05 - 3e table ronde : Isoler, surveiller, soigner

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Table ronde n° 3, modératrice : Françoise HILDESHEIMER
Isoler, surveiller, soigner
Intervenants :
• Fleur BEAUVIEUX, historienne, post-doctorante à l’Institut Pasteur
• Claire BARILLÉ, historienne, maîtresse de conférences
à l’Université de Lille
• Paul-Arthur TORTOSA, historien, maître de conférences à
l’université de Strasbourg, département d’histoire des sciences
de la vie et de la santé (DHVS), faculté de médecine
• Nils KESSEL, historien, maître de conférences en histoire de la
médecine à la faculté de médecine de l’université de Strasbourg

Journée d’étude sur les épidémies et la prévention en santé publique
Mardi 21 mars 2023 à Pierrefitte-sur-Seine
Transcription
00:00 Alors c'est l'heure de la reprise.
00:03 Bienvenue à ceux qui nous ont rejoints.
00:06 Pour ceux qui étaient là ce matin, vous aurez pu apprécier le nombre de thèmes et
00:14 d'angles d'approche qu'on a développés.
00:16 Mais comme d'habitude, tout n'a pas été dit.
00:20 Et pour cette table ronde qui est intitulée Isoler, surveiller, soigner, je pense que
00:29 l'on va pouvoir se structurer à la fois chronologiquement et thématiquement en deux
00:35 ensembles.
00:36 On n'a qu'une heure et on vous laissera quelques minutes quand même pour vous exprimer.
00:41 Donc je vous propose qu'on fasse un premier tour de table sur les mesures d'isolement
00:51 et de surveillance.
00:52 Et on passera dans un deuxième temps à quelque chose qui dans la chronologie ne vient qu'en
00:58 second, c'est-à-dire le soin.
01:01 Puisqu'on a vu beaucoup de choses ce matin déjà sur l'isolement et ce qui était intéressant
01:09 sur les relations que ce qu'on a vécu récemment pouvait entretenir avec ce que les gens avaient
01:14 vécu auparavant ou dans laquelle mesure ça pouvait inciter à relire ce qui s'était
01:20 passé.
01:21 Je vous propose qu'on se concentre sur les mesures de police qui sont on va le voir
01:29 intéressantes et sur l'impact que ces mesures d'isolement et de surveillance ont pu avoir
01:35 sur la société.
01:36 Alors reprenons ce qui a été fait ce matin.
01:41 Recommençons par la ville de France qui se veut championne de l'épidémie, c'est-à-dire
01:47 par Marseille et je vais donner la parole à Fleur Beauvieux qui a travaillé sur Marseille
01:55 et j'aimerais bien si elle pouvait nous éclairer sur, j'allais dire, les implications qu'a
02:04 eu l'épidémie sur le contexte épidémique sur la société marseillaise.
02:10 En cinq minutes.
02:13 En quelques minutes.
02:15 Merci.
02:17 Donc Marseille, l'épidémie de 1720 qui est effectivement en fait un échec, ça ne marche
02:25 pas, c'est bon, qui finalement est l'épidémie échec dans le sens où l'épidémie est arrivée,
02:32 l'échec du Lazaret où l'épidémie a atteint la ville alors qu'elle n'aurait pas dû,
02:37 qui n'avait pas atteint la ville depuis 70 ans et qui est un peu l'épidémie référence
02:42 pour effectivement une mise en place de processus de surveillance assez fort pendant le temps
02:52 de peste et une multiplication des ordonnances de police si on en est simplement à la mise
02:58 en place d'un ordre urbain qui est en fait à part par rapport au temps ordinaire.
03:04 Et voilà, moi j'ai un peu vraiment travaillé sur ces questions-là, sur des archives policières,
03:10 sur des archives judiciaires qui montrent finalement la mise en place d'un ordre urbain
03:20 militare aux policiers puisque pour la première fois on nomme des militaires à la tête des
03:24 villes atteintes à ce moment-là, avec des processus de renfermement qui vont de la région
03:31 puisque la peste s'étend à la Provence jusqu'au quartier, jusqu'à la rue et avec une idée
03:36 en fait, une envie derrière ces mises en place de renfermement de limiter tout mouvement
03:43 et tout mouvement entre les gens, c'est-à-dire que les autorisations de sortie qu'on a pu
03:47 avoir pendant le Covid, elles existaient déjà à l'époque sous la forme de bulettes de
03:50 papier de santé, pardon, pour se déplacer d'un espace à un autre, une mise en quarantaine
03:55 de la ville, voilà, avec, c'est clair, je suis désolée.
04:02 Voilà, et puis des recrutements finalement d'agents temporaires, de police, qui vont
04:10 assurer un peu cet immobilisme en fait de la cité le temps en tout cas que les épidémies
04:15 passent.
04:16 C'est aussi un peu une épidémie exception dans le sens où il y a eu énormément de
04:19 morts, ce qui n'est pas le cas de toutes les pestes.
04:22 C'est aussi une épidémie d'exception parce qu'on a aussi des archives, comme on l'a
04:26 dit ce matin, absolument exceptionnelles.
04:29 Mais alors la question toute bête, toute banale qu'on doit se poser quand on a vécu
04:36 ce que nous avons vécu ces dernières années, quel rôle ont joué les hôpitaux ?
