Pénurie d'aides à domicile : "Les aides à la toilette ou à l'alimentation se réduisent au quart d'heure", alerte Vincent Vincentelli, directeur à l'UNA

  • l’année dernière
Depuis le scandale des Ehpad Orpea, la demande des Français à vieillir à la maison a explosé, mais les structures d'aide à la personne n'arrivent pas à répondre à la demande. Alors que les effectifs nécessaires sont à la hausse dans les prochaines années, la branche fait déjà face à un très grand déficit de personnel.

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00:00 L'invité éco, Isabelle Raymond.
00:04 Bonsoir à toutes et à tous. En 2030, les plus de 65 ans seront plus nombreux que les moins de 15 ans,
00:11 d'où la nécessité d'anticiper le vieillissement de la population.
00:16 La proposition de loi sur le bien vieillir revient cet après-midi à l'Assemblée.
00:21 Bonsoir, Vincent Vincentelli.
00:23 Bonsoir, madame Raymond.
00:24 Vous êtes le directeur des politiques publiques à l'UNA,
00:26 c'est l'Union Nationale de l'Aide, des Soins et des Services à Domicile.
00:30 Est-ce que vous avez constaté un boom des demandes de maintien à domicile
00:34 plutôt que des placements en EHPAD ces dernières années,
00:37 et notamment depuis l'affaire Orpea qui a éclaté il y a de cela quasiment deux ans maintenant ?
00:42 Plus qu'un boom de l'augmentation, ce qu'on a constaté, c'est un boom des refus.
00:47 De plus en plus de services ne peuvent pas intervenir par manque de personnel
00:51 ou doivent prioriser leur intervention pour les actes les plus importants.
00:55 Mais on passe du coup de la vie à domicile à la survie à domicile pour les personnes âgées.
01:00 Dans le même temps, je vois dans une étude récente de l'IPP, l'Institut des politiques publiques,
01:06 qu'il faut recruter massivement des professionnels pour la prise en charge des personnes âgées
01:11 dépendant de ces prochaines années.
01:13 Les effectifs selon cette étude doivent augmenter de 40% en 20 ans.
01:17 40% c'est énorme, mais on n'arrive déjà pas à faire face à maintenant.
01:23 En 2022, la branche de la dette domicile a ouvert 40 000 postes, 25 000 sont restés vacants.
01:29 On a plus qu'un déficit, c'est un gouffre de l'attractivité dans les services à domicile.
01:34 Et comment est-ce que vous l'expliquez ?
01:36 On l'explique parce qu'on a des salaires qui ne suivent pas,
01:39 qui ont été exclus des dispositifs Ségur, même s'il y a eu l'Avedan 43,
01:44 mais l'Avedan 43 n'a été qu'un rattrapage.
01:47 Donc c'est-à-dire que vous avez été finalement inclus d'une façon ou d'une autre dans le Ségur,
01:51 mais ce n'est pas à la hauteur des enjeux.
01:54 - Certainement pas. - Ce n'est pas suffisant.
01:55 On était trop bas bien avant, et des conditions de travail qui sont dégradées,
02:00 et qui se dégradent de plus en plus.
02:02 C'est-à-dire qu'aujourd'hui, c'est un métier qui est essentiellement occupé par des femmes,
02:08 et essentiellement de l'emploi partiel.
02:11 C'est majoritairement, et nous le regrettons, un emploi à temps partiel,
02:15 ce qui fait que ces salaires, même revalorisés,
02:18 ce sont quand même des salaires à temps partiel,
02:20 et donc restent en dessous du SMIC mensuel à temps plein.
02:23 - Alors le gouvernement a quand même conscience qu'il faut de l'argent pour la dépendance,
02:28 pour accompagner le bien vieillir.
02:30 Il faut des sous, une étude récente, donc toujours cette étude de l'IPP,
02:34 et c'est même qu'il faut 4,5 milliards d'euros supplémentaires d'ici 2040
02:38 pour accompagner ce qu'on appelle désormais le virage domiciliaire.
02:42 - Eh oui, pour prendre un virage, il faut de l'essence.
02:45 Et ça, c'est vraiment ce qui manque.
02:47 Mais malheureusement, encore faut-il que l'argent arrive au service.
02:51 Certes, le gouvernement a beaucoup investi.
02:53 Alors, il y a eu des mesures, on parle d'une dotation de 3 euros, d'un tarif socle,
02:58 mais le problème, ce sont des mesures qui s'ajoutent à un existant
03:02 qui est trop fragile, on va dire.
03:05 Et donc, c'est un édifice qui risque de s'effondrer
03:08 malgré tous les ajouts bénéfiques qu'on peut rajouter dessus.
03:11 - Alors vous avez commencé à parler de ces ajouts,
03:13 un tarif plancher national par heure d'intervention est fixé à 23 euros.
03:19 Il a donc été revalorisé cette année, mais seulement d'un euro.
03:23 C'est-à-dire qu'aujourd'hui, une personne qui est prise en charge à son domicile,
03:28 ça coûte 23 euros.
