Axelle Huber, est formatrice, coach et thérapeute autour du deuil, de la maladie et des grandes ruptures de vie. Après son best-seller "Si je ne peux plus marcher, je courrai !", une phrase qu’elle tient de son mari, Léonard, décédé des suites de la maladie de Charcot, elle vient nous présenter son deuxième ouvrage : "Le deuil, une odyssée". Ce guide est comme une lettre à un proche qui a perdu lui aussi quelqu’un dans sa vie, comme un voyage qui apaise et qui soigne au fur et à mesure de la lecture, en mettant des mots sur toutes les étapes qu’il faut traverser pour apprivoiser la perte. Dans cette odyssée, Axelle Huber nous livre sa plus grande certitude, au-delà de la douleur de la séparation, de l’injustice, de la tristesse, du temps qui passe, il existe des ressources pour faire grandir la vie autour de soi. Pour la postface du livre, les témoignages bouleversants de maturité des quatre enfants d’Axelle Huber, très jeunes au moment de la mort de leur père. Une belle leçon de vie, non pas pour passer à autre chose, mais tout simplement grandir et… continuer !
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00:00 [Musique]
00:06 Et pour le Zoom du jour, j'ai le plaisir de recevoir Axelle Hubert.
00:09 Bonjour madame.
00:10 Bonjour Floriane.
00:11 Alors vous êtes formatrice, coach, thérapeute
00:14 et vous venez aujourd'hui nous présenter votre ouvrage
00:16 "Le deuil, une odyssée, vivre après la mort d'un proche"
00:20 et je dois préciser qu'il y a quatre petits co-auteurs avec vous.
00:24 Ce sont vos enfants, vos quatre enfants
00:26 qui ont ajouté leur témoignage sur le deuil
00:30 puisque c'est un ouvrage qui vient après
00:33 "Si je ne peux plus marcher, je courrai"
00:36 qui raconte l'histoire de la maladie de votre mari Léonard
00:41 que vous avez perdu.
00:42 Est-ce qu'on peut revenir un peu sur cette histoire personnelle
00:45 et familiale que vous avez traversée avec vos enfants
00:49 et avec votre mari ?
00:50 Oui bien sûr.
00:51 Alors je rencontre Léonard en 2003, non pardon en 2002.
00:56 Nous nous marions en 2003.
00:59 Nous allons avoir la chance de vivre un bonheur
01:03 très insolent et très grand
01:06 d'autant que notre famille s'agrandit
01:08 avec la naissance de quatre enfants très rapprochés.
01:12 Et lorsque le dernier de nos enfants,
01:14 un garçon, Calixte, a seulement dix mois,
01:16 Léonard éprouve les premiers symptômes d'une maladie
01:20 dont on entend de plus en plus parler aujourd'hui
01:23 qui s'appelle la maladie de Charcot
01:25 dont le vrai nom est la sclérose latérale amyotrophique
01:28 qui est connue avec l'acronyme SLA.
01:34 Et cette maladie est très souvent fatale.
01:37 Elle a été pour Léonard qui est mort quatre ans
01:43 exactement après le diagnostic.
01:45 Et donc ça va faire dix ans.
01:47 En 2013, donc c'est ça, oui.
01:48 Voilà.
01:49 Il y a dix ans.
01:50 Exactement.
01:50 Et l'aîné de nos enfants avait seulement neuf ans
01:53 à la mort de son papa.
01:54 Donc le dernier à peine cinq ans.
01:57 Voilà.
01:58 Donc c'est une maladie qui est aujourd'hui très instrumentalisée.
02:02 C'est une maladie qui est très difficile
02:04 puisque en gros, le principe, c'est que la personne atteinte
02:09 va perdre progressivement l'usage des muscles,
02:12 à la fois les muscles des bras et des jambes,
02:15 mais aussi des muscles intérieurs
02:17 quand l'atteinte devient ce qu'on appelle bulbaire.
02:21 Et à ce moment-là, ce sont les muscles de la déglutition,
02:24 de la parole et de la respiration, pour finir, qui sont touchés.
02:29 Donc c'est vraiment une lente dégradation
02:31 à ce que vous nous décrivez.
02:32 Et ça a été des longues années de maladie, j'imagine.
02:35 Alors après vient la mort de Léonard.
