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  • 09/11/2023
"J'ai eu beaucoup d'emmerdes parce que j'ai accueilli beaucoup de monde"
Connu pour avoir aidé plus de 2 500 migrants à traverser sa vallée de la Roya, Cédric Herrou raconte son combat et comment celui-ci l'a mené face à la justice.

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Transcription
00:00 Tout est de la faute de ma mère.
00:01 Si ma mère avait su que j'avais laissé des gamins en bord de route sans les mettre
00:06 dans ma voiture et sans les protéger, elle m'aurait défoncé.
00:09 Combien de personnes j'ai aidé ? Dans les 2500, je pense.
00:12 Je suis Cédric Ayrou, je suis paysan dans la vallée de la Roya et j'ai eu beaucoup
00:18 d'emmerdes parce que j'ai accueilli beaucoup de monde.
00:20 Ce qu'il faut comprendre c'est que personne n'a envie de partager sa maison, personne
00:23 n'a envie d'échanger parce que ça emmène forcément des emmerdes.
00:27 Mais aussi tu vas avoir des super trucs.
00:29 Ma première arrivée, la première fois, il devait être minuit, une heure du mat' et
00:32 je conduis sur une route des Alpes et il fait nuit, il n'y a pas de lampadaire, il n'y
00:34 a pas de trottoir, tout ça.
00:35 Et là en fait je vois des ombres, je fais demi-tour et je vois là des gens noirs avec
00:41 une famille, avec des gamins en bas âge et ils me demandent de les emmener au train,
00:45 je leur explique qu'il n'y a pas de train la nuit, etc.
00:47 Et je les emmène chez moi.
00:48 Et ça part comme ça.
00:49 Et à partir de là, le lendemain matin, je les emmène à la gare et on s'échange
00:53 les numéros de téléphone et la famille se fait choper à la gare d'après et se
00:58 retrouve en Italie.
00:59 Et là donc dans une église, l'église de Sant'Antonio, je vais les voir et là
01:02 je découvre pas mal de gamins, de familles, tout ça un peu stocké dans un sous-sol
01:08 de l'église.
01:09 Parce que ce qu'il faut comprendre c'est qu'à cette époque-là, en 2016, il y a
01:12 l'État français qui a rétabli le contrôle aux frontières.
01:14 Mais c'est pas la ligne frontière entre l'Italie et la France qui est bloquée,
01:17 c'est toute une bande sur le côté français.
01:19 Et les gens qui arrivent dans la Roya se retrouvent complètement bloqués dans cette
01:22 vallée.
01:23 Il y a des gamins qui disparaissent, il y a des femmes qui disparaissent, il y a des
01:25 familles qui disparaissent.
01:26 Il se crée des réseaux de passeurs, des réseaux de prostitution, des réseaux de
01:30 pédophilie.
01:31 Et en fait, petit à petit, je comprends que l'État français est complètement dans
01:34 l'illégalité et que le trouble hors de public qu'il y a dans la vallée de la Roya,
01:36 parce que c'est un trouble hors de public, c'était le bordel dans la vallée de la
01:38 Roya.
01:39 Il faut savoir qu'il y avait des centaines de personnes qui hébergaient, il y avait
01:43 une chasse au noir qui était opérée pendant la nuit, on entendait des cris, on voyait
01:46 des flashes lumineux.
01:48 En fait, c'était vraiment une chasse au noir dans la vallée de la Roya.
01:50 Et du coup, j'ai un sentiment de responsabilité.
01:52 Par la suite, après, je vais rendre visite à cette église là tous les jeudis après
01:57 mes livraisons.
01:58 Et quand il y a des gamins qui me demandaient "tu peux m'aider ?" et tout, on est obligé
02:01 de dire non.
02:02 Mais après, tu dis "bon, vas-y, vas-y, viens dans la bagnole".
02:05 Et je me prends là-dedans et je commence à avoir peur pour eux.
02:07 Une fois, ce qui m'est arrivé, c'est que j'avais beaucoup de monde à la maison
02:12 et il y a des gamines qui me demandent de les aider et je n'ai pas pu les aider.
02:17 Et les gamines sont mortes sur l'autoroute le soir même.
02:19 Et on se retrouve face à du néant, en fait.
02:22 Petit à petit, ça devient presque maladif de ma part.
02:25 Le mot passe et les gamins, au lieu d'attendre dans l'église que je ne les ai aidés,
02:29 ils prennent la route à pied et ils viennent tout seuls.
02:32 Ils me trouvent clairement débordés.
02:33 Je dis "ma maison, elle doit faire 25 mètres carrés".
02:37 C'est une cabane, ce n'est pas une maison.
02:40 Je dis maison parce que j'exagère toujours un peu.
02:42 C'est une cabane, il y a du terrain, mais on fait à manger dans la maison.
02:46 Et c'est un peu le bordel.
02:48 Ce qui était étonnant, c'est que d'un côté, c'est grave.
02:51 Des gamins qui sont là tout seuls.
02:53 J'ai eu un gamin de 12 ans qui est arrivé en afghan.
02:55 Il est arrivé, il était en slip.
02:56 Tu le vois débarquer, ça te fait rire.
02:58 Il n'y a rien de drôle, mais tout le monde en rit.
03:00 Le gamin est gêné, il roule un peu des mécaniques.
03:03 Il y a une espèce de normalité qui s'opère.
03:05 Et un espèce d'autre monde dans le monde.
03:08 Où malgré tout, les gens s'efforcent à être heureux.