03:30 - Alors, c'est ce que versent les départements,
03:33 mais un coût de revient d'un service est estimé par toutes les fédérations
03:37 à environ 32 euros de l'heure.
03:39 Le problème, c'est d'ailleurs cette heure.
03:41 Parce que si on veut payer moins, ou en tout cas la puissance publique veut payer moins,
03:45 elle va rogner sur les heures d'intervention.
03:47 C'est des plans d'aide de plus en plus réduits,
03:49 des fois pour des interventions lourdes, comme les toilettes, les aides au lever,
03:52 les aides à l'alimentation, qui se réduisent à la demi-heure, au quart d'heure.
03:55 Pour les salariés, c'est de plus en plus d'interventions par jour.
03:58 - Mais comment ça, pardon, un quart d'heure ? Comment ça un quart d'heure ?
04:00 On ne peut pas intervenir un quart d'heure ?
04:01 - Bien sûr que si.
04:02 - Vous prévenez une personne âgée ?
04:03 - Bien entendu.
04:04 - Mais un quart d'heure, c'est le temps d'arriver et de repartir.
04:06 On a retenu tout. Maintenant qu'on arrive, on bip, on minute.
04:09 Et si on dépasse d'une minute, la minute en plus n'est pas financée.
04:12 Et du coup, pour remplir les plannings des intervenants,
04:15 on met de plus en plus d'heures.
04:17 Donc de plus en plus de déplacements, de plus en plus de fatigue,
04:20 de plus en plus de sentiments d'inutilité,
04:23 de plus en plus de maltraitance pour les personnes âgées.
04:25 - Et donc c'est-à-dire que vous, aujourd'hui, qui représentez les associations
04:29 qui, à but non lucratif, vont auprès de ces personnes âgées,
04:32 vous n'arrivez pas à recruter.
04:34 Les heures, vous n'arrivez pas forcément à les payer aux salariés, c'est ça ?
04:38 - Exactement. Sauf à se dire "on va faire payer en plus les personnes".
04:41 Mais à ce moment-là, payer en plus les personnes,
04:43 c'est faire des services pour les personnes âgées qui veulent vivre à domicile riches.
04:47 Et ça, c'est l'enjeu de demain.
04:49 C'est "est-ce qu'à qui fait-on supporter le coût de l'intervention à domicile
04:54 aux personnes ou à la nouvelle branche qu'on a créée,
04:56 qui est une des mesures phares,
04:57 mais dont on ne voit pas très bien ce qu'elle prend en charge encore à domicile ?
05:00 - Et donc ce que vous pensez, vous, Vincent, Vincent Telli,
05:03 c'est que c'était la puissance publique, au pouvoir public,
05:06 de financer ces heures,
05:08 ou est-ce qu'il faut finalement qu'il y ait un reste à charge
05:11 pour les familles de ces personnes âgées dépendantes ?
05:15 - Il y en a déjà un, qui est un barème légal, mais il n'est pas appliqué.
05:18 Il est souvent dépassé, parce que si les structures ne le dépassent pas,
05:21 elles font faillite.
05:22 - Ce barème légal, c'est bien les 23 euros de l'heure dont on vient de parler ?
05:25 - Ah non, non, c'est que sur ces 23 euros, la puissance publique ne paye pas tout.
05:27 Selon les revenus de la personne, elle en assume une partie.
05:29 Mais en plus, comme j'ai dit que les structures étaient à 32 euros de l'heure,
05:32 elles font payer en plus, dans certains cas,
05:35 dans un montage juridique,
05:38 - Dans lequel on ne va pas rentrer !
05:40 - On ne va pas rentrer, infâmes, mais elles font payer en plus aux personnes.
05:43 Et s'elles ne le font pas payer, comme elles doivent augmenter les salaires
05:46 pour avoir des salariés, elles font faillite.
05:48 - Et qu'est-ce que vous préconisez, vous, en quelques mots ?
05:50 - L'idée, c'est de sortir effectivement de ce financement à l'heure,
05:53 donc on va se dire que ce tarif socle était une fausse bonne idée,
05:57 - Au soin ?
05:58 - A la personne, à la complexité de la personne,
06:00 c'est quelque chose qu'on vient de faire pour les services de soins infirmiers à domicile,
06:03 justement, d'adapter ce modèle-là.
06:05 Et c'est ce que la ministre a déclaré lors de l'annonce de sa feuille de route le 17.
06:10 Elle a annoncé dans les prochains mois une sortie définitive de la tarification horaire.
06:15 Et malheureusement, ce qui a été déposé comme amendement du gouvernement
06:18 à la proposition de loi Bienveillir, c'est une expérimentation jusqu'en 2027.
06:22 D'ici là, les services en 2027, il n'y en aura plus pour faire le bilan de cette expérimentation.
06:28 - Merci beaucoup Vincent.
06:30 Vincent Telly, directeur des politiques publiques à l'UNA,
06:32 Union Nationale de l'Aide, des Soins et des Services à Domicile,
06:36 invité Echo de France Info ce soir.
06:37 - Merci.

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