02:39 Est-ce que vous diriez que finalement,
02:42 ce deuil dont vous parlez dans l'ouvrage,
02:44 vous avez pu déjà le préparer,
02:46 étant donné que c'était une maladie longue
02:48 avec un diagnostic qui était potentiellement fatal,
02:52 qui pesait, j'imagine, les premiers temps,
02:54 comme une épée de Damoclès,
02:55 puis de plus en plus comme une évidence.
02:57 Est-ce que vous diriez que ce travail a pu se faire un petit peu en amont
03:01 par rapport à une mort brutale ?
03:03 Alors en ce qui me concerne, tout à fait.
03:06 Alors même si au moment du diagnostic,
03:08 comme je ne connaissais pas du tout la maladie
03:10 et que nous ne sommes pas allés voir sur Internet,
03:13 je n'ai absolument pas compris ce qu'il en était,
03:15 ce qui a été une forme de déni, si vous voulez.
03:18 Mais le deuil a commencé, on va dire,
03:22 dans la dernière année de vie de Léonard.
03:24 À ce moment-là, on peut parler de pré-deuil.
03:26 Aujourd'hui, on parle beaucoup du deuil blanc.
03:29 C'est un oxymore qui signifie en fait
03:33 le deuil à faire du vivant de la personne.
03:36 C'est une expression qui est spécifiquement consacrée
03:39 pour les proches des malades de maladies neurodégénératives.
03:45 Donc par extrapolation, on peut dire que le deuil blanc,
03:48 c'est le deuil qui est à faire du vivant d'une personne
03:51 au sens du renoncement.
03:53 Et en fait, le livre que j'ai écrit,
03:56 il est à entendre au sens de la perte,
03:59 au sens du renoncement.
04:01 J'aurais aussi pu l'intituler "Apprendre à perdre"
04:05 parce que c'est bien l'enjeu en fait
04:07 que d'essayer d'apprendre de la perte que l'on vit,
04:12 que ce soit une petite ou que ce soit une très grande perte
04:15 et très éminemment douloureuse comme celle de la mort.
04:18 – On comprend aussi avec le titre "L'Odyssée"
04:20 que c'est effectivement un long voyage.
04:22 Justement, si on revient sur ces deuils
04:25 qui frappent de façon brutale parfois,
04:28 vous en parlez également dans le livre.
04:30 C'est ça qui est formidable dans votre ouvrage,
04:32 c'est que vraiment il est assez universel
04:35 parce que vous ne parlez finalement pas que de Léonard.
04:37 Vous avez également, en tant qu'accompagnatrice,
04:41 accompagné d'autres familles dans les cas de mort brutale,
04:45 de disparition soudaine.
04:47 Est-ce que la famille arrive à s'en remettre,
04:53 mais à aller de l'avant rapidement finalement ?
05:00 – Alors c'est difficile de vous répondre d'une manière générale
05:02 puisque chaque deuil est unique
05:04 et que chaque Odyssée est autant sinueuse et singulière en fin de compte.
05:11 Mais si on devait donner un peu une portée universelle
05:17 et qui est bien ce que j'essaie de faire à travers ce livre,
05:21 oui, bien sûr que l'enjeu c'est d'aller vers l'espérance
05:26 et c'est de pouvoir traverser ce qui est à traverser,
05:30 vivre ce qui est à vivre.
05:32 Et vous verrez dans les annexes de ce livre qu'il y a des courbes
05:39 et que sur ces courbes, parce qu'il y en a deux en fait,
05:44 on voit qu'à la fin, une fois que j'ai, on peut dire, traversé mon deuil,
05:51 je suis à un niveau qui est plus haut que lorsque j'entame mon deuil.
05:55 C'est bien pour dire que je me suis transformée,
05:58 en tout cas c'est mon témoignage,
06:00 c'est le témoignage aussi de personnes que j'ai pu accompagner
06:04 qui, lorsqu'elles étaient vraiment au creux de la vague
06:07 et au maximum de la douleur et de ce vécu dépressif,
06:12 c'est comme ça qu'on l'appelle,
06:13 ne pouvaient pas imaginer que si, oui, elles allaient s'en sortir,
06:18 un jour elles allaient traverser le bout du tunnel
06:21 et qu'un jour elles reconnaîtraient que cette épreuve a pu les transformer
06:27 et qu'elles se préfèrent même à la fin de cette odyssée qu'au départ.
06:34 En tout cas, c'est mon témoignage personnel
06:38 et c'est celui de quelques personnes que j'ai accompagnées.
06:41 – Bien sûr, alors vous dites cette phrase qui est très intéressante,
06:44 c'est "pour survivre au deuil, il faut faire jaillir de la vie
06:48 et c'est finalement pas le deuil qui va rétrécir,
06:51 mais c'est la vie autour qui va grandir".
