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Davy Rimane, député communiste de Guyane (GDR)

Dans sa famille on brille à la fois dans le foot et la politique... Davy Rimane a d'abord préféré le ballon rond, mais son engagement syndical l'a amené à se présenter aux législatives en Guyane. Il préside aujourd'hui la délégation aux outre-mer à l'Assemblée.

Pourquoi s'engage-t-on en politique ? Comment tombe-t-on dans le grand chaudron de l'Assemblée ?
Chaque jour, Clément Méric, dans un entretien en tête à tête de 13 minutes, interroge un parlementaire sur les personnalités, les évènements - historiques ou personnels - qui l'ont conduit à choisir la vie publique.
Car on ne naît pas politique, on le devient !

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Transcription
00:00 -Dans sa famille, on brille à la fois
00:02 dans le foot et la politique.
00:03 Lui a d'abord préféré le ballon rond,
00:06 mais il préside aujourd'hui la délégation aux Outre-mer
00:09 à l'Assemblée.
00:10 Musique de tension
00:12 ...
00:24 Bonjour, David Riman. -Bonjour.
00:27 -Le premier jour d'un député à l'Assemblée nationale,
00:30 c'est forcément un moment qui mêle un peu de fierté et d'émotion,
00:33 sauf que pour vous, les choses ne se sont pas forcément bien passées.
00:37 Ca a été marqué par un incident que vous avez raconté vous-même
00:41 en prenant la parole dans l'hémicycle.
00:43 C'était à l'occasion d'un débat sur la politique d'immigration.
00:47 -Suite à mon élection au mois de juin,
00:49 je suis arrivé à l'Assemblée et j'avais pas encore le badge.
00:53 Je suis arrivé aux portes de l'Assemblée
00:56 pour me renseigner, donc je pouvais pas entrer, j'ai sonné.
00:59 Une personne est sortie.
01:00 Je lui ai dit bonjour, elle m'a répondu bonjour.
01:03 La première chose qu'elle m'a dit, avant même que je puisse m'exprimer,
01:07 "Monsieur, les livraisons, c'est de l'autre côté."
01:10 On m'a tout de suite ramené.
01:11 A quoi ? A ma couleur de peau.
01:13 -Vous dites que vous n'avez pas été blessé par cet incident,
01:17 que vous en avez même souri. Pourquoi ?
01:19 -Parce qu'en fait, j'avais déjà été marqué par ça
01:22 dans mon enfance, dans ma jeunesse,
01:24 et je me suis construit avec ça en tête.
01:27 -Vous en avez pris l'habitude ? -Oui, c'était pas nouveau.
01:30 Mais ça m'a permis d'être un trait d'union
01:32 au débat qu'il y avait par rapport à l'immigration
01:35 et ce que peut ressentir une personne
01:37 lorsqu'elle arrive à un endroit qui ne ressemble pas
01:40 à celui chez qui elle arrive.
01:42 Donc le regard qu'on porte sur autrui est extrêmement important.
01:46 Ne pas sentir que nous soyons rejetés
01:50 au travers du regard, c'est très important.
01:53 -Quand on arrive dans une institution
01:55 comme l'Assemblée nationale,
01:57 la maison de tous les Français,
01:59 ça a une signification politique particulière ?
02:01 -Oui, ça veut dire que nos institutions
02:04 n'ont pas fait le deuil
02:06 de cette histoire de la France,
02:09 parce qu'au travers de nos institutions,
02:12 la discrimination soigne toujours.
02:15 C'est pas normal.
02:16 -C'est-à-dire qu'elle prend naissance
02:18 au coeur de nos institutions ? -Je prends l'exemple
02:21 de la France, où on a démontré, par rapport à l'élaboration des lois,
02:25 les territoires d'outre-mer sont toujours gérés à la marge,
02:28 à la fin de la loi.
02:29 On dit que pour les territoires d'outre-mer,
02:32 ça va être légiféré par ordonnance ou par décret.
02:35 Y a pas de débat, pas de discussion,
02:37 pas de prise en compte des réalités.
02:39 Donc même au coeur de l'élaboration de la loi,
02:41 on voit que tous les territoires ne sont pas logés à la même enseigne.
02:45 -C'est l'un des moteurs de votre engagement.
02:48 Les Français tolèrent outre-mer des choses
02:50 qu'ils ne tolèrent pas en métropole,
02:52 comme l'accès à l'eau, à l'électricité.
02:55 C'est ça qui vous motive ? Buter contre une autre forme
02:58 de discrimination plus territoriale ?
03:00 -C'est ça. Je prends un exemple simple.
03:02 Le taux de chômage, il a voisin 9 % dans l'Hexagone.
