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00:00 [Musique]
00:02 On Delatte raconte
00:04 Christophe On Delatte
00:06 C'est une histoire passionnante.
00:08 L'histoire de Jacques Fech.
00:10 En 1954, à Paris,
00:12 au cours d'un braquage, il tue un policier.
00:14 Arrêté,
00:16 il fait en prison un chemin spirituel.
00:18 Il se convertit.
00:20 Il est condamné à mort,
00:22 exécuté. Et l'église catholique
00:24 veut aujourd'hui en faire un saint.
00:26 Saint Jacques Fech.
00:28 Le mérite-t-il ?
00:30 Pour le débrief, j'ai invité tout à l'heure
00:32 l'avocat député Gilbert Collard.
00:34 Il lui a consacré un livre aux presses de la Renaissance.
00:36 "Assassin
00:38 avec un T".
00:40 J'ai écrit cette histoire avec Nicolas Loupien.
00:42 Réalisation Céline Lebrun.
00:44 [Musique]
00:46 Europe 1, Christophe On Delatte
00:48 [Musique]
00:50 Venez avec moi
00:52 dans le quartier de la Bourse
00:54 à Paris, un soir de février
00:56 1954, le 25.
00:58 Vous voyez la Bourse ?
01:00 Le Palais Brogniart ? Juste en face
01:02 au 39 rue Vivienne, vous voyez la boutique
01:04 de change ? Le comptoir de change
01:06 et de numismatique. Petite boutique
01:08 mais bien placée. Elle est tenue
01:10 par un monsieur qui s'appelle Alexandre Silberstein.
01:12 Il est 6h - 20
01:14 de l'après-midi. La nuit est
01:16 en train de tomber. Les employés des bureaux
01:18 alentours se pressent vers le métro, ou vers
01:20 les bistrots. Mais vous,
01:22 vous ne quittez pas la boutique des yeux.
01:24 Parce que c'est là que ça va se passer.
01:26 Vous voyez les deux hommes qui entrent dans la boutique ?
01:28 C'est maintenant
01:30 que ça commence.
01:32 Ah ! Bonjour monsieur.
01:34 Vous venez pour les
01:36 Napoléons que vous m'avez commandés hier ?
01:38 Je les ai. Ma banque
01:40 me les allivera. Asseyez-vous,
01:42 je vous en prie. Alors...
01:44 Laissez-moi d'abord vérifier
01:46 le cours du jour auprès de ma banque,
01:48 je vous fais la facture et
01:50 je vous donne les pièces.
01:52 [Bruit de téléphone]
01:54 Allô ?
01:56 Oui, bonjour, Alexandre Silberstein
01:58 à l'appareil. Pourriez-vous
02:00 s'il vous plaît me donner le cours du
02:02 Napoléon Or ?
02:04 Oui.
02:06 Entendu.
02:08 Merci.
02:10 - Viston ! Tu vas chercher
02:12 les pièces pour ces messieurs ?
02:14 C'est là que ça bascule.
02:16 L'un des hommes sort de la boutique
02:18 et l'autre, un grand blond,
02:20 sort un revolver de sa sacoche.
02:22 - Et maintenant, vide ton fric ou je tire.
02:24 - Allons.
02:26 Vous avez l'air raisonnable.
02:28 Je suis un ancien combattant.
02:30 Vous vous rendez compte de ce que
02:32 vous faites ? Vous allez gâcher
02:34 votre vie. Comme réponse,
02:36 BIM ! M. Silberstein
02:38 reçoit un coup de crosse sur le crâne
02:40 et après, il étale toute sa caisse
02:42 sur le comptoir. - Plus vite !
02:44 - BIM ! Deuxième coup
02:46 sur la tête. Et là, le maladroit
02:48 fait tomber son revolver et en le
02:50 ramassant, un coup de feu part.
02:52 Et il se blesse lui-même à la main gauche.
02:54 Pendant ce temps, M. Silberstein
03:00 tente d'aller se planquer dans un kajibi.
03:02 Ses igles le rattrapent et le frappent à nouveau.
03:04 BIM ! BIM !
03:06 Et Silberstein s'affaisse.
03:08 Le grand blond ramasse tous les billets
03:10 sur le comptoir. Il y en a pour environ
03:12 300 000 francs.
03:14 Et prenant un air dégagé,
03:16 il sort de la boutique.
03:18 Mais entre temps, M. Silberstein
03:22 s'est remis. Il appelle à l'aide.
03:24 - Au secours !
03:26 Au voleur !
03:28 Alors le grand blond
03:32 se met à courir. Mais derrière,
03:34 ils sont un, deux, trois,
03:36 quatre, cinq, six, sept personnes
03:38 à lui courir après.
03:40 Devant, le grand blond
03:42 a perdu ses lunettes. Il bouscule
03:44 les passants. Il trébuche à l'angle
03:46 de la rue Richelieu. La meute derrière lui
03:48 se rapproche. Il court toujours.
03:50 Et à la faveur
03:52 de la nuit qui vient de tomber,
03:54 il disparaît dans l'obscurité.
03:56 BIM ! BIM !
03:58 BIM ! BIM !
04:00 BIM ! BIM !
04:02 Il entre dans un immeuble au 9 Boulevard des Italiens.
04:04 BIM ! BIM !
04:06 BIM !
04:08 Il monte l'escalier quatre à quatre.
04:10 BIM ! BIM !
04:12 Il s'arrête sur le palier
04:14 du cinquième étage.
04:16 BOUM !
04:18 Il s'assoit sur les marches.
04:20 Et il décide d'attendre un peu
04:22 avant de ressortir.
04:24 BIM !
04:26 BIM !
04:28 À un moment, il n'entend plus
04:30 de bruit dehors. Pas de sirène
04:32 de police au loin. Alors le
04:34 grand blond décide de tenter le coup.
04:36 Il descend jusqu'à la cour.
04:38 Merde !
04:40 Il y a un policier en tenue devant la porte.
04:42 Et un attroupement devant la loge du concierge.
04:44 Tant pis !
04:46 Il y va. Il se dirige vers la porte
04:48 lentement, calmement, l'air détaché.