06:53 Est-ce que vous pouvez nous expliquer un petit peu cette idée ?
06:57 – Oui, alors cette idée, elle n'est pas de moi,
07:00 je vais la rendre à son propriétaire,
07:02 elle est de Loïs Stonekin effectivement,
07:05 qui évoque avec un petit schéma que vous retrouverez aussi dans le livre,
07:08 qui est je trouve très parlant, cette idée qu'on croit souvent
07:12 que le chagrin va diminuer avec le temps,
07:15 mais qu'en réalité, on va aller mieux
07:18 parce que c'est la vie qui grandit autour du deuil.
07:21 Et donc c'est cette idée que je vais me rendre acteur
07:26 de mon propre processus de deuil.
07:29 Ça c'est assez novateur, parce que pendant des années,
07:32 on était très centré sur le modèle de Kubler-Ross
07:35 qui est la première courbe que j'indique à la fin de ce livre.
07:40 Modèle qui certes est toujours vrai
07:43 et qui va dépeindre les différents états émotionnels
07:46 qui sont traversés pendant toute "Odyssée",
07:50 c'est-à-dire pendant toute traversée du deuil,
07:53 mais c'est un modèle qui est incomplet.
07:55 Et on a besoin, donc c'est un modèle, pardon je reviens,
07:59 c'est un modèle qui montre que le deuil est un processus
08:02 qui est inconscient et qui vous fait avancer
08:06 grâce au temps qui oeuvre, qui est un facteur de maturation.
08:09 Donc c'est un modèle qui est incomplet
08:11 parce que le temps seul ne suffit pas
08:13 pour vous faire avancer dans ce processus de deuil.
08:16 J'ai besoin aussi de me rendre acteur,
08:19 j'ai besoin d'aller chercher des ressources,
08:21 souvent qui sont des ressources que j'ai en moi-même
08:24 et j'ai besoin d'aller les chercher, d'aller me connecter à elles.
08:27 J'ai besoin aussi évidemment de l'aide de tiers,
08:30 de personnes extérieures, qu'elles soient des proches
08:32 ou qu'elles soient des professionnels pour aller les chercher.
08:35 Et c'est à ce moment-là que je vais faire jaillir la vie.
08:38 Donc quand on est au creux de la vague,
08:41 je le disais tout à l'heure,
08:42 quand on est vraiment au cœur de ce tunnel,
08:44 on se dit "mais quand est-ce que je vais m'en sortir ?
08:47 Ce n'est pas possible."
08:48 Et puis il y a un moment où on voit qu'on avance.
08:52 Et on voit qu'on avance aussi parce qu'on va faire des choses.
08:56 Il s'agit véritablement de choses à réaliser.
08:59 Et quand je dis à réaliser, on peut aussi mettre des verbes d'état,
09:03 c'est-à-dire consentir.
09:05 Et alors comment est-ce que je vais rentrer dans le consentement à la perte ?
09:09 Ça, c'est la question à 100 000, si j'ose dire.
09:13 Bien sûr.
09:14 Alors je propose différents éléments de réponse.
09:20 Et je crois que de revenir au rituel va aider la personne qui est en deuil.
09:27 Donc des rituels qui aujourd'hui sont assez désuets, obsolètes,
09:33 et qui dans certains cas, heureusement, sont toujours présents,
09:37 notamment lors des cérémonies,
09:39 notamment lors de veillées funéraires ou mortuaires,
09:45 mais qui sont quand même assez laissées tomber à l'abandon.
09:47 Donc j'invite à revenir à ces rituels.
09:51 Et j'invite aussi à apprendre,
09:54 en tout cas à réussir à dire au revoir à ce qui est perdu.
09:59 Donc au début, c'est difficile.
10:01 Donc ce n'est pas quelque chose qui va être fait de manière...
10:04 enfin, dès le lendemain du décès, bien sûr,
10:06 mais dans les quelques semaines, les quelques mois qui vont suivre,
10:11 de pouvoir dire au revoir va permettre de rentrer dans le consentement à la perte.
10:17 Et c'est aussi l'idée que ce qui se conçoit bien s'énonce clairement.
10:21 Je vais faire un petit rite.
10:24 Quelle que soit la perte,
10:25 c'est valable dans l'épreuve du deuil qui suit la mort au sens propre,
10:30 mais c'est aussi valable dans l'épreuve d'une perte.
