• il y a 2 ans

Du lundi au jeudi, Hélène Zelany reçoit un invité au centre de l'actualité.
Retrouvez "L'invité actu" sur : http://www.europe1.fr/emissions/l-invite-actu

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Transcription
00:00 *Sonnerie de téléphone*
00:02 *Europe 1 soir*
00:04 *19h20*
00:06 *Hélène Zellany*
00:07 Il est 19h32 sur Europe 1, des milliers de personnes ont défilé à la mi-journée pour rendre hommage à Thomas,
00:13 tué à 16 ans lors d'une fête de village à Crépole dans la Drôme, on en parlait dans le journal de 19h.
00:18 Un moment de recueillement alors que 9 personnes sont toujours en garde à vue ce soir.
00:23 Nous sommes avec Jean-Christophe Couvy, bonsoir.
00:26 Et merci d'être à mes côtés, vous êtes secrétaire nationale unité SGP Police.
00:30 Je le disais, 9 suspects dans cette enquête pour meurtre et tentative de meurtre en bande organisée.
00:35 Ce soir on en sait un petit peu plus sur ces 9 suspects, il y a 3 mineurs,
00:40 les 6 autres sont des majeurs qui sont tous nés à Roman-sur-Isers au fin en Italie.
00:45 Sur ces 6, il y en a 2 qui ont un casier vierge et 3 autres qui ont déjà été condamnés.
00:51 En ce qui concerne le suspect principal qui a 20 ans et qui serait celui qui aurait porté le coup de couteau mortel,
00:57 il a lui 2 condamnations recelles de vol et port d'arme blanche.
01:01 Donc ce sont dans l'ensemble des jeunes qui ont déjà eu affaire à la justice.
01:06 - Oui, c'est ce qu'on appelle dans le jargon des délinquants suractifs,
01:10 c'est-à-dire qu'ils sont capables de faire des tout petits délits et en même temps des fois des gros délits.
01:15 Il n'y a pas de limite en fait, on peut voler un pain au chocolat comme on peut voler une voiture pour partir en soirée,
01:21 faire des refus d'obtempérer.
01:23 On est une petite partie de la société que j'appelle des sociopathes qui vivent en dehors de la société,
01:30 avec leurs règles à elles.
01:32 Si on méprise des autres, on a du mal à se projeter à long terme, on n'a pas forcément un très gros QI.
01:38 Ce que je dis c'est avéré, on le voit sur le terrain.
01:43 Et surtout c'est qu'on a une société qui est un peu en silo.
01:46 Et c'est favorisé par les réseaux sociaux.
01:48 C'est-à-dire que moi j'appartiens à une communauté,
01:50 pas forcément religieuse mais une communauté d'apparence, politique, culturelle, etc.
01:55 Et donc je me reconnais dans cette communauté, pas dans une autre.
01:58 Et ainsi on a des Français qui vivent dans des silos, des communautés, les unes à côté des autres, mais plus ensemble.
02:03 Et donc là c'est deux mondes qui s'affrontent quelque part.
02:06 On va dans une soirée, on n'est pas invité, on veut y rentrer.
02:09 - Mais qu'est-ce qu'ils vont faire dans ce petit village de 500 habitants, où il y avait une fête de village bon enfant ?
02:15 Ça paraît complètement fou finalement, vu peut-être nous de ce studio,
02:21 d'imaginer un groupe de jeunes avec des couteaux de 25 cm,
02:24 qui vont troubler une fête où tout se passe bien a priori, et qui vont tuer surtout un jeune de 16 ans.
02:31 - Oui, alors nous ça nous choque parce que c'est pas notre culture et c'est pas notre façon de vivre.
02:36 Dans certains endroits, effectivement, ces jeunes-là, le couteau, vous savez, c'est l'arme absolue,
02:41 c'est l'arme un peu du pauvre, c'est-à-dire que quand vous ne pouvez pas trop vous battre,
02:44 vous êtes sûr de ne pas prendre le dessus, vous avez un couteau, vous pouvez l'acérer, vous pouvez tuer ou piquer.
02:49 Et donc du coup, c'est aussi un moyen d'expression malheureusement de certains voyous.
02:55 Donc il faut dire des noms, c'est des jeunes voyous.
02:58 Quand on va dans une soirée pour passer un bon moment, comme j'ai pu entendre leur avocat le dire,
03:03 on n'y va pas armé, on y va de façon élégante, on respecte les autres,
03:07 il y a un manque de respect déjà dans cette société, on ne respecte plus les autres.
03:11 Et en fait, moi ce qui me choque aussi, c'est la résonance des réseaux sociaux.
03:14 C'est-à-dire que dès lors qu'on voit d'ailleurs ces mêmes jeunes se sont mis en exergue,
03:21 lors de clips musicaux, style rap, avec déjà dans les mains des couteaux, des machettes, des armes,
03:27 c'est la violence, la drogue. - C'est une sorte de banalisation aussi des armes ?
03:30 - Banalisation et surtout c'est qu'on s'invente un monde, un monde de violence.