04:50 Et au moment où il
04:52 passe le groupe, il y en a un qui crie.
04:54 "C'est lui !
04:56 C'est le bandit, je le reconnais !"
04:58 Et c'est reparti.
05:00 Le grand blond se met à courir vers la porte.
05:02 Le policier le voit, il dégaine
05:04 et il crie. "Prends les mains ou je tire !"
05:06 Et là, le grand blond
05:08 se retourne, il met la main dans sa poche
05:10 et...
05:12 Il a tiré au jugé
05:16 à travers son imperméable.
05:18 Et le gardien de la paix Jacques Vergne,
05:20 35 ans, veuf, père d'une petite
05:22 fille, s'écroule.
05:24 Il a reçu une balle en plein cœur.
05:26 Il est mort.
05:28 À ce moment-là, le grand
05:36 blond se remet à courir sur les boulevards.
05:38 Les gens se lancent à sa poursuite.
05:40 Lui, il a son revolver à la main.
05:42 Un homme tente de l'agripper.
05:44 Il le blesse à la nuque.
05:46 Et il poursuit sa course.
05:48 Vers le métro au riche lieu de Rouault.
05:52 Il arrive en haut de l'escalier du métro.
05:54 Il tire au hasard derrière lui.
05:56 Il descend les marches 4 à 4.
05:58 Mais en bas, la porte vitrée
06:00 est fermée. Il n'arrive pas
06:02 à l'ouvrir. Il se retrouve
06:04 claqué au sol. Il tente de se dégager.
06:06 Il tire encore deux coups de feu.
06:08 Et finalement,
06:10 il est maîtrisé.
06:12 Il est emmené sur le champ au commissariat.
06:14 Où il arrive en sang.
06:16 Il a été roué de coups.
06:18 Le gardien de la paix qui le dépose dans le hall
06:20 annonce. "Je vous amène ce gars-là.
06:22 Il a tué un collègue."
06:24 Cet homme, on ne connaît pas encore
06:32 son nom. Mais c'est un tueur
06:34 de flics. Et avouez que vous avez
06:36 un peu de mal à imaginer que dans 50 ans,
06:38 l'église catholique
06:40 va décider d'en faire un saint.
06:42 N'est-ce pas ? Un tueur de flics.
06:44 Un flic sur le carreau, c'est le patron de la criminelle,
06:54 le commissaire divisionnaire
06:56 Ferney, en personne,
06:58 qui prend la direction de l'enquête.
07:00 "Bien. Monsieur, commençons par le début.
07:02 Comment vous appelez-vous ?
07:04 Frèche.
07:06 Je m'appelle Jacques Frèche.
07:08 Et quel est votre âge ?
07:10 J'ai 24 ans."
07:12 Et d'entrée,
07:14 ce Jacques Frèche reconnaît
07:16 les faits. Mais il est très énervé.
07:18 Très énervé de s'être laissé prendre.
07:20 Sur son carnet
07:22 de commissaire note "Aucun remords.
07:24 Aucun regret."
07:26 Aucun regret.
07:28 Son comparse, lui aussi,
07:36 a été arrêté.
07:38 Il s'appelle Criquet.
07:40 "Moi, j'étais pas au courant qu'ils voulaient braquer ce monsieur-là.
07:42 Je savais pas qu'il était armé.
07:44 J'y suis pour rien, moi.
07:46 J'étais dehors."
07:48 On fait venir M. Silberstein.
07:50 Il les reconnaît tout de suite, tous les deux.
07:52 Et après, on les entasse
07:54 dans deux tractions avant, direction
07:56 le quai des Orfèvres.
07:58 La suite, c'est là-bas que ça se passe.
08:00 Et là-bas, que voulez-vous ?
08:08 Ça se passe à l'ancienne.
08:10 Un tueur de flics, pensez-vous.
08:12 On va pas lui offrir un bouquet de roses.
08:14 Et donc, le commissaire laisse d'abord jouer
08:16 ses inspecteurs. Ils ouvrent la machine
08:18 à bave. Dans ces années-là, au 36,
08:20 on a la mornifle facile.
08:22 Et après, Ferney
08:24 prend Fech entre quatre yeux dans son bureau.
08:26 "Pourquoi vous l'avez braqué,
08:28 cet agent de change ?
08:30 Je voulais de l'argent
08:32 pour m'acheter un bateau.
08:34 Je voulais partir à Tahiti.
08:36 Alors j'ai décidé d'attaquer
08:38 un changeur.
08:40 Et pourquoi vous ne vous êtes pas rendu ?
08:42 Pourquoi vous avez tiré ?"
08:44 Ben, le policier m'a fait peur.
08:46 J'ai tiré par réflexe, quoi.
08:48 Au moins,
08:50 ce Jacques Fech ne se cache pas derrière
08:52 son petit doigt. Il assume.
08:54 Il dit les choses.
08:56 Mais il n'exprime aucun regret,
08:58 sinon celui de s'être fait prendre.
09:00 Pas un mot pour la victime.
09:02 "Vous avez repéré les lieux ?"
09:04 "Ouais, hier."
09:06 "Et le revolver ?
09:08 Vous l'avez acheté quand ?"
09:10 "Je l'ai emprunté à mon père."
09:12 "Et quand avez-vous
09:14 enlevé le cran d'arrêt ?"
09:16 "Je sais plus."
09:18 "Vous avez compris qu'en posant
09:20 cette question, le commissaire Ferney
09:22 cherche à établir la préméditation,
09:24 à prouver que c'est un assassinat.
09:26 Et là, l'enjeu est très clair.
09:28 Un assassin de flic,
09:30 ça va tout droit à la guillotine.
09:32 Tout droit. Sûr et certain."
09:34 Ensuite, le commissaire
09:40 interroge lui-même Criquet,
09:42 le complice, Pierrette,
09:44 la femme de Fech, son père aussi,
09:46 à qui appartient le revolver.
09:48 Et puis voilà ! L'affaire est bouclée.
09:50 Le commissaire peut taper son rapport.