10:33 Imaginez que j'ai dû déménager ou que je divorce,
10:36 de dire au revoir à cet endroit que j'ai connu,
10:41 là où j'ai vécu, cet endroit que j'ai aimé,
10:43 ou cette personne, cette histoire qui a été la mienne,
10:46 et donc de la ritualiser de façon assez symbolique.
10:49 Moi, j'invite à ce que ce soit fait un peu en collectif,
10:53 avec un minima une autre personne,
10:56 parce que ça a plus de poids,
10:58 parce que l'autre va être témoin de ce geste de dire au revoir.
11:03 Et puis, il va aussi pouvoir poser une main sur l'épaule,
11:05 parce que c'est un moment où les larmes jaillissent.
11:07 Ce sont des larmes de libération où je me libère du poids,
11:13 du fait que je retiens et que je refuse la perte,
11:17 ce qui est tout à fait normal et tout à fait naturel.
11:19 Et en même temps, pour avancer,
11:21 je vais avoir besoin d'ouvrir les mains,
11:23 vraiment de faire ce geste, de consentir à la perte.
11:27 – Je voulais vous poser la question des étapes du deuil,
11:30 mais avant, vous avez abordé des choses très intéressantes.
11:33 Je voudrais vous poser la question de quel regard
11:37 vous portez sur cette société face à la mort,
11:41 qui est généralement, à mon sens, très perdue,
11:44 et très déconnectée de la mort.
11:47 – Oui, alors ça, on le voit, on le vit,
11:50 on l'entend aussi beaucoup,
11:52 que la mort, aujourd'hui, est devenue quelque chose de très tabou,
11:55 que la mort, elle est éloignée de nos paysages,
11:59 au sens urbanistique, puisque les cimetières sont loin,
12:05 les chambres funéraires sont aussi ouvertes
12:09 à des horaires assez peu pratiques,
12:10 donc ça va être difficile aussi de pouvoir se rendre à la morgue,
12:14 à la chambre funéraire, alors que c'est un temps qui est important
12:18 pour pouvoir regarder, pour pouvoir éventuellement toucher,
12:21 si c'est possible, pour pouvoir veiller le corps
12:25 de son proche aimé et disparu.
12:29 Donc oui, on a beaucoup de stéréotypes, aujourd'hui, sur la mort,
12:33 on a cette un peu injonction de la société qui nous dit
12:36 "allez, dépêche-toi, il faut que t'avances, il faut redevenir productif,
12:41 il faut que tu reprennes ton boulot,
12:43 il faut que tu remettes tes enfants à l'école,
12:46 il faut que..." alors qu'on a besoin de temps.
12:51 La chronologie du deuil, elle est longue,
12:54 et moi je tiens vraiment à dire à nos téléspectateurs
13:00 à quel point la période qui est la plus difficile,
13:04 elle n'est pas juste à l'annonce de la mort,
13:06 elle n'est pas trois mois après, elle est vraiment un an après,
13:09 et on a besoin d'entendre ça pour pouvoir prendre en charge
13:13 la personne endeuillée, non seulement au lendemain du décès
13:16 et pendant les quelques mois, mais encore au bout d'un an.
13:20 Parce que c'est là où, dans ces états émotionnels
13:23 sur lesquels on va sans doute revenir,
13:25 la personne en deuil est vraiment dans le creux de la vague,
13:27 c'est là où elle vit le vécu dépressif qui est le plus intense,
13:33 le plus douloureux et le plus déstabilisant,
13:37 et elle a besoin d'aide, elle a besoin d'être aidée,
13:40 et c'est le moment, au bout d'un an, où les proches se sont éloignés,
13:43 se disant à tort "c'est bon, maintenant ça fait un an,
13:47 c'est derrière elle, elle n'a plus besoin de moi,
13:49 elle n'a plus besoin de nous", donc ils s'éloignent,
13:51 alors qu'au contraire, c'est vraiment le moment
13:55 où la personne en deuil a besoin qu'on lui mette la main sur l'épaule
13:58 et qu'on soit à côté d'elle pour l'aider, pour l'accompagner,
14:01 pour l'écouter, même si elle va redire en boucle les mêmes choses.
14:04 C'est vrai qu'il y a beaucoup de choses à dire aussi sur les proches
14:06 et à leur transmettre aussi.
14:09 On va revenir à nos étapes de deuil,
14:13 quelles sont les quelques grandes étapes que l'on traverse ?