03:11 C'était quand même une belle expérience.
03:12 Ça a été dur à certains moments parce qu'on ne dort pas beaucoup.
03:15 Il y a des arrivées le jour, la nuit, etc.
03:17 Il y a une logistique à faire.
03:18 Mais de l'autre côté, ça a été quand même assez exceptionnel.
03:21 La police est vraiment dans le game quand elle me voit avec des petits noirs dans la voiture.
03:24 Et première à la station, j'ai eu beaucoup, beaucoup peur.
03:27 Après, je me suis retrouvé avec un flingue sur la tempe.
03:29 Et j'avais pris des mamans avec des gamins en bas âge dans mon coffre.
03:33 Ce que j'avais peur, c'est que les mères sortent de la voiture en courant.
03:36 Qu'il y ait des coups de feu, en fait.
03:37 J'ai fait une première garde à vue avec première perquisition, etc.
03:41 Mais ce qui m'a rassuré, c'est que j'ai bénéficié d'une immunité humanitaire.
03:44 Et après, je prends un peu trop la confiance.
03:46 Je me dis, du coup, on est couvert par une immunité humanitaire.
03:48 Et je continue mon action comme ça.
03:50 Et même, je le développe parce que j'achète un minibus.
03:54 Et là, je me fais gauler, regoler, etc.
03:56 Petit à petit, ça se construit dans ma tête.
03:58 Au début, j'avais des doutes de ce que je faisais.
03:59 Et je me dis, ce que je fais, c'est juste.
04:01 C'est peut-être pas légal.
04:02 Et j'ai bien fait, quoi.
04:03 Je me suis fait arrêter souvent.
04:03 J'ai eu 11 gardes à vue avec 5 perquisitions.
04:06 Avec une mise en examen de 4 ans.
04:09 Ils se sont pris à ma famille.
04:10 C'est qu'il y a eu pas mal d'interrogatoires chez des proches.
04:12 Des balises GPS mises sur les voitures de mes parents.
04:14 On y a mis sous écoute.
04:15 Et voilà, ça a duré 4 ans.
04:16 Il y a un procès.
04:17 Et le procès, on va en première instance, on va en cours d'appel.
04:20 Et là, on me condamne à 8 mois de prison avec sursis.
04:23 Et on va en cassation.
04:25 J'ai été relaxé.
04:27 Et ce qui a fait évoluer le droit, etc.
04:29 On a créé une communauté avec Marion.
04:31 Marion Gachet.
04:32 C'est la première communauté qui fait,
04:33 Emmaüs, qui fait uniquement de l'agriculture.
04:35 J'ai donné mon exploitation agricole à cette association.
04:40 Ce qui nous permet de mettre des gens à l'abri
04:42 sur du moyen terme et du long terme.
04:44 Ce nouveau lieu, c'est plus chez moi.
04:46 C'est dans le cœur du village.
04:47 On a acheté une bâtisse.
04:49 Et là, on a 9 adultes et 3 enfants.
04:50 Donc, on a 2 familles.
04:51 La faim en soi, ce n'est pas forcément de faire du légume
04:54 ou de l'agriculture ou de vendre nos produits.
04:55 Ce n'est pas ça.
04:56 Les personnes ne sont pas salariées.
04:58 Elles touchent un PQ.
04:59 Elles sont nourries, logées.
05:01 Et on ne regarde pas la rentabilité des gens.
05:02 Donc, c'est la queue incontinente.
05:04 On garde les gens juste parce qu'elles sont là.
05:06 Là, on parle de la loi asile-immigration, etc.
05:10 Et on voit des gens avec des cravates
05:12 qui n'ont aucune inventivité.
05:14 Il faudrait peut-être un peu regarder
05:16 les paysans Bac-4 et les associations
05:18 qui font du travail sur le terrain
05:20 pour un peu s'inspirer.
05:20 On a envie d'être contagieux.
05:22 Moi, je suis un utopiste, c'est évident.
05:24 J'ai des valeurs profondes qui sont plus importantes,
05:27 je pense, que certaines lois.
05:30 Il y a plein de gens comme moi.
05:31 On pense que la France, c'est un peuple de gens
05:34 repliés sur eux-mêmes, racistes, etc.
05:36 Mais ce n'est pas vrai.
05:37 C'est plus les personnalités politiques,
05:38 je trouve, qui sont complètement aigris,
05:40 érongés par le racisme.
05:41 C'est l'impression d'éduquer des gamins de 3 ans.
05:43 C'est-à-dire, tu vas partager ton goûter,
05:45 tu vas arrêter de frapper ton voisin
05:46 parce qu'il est noir.
05:48 Tu vois, il faut arrêter de déconner.
05:49 Avec la gestion des arrivées des personnes ukrainiennes,
05:54 on a tous vu que la France était capable
05:55 d'accueillir des gens.
05:56 Enfin, moi, ce qui me pousse peut-être à agir,
05:57 c'est ça, c'est de voir débarquer des gens
05:59 qui n'ont rien et de me dire,
06:01 nous, on a quand même la chance,
06:02 une putain de chance de fou,
06:04 même si moi, je suis un précaire aussi.
06:06 Il faut travailler.
06:06 Ce n'est pas facile de s'ouvrir aux gens,
06:08 aux problèmes, de dire, tiens, un problème,
06:09 on va y aller le résoudre.
06:11 C'est chiant, c'est sûr que c'est chiant.
06:12 Mais c'est nécessaire, quoi.
06:13 *BIP*

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