09:52 "Fech
09:56 a conçu et réalisé son projet
09:58 seul. Il a préparé
10:00 et prémédité.
10:02 Il a enlevé le cran d'arrêt de son
10:04 arme par avance.
10:06 Il avait l'intention de tuer.
10:08 Sa motivation était l'argent.
10:10 Dans cette affaire,
10:12 son complice Criquet a
10:14 un rôle secondaire.
10:16 Il s'est fait manipuler."
10:18 Voilà ! Le commissaire
10:26 a bouclé son enquête de flagrant délit
10:28 et il passe la main au juge
10:30 d'instruction, le juge Fayon,
10:32 qui sur les faits eux-mêmes
10:34 n'a plus grand-chose à apprendre,
10:36 puisque Fech a avoué
10:38 qu'il est bien parti pour l'échafaud.
10:40 Écoutez ce que dit le code pénal à l'époque.
10:42 "Le meurtre entraînera
10:44 la peine de mort lorsqu'il aura été
10:46 précédé, accompagné
10:48 ou suivi d'un autre crime."
10:50 C'est ce que je vous disais.
10:52 L'agression du changeur
10:54 plus le meurtre du gardien de la Péverne,
10:56 ça fait deux crimes.
10:58 Jacques Fech n'échappera pas
11:00 à la peine capitale.
11:02 Au fond, il ne reste au juge
11:08 qu'une seule chose à éclaircir.
11:10 Qui est ce Jacques Fech ?
11:12 Comment est-il fait ?
11:14 Quelles étaient ses motivations profondes ?
11:16 Avant tout, c'est un fils de bourgeois,
11:26 originaire de Saint-Germain-en-Laye.
11:28 Son père est banquier,
11:30 un type assez original par ailleurs,
11:32 musicien, cultivé,
11:34 mais perché, totalement perché
11:36 et pas du tout paternel.
11:38 Mère au foyer, brave et dévouée,
11:40 mais malheureuse dans son couple.
11:42 Une donnée qui a son importance,
11:44 ce Jacques Fech est plutôt beau.
11:46 Grand, blond,
11:48 les yeux bleus, les traits très fins.
11:50 Il est même très beau,
11:52 mais un peu mou.
11:54 Ses copains disent qu'il est toujours dans la lune,
11:56 absent, qu'il a l'air de s'ennuyer,
11:58 qu'il ne s'intéresse à rien.
12:06 Quand il est arrivé au lycée,
12:08 il n'a jamais vraiment posé de problème.
12:10 Mais d'après ses profs, il ne faisait rien,
12:12 si ce n'est draguer,
12:14 bambocher et courir les boîtes de jazz.
12:16 Et d'ailleurs, à la fin,
12:18 il n'a pas eu son bachot.
12:20 Il a fait son service militaire,
12:22 rien à dire, si ce n'est que c'est écrit dans son dossier.
12:24 C'est un mauvais tireur.
12:26 Pendant son service, sa petite amie,
12:28 Pierrette, tombe enceinte,
12:30 et donc il l'épouse.
12:32 C'est comme ça qu'on fait dans les années 50.
12:34 Les parents de Fèches n'apprécient pas,
12:36 car Pierrette est juive, et eux, ils sont antisémites.
12:38 Le couple s'installe donc
12:40 chez ses parents à elle.
12:42 Un temps, Jacques travaille pour son beau-père,
12:44 mais l'idiot tape dans la caisse.
12:46 Le beau-père s'en aperçoit,
12:48 alors il le met dehors.
12:50 Et Pierrette aussi, d'ailleurs, le met dehors.
12:52 Même s'ils continuent à se voir,
12:54 de temps en temps.
12:56 Bon, ce qui ressort,
12:58 c'est que c'est un immature,
13:00 comme on disait à l'époque,
13:02 absolument pas l'idée qu'on peut se faire,
13:04 dans les années 50, d'un mari
13:06 et encore moins d'un père de famille.
13:08 Et donc, le dilettante
13:18 se retrouve sans travail.
13:20 Et du coup, sa mère, sa brave mère,
13:22 qui est désespérée, lui donne
13:24 un million de francs.
13:26 "Avec ça, mon fils,
13:28 tu n'as qu'à t'acheter une entreprise de livraison.
13:30 De livraison de charbon,
13:32 par exemple. Ça paye bien.
13:34 Il faut que tu travailles."
13:36 Le voilà donc, patron.
13:38 Sauf que ce petit branleur
13:40 dépense la moitié de la somme pour s'acheter
13:42 une voiture de fonction.
13:44 Une sportive, bien sûr.
13:46 Une Simca, avec des sièges en cuir vert.
13:48 Un aspirateur à gonzesses,
13:50 comme on dirait aujourd'hui.
13:52 Assez peu utile, vous en conviendrez, pour livrer du charbon.
13:54 Entre nous, il ne livrera
13:56 jamais de charbon, hein.
13:58 En revanche, il garde la voiture.
14:00 Et c'est à ce moment-là, qu'il se met
14:02 à rêver de Tahiti.
14:04 Car il a lu le livre
14:06 d'un héros d'avant-guerre,
14:08 Alain Gerbeau.
14:10 Le premier Français à avoir fait
14:12 le tour du monde en solitaire, à la voile.
14:14 Grand défenseur, par ailleurs,
14:16 de la cause des Polynésiens,
14:18 de Tahiti.
14:26 Tout ce qu'il lui faut, un bateau,
14:28 pour aller à Tahiti.
14:30 Et il se commande un voilier, neuf,
14:32 dans un chantier naval de La Rochelle.
14:34 Et c'est là qu'il décide de braquer
14:36 une boutique de change.
14:38 C'est aussi bête que ça.
14:40 Il emprunte le revolver de son père,
14:42 et comme il ne veut pas y aller seul,
14:44 il embrouille son copain criquet.
14:46 Et vous connaissez la suite.
14:48 Jacques Fech, du haut de ses 24 ans,
14:50 est typiquement ce qu'on appelle à l'époque
14:52 un blouson doré.
14:54 C'est-à-dire un petit bourgeois décadent.
14:56 Voilà !