14:18 Alors on peut parler d'étapes, on peut aussi parler d'états,
14:21 d'états émotionnels, mais personnellement je préfère l'expression d'états
14:24 parce que si on parle d'étapes, c'est comme si on avait...
14:27 Il faudrait cocher tel cas.
14:28 Exactement.
14:30 Donc on va plutôt parler d'états,
14:32 alors le premier état c'est celui du choc ou de l'incidération,
14:35 qui est à partir du moment où j'apprends le diagnostic de la mort,
14:42 et quand on est dans un deuil blanc ou dans un pré-deuil,
14:45 c'est à partir du moment où j'ai le diagnostic de la maladie ou du handicap.
14:51 C'est un état qui ne dure pas,
14:54 c'est-à-dire qu'il va durer de quelques secondes à quelques semaines,
14:58 peut-être six semaines, dans le cas de mort spécifiquement tragique,
15:05 ça peut être trois mois, mais ça ne sera jamais plus que cette temporalité.
15:11 Ensuite, pendant cet état, la personne en deuil va être assez prostrée,
15:16 assez anesthésie, en fait elle est un peu hors du temps,
15:20 elle ne réalise pas ce qui s'est passé,
15:22 c'est un mécanisme de protection psychique pour moins souffrir à ce moment-là.
15:26 Donc c'est tout à fait naturel.
15:28 Ensuite, elle va rentrer dans un début d'intégration de la perte,
15:35 et elle va entrer dans ce qu'on appelle une sorte de fuite en avant,
15:38 on parle aussi souvent de déni,
15:40 et dans cette fuite en avant, la personne en deuil va beaucoup s'agiter à l'extérieur
15:47 pour se fuir à l'intérieur, pour ne pas être dans la confrontation avec elle-même
15:51 parce que c'est trop difficile.
15:53 Et dans ce moment-là, la personne va chercher beaucoup de liens avec la personne défunt,
16:02 va beaucoup feuilleter les albums photos,
16:05 va ouvrir les penderies pour respirer les parfums,
16:09 enfin le parfum, pour regarder les vêtements,
16:11 elle ne pourra pas se séparer des vêtements.
16:14 Là encore, c'est normal et c'est aussi une période de protection psychique.
16:20 Alors tous ces états, à partir de celui de la fuite en avant,
16:26 vont se chevaucher, en fait c'est pas complètement linéaire.
16:29 Donc les autres états, c'est un peu comme un sac de nœuds
16:34 où on va vivre à la fois beaucoup de colère,
16:37 une culpabilité souvent très forte,
16:40 évidemment de la peur, comment est-ce que je vais faire pour continuer à vivre sans mon proche aimé,
16:47 comment est-ce que je vais me débrouiller d'un point de vue financier,
16:50 d'un point de vue matériel,
16:52 je peux en vouloir très fortement à la personne qui est décédée,
16:57 je peux m'en vouloir à moi-même,
16:58 donc ça c'est une colère qui est tournée contre soi,
17:00 c'est beaucoup de culpabilité.
17:02 Alors d'expérience, je n'ai jamais vu une personne en deuil ne pas vivre la culpabilité.
17:08 C'est-à-dire qu'elle peut ne durer que quelques secondes,
17:11 elle peut aussi durer 50 ans.
17:13 Donc là c'est une période pendant laquelle la personne en deuil va avoir intérêt à,
17:20 moi j'appelle ça "descendre dans sa cabane intérieure",
17:22 donc descendre vraiment dans son intériorité pour regarder ce qui se passe,
17:25 qu'est-ce qui l'habite,
17:27 quels sont les messages de toutes ces grandes émotions,
17:32 et elle va avoir intérêt,
17:33 donc ça c'est dans les ressources, dans les choses à faire dont je parlais tout à l'heure,
17:37 à exprimer au dehors ce qu'il habite au-dedans.
17:41 - Parler.
17:42 - Voilà, donc c'est parler,
17:43 ça peut être d'autres moyens qui peuvent être des moyens artistiques,
17:47 qui sont très thérapeutiques comme écrire,
17:49 comme faire des choses un peu manuelles,
17:53 donc l'art-thérapie,
17:54 ça peut être aussi d'aller courir ou d'aller nager tout simplement,
17:57 de sortir physiquement toute cette colère, toutes ces tensions,
18:01 mais en tout cas d'aller un peu se coller,
18:03 prendre le temps de regarder "qu'est-ce qu'elle me dit ma tristesse ?",
18:07 "qu'est-ce qu'elle me dit ma colère ?"