03:34 D'ailleurs c'est pas pour rien que le Bhoutan par exemple a supprimé TikTok.
03:38 Ils estiment que pour la tranquillité des esprits de la société, qui est très clivant en fait,
03:44 ils préfèrent ne pas mettre par exemple TikTok dans leur société et ils enlèvent tout.
03:48 Il n'y a pas de filtre en fait. Et les réseaux sociaux, si vous voulez, vous pouvez déverser votre haine,
03:52 votre colère, vous inventez un monde sans filtre.
03:55 Et aujourd'hui nos jeunes sont très sensibles à ça.
03:57 Moi j'ai 52 ans, donc je découvre aussi cette influence.
04:01 Il y a un monde parallèle que nous on ne maîtrise pas.
04:03 Et en fait ces jeunes sont vraiment manipulés par tous les réseaux sociaux.
04:07 - Est-ce que finalement ce déchaînement de violence, comme l'ont dit les témoins,
04:12 dans un petit village, ça arrive régulièrement ?
04:15 Vous y êtes régulièrement confrontés ou c'est un phénomène assez nouveau ?
04:18 - Alors ça a toujours existé dans le sens où moi je suis rugbyman,
04:21 je suis d'autant plus touché par la mort du petit Thomas que voilà,
04:24 je sais ce que c'est que la camaraderie et d'être en équipe,
04:29 et surtout dans les villages ou dans les petites villes,
04:31 où c'est très justement cette communauté qui est resserrée,
04:34 tout le monde se connaît.
04:35 Alors les fêtes de village, il y a toujours eu des bagarres
04:37 où des personnes qui arrivent, par exemple, qui ne sont pas du village,
04:40 draguent un peu les filles, etc.
04:42 Des fois ça partait en bagarre, des baves qui partent.
04:44 Mais je veux dire, ça n'a jamais été à ce stade où on veut tuer quelqu'un.
04:47 Il y a toujours même les anciens qui s'interposaient, qui disaient "c'est bon, stop", etc.
04:51 Là en fait on voit qu'il y a un déchaînement de violence,
04:53 il n'y a pas encore une fois, personne n'arrête personne, on ne peut pas.
04:56 Certaines victimes d'ailleurs, dans la salle, disaient qu'ils croyaient que c'était un attentat,
05:02 tellement qu'il faisait rentrer, il y a eu 17 blessés,
05:06 il faisait rentrer les personnes pleines de sang dans la salle,
05:09 donc le sang coulait.
05:10 Certains pensaient même à des images du Bataclan, vous voyez.
05:14 Donc c'est choquant, et quand on entend effectivement les personnes qui parlent,
05:18 qui s'expriment, qui ont vécu cette soirée,
05:20 on se rend compte que ça va laisser des traces.
05:22 Des traces de culpabilité, des traces aussi de "pourquoi on n'a pas pu intervenir plus tôt",
05:27 "pourquoi ces jeunes ont fait ça",
05:30 "en quoi on les a empêchés de faire quelque chose".
05:34 Enfin voilà, je veux dire, il y a plein d'interrogations,
05:36 et surtout ce que je vois c'est qu'encore une fois aujourd'hui, il y a une marche digne
05:40 des gens qui se recueillent, qui sont tristes,
05:42 et surtout c'est qu'il n'y a pas d'émeute derrière, il n'y a pas d'appel à la haine,
05:46 c'est justement un appel au calme et à la compréhension.
05:49 C'est tout ce qui différencie des récupérations politiques de part et d'autre.
05:53 - Quand vous entendez le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin,
05:56 parler d'"ensauvagement", un terme qui a d'ailleurs été...
06:00 qui a mis un peu mal à l'aise, on l'a entendu,
06:03 le reste du gouvernement, Olivier Véran, ne va pas tout à fait dans ce sens-là.
06:07 Est-ce que c'est ce que vous constatez au quotidien,
06:09 dans votre exercice avec vos collègues,
06:11 est-ce que vous considérez qu'il y a un "ensauvagement" de notre société ?
06:15 - Il y a une violence des jeunes, c'est ce qui nous frappe, nous policiers,
06:18 c'était des jeunes très très jeunes, là où on n'avait pas l'habitude,
06:21 c'est des jeunes de 12 ans, 13 ans, 14 ans,
06:24 qui, on le voit tous les jours, sont dans des bandes,
06:27 vont s'affronter, prennent des barres de fer, des couteaux,
06:30 n'ont pas d'empathie, c'est ce manque d'empathie qui me tracasse beaucoup,
06:35 c'est-à-dire qu'on peut donner un coup de couteau,
06:37 on peut tuer quelqu'un et avoir aucun remords, aucun regret, aucun remords,
06:40 c'est "il l'a bien cherché, il m'avait mal regardé",
06:42 voilà, c'est une façon, si vous voulez, la violence avait un avis d'intérieur,
06:46 c'est une expression, on n'a pas les moyens de s'exprimer peut-être
06:49 avec des mots, avec des phrases,
06:51 du coup j'exerce la violence pour montrer que je suis le plus fort,
06:54 et c'est ça qui est désolant,
06:56 alors "ensauvagement" ça c'est des termes politiques cognitifs
06:59 pour effectivement marquer les esprits,
07:01 moi j'aime bien le côté américain,
07:03 en fait ils appellent ça l'opération "ceasefire", cesser le feu,
07:06 donc en fait ils traitent comme une maladie... - Trait d'actualité en ce moment.