14:58 Voilà le portrait du zigomar qui vient
15:00 de se faire pincer, et qui, sans doute,
15:02 va finir sous la lame
15:04 de la guillotine.
15:06 Et à ce stade, vous avez toujours
15:14 un peu de mal à comprendre, comme moi !
15:16 Pourquoi dans 50 ans, l'Église catholique
15:18 va vouloir élever ce garçon
15:20 au rang de saint ?
15:22 C'est que vous ne savez pas encore tout.
15:24 Jacques Fech se retrouve à la prison
15:36 de la santé à Paris.
15:38 Une petite cellule sale.
15:40 Un lit, une table scellée au mur, un tabouret,
15:42 lever 7 heures, café noir
15:44 et pain sec pour le petit déjeuner,
15:46 et puis ménage de la cellule, et l'après-midi,
15:48 promenade une demi-heure seule
15:50 dans une petite cour.
15:52 Dîner à 18 heures, extinction des feux
15:54 à 19 heures.
15:56 On est très loin de Tahiti.
15:58 Une fois par semaine,
16:06 Jacques Fech a droit à la visite
16:08 de son avocat. Ce sont ses parents
16:10 qui payent, bien sûr, ils ont choisi le meilleur.
16:12 Maître Paul Baudet,
16:14 le ténor du barreau de Paris.
16:16 Un homme tourmenté, devenu avocat
16:18 par compassion. Ça va compter,
16:20 beaucoup. Est-ce que maître Baudet
16:22 est un peu amoureux du beau Jacques Fech ?
16:24 C'est possible, un peu.
16:26 Car maître Baudet est "inverti", comme on dit
16:28 à l'époque, et comme il vient de Bourges en Béry,
16:30 au palais de justice, on l'appelle
16:32 la "duchesse de Béry".
16:34 Mais c'est de la pure méchanceté.
16:36 Car ce qui guide profondément cet avocat
16:38 très humain, c'est sa foi.
16:40 Il est très chrétien.
16:42 Il va à la messe tous les matins.
16:44 Il a même songé à se retirer
16:46 à l'abbaye de la Trappe, dans l'Orne.
16:48 Et puis finalement, il a juste fait
16:50 vœu de chasteté. Et il a décidé
16:52 de vivre sa vocation
16:54 à travers son métier
16:56 d'avocat. D'en faire un sacerdoce.
16:58 Et donc, à chacune
17:00 de ses visites, lui et Jacques parlent
17:02 pendant des heures, des faits
17:04 bien sûr, la mort de ce policier,
17:06 mais plus largement de la souffrance,
17:08 du châtiment,
17:10 de la pénitence, de la rédemption.
17:12 Maître Baudet
17:14 pèse autant qu'il peut
17:16 sur le cheminement spirituel de Jacques Fech.
17:18 Dont il sait que sans doute,
17:20 il va finir sous la guillotine.
17:22 Et en parallèle, de retour en Célune,
17:34 Jacques se lance
17:36 dans la lecture, au moins 4 heures par jour.
17:38 Et dans l'écriture.
17:40 Il y passe toutes ses journées.
17:42 Et lui qui n'avait rien fichu au lycée,
17:44 acquiert en quelques mois une vraie
17:46 culture littéraire.
17:48 Et ce faisant, il fait un chemin
17:50 intellectuel.
17:52 En parallèle, le jeune Fech
17:58 écrit beaucoup à sa maman, qui est très croyante.
18:00 Et c'est elle qui, en octobre
18:02 54, lui fait parvenir à la prison
18:04 de la santé, un livre qui sera
18:06 déterminant.
18:08 Un ouvrage de vulgarisation sur Fatima,
18:10 un petit village du Portugal
18:12 où la Vierge Marie serait apparue.
18:14 Ce livre est une
18:16 révélation, qui l'amène à écrire
18:18 des choses comme
18:20 "à la racine du mal, de tout mal se cache
18:22 le péché, c'est-à-dire le refus
18:24 de l'amour, le refus de Dieu.
18:26 Le péché, c'est le rejet de l'amour."
18:28 Il est en train
18:30 de se découvrir
18:32 une foi. Et en mars
18:34 1955, une nuit,
18:36 il se convertit.
18:38 C'est alors qu'un cri jaillit
18:40 de ma poitrine, un appel au secours.
18:42 "Mon Dieu,
18:44 en quelques heures, j'ai possédé la foi."
18:46 Une certitude absolue.
18:48 Et là, il va voir un homme
18:54 qui lui aussi va beaucoup ronder.
18:56 L'aumônier de la prison de la santé.
18:58 Il veut se confesser,
19:00 et il veut communier.
19:02 Comme il est à l'isolement, il ne peut pas aller
19:04 à la chapelle, c'est donc l'aumônier lui-même
19:06 qui vient lui porter le corps de Christ
19:08 dans sa cellule. D'abord une fois
19:10 par mois, puis tous les quinze jours,
19:12 puis une fois par semaine, et finalement
19:14 presque tous les jours.
19:16 L'aumônier qui lui porte aussi des livres,
19:18 la Bible, bien sûr, la vie des saints,
19:20 et des ouvrages de piété de
19:22 toutes sortes.
19:24 Et puis, en plus de
19:28 l'avocat Baudet et de l'aumônier de la santé,
19:30 entre en scène un troisième homme.
19:32 Un jeune moine qui vient d'entrer
19:34 dans une abbaye bénédictine et qui
19:36 s'appelle Frère Thomas.
19:38 Un jour il lui écrit, par pure
19:40 charité chrétienne. Jacques Fech
19:42 met du temps à lui répondre.
19:44 Il le fait en avril 1956.
19:46 "Mon frère,
19:48 demandez
19:50 et l'on vous donnera.
19:52 Cherchez et vous
19:54 trouverez. Frappez
19:56 et l'on vous ouvrira.
19:58 Je suis confus de ne pas
20:00 avoir répondu à ta longue lettre.
20:02 Mais à ce moment-là,
20:04 je ne ressentais pas ce que tu m'écrivais.
20:06 Maintenant,
20:08 je crois."