18:10 - D'attraper l'émotion.
18:11 - D'attraper l'émotion, c'est ça,
18:13 c'est comme la valise sur le tapis de l'aéroport,
18:17 et bien hop, quand elle passe devant moi cette émotion,
18:20 je l'attrape, je la regarde et j'écoute son message,
18:24 et en écoutant son message et en disant donc ce qui m'habite
18:28 et ce qui est derrière, tout le message qui est caché derrière,
18:32 en allant parfois jusqu'à changer sa pensée,
18:35 c'est-à-dire que quand je me focalise d'une manière différente,
18:39 au lieu de me dire "eh bien, c'est tellement injuste",
18:42 ce qui est la réalité, bien sûr, l'amour est injuste.
18:45 - L'amour c'est très injuste.
18:46 - Et si je réussis à me dire "et j'ai vécu de tellement belles choses,
18:52 j'ai eu beaucoup de chance",
18:54 si je prends du recul et si j'inverse ma focalisation,
18:58 je vais vivre un état émotionnel différent.
19:01 Donc c'est ça qu'on va être amené à faire, à travailler,
19:04 notamment lors d'un accompagnement professionnel.
19:07 Donc je suis habitée par, chamboulée par toutes ces émotions,
19:12 j'ai l'impression de vivre les montagnes russes émotionnelles,
19:15 d'être super chahutée et j'avance.
19:18 Voilà, j'avance de façon inconsciente
19:21 et j'avance de façon consciente en allant donc chercher ces ressources
19:24 qui sont des ressources de l'intelligence émotionnelle,
19:27 en pouvant dire donc ce qui m'habite,
19:30 en pouvant dire au revoir aussi par exemple
19:33 et en allant chercher des choses positives.
19:38 À la fois c'est très dur
19:40 et à la fois j'ai eu de la chance d'avoir vécu ce que j'ai vécu.
19:44 Donc vous savez, c'est toujours l'image du verre,
19:47 est-ce qu'il est à moitié vide ?
19:48 - Est-ce qu'on regarde le vide ou le...
19:50 - Ou plein. - Ou ce qui est rempli.
19:51 - Et c'est aussi de se dire "j'ai déjà un verre".
19:54 - Et oui. - Voilà, je vais chercher
19:57 des petites paillettes de gratitude
20:00 ou des magnifiques pierres précieuses de gratitude
20:04 qui sont aussi dans mon sac à dos
20:07 mêlées à toutes mes pierres qui symbolisent
20:09 toutes les difficultés de ma vie, c'est que j'ai les deux en fait.
20:12 Voilà, de consentir à ce que la vie,
20:15 c'est pas "je suis super heureuse"
20:18 ou "je suis complètement au fond du trou",
20:20 c'est que à la fois j'ai une épreuve de vie qui est très forte
20:24 et à la fois cette épreuve,
20:26 elle peut coexister avec la joie et avec l'espérance.
20:30 - Dans l'épreuve de vie, il y a vie, en effet,
20:32 il ne faut pas oublier. - Exactement.
20:34 - Vous parliez du rôle très important de la parole,
20:37 on l'a compris, est-ce que toutefois on peut tout dire,
20:40 tout montrer à n'importe qui et n'importe quand ?
20:44 C'est un peu la question des proches qui revient sur la table.
20:48 Est-ce que tout le monde est prêt à entendre ça
20:52 ou alors il faut aller voir quelqu'un de spécialisé ?
20:55 - C'est une très bonne question, là encore.
20:58 Je vais vous faire une réponse de normand.
21:01 Ça dépend de vous et ça dépend bien sûr des proches.
21:05 Si vous avez autour de vous la bonne oreille attentive,
21:10 la bonne oreille, c'est l'oreille du cœur.
21:13 D'ailleurs, si j'ai deux oreilles et une bouche,
21:15 c'est pour écouter deux fois plus que je ne parle.
21:18 Si j'ai cette bonne oreille auprès de moi,
21:20 qu'elle soit dans mon premier cercle
21:22 ou qu'elle soit dans mon deuxième, troisième
21:24 ou quatrième cercle amical, relationnel,
21:28 je vais pouvoir aller la chercher.
21:30 Après, cette personne-là que j'irai chercher,
21:32 elle a sa liberté et elle peut aussi me dire
21:35 qu'elle n'est pas disponible ou pas.
21:37 Mais en tout cas, moi, en tant qu'endeuillée,
21:39 c'est ma part de responsabilité,
21:42 c'est ça que j'ai à faire, c'est d'aller chercher de l'aide,
21:45 d'aller chercher de la bonne aide.