03:05 Nos territoires, de façon structurelle,
03:08 voisinent toujours entre 24 et 25 %.
03:10 Et l'autre chiffre qui est déterminant dans la situation,
03:13 vous prenez dans nos territoires,
03:16 quasiment un actif sur deux ne fait rien du tout.
03:18 Il n'est pas au chômage, il n'est pas en formation,
03:21 il ne travaille pas.
03:22 On n'a pas tout le monde sur les écrans-radar.
03:25 Vous prenez ces chiffres-là et vous les ramenez
03:27 à l'échelle de l'Hexagone,
03:29 le bon combat est déclaré pour sortir de cette situation-là.
03:32 Regardez les efforts sur l'Hexagone
03:34 pour passer bientôt, on l'espère, au plein emploi.
03:38 Mais on part d'un delta de 9 %.
03:40 Le plein emploi, c'est quand on arrive à 5 %.
03:42 Il y a 4 % de marge à faire.
03:44 Alors que nos territoires, c'est 24-25 %.
03:47 Vous avez 20 points.
03:48 Et quand on connaît le tissu économique et social,
03:51 ça va être extrêmement compliqué d'atteindre cela.
03:54 -Lors de votre première candidature aux législatives,
03:57 vous aviez parmi vos adversaires
03:59 votre propre tante, Juliana Riman,
04:01 ancienne députée de Guyane de 2002 à 2007.
04:04 Si on remonte à la génération d'avant,
04:06 vous avez un de vos grands-pères qui a été maire de Kourou,
04:09 l'une des principales villes de Guyane,
04:12 pendant 42 ans, Eustace Riman.
04:14 Ca donne l'impression que la politique est inscrite
04:17 dans votre ADN familial.
04:18 -C'est une fierté.
04:19 Mon grand-père a oeuvré beaucoup
04:21 avec le développement de la ville de Kourou
04:24 pendant 42 ans, qui était un maire de droite,
04:26 qui était la famille du RPR,
04:28 proche de Jacques Chirac.
04:30 Et pour autant, il a fait beaucoup
04:32 dans le social, au travers de sa commune,
04:35 par probabilité qu'il l'entourait.
04:37 C'est son intelligence au quotidien
04:39 de répondre aux données de ses concitoyens
04:42 avec des réponses positives.
04:43 -Il y a une grande différence entre votre tante et votre grand-père,
04:47 c'est qu'eux étaient engagés à droite, vous, à gauche.
04:50 D'où viennent vos valeurs de gauche ?
04:52 Qui vous les a transmises ? -Ma grand-mère paternelle,
04:56 avec qui, à un moment donné, j'ai vécu quelques années,
04:59 et c'est elle qui m'a transmise toutes ces valeurs humaines,
05:02 le respect de l'autre, l'acceptation de l'autre.
05:05 Elle n'a pas été à l'école longtemps,
05:07 elle avait 11 ans, parce qu'il fallait qu'elle s'occupe,
05:11 à l'époque, vous savez comment ça se passait,
05:13 il fallait s'occuper de la maison, des petits frères.
05:16 Pour autant, elle avait une sagesse, une approche de la vie au quotidien.
05:20 C'était pour moi une très grande dame,
05:22 et si je suis là aujourd'hui, c'est en grande partie grâce à elle.
05:26 -Pendant longtemps, vous avez porté un regard très critique
05:29 sur la politique, sur la classe politique.
05:32 J'ai retrouvé une citation de vous en 2016,
05:34 juste avant que vous vous engagez en politique,
05:37 "on laisse les politiques voter des lois à la con
05:40 "et à la peck". Qu'est-ce que vous reprochiez
05:42 à la politique et aux hommes politiques ?
05:44 -La non prise en compte des réalités des territoires.
05:47 Regardez nos territoires ultramarins,
05:50 ce sont mes mots, mais pour moi, je qualifie ça de scandale.
05:53 Depuis 46, nous sommes passés en département,
05:56 on a sorti de colonie, passé en département français,
05:59 qui devait s'appeler l'assimilation,
06:01 mais qui est devenu départementalisation,
06:03 avec les évolutions de loi par la suite,
06:06 et on a l'impression qu'on est resté fiché dans le temps
06:09 de la loi. C'est là que je me dis qu'il y a un problème.
06:12 Les lois qui ont été votées, pour l'application
06:14 sur nos territoires, ne valaient pas un clou.
06:17 On nous a mis dans une situation dramatique.