20:10 Et c'est le début
20:12 d'une longue correspondance
20:14 qui va durer tout le temps que Jacques Fech
20:16 va passer en prison. Et il va
20:18 y passer trois ans.
20:20 Trois ans d'instruction. C'est plutôt long
20:22 pour l'époque. Et puis à un moment
20:24 donné, il faut le juger.
20:26 Et sur ce terrain c'est très
20:28 prosaïque, rien n'a changé.
20:30 Jacques Fech est un tueur de flics.
20:32 Il risque toujours la peine de mort.
20:34 C'est une histoire
20:44 passionnante. L'histoire de Jacques
20:46 Fech. En 1954
20:48 à Paris, au cours d'un braquage,
20:50 il tue un policier. Arrêté,
20:52 il fait en prison un chemin
20:54 spirituel. Il se
20:56 convertit. Il est condamné à mort,
20:58 exécuté. Et l'Église catholique
21:00 veut aujourd'hui en faire un saint.
21:02 Saint Jacques Fech.
21:04 Le mérite-t-il ?
21:06 Pour le débrief, j'ai invité tout à l'heure
21:08 l'avocat député Gilbert Collard.
21:10 Il lui a consacré un livre aux presses de la
21:12 Renaissance. "Assassin
21:14 avec un T".
21:16 J'ai écrit cette histoire avec Nicolas Loupien.
21:18 Réalisation Céline Lebrun.
21:20 Europain.
21:22 Christophe
21:24 Ondelatte.
21:26 Venez avec moi dans le quartier
21:30 de la Bourse à Paris, un soir de
21:32 février 1954.
21:34 Le 25. Vous voyez la Bourse ?
21:36 Le Palais-Brognard ? Juste
21:38 en face au 39 rue Vivienne, vous voyez
21:40 la boutique de change ? Le comptoir
21:42 de change et de numismatique.
21:44 Petite boutique mais bien placée.
21:46 Elle est tenue par un monsieur qui s'appelle
21:48 Alexandre Silberstein.
21:50 Il est 6h20 de l'après-midi.
21:52 La nuit est en train de tomber.
21:54 Les employés des bureaux alentours se pressent vers
21:56 le métro ou vers les bistrots.
21:58 Mais vous, vous ne quittez pas
22:00 la boutique des yeux. Parce que c'est là
22:02 que ça va se passer. Vous voyez les deux
22:04 hommes qui entrent dans la boutique ?
22:06 C'est maintenant que ça commence.
22:08 Ah !
22:10 Bonjour monsieur.
22:12 Vous venez pour les Napoléons que vous m'avez
22:14 commandé hier ? Je les ai.
22:16 Ma banque me les allivera.
22:18 Asseyez-vous, je vous en prie.
22:20 Alors, laissez-moi
22:22 d'abord vérifier le cours du jour auprès de ma banque.
22:24 Je vous fais la facture
22:26 et je vous donne les pièces.
22:28 [Bruit de clavier]
22:30 Allô ?
22:32 Oui, bonjour. Alexandre
22:34 Silberstein à l'appareil.
22:36 Pourriez-vous s'il vous plaît me donner le cours
22:38 du Napoléon Or ?
22:40 Oui.
22:42 Entendu.
22:44 Merci.
22:46 Piston !
22:48 Tu vas chercher les pièces pour ces messieurs ?
22:50 C'est là que ça bascule.
22:52 L'un des hommes sort de la boutique
22:54 et l'autre, un grand blond,
22:56 sort un revolver de sa sacoche.
22:58 Et maintenant vide ton fric ou je tire.
23:00 Allons.
23:02 Vous avez l'air raisonnable.
23:04 Je suis un ancien
23:06 combattant. Vous vous rendez compte
23:08 de ce que vous faites ?
23:10 Vous allez gâcher votre vie.
23:12 Comme réponse, bim !
23:14 Monsieur Silberstein reçoit un coup de crosse sur le crâne.
23:16 Et après, il étale
23:18 toute sa caisse sur le comptoir.
23:20 Plus vite ! Bim !
23:22 Deuxième coup sur la tête.
23:24 Et là, le maladroit fait tomber son revolver
23:26 et en le ramassant, un coup de feu part
23:28 et il se blesse lui-même
23:30 à la main gauche.
23:32 [Musique]
23:34 Pendant ce temps, monsieur Silberstein
23:36 tente d'aller se planquer dans un kajibi.
23:38 Ses igles le rattrapent et le frappent à nouveau.
23:40 Bim ! Bim !
23:42 Et Silberstein s'affaisse.
23:44 Le grand blond ramasse
23:46 tous les billets sur le comptoir.
23:48 Il y en a pour environ 300 000 francs.
23:50 Et prenant un air dégagé,
23:52 il sort de la boutique.
23:54 [Musique]
23:56 Mais entre temps, monsieur Silberstein
23:58 s'est remis. Il appelle à l'aide.
24:00 Au secours !
24:02 Au voleur !
24:04 [Bruit de moteur]
24:06 Alors le grand
24:08 blond se met à courir.
24:10 Mais derrière, ils sont un, deux,
24:12 trois, quatre, cinq, six, sept
24:14 personnes à lui courir après.
24:16 [Bruit de moteur]
24:18 Devant, le grand blond a perdu ses lunettes.
24:20 Il bouscule des passants.
24:22 Il trébuche à l'angle de la rue Richelieu.
24:24 La meute derrière lui se rapproche. Il court toujours.
24:26 [Bruit de moteur]
24:28 Et à la faveur de la nuit qui vient de tomber,
24:30 il disparaît dans l'obscurité.
24:32 [Bruit de moteur]
24:34 [Bruit de moteur]
24:36 [Bruit de bruit de moteur]
24:38 Il entre dans un immeuble au 9 boulevard des Italiens.
24:40 [Bruit de moteur]
24:42 [Bruit de moteur]
24:44 Il monte l'escalier 4 à 4.
24:46 [Bruit de moteur]
24:48 [Bruit de moteur]
24:50 Il s'arrête sur le palier du 5ème étage.
24:52 [Bruit de moteur]
24:54 Il s'assoit sur les marches.
