vis de l'action de François Mitterrand, beaucoup de divergences
29:35 par rapport à des choses qu'il a faites, mais un respect absolu pour sa contribution
29:41 à l'Europe, pour sa contribution à l'Alliance Atlantique.
29:44 Et je suis un farouche partisan de l'Alliance Atlantique.
29:49 Et je pense qu'il faut s'accepter au cœur du monde occidental à travers l'Europe.
29:55 La COP 28 vient de s'ouvrir à Dubaï.
29:58 Avez-vous oublié toutes ces années à la main dans vos analyses le réchauffement climatique ?
30:02 C'est quelque chose, vous avez raison, auquel j'ai eu du mal à me faire.
30:10 Et au nom d'un raisonnement qui va réapparaître de plus en plus dans les années qui viennent
30:16 et qui a été résumé par un mot, je ne sais pas qui l'a inventé, mais je trouve très
30:20 juste, c'est fin du mois ou fin du monde.
30:23 Or, qu'est-ce qu'on va découvrir de plus en plus ? C'est qu'agir contre la fin du
30:29 monde va peser sur la fin du mois.
30:33 Jusqu'à présent, on a pu avoir une action écologique qui n'a pas encore pesé lourd
30:39 en termes de pouvoir d'achat, en termes de pression sur le niveau de vie.
30:44 Maintenant, on entre dans le dur.
30:46 Je vous en donne un exemple qui est très clair.
30:49 Tous les investissements qu'il faut faire pour, en effet, lutter contre le réchauffement
30:55 climatique dans le monde économique, ce sont des investissements impératifs, mais ce ne
31:01 sont pas des investissements qui améliorent la productivité.
31:04 Parce que la productivité, elle aggrave le réchauffement climatique.
31:08 Oui, mais d'accord, si on est des êtres primitifs nus dans une forêt, on n'aggrave
31:17 pas le réchauffement climatique.
31:18 Vous n'allez pas me faire le numéro tellement en vogue sur la décroissance.
31:26 Je ne vous fais pas de numéro, je voudrais juste vous demander pourquoi, depuis 45 ans
31:30 que vous conseillez les puissants du CAC 40 et les puissants en politique, est-ce que
31:35 vous portez, à votre avis, une part de responsabilité dans la crise climatique qu'on est en train
31:39 de vivre ? Parce qu'on savait dans les années 70 toutes ces répercussions.
31:43 J'aimerais porter une responsabilité, ça voudrait dire que j'ai eu vraiment du pouvoir.
31:48 Mais c'est vrai que je vis la crise climatique comme une contrainte inévitable.
31:57 Mais je ne supporte pas l'espèce d'idéologie qui tourne autour quand elle devient excessive.
32:06 Je pense à certains égards qu'il y a une écologie absolutiste qui est incroyablement
32:13 réactionnaire.
32:14 Et je disais souvent...
32:15 Sur le climat, vous voulez dire ?
32:16 Quand on dit la nature avant tout, la décroissance, moi j'ai toujours dit que...
32:21 Il y a une différence entre dire la nature avant tout, la décroissance et l'industrialisation
32:25 depuis ces 30 dernières années qui nous ont conduit là où on en est aujourd'hui à
32:28 faire une COP à Dubaï.
32:30 Non, non, mais...
32:31 Alors, dans l'histoire de la COP à Dubaï...
32:33 C'est un symbole presque.
32:35 Oui, mais on peut le voir dans les deux sens.
32:38 C'est-à-dire qu'on peut le voir comme une absurdité d'aller dans un pays qui est un
32:44 pays qui ne vit que du pétrole.
32:46 Mais on peut se dire aussi que l'engagement pris par les pays pétroliers en matière
32:53 de lutte contre les énergies fossiles progressives est un signe important.
32:58 Et à tout prendre, je me dis que c'est comme ça qu'il faut le jouer.
33:02 Il ne faut pas dire que c'est la loi de l'argent qui a imposé la COP à Dubaï.
33:07 Et on va voir ce qui sort des textes.
33:09 Vous verrez paradoxalement...
33:10 Mais les textes, ils ne sont pas appliqués.
33:12 Vous le voyez bien depuis les accords de Paris.
33:15 Non, mais les textes sont une pression quand même qui pèse.
33:19 Le problème, c'est que...
33:20 C'est très simple.
33:21 Ce ne sont pas nous les Européens.
33:22 On est de très bons élèves parfois à nos dépens.
33:25 C'est-à-dire qu'on s'impose des contraintes qui pèsent après sur notre capacité industrielle.
33:31 Le problème, c'est qui ? La Chine et les Etats-Unis.
33:35 Les Etats-Unis ont fait des grands pas en avant grâce au président Biden, homme qui
33:40 est aujourd'hui l'homme d'Etat que je respecte le plus parmi les hommes politiques vivants.
33:45 La Chine, elle fera ce que son opinion publique impose.
33:49 Elle se foutra complètement des engagements internationaux.