06:20 Il faut pas qu'on ait peur d'utiliser les bons mots,
06:22 la bonne sémantique, qui pourrait heurter ou choquer,
06:25 mais ça sert à prendre conscience qu'on doit sortir
06:28 de ce système, de cette situation,
06:30 parce qu'il y a des hommes, des femmes et des enfants
06:33 qui sont en souffrance. -Ce regard-là,
06:36 vous a éloigné de la politique, vous avez préféré
06:39 le syndicalisme chez EDF en Guyane,
06:41 c'est là où vous étiez salarié, employé,
06:43 et c'est comme ça qu'au printemps 2017,
06:45 vous êtes devenu l'une des figures, l'un des porte-parole
06:49 de ce grand mouvement social qui a bloqué toute la Guyane
06:52 pendant plusieurs semaines. Ce qui est surprenant,
06:55 c'est que ce mouvement était lui-même très hostile
06:58 à la politique, son mot d'ordre, c'était "pas de politique",
07:01 et c'est ce qui s'est passé à ce moment-là
07:04 qui vous a convaincu de vous engager en politique.
07:07 -C'était un moment déterminant pour moi,
07:09 parce que c'est là qu'on prend conscience
07:11 que c'est dans la sphère politique que tout se décide.
07:14 On peut être en dehors de la sphère politique,
07:17 on participe aux activités, aux aides,
07:19 tout ce qu'on veut au quotidien,
07:21 mais la sphère de décision, c'est dans le monde politique.
07:25 C'est en ce sens-là que, voulant œuvrer
07:27 à ce changement tant attendu, tant voulu par beaucoup d'entre nous,
07:31 il était tout à fait normal que je m'y engage
07:33 et que, à ma manière, j'apporte ma pierre à l'édifice.
07:36 -Vous vous êtes engagé dès 2017.
07:38 Ca n'a pas fonctionné aux premières législatives,
07:41 vous vous êtes présenté deux fois.
07:43 Et puis, 2022, là, vous êtes élu,
07:45 mais depuis votre élection, on sent que vous êtes un peu frustré.
07:49 Vous avez expliqué.
07:50 "J'ai de la colère, de la frustration,
07:53 "j'aurais tant souhaité faire plus,
07:55 "mais je vois les limites de l'exercice."
07:57 Ca veut dire que vous vous sentez inutile
07:59 en tant que député à l'Assemblée ?
08:01 -Quand vous vous mangez des 49.3 régulièrement,
08:04 c'est à un moment donné à quoi je sers.
08:06 Mais au-delà de ça, le travail parlementaire
08:09 est devenu compliqué.
08:10 On voit que dans la Ve République,
08:12 telle qu'elle est constituée, l'exécutif a la main sur tout.
08:16 Et c'est nous, parlementaires, qui, depuis 2017,
08:19 le parlementaire ne peut plus être exécutif,
08:22 pour moi, le parlementaire cherche sa place encore
08:25 dans tout cet échiquier politique,
08:27 dans ce fonctionnement de la Ve République.
08:29 C'est bien pour ça qu'il y a des frustrations.
08:32 Quand les choses bougent concrètement,
08:34 on a cette frustration que des choses
08:36 peuvent prendre du temps,
08:38 et que les décisions prises ne sont pas d'indéquation
08:41 avec les réalités des territoires concernés.
08:43 Donc, il y a cette colère aussi,
08:45 cette colère que je veux bonifier,
08:47 pour permettre à nos territoires d'évoluer positivement,
08:51 parce que, non, on ne peut plus cautionner ça.
08:53 Aujourd'hui, concrètement, le fait qu'on veuille légiférer,
08:57 c'est nous, qu'on prenne des décisions, c'est nous,
09:00 ou bien encore que l'on veuille faire des choses
09:03 sans nous concerter, ça veut dire que tout ce qui va sortir
09:06 sera contre nous.
09:07 -Vous présidez, quand même, aujourd'hui,
09:10 la délégation aux Outre-mer à l'Assemblée.
09:12 Est-ce que ça ne vous donne pas un levier politique
09:15 pour peser sur les décisions, pour avoir une vraie influence ?
09:19 -Si, en fait, oui et non.
09:21 En tant que président de délégation,
09:23 elle n'est pas une commission. -Elle n'a pas les mêmes pouvoirs.
09:26 -Néanmoins, en essayant, au travers de cette délégation-là,
09:30 de mener des travaux à bien, de démontrer objectivement
09:33 les nécessités de bouger sur différentes lignes,
09:36 chose qui n'est pas simple.
09:37 Il y a ce jeu de discussion qu'on aissait avoir d'influence,
09:40 qu'on aissait avoir avec l'exécutif,
09:43 pour qu'il puisse entendre, comprendre et mettre en œuvre
09:46 les bonnes décisions, si j'ai envie de dire ça comme ça.