21:47 Donc, ça sera une aide amicale
21:50 ou bien ça sera quelqu'un de professionnel.
21:52 Mais en tout cas, je fais ma part du job en allant demander.
21:57 Ça, c'est une première chose,
21:59 mais ça peut être aussi d'accepter.
22:01 - Et d'accepter de recevoir.
22:02 - De recevoir.
22:03 Et ça, c'est aussi très bon.
22:05 En fait, si vous voulez, c'est l'idée que
22:07 quand je suis dans la souffrance,
22:08 quelle que soit ma souffrance, encore une fois,
22:10 quelle que soit ma perte et mon deuil,
22:12 eh bien, je vais apprendre à me laisser aimer.
22:15 Je vais apprendre à me laisser montrer,
22:17 à me laisser voir malgré ma difficulté du moment,
22:20 malgré ma pauvreté.
22:22 Et je vais réaliser qu'en fait,
22:24 on est tous des pauvres types, des pauvres filles,
22:27 et on est tous le pauvre de quelqu'un.
22:29 C'est pauvre de la santé qui est perdue
22:32 ou une pauvreté financière.
22:34 Mais donc, en tout cas, je vais accepter de recevoir
22:38 et de laisser montrer ma pauvreté.
22:40 Et en faisant ça, je vais permettre à celui qui donne
22:43 de se révéler aussi dans sa capacité à se donner.
22:46 – Et ça, c'est très beau.
22:48 C'est comme ça qu'on jette des ponts les uns vers les autres.
22:51 Et c'est comme ça qu'on construit cette société d'interdépendance
22:54 que j'appelle de mes voeux, et sûrement vous aussi.
22:57 Cette société d'interdépendance,
22:58 c'est celle où on dépend tous les uns des autres.
23:01 Et c'est ça qui est beau.
23:03 Depuis qu'on est petits, on nous serine
23:05 qu'il faut être indépendant et autonome.
23:08 Et en fait, on se plante.
23:09 C'est pas ça qu'il faut qu'on crée.
23:11 Il faut qu'on crée des sociétés où on soit tous
23:15 dans l'interdépendance et dans la relation.
23:18 Je te donne et je reçois, tu me donnes et tu reçois.
23:22 – D'ailleurs, ce deuil que vous avez traversé, vous,
23:24 vous l'avez traversé aussi avec vos enfants en famille.
23:28 Ce sont des proches un peu particuliers, les enfants.
23:31 Vous leur laissez d'ailleurs une très très belle place dans ce livre.
23:35 Est-ce que vous voulez bien en parler de vos enfants
23:39 et de la façon dont ils ont traversé tout ça avec vous ?
23:42 – Alors bien sûr, mes enfants, ils sont ma grande fierté.
23:45 Notre grande fierté parce que j'inclus leur papa, Léonard,
23:50 qui pour moi est au ciel et qui veille sur eux et qui intercède
23:56 et qui donne des racines et des ailes.
23:59 C'est éminemment précieux.
24:02 Les enfants, ils sont une force de vie qui est très forte.
24:06 Et je pense que j'ai eu beaucoup de chance de perdre mon conjoint
24:11 alors que j'avais des enfants qui étaient jeunes
24:14 et qui ont aussi fait que je me levais le matin.
24:17 Déjà pour eux, j'aurais pu, j'avais des moments où bien sûr
24:21 j'aurais voulu rester sous la couette parce que c'était difficile.
24:24 Mais le fait d'avoir des enfants fait aussi qu'on se lève,
24:29 on va donner le meilleur, on continue.
24:31 Et ça, c'est quelque chose qu'ils ont très bien intégré.
24:34 D'ailleurs, ils signent la fin de leur post-face
24:38 sans s'être donné le mot.
24:40 Ils signent tous avec le "on continue".
24:43 Et ça, vous voyez, c'est un héritage de Léonard.
24:47 Dans les états émotionnels, alors on n'a pas à terminer
24:49 de décrire tous ces états parce qu'après la courbe, elle remonte.
24:54 Donc après le temps de déliquescence vient le temps de renaissance.
24:58 Et dans ce temps de renaissance, à un moment,
25:01 la personne en deuil qui a vécu une perte,
25:03 va rentrer dans le consentement et l'intégration de cette perte.
25:09 Et également dans l'intégration d'un héritage
25:12 qui vient de la personne décédée.