33:53 Ils ne reviennent même pas à la COP.
33:56 En revanche, il existe en Chine, malgré la dictature dominante, il existe une opinion
34:02 publique.
34:03 Et cette opinion publique fait qu'elle ne supporte pas, quand on est à Pékin, de ne
34:08 pas voir à deux mètres tellement il y a d'épaisseurs de gaz dans l'air.
34:15 Mais ce ne sera pas les accords internationaux qui auront du poids sur la Chine.
34:19 Que voulez-vous que l'on retienne de vous Alain Minc ?
34:23 Oh, alors là, je ne me pose jamais cette question qui serait totalement contraire à mon nihilisme
34:29 rieur.
34:30 Si Marine Le Pen n'était élue, est-ce que vous pourriez, dans vos analyses, dire que
34:34 c'est aussi à cause de la politique économique qu'on a pu mener dans ces 45 années où
34:40 vous avez été…
34:41 Non, parce que si par malheur Marine Le Pen est élue, c'est parce que dans les trois
34:45 dernières années précédentes, en 2027, donc les années qui sont devant nous, on
34:49 n'aura pas mené la politique qui permettrait d'élire un candidat modéré.
34:54 C'est pas à cause de ces 45 dernières années de creusement des inégalités, de
34:58 services publics qui ne sont plus dans les territoires, de déceptions aussi de présidents
35:03 ou de premiers ministres à droite et à gauche.
35:06 Elle a surfé sur tout ça, mais c'est aussi parce que de ce point de vue, on n'aura
35:11 pas apporté les réponses que d'autres pays ont pu apporter.
35:15 Et pour revenir au débat sur la réalité, c'est très fascinant ce qui s'est passé
35:21 en Italie.
35:22 Madame Mélanie est rentrée dans le rang, alors elle fait des mesures symboliques en
35:28 matière sociétale ou en matière morale que j'aime pas tellement, mais pour le reste,
35:34 elle n'a en rien bougé le positionnement de l'Italie.
35:37 Et je crois, de ce point de vue, que la vraie question qu'il faudrait poser à Madame
35:41 Le Pen, puisqu'elle veut accéder au pouvoir, c'est "Acceptez-vous comme Madame Mélanie
35:45 de dire l'Alliance Atlantique est fondamentale, la construction européenne est fondamentale
35:51 et la politique budgétaire doit demeurer raisonnable ?"
35:54 Autant de choses qu'elle ne dit pas.
35:55 C'est ce que je veux dire.
35:56 Je pense qu'il y a une très grande différence entre Madame Mélanie et Madame Le Pen.
36:01 Madame Mélanie, à sa manière, est entrée dans le cercle de la raison, parce qu'elle
36:05 a compris qu'on ne peut pas en sortir.
36:08 Pour l'instant, Madame Le Pen ne l'a pas fait.
36:11 Donc vous ne dites pas que Madame Mélanie est post-fasciste, comme la plupart des analystes
36:14 ici en France ?
36:15 Elle vient de l'univers fasciste, mais elle mène une politique italienne qui est relativement
36:22 modérée, qui est à droite.
36:24 Même envers les minorités, envers les LGBT, même ce qu'elle fait aussi dans les dénominations.
36:28 Je vous ai dit en matière sociétale, mais l'Italie aujourd'hui est une île italie
36:34 qui n'a pas quitté la position qu'elle a au sein du monde occidental et de l'Europe.
36:41 Alors, Alain-Marc, j'aimerais qu'on ne termine pas cette émission sans un mot sur la lettre
36:47 E, avec le mot "Élysée", puisque c'est aussi pour ça que vous êtes là pour cette
36:51 série sur les conseillers.
36:52 Alors, à la lettre E, on peut donc trouver l'Élysée.
36:55 J'aime bien la définition que vous en faites, même si vous ne portez pas ce palais dans
36:58 votre cœur.
36:59 Des couloirs à n'en plus finir, des bureaux alvéoles, des salles de réunion inexistantes,
37:04 des dédales, des chausse-trappes et partout l'inconfort, l'inadaptation aux mœurs
37:07 contemporaines de travail, l'isolement, la tristesse, la grisaille, hormis les trois
37:11 bureaux royaux.
37:12 Heureusement que vous n'y avez pas travaillé.
37:13 Non, mais c'est la vérité.
37:15 Tous les gens qui ont travaillé… Alors, vous interrogez des gens qui étaient dans
37:18 les bureaux royaux, mais demandez-leur ce qu'ils pensent de cet endroit.
37:23 C'est un endroit qui est totalement contraire au travail moderne.
37:26 Mais c'est vrai de la plupart des ministères.
37:28 C'est vrai aussi de Matignon.
37:30 Alors, après, il y a la symbolique.
37:31 Je ne vois pas un chef d'État dire « je vais faire une présidence à l'instar de
37:39 la chancellerie à Berlin ». Immenses immeubles modernes, banals, qui pourraient être le
37:46 siège social de n'importe quelle start-up devenue riche.