24:56 Et il décide
24:58 d'attendre un peu avant de ressortir.
25:00 [Musique]
25:04 À un moment,
25:06 il n'entend plus de bruit dehors,
25:08 pas de sirène de police au loin.
25:10 Alors le grand blond décide de tenter le coup.
25:12 Il descend jusqu'à la cour.
25:14 Merde !
25:16 Il y a un policier en tenue devant la porte.
25:18 Et un attroupement devant la loge du concierge.
25:20 Tant pis.
25:22 Tant pis, il y va.
25:24 Il se dirige vers la porte, lentement, calmement,
25:26 l'air détaché.
25:28 Et au moment où il passe le groupe,
25:30 il y en a un qui crie.
25:32 C'est lui ? C'est le bandit, je le reconnais.
25:34 Et c'est reparti.
25:36 Le grand blond se met à courir vers la porte.
25:38 Le policier le voit,
25:40 il dégaine et il crie.
25:42 "Prends les mains ou je tire !"
25:44 Et là, le grand blond se retourne,
25:46 il met la main dans sa poche et...
25:48 [Bruit de tir]
25:50 Il a tiré au jugé
25:52 à travers son imperméable.
25:54 Et le gardien de la paix, Jacques Vergne,
25:56 35 ans, veuf,
25:58 père d'une petite fille, s'écroule.
26:00 Il a reçu une balle en plein cœur.
26:02 Il est mort.
26:04 [Musique]
26:06 [Musique]
26:08 [Musique]
26:10 À ce moment-là,
26:12 le grand blond se remet à courir sur les boulevards,
26:14 les gens se lancent à sa poursuite,
26:16 lui, il a son revolver à la main,
26:18 un homme tente de l'agripper,
26:20 il le blesse à la nuque.
26:22 Et il poursuit sa course.
26:24 [Bruit de souffle]
26:26 Vers le métro, riche lieu de roue.
26:28 Il arrive en route de l'escalier du métro,
26:30 il tire au hasard derrière lui.
26:32 Il descend les marches 4 à 4.
26:34 Mais en bas, la porte vitrée est fermée.
26:36 Il n'arrive pas à l'ouvrir.
26:38 Il se retrouve plaqué au sol.
26:40 Il tente de se dégager.
26:42 Il tire encore deux coups de feu.
26:44 Et finalement,
26:46 il est maîtrisé.
26:48 Et emmené sur le champ au commissariat,
26:50 où il arrive en sang.
26:52 Il a été roué de coups.
26:54 Le gardien de la paix qui le dépose dans le hall
26:56 annonce.
26:58 "Je vous amène ce gars-là. Il a tué un collègue."
27:00 [Musique]
27:02 [Musique]
27:04 [Musique]
27:06 Cet homme, on ne connaît pas encore son nom.
27:08 Mais c'est un tueur de flics.
27:10 Et avouez que vous avez un peu de mal
27:12 à imaginer que dans 50 ans,
27:14 l'église catholique va décider
27:16 d'en faire un saint, n'est-ce pas ?
27:18 Un tueur de flics.
27:20 [Musique]
27:22 [Musique]
27:24 [Musique]
27:26 [Musique]
27:28 Un flic sur le carreau,
27:30 c'est le patron de la criminelle,
27:32 le commissaire divisionnaire Ferney,
27:34 en personne, qui prend la direction de l'enquête.
27:36 "Bien, monsieur,
27:38 commençons par le début.
27:40 Comment vous appelez-vous ?"
27:42 "Fech."
27:44 "Je m'appelle Jacques Fech."
27:46 "Et quel est votre âge ?"
27:48 "J'ai 24 ans."
27:50 Et d'entrée, ce Jacques Fech
27:52 reconnaît les faits.
27:54 Mais il est très énervé,
27:56 très énervé de s'être laissé prendre.
27:58 Sur son carnet de commissaire, note,
28:00 "Aucun remords,
28:02 aucun regret."
28:04 [Musique]
28:06 [Musique]
28:08 [Musique]
28:10 [Musique]
28:12 Son comparse, lui aussi, a été arrêté.
28:14 Il s'appelle Criquet.
28:16 "Moi, j'étais pas au courant qu'il voulait braquer ce monsieur-là.
28:18 J'avais pas envie qu'il était armé.
28:20 J'y suis pour rien, moi.
28:22 J'étais dehors."
28:24 On fait venir monsieur Silberstein.
28:26 Il les reconnaît tout de suite, tous les deux.
28:28 Et après,
28:30 on les entasse dans deux tractions avant,
28:32 direction le quai des Orfèvres.
28:34 La suite, c'est là-bas que ça se passe.
28:36 [Musique]
28:38 [Musique]
28:40 [Musique]
28:42 Et là-bas, que voulez-vous ?
28:44 Ça se passe à l'ancienne.
28:46 Un tueur de flics, pensez-vous.
28:48 On va pas lui offrir un bouquet de roses.
28:50 Et donc, le commissaire laisse d'abord
28:52 jouer ses inspecteurs.
28:54 Ils ouvrent la machine à baffe.
28:56 Dans ces années-là, au 36, on a la mornifle facile.
28:58 Et après,
29:00 Ferney prend fèche entre quatre yeux
29:02 dans son bureau.
29:04 "Pourquoi vous l'avez braqué, cet agent de change ?
29:06 Je voulais de l'argent
29:08 pour m'acheter un bateau.
29:10 Je voulais partir à Tahiti.
29:12 Alors, j'ai décidé
29:14 d'attaquer un changeur.
29:16 Et pourquoi vous ne vous êtes pas rendu ?
29:18 Pourquoi vous avez tiré ?"
29:20 "Le policier m'a fait peur.
29:22 J'ai tiré par réflexe, quoi."
29:24 Au moins,
29:26 ce Jacques Fèche ne se cache pas
29:28 derrière son petit doigt.
29:30 Il assume, il dit les choses.
29:32 Mais il n'exprime aucun regret,
29:34 sinon celui de s'être fait prendre.
29:36 Pas un mot pour la victime.