25:14 Je ne parle pas d'affaires de gros sous ou de biens matériels.
25:19 Non, vraiment l'héritage émotionnel, spirituel et des souvenirs.
25:22 Qu'est-ce que la personne va me léguer ?
25:25 Donc avec nos enfants, on a trouvé l'héritage de Léonard
25:29 qu'on dit très régulièrement et dont la première phrase
25:33 est d'ailleurs le titre de mon premier livre.
25:35 Donc "Si je ne peux plus marcher, je courrai",
25:38 qui est une invitation à courir le risque du bonheur,
25:41 de l'espérance et à vivre le présent.
25:43 La deuxième chose c'est "Si je ne peux plus parler, je chanterai".
25:47 Donc c'est une phrase que Léonard a dit,
25:49 a prononcée au moment où bien l'atteinte de la parole
25:52 lui était devenue assez forte.
25:54 Donc "Si je ne peux plus parler, je chanterai,
25:57 je chanterai la vie, envers et contre tout,
25:59 je vais continuer à sourire.
26:01 Si je n'ai plus les muscles pour sourire,
26:03 je vais sourire avec les yeux". Et c'est ce qu'il a fait.
26:06 Et un jour que je lui demandais "Et si tu guéris, qu'est-ce qu'on fait ?"
26:12 Et là il me dit "Mais si je guéris, on continue.
26:14 Et si je ne guéris pas, on continue aussi".
26:17 Voilà, donc toutes ces paroles qui ont été prononcées
26:20 à différents moments de la vie de Léonard
26:23 et de l'avancée dans la maladie de Léonard,
26:26 je les ai comme intégrées, reçues.
26:29 Et comme les enfants étaient peut-être trop jeunes,
26:33 pour les accueillir, j'ai pu les aider à les accueillir.
26:39 On les a formalisées et aujourd'hui c'est quelque chose
26:42 qui est très prégnant pour eux.
26:44 Donc aujourd'hui ce sont des jeunes qui…
26:46 Bon, je touche du bois parce que c'est pour aujourd'hui,
26:49 je ne sais pas comment demain sera,
26:50 mais aujourd'hui c'est difficile,
26:55 c'est toujours difficile de vivre sans leur papa.
26:58 Et en même temps, ce sont des jeunes qui sont joyeux
27:01 et qui sont pleins de l'espérance un jour de retrouver leur papa
27:07 et de cette espérance que leur papa agit et intercède pour eux.
27:12 Et ils ont envie de croquer la vie, d'avoir une belle vie.
27:17 Et moi, en tant que maman, évidemment,
27:19 ça me touche fortement de voir nos enfants qui ont envie de…
27:25 et ils le disent très bien dans leur post-fast d'ailleurs,
27:27 qui ont envie d'avoir une belle vie, une vie pleine et une vie heureuse.
27:32 – Et tout ça, vous le rendez tous, j'allais dire tous les cinq,
27:35 mais en fait tous les six dans cet ouvrage qui est magnifique,
27:39 "Le deuil, une odyssée".
27:41 Amis hypersensibles, prévoyez un paquet de mouchoirs
27:44 parce que vous verrez, vous avancerez vous aussi peut-être
27:47 dans l'un de vos deuils, mais en tout cas,
27:49 c'est un magnifique témoignage que vous nous avez produit Axelle Hubert.
27:52 Merci beaucoup d'être venu sur notre plateau
27:55 et merci à vos enfants aussi pour le beau témoignage
27:58 qu'ils laissent en post-face de cet ouvrage.
28:01 Je rappelle qu'il est publié chez MAM et qu'il est à 17 euros
28:05 et vous pouvez également le trouver sur la boutique officielle de TVL
28:09 en lien juste en dessous.
28:12 Je vous encourage, si vous avez aimé cet entretien,
28:15 on change un peu de registre, pardonnez-moi, mais n'oubliez pas,
28:18 il faut cliquer sur le pouce en l'air, on est sur Internet, c'est nécessaire.
28:22 N'hésitez pas à laisser un commentaire,
28:23 vous pouvez vous aussi témoigner d'un deuil
28:26 ou quelque chose qui vous a marqué dans l'entretien.
28:29 Et puis, vous pouvez également envoyer cet entretien,
28:32 voire même acheter le livre avec à quelqu'un qui traverse aujourd'hui un deuil
28:37 et qui en aurait besoin.
28:38 N'hésitez pas.
28:39 Je vous dis à très vite sur TV Liberté.
28:42 [Musique]