37:49 Avez-vous déjà conseillé à un président de déménager l'Élysée ?
37:52 Non, parce que c'est une question qui ne se pose pas.
37:55 Le plus grand de tous a voulu le faire.
37:57 Le général de Gaulle, il y a renoncé.
37:59 Pourquoi il a voulu le faire ? Parce qu'il pensait que l'Élysée était un palais de
38:04 cocotte et que le pouvoir ne s'incarne pas dans un palais de cocotte.
38:08 Il a songé aux donjons de Vincennes, il a songé aux Invalides et il est resté à l'Élysée.
38:14 Quel est votre endroit préféré à l'Élysée ?
38:16 Je n'en ai aucun.
38:19 Où est-ce que vous avez pu rencontrer Nicolas Sarkozy ou Emmanuel Macron ? Dans quel endroit ?
38:24 Non, non, mais je trouve que c'est un lieu… Non, il y a un endroit extraordinaire à
38:29 l'Élysée, un endroit extraordinaire, c'est le parc.
38:32 Comme à Matignon.
38:34 Le plus beau parc de Paris est peut-être celui de Matignon.
38:37 Et au fond, ce qui reste du pouvoir royal, ce sont les jardins.
38:42 Et votre lieu de pouvoir favori ?
38:45 Un livre.
38:49 Vous savez, Paul Ricoeur, ce philosophe qui est emblématique aux yeux de Macron, qui
39:00 a été son jeune assistant, a dit « Mon influence, ce sont les livres que j'ai lus ».
39:06 Je trouve qu'on n'est pas assez entouré de gens qui ont lu.
39:11 Mais il y a des hommes politiques qui ont lu, et beaucoup lu.
39:13 Et de ce point de vue, la classe politique française actuelle au plus haut niveau est
39:18 encore une classe d'un niveau intellectuel qui écrase celui de main de leurs équivalents étrangers.
39:26 Quel livre conseilleriez-vous à quelqu'un qui veut se lancer en politique ?
39:29 Un livre, c'est une remarque d'actualité.
39:34 Si on s'intéresse à la politique étrangère, il faut avoir lu et relu « Le Diplomatie
39:40 d'Henri Kissinger ».
39:42 Une question Instagram de Henri à Agnère.
39:45 Pourquoi ne jamais vous êtes confronté au suffrage universel ?
39:47 Pour une réponse que j'ai donnée, c'était contraire à ma conception des week-ends.
39:51 Et donc de la liberté ?
39:52 Absolument.
39:53 C'est peut-être une réponse égoïste.
39:57 Dans le Figaro, le 7 avril 2017, vous disiez « Toute société a besoin d'élites ».
40:03 Et la seule question qui vaut, c'est celle de l'accès à ces élites.
40:07 Est-ce que vous avez tout fait, ce qui était en votre pouvoir, pour l'égalité des chances
40:10 à la manque ?
40:11 Ça, je crois.
40:12 Je crois que j'ai toujours été pour l'ouverture des circuits d'accession au sommet.
40:18 J'ai toujours souhaité que des itinéraires tels que le mien, c'est-à-dire… Je ne
40:25 viens pas d'un milieu modeste, mais je viens quand même d'un milieu… Mes parents
40:29 étaient des immigrés, devenus français grâce à la résistance, dont les enfants
40:35 peuvent monter jusqu'au firmament de la société.
40:38 J'aurais voulu que ce soit aussi vrai dans les banlieues que ça l'était pour moi.
40:45 Mais je crois qu'il faut des élites, et c'est pour ça que je n'aime pas du tout
40:51 la réforme telle qu'elle a été faite de l'ENA.
40:54 Je pense que c'était une réforme démagogique et inutile.
40:59 La semaine prochaine, nous recevrons l'ancienne Sharpa de Mitterrand, Anne Lauvergeon, qui
41:04 occupait, elle, le bureau mitoyen du président pour notre deuxième épisode de cette série.
41:09 Avez-vous une question ou deux à lui poser ?
41:11 Quand elle était auprès de Mitterrand, a-t-elle, pour maintenir son pouvoir, voulu éloigner
41:23 des gens de François Mitterrand ? C'est une question codée.
41:29 Merci Alain Menc d'avoir été l'invité de Sens politique.
41:33 C'est la fin de cette émission.
41:35 La semaine prochaine, donc, Anne Lauvergeon pour le deuxième épisode de cette série
41:39 sur les conseillers du pouvoir.
41:41 Vous pouvez lui adresser vos questions à l'adresse suivante senspolitique@radiofrance.com
41:46 avant jeudi prochain.
41:48 Merci à toute l'équipe, à la préparation Anne-Claire Bazin, à la réalisation Perré
41:52 Legras, à la technique Anthony Thomasson, à la vidéo Nicolas Delmas.
41:56 Vous pouvez réécouter cette émission sur l'application Radio France et sur franceculture.fr.
42:00 Merci de nous avoir suivis et à la semaine prochaine.
42:03 [Musique]