07:09 - Ouais, c'est vrai, mais c'est une résonance,
07:12 mais en fait ils traitent ce mal-être comme une maladie,
07:16 c'est-à-dire qu'ils identifient une population à risque
07:20 et ils vont traiter le problème,
07:22 donc en fait là on sait qu'on a des personnes qui ont un risque,
07:25 certains jeunes de quartier sont identifiés,
07:27 vous prenez le quartier de la Monnaie,
07:30 quand les collègues y vont c'est toujours les 20-30 jeunes,
07:33 toujours les mêmes, qui vont poser des problèmes, etc.
07:35 Là il faut avoir le courage de vraiment lancer tous les pouvoirs,
07:39 j'allais dire régaliens de l'État, sur ces jeunes-là,
07:41 et vraiment de les sortir de leur environnement,
07:44 de les recadrer, de les punir s'il faut,
07:46 et de faire un redressement.
07:48 Mais sachant qu'à partir de 14 ans,
07:51 le cerveau d'un enfant est de moins en moins malléable,
07:54 donc en fait on doit intervenir à la racine,
07:56 on doit intervenir très tôt.
07:57 Et quand vous discutez avec des professeurs,
07:59 notamment dans les écoles élémentaires,
08:01 ou même vous en tant que parent,
08:02 vous voyez déjà des enfants déviants,
08:04 des enfants violents, des 10 ans, 11 ans,
08:06 qui ont des problèmes.
08:07 Eh bien il faut avoir le courage de ces gamins-là,
08:10 d'aller à leur contact, et d'aller dans cette famille,
08:12 pour essayer de rétablir un petit peu, j'allais dire, l'éducation.
08:16 - Et les policiers peuvent avoir un rôle,
08:18 autre que la sanction,
08:20 est-ce qu'ils peuvent aussi faire de la formation,
08:23 peut-être prévenir aussi ces jeunes de ce qu'ils risquent,
08:27 parce qu'on a un peu le sentiment qu'ils ne se rendent pas compte
08:29 de ce qu'ils risquent.
08:30 Il y a cette inconscience aussi.
08:31 - Oui, les policiers ont toujours un rôle social,
08:33 c'est un peu le père que certains n'ont pas eu.
08:35 Moi j'ai beaucoup de collègues qui ont réussi à sauver
08:37 des jeunes de la délinquance,
08:39 parce qu'à un moment donné, il faut donner un coup d'arrêt,
08:41 et puis il faut les encadrer.
08:42 Il y a des jeunes qui ont été sauvés,
08:44 qui sont maintenant, qui ont des boulots,
08:45 et j'en ai discuté avec eux,
08:47 ils m'ont dit "j'ai fait deux rencontres dans ma vie,
08:49 un policier de la BAC qui m'a pris sous son aile,
08:51 et qui à chaque fois m'engueulait, mais il m'a redressé,
08:54 et un professeur, qui me prenait le soir pour me faire des cours,
08:58 et qui m'a rattrapé".
08:59 Donc heureusement on arrive à ça.
09:01 Aujourd'hui on a une police qui est quand même plus basée
09:03 sur l'intervention, et la prévention c'est très important.
09:06 La police de proximité, la perte de la police de proximité,
09:10 c'était une énorme erreur, une erreur politique,
09:12 parce que justement on connaissait ces enfants,
09:14 on les connaissait par le prénom, on les voyait grandir,
09:16 on était au cœur du quartier, de la cité,
09:19 d'ailleurs police en grec c'est cité,
09:21 ça vient de là, étymologiquement,
09:23 et donc on a perdu ce contact et ce pôt avec la population.
09:26 Il faut regagner un petit peu ce lien,
09:28 et surtout, que la justice fasse son travail,
09:34 les magistrats ne sont pas des travailleurs sociaux,
09:37 ce n'est pas leur rôle, ils doivent trancher un conflit dans la société,
09:39 les policiers sont là aussi pour faire appliquer la loi,
09:41 pour de temps en temps tirer un petit peu l'oreille
09:43 en disant "c'est pas bien, il faut revenir dans le droit chemin",
09:45 et après on ne peut pas voir que le prisme policier de justice,
09:48 il faut aussi que les autres éléments interministériels,
09:51 l'éducation nationale notamment,
09:53 les mairies, les collectivités,
09:55 mais je sais que ça se fait déjà aussi
09:57 chez certaines personnes qui prennent les choses en main.
09:59 - Merci beaucoup Jean-Christophe Couville,
10:01 Je suis secrétaire nationale du syndicat de policiers Unité SGP.

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