29:38 "Vous avez repéré les lieux ?"
29:40 "Ouais, hier."
29:42 "Et le revolver ?
29:44 Vous l'avez acheté quand ?"
29:46 "Je l'ai emprunté à mon père."
29:48 "Et quand avez-vous
29:50 enlevé le cran d'arrêt ?"
29:52 "Je ne sais plus."
29:54 Vous avez compris qu'en posant cette question,
29:56 le commissaire Ferney cherche
29:58 à établir la préméditation,
30:00 à prouver que c'est un assassinat.
30:02 Et là, l'enjeu est très clair.
30:04 Un assassin de flic,
30:06 ça va tout droit à la guillotine.
30:08 Tout droit, sûr et certain.
30:10 [Musique]
30:12 [Musique]
30:14 [Musique]
30:16 Ensuite, le commissaire interroge lui-même
30:18 Criquet, le complice,
30:20 Pierrette, la femme de Fech,
30:22 son père aussi à qui appartient le revolver.
30:24 Et puis voilà,
30:26 l'affaire est bouclée.
30:28 Le commissaire peut taper son rapport.
30:30 Fech
30:32 a conçu et réalisé
30:34 son projet seul.
30:36 Il a préparé et prémédité.
30:38 Il a enlevé le cran d'arrêt
30:40 de son arme par avance.
30:42 Il avait l'intention de tuer.
30:44 Sa motivation était l'argent.
30:46 Dans cette affaire,
30:48 son complice Criquet
30:50 a un rôle secondaire.
30:52 Il s'est fait manipuler.
30:54 [Musique]
30:56 [Musique]
30:58 [Musique]
31:00 Voilà.
31:02 Le commissaire a bouclé son enquête de flagrant néli
31:04 et il passe la main
31:06 au juge d'instruction,
31:08 le juge Fayon,
31:10 qui sur les faits eux-mêmes n'a plus grand chose
31:12 à apprendre, puisque Fech a avoué
31:14 qu'il est bien parti pour l'échafaud.
31:16 Écoutez ce que dit le code pénal à l'époque.
31:18 "Le meurtre
31:20 entraînera la peine de mort
31:22 lorsqu'il aura été précédé,
31:24 accompagné ou suivi
31:26 d'un autre crime."
31:28 C'est ce que je vous disais.
31:30 L'agression du changeur plus le meurtre
31:32 du gardien de la Péverne,
31:34 le meurtre de crime. Jacques Fech
31:36 n'échappera pas à la peine capitale.
31:38 [Musique]
31:40 [Musique]
31:42 Au fond,
31:44 il ne reste au juge qu'une seule chose
31:46 à éclaircir. Qui est
31:48 ce Jacques Fech ? Comment est-il fait ?
31:50 Quelles étaient ses motivations
31:52 profondes ?
31:54 [Musique]
31:56 [Musique]
31:58 [Musique]
32:00 Avant tout, c'est un fils de bourgeois,
32:02 originaire de Saint-Germain-en-Laye.
32:04 Son père est banquier,
32:06 un type assez original par ailleurs.
32:08 Musicien, cultivé,
32:10 mais perché, totalement perché,
32:12 et pas du tout paternel.
32:14 Mère au foyer, brave et
32:16 dévouée, mais malheureuse
32:18 dans son couple. Une donnée qui a
32:20 son importance. Ce Jacques Fech est
32:22 plutôt beau. Grand, blond,
32:24 les yeux bleus, les traits très fins.
32:26 Il est même très beau,
32:28 mais un peu mou.
32:30 Ses copains disent qu'il est toujours dans la lune,
32:32 absent, qu'il a l'air de s'ennuyer,
32:34 qu'il ne s'intéresse à rien.
32:36 [Musique]
32:38 [Musique]
32:40 [Musique]
32:42 Au collège et au lycée, il n'a jamais
32:44 vraiment posé de problème.
32:46 Mais d'après ses profs, il ne faisait rien.
32:48 Si ce n'est draguer,
32:50 bambocher et courir les boîtes de jazz.
32:52 Et d'ailleurs, à la fin, il n'a pas eu
32:54 son bachot. Il a fait son
32:56 service militaire, rien à dire.
32:58 Si ce n'est que c'est écrit dans son dossier,
33:00 c'est un mauvais tireur.
33:02 Pendant son service, sa petite amie
33:04 Pierrette tombe enceinte.
33:06 Et donc il l'épouse. C'est comme ça qu'on
33:08 fait dans les années 50.
33:10 Mais les parents de Fech n'apprécient pas,
33:12 car Pierrette est juive. Et eux,
33:14 ils sont antisémites. Le couple
33:16 s'installe donc chez ses parents à elle.
33:18 Un temps, Jacques travaille pour son
33:20 beau-père, mais l'idiot tape dans
33:22 la caisse. Le beau-père s'en aperçoit.
33:24 Alors il le met dehors.
33:26 Et Pierrette aussi d'ailleurs, le met dehors.
33:28 Même s'ils continuent à se voir
33:30 de temps en temps.
33:32 Bon, ce qui ressort,
33:34 c'est que c'est un immature,
33:36 comme on disait à l'époque. Aujourd'hui, on dirait un branleur.
33:38 Absolument pas l'idée qu'on peut se faire
33:40 dans les années 50,
33:42 d'un mari et encore moins
33:44 d'un père de famille.
33:46 Et donc le dilettante
33:54 se retrouve sans travail.
33:56 Et du coup, sa mère, sa brave mère,
33:58 qui est désespérée,
34:00 lui donne 1 million de francs.
34:02 Avec ça, mon fils,
34:04 tu n'as qu'à t'acheter une entreprise de livraison.
34:06 De livraison
34:08 de charbon, par exemple. Ça paye bien.
34:10 Il faut que tu travailles.
34:12 Le voilà donc, patron.
34:14 Sauf que ce petit branleur
34:16 dépense la moitié de la somme
34:18 pour s'acheter une voiture de fonction.
34:20 Une sportive, bien sûr.
34:22 Une Simca avec des sièges en cuir vert.