09:49 Mais après, j'ai envie de dire aussi, on part de loin,
09:52 ce n'est pas simple.
09:53 Il faut avoir la capacité à écouter tout le monde,
09:56 à discuter avec tout le monde et à prendre des décisions
09:59 au maximum. -Pour peser.
10:01 Je voulais quand même vous entendre sur un événement
10:04 dont on a parlé dans les médias au mois de septembre 2022,
10:07 c'était au début de cette nouvelle législature,
10:10 le premier match de foot de l'équipe parlementaire,
10:12 de l'équipe de députés de l'Assemblée nationale.
10:15 On en a beaucoup parlé, parce qu'à l'époque,
10:18 tous les membres de l'équipe qui étaient députés de gauche
10:21 ont refusé de jouer aux côtés des députés du RN.
10:24 J'y tousse, sauf un, on vous voit sur ces images, vous.
10:27 Vous avez tenu à jouer. Pourquoi ?
10:29 -Tous les jours, nous avons des concitoyens
10:31 qui sont confrontés à différentes situations.
10:34 Moi, comme je l'ai rappelé, moi, en tant que député,
10:37 je...
10:38 On se côtoie régulièrement en scène de l'Assemblée nationale,
10:41 on échange, on discute, on peut ne pas être d'accord.
10:44 Pour moi, le terrain de football, un lieu sportif,
10:47 ne doit pas être le lieu d'une expression politique de la sorte.
10:51 Ca, c'est mon avis personnel. -C'est celui
10:53 de l'ancien entraîneur de foot qui s'occupait de gamins en Guyane ?
10:57 -C'est ça, moi, je suis éducateur sportif aussi,
11:00 donc, pour moi, le sport doit rassembler.
11:02 Et même au travers des discussions, des débats,
11:05 qu'on pourrait avoir sur des postures différentes,
11:08 ces discussions peuvent amener l'un ou l'autre
11:10 à évoluer sur sa position initiale.
11:12 Je crois en ce débat contradictoire,
11:14 il n'est pas nécessaire qu'on puisse avoir des postures fermées,
11:18 je crois en la force de la discussion.
11:20 -Le foot, d'un mot, dans votre famille,
11:22 a occupé une place importante.
11:24 Vous avez joué en Nationale 2, vous rêviez d'être joueur pro ?
11:29 -Rêver ? Non, en fait, ça faisait partie des possibilités,
11:33 mais surtout, après, grande fierté de voir
11:35 que mon grand frère qui a ouvert la porte,
11:37 mon petit frère à Laval, mon petit frère à Sedan,
11:40 qui ont pu, à un moment donné, goûter à ce niveau-là
11:43 et rendre leur expérience sur le territoire guyanais.
11:46 Le football, le sport, fait partie intégrante de notre famille.
11:50 -On va passer à notre quiz, à présent.
11:52 Je vous explique le principe.
11:54 Je vais commencer une phrase et vous allez devoir la terminer.
11:58 C'est bon ? On y va.
11:59 Les députés devraient s'inspirer du football pour...
12:02 -Se rassembler.
12:03 -Justement, ce dont on parle.
12:05 -Se rassembler et avoir une force de cohésion collective.
12:10 -Les députés qui découvrent que je viens de Guyane
12:13 me demandent souvent... -Comment c'est ?
12:15 -Il y a une méconnaissance ? -Total.
12:17 Souvent, je leur dis, j'ai invité plusieurs de nos collègues
12:21 à venir en Guyane, à découvrir ce territoire,
12:23 qui aura beaucoup à leur montrer, à leur démontrer
12:26 qu'un avenir radieux peut être possible pour nous.
12:29 -Si mes enfants se lancent en politique, je...
12:33 -Je leur dirais, réfléchissez bien avant d'y aller.
12:36 -Ah oui ? Pourquoi ?
12:37 -C'est un monde extrêmement hypocrite et méchant.
12:40 -Ca donne pas envie, là ?
12:41 -Non, il faut être bien armé.
12:43 -Vous les dissuaderiez pas, mais vous...
12:46 -Non, je leur dirais surtout
12:48 d'être une personne aboutie, humainement, complètement.
12:51 -Avant de se lancer. -Oui.
12:53 Ca va au-delà de l'âge, par rapport aux événements de la vie.
12:56 On arrive abouti par rapport à ce qu'on a traversé.
12:59 On pourra venir sur le combat,
13:01 mais si on n'est pas abouti, faut pas y aller.
13:04 -Merci, David Rieman, d'être venu dans "La politique et moi".
13:07 SOUS-TITRAGE : RED BEE MEDIA
13:10 Générique
13:13 ...

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