34:24 Un aspirateur à gonzesses,
34:26 comme on dirait aujourd'hui.
34:28 Assez peu utile, vous en conviendrez,
34:30 pour livrer du charbon.
34:32 Entre nous, il ne livrera jamais de charbon.
34:34 En revanche, il garde la voiture.
34:36 Et c'est à ce moment-là
34:38 qu'il se met à rêver de Tahiti.
34:40 Car il a lu
34:42 le livre d'un héros d'avant-guerre,
34:44 Alain Gerbeau.
34:46 Le premier Français à avoir fait
34:48 le tour du monde en solitaire,
34:50 avec une voile.
34:52 Grand défenseur, par ailleurs,
34:54 de la cause des Polynésiens, de Tahiti.
34:56 Et donc, il lui faut
35:04 un bateau pour aller à Tahiti.
35:06 Et il se commande un voilier, neuf,
35:08 dans un chantier naval de La Rochelle.
35:10 Et c'est là qu'il décide de braquer
35:12 une boutique de change.
35:14 C'est aussi bête que ça.
35:16 Il emprunte le revolver de son père
35:18 et comme il ne veut pas y aller seul,
35:20 il embrouille son copain criqué.
35:22 Et vous connaissez la suite.
35:24 Jacques Fech, du haut de ses 24 ans,
35:26 est typiquement ce qu'on appelle à l'époque
35:28 un blouson doré.
35:30 C'est-à-dire un petit bourgeois
35:32 décadent.
35:34 Voilà le portrait du zigomar
35:36 qui vient de se faire pincer
35:38 et qui, sans doute, va finir sous la lame
35:40 de la guillotine.
35:42 [Musique]
35:48 Et à ce stade, vous avez toujours
35:50 un peu de mal à comprendre, comme moi,
35:52 pourquoi dans 50 ans,
35:54 l'église catholique va vouloir élever
35:56 ce garçon au rang de saint.
35:58 C'est que vous ne savez pas
36:00 encore tout.
36:02 [Musique]
36:10 Jacques Fech se retrouve
36:12 à la prison de la santé à Paris.
36:14 Une petite cellule sale,
36:16 un lit, une table scellée au mur,
36:18 un tabouret, lever 7 heures,
36:20 café noir et pain sec pour le petit déjeuner
36:22 et puis ménage de la cellule
36:24 et l'après-midi, promenade une demi-heure
36:26 seule dans une petite cour.
36:28 Dîner à 18 heures,
36:30 extinction des feux à 19 heures.
36:32 On est très loin de Tahiti.
36:34 [Musique]
36:40 Une fois par semaine,
36:42 Jacques Fech a droit
36:44 à la visite de son avocat.
36:46 Ce sont ses parents qui payent, bien sûr.
36:48 Ils ont choisi le meilleur,
36:50 Maître Paul Baudet, le ténor du barreau de Paris.
36:52 Un homme tourmenté,
36:54 devenu avocat par compassion.
36:56 Ça va compter, beaucoup.
36:58 Est-ce que Maître Baudet est un peu amoureux
37:00 du beau Jacques Fech ? C'est possible, un peu.
37:02 Car Maître Baudet est un verti,
37:04 comme on dit à l'époque. Et comme il vient de Bourges,
37:06 en Béry, au palais de justice,
37:08 on l'appelle la Duchesse de Béry.
37:10 Mais c'est de la pure méchanceté.
37:12 Car ce qui guide profondément
37:14 cet avocat très humain,
37:16 c'est sa foi. Il est
37:18 très chrétien. Il va à la messe
37:20 tous les matins. Il a même songé à se
37:22 retirer à l'abbaye de la Trappe,
37:24 dans l'Orne. Et puis finalement,
37:26 il a juste fait voeu de chasteté.
37:28 Et il a décidé de vivre sa vocation
37:30 à travers
37:32 son métier d'avocat. D'en faire
37:34 un sacerdoce. Et donc,
37:36 à chacune de ses visites, lui et Jacques
37:38 parlent pendant des heures
37:40 des faits, bien sûr. La mort de ce
37:42 policier, mais plus largement de la
37:44 souffrance, du châtiment,
37:46 de la pénitence, de
37:48 la rédemption.
37:50 Maître Baudet pèse autant qu'il peut
37:52 sur le cheminement spirituel
37:54 de Jacques Fech, dont il sait que
37:56 sans doute, il va finir
37:58 sous la guillotine.
38:00 Et en parallèle, de retour
38:10 en Célune, Jacques se lance
38:12 dans la lecture, au moins
38:14 4 heures par jour. Et dans l'écriture.
38:16 Il y passe toutes ses journées.
38:18 Et lui qui n'avait rien fichu au lycée,
38:20 acquiert en quelques mois
38:22 une vraie culture littéraire.
38:24 Et ce faisant, il fait un
38:26 chemin intellectuel.
38:28 En parallèle,
38:34 le jeune Fech écrit beaucoup à sa maman,
38:36 qui est très croyante. Et c'est elle
38:38 qui, en octobre 54, lui fait parvenir
38:40 à la prison de la santé,
38:42 un livre qui sera déterminant.
38:44 Un ouvrage de vulgarisation
38:46 sur Fatima, un petit village du
38:48 Portugal où la Vierge Marie serait
38:50 apparue. Ce livre est une
38:52 révélation,
38:54 il amène à écrire des choses comme
38:56 "à la racine du mal, de tout mal
38:58 se cache le péché, c'est-à-dire
39:00 le refus de l'amour, le refus de Dieu.
39:02 Le péché, c'est le rejet
39:04 de l'amour. Il est
39:06 en train de se découvrir
39:08 une foi.
39:10 Et en mars 1955,
39:12 une nuit, il se convertit.
39:14 C'est alors qu'un cri
39:16 jaillit de ma poitrine, un appel au
39:18 secours. "Mon Dieu,
39:20 en quelques heures, j'ai possédé la foi.
39:22 Une certitude
39:24 absolue.
39:26 Et là, il va voir
39:30 un homme qui lui aussi va beaucoup
39:32 ronder. L'aumônier de la prison
39:34 de la santé, il veut se

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