04:41 J'y vais, je continue.
04:46 Alors les rôles, alors le rôle des hôpitaux, donc rôle de renfermement de la contagion,
04:52 rôle de renfermement des malades essentiellement, structures de soins qui sont mises en place,
04:59 en urgence pour l'épidémie de Marseille puisque la peste a vraiment surpris la ville.
05:04 Et voilà, donc création de nouveaux espaces où on va enfermer les pestiférés ou en
05:14 tout cas toute personne susceptible d'avoir la peste avec finalement ce que j'avais nommé
05:19 en fait dans mes recherches, en détournant un peu les écrits de Michel Foucault sur
05:22 cette question-là.
05:23 Donc il a beaucoup écrit sur la peste, sur la lèpre, j'imagine que certains d'entre
05:26 vous ont déjà lu ces textes, avec une sorte d'exclusion inclusive des malades et donc
05:32 là des pestiférés, notamment par leur place dans l'espace urbain, c'est-à-dire que
05:37 finalement la peste est dans la ville et que l'isolement est obligé de se faire à l'intérieur
05:41 même de la cité vu que le Lazaret n'a pas fonctionné.
05:44 Donc quarantaine des habitants à la maison puis ensuite dans des structures de soins,
05:50 en tout cas de soins d'hôpitaux, dans des structures de renfermement de la contagion
05:55 liées à des maisons de santé, parce qu'il y a quand même des complexes hospitaliers
05:58 qui sont mis en place pour tenter en fait de limiter finalement la propagation de l'épidémie.
06:07 Structure de soins, point d'interrogation, on y reviendra, mais sur les hôpitaux, je
06:13 crois que Claire Barillet a beaucoup de choses à nous dire.
06:16 Alors merci, merci beaucoup Françoise.
06:19 Effectivement, l'hôpital dans l'épidémie, c'est à la fois un acteur majeur et un dispositif
06:26 pour lutter contre ces épidémies.
06:28 Fleur vient de le rappeler à propos de l'épidémie de peste de 1720, mais dès le 18e siècle,
06:34 peut-être dans la continuité de cette épidémie de peste, les hôpitaux, notamment les hôpitaux
06:40 militaires vont servir un peu de pionniers où on constate dans des villes comme Metz,
06:45 comme Besançon, qu'on isole des patients militaires atteints de maladies dont on suppose
06:50 qu'elles sont contagieuses.
06:52 Et à la fin du 18e siècle, le chirurgien Jacques Tenon rédige un ouvrage magistral
06:59 qui s'appelle "Mémoire sur les hôpitaux" dans lequel il indique qu'il vaut mieux séparer
07:05 les pavillons dans la construction même des hôpitaux pour éviter la propagation des
07:10 maladies.
07:11 Il se trouve que la grande épidémie au 19e siècle, ce n'est pas tellement la peste
07:15 que le choléra, on en a parlé un petit peu ce matin, qui fait quand même 20 000 morts
07:18 à Paris en 1832.
07:20 Et à la suite de cette épidémie, on va réfléchir, on va reprendre les travaux de Tenon pour
07:28 la construction de ces hôpitaux en pavillons séparés, programme qui sera achevé à Paris,
07:35 c'est assez clair, avec l'hôpital Larivoisière en 1854, mais également au moment de la reconstruction
07:41 de l'hôtel Dieu en 1878, enfin un petit peu plus tôt d'ailleurs, 1872 pour l'hôtel
07:47 Dieu et 1878 pour l'hôpital Tenon.
07:51 Autre étape dans la séparation des malades et l'isolement des malades dans lequel l'hôpital
07:57 joue un rôle particulièrement important, c'est la construction d'hôpitaux d'épidémies.
08:02 Alors non pas, enfin c'est dans la continuité de l'épidémie de 1832, mais ce n'est pas
08:06 en 1832, c'est plutôt à la fin du 19e siècle.
08:10 Dans les années 1880, il y a une résurgence de l'épidémie de choléra qui est une épidémie
08:16 qui atteint périodiquement l'Europe au cours du 19e siècle.
08:20 Et il se trouve qu'on va comprendre ou en tout cas appliquer ce principe d'isolement
08:26 de ces malades au moment d'une résurgence en 1884 à Paris.
08:30 On va construire des hôpitaux barraques, des hôpitaux provisoires dans la cour de
08:35 certains hôpitaux qui sont construits en dur pour isoler des malades atteints de maladies
08:40 contagieuses puisque là on sait véritablement que la théorie des germes et la découverte
08:49 des microbes fait qu'on sait véritablement que l'isolement de ces malades est le meilleur
08:55 moyen de se protéger, de se prévenir des contagiens.
08:58 Donc on voit bien qu'il y a une architecture de l'hôpital qui permet de lutter contre
09:07 l'épidémie.
09:08 On voit que l'hôpital lui-même, le monument, devient source quasiment d'archives des épidémies.
09:14 Tout à fait, d'autant qu'on a parlé des sources un peu ce matin, mais là pour le
09:18 coup on a des plans et ces plans peuvent servir aux historiens comme aux historiens de l'architecture
09:25 pour comprendre un tout petit peu comment à la fois on comprenait la contagion mais
09:30 comment aussi on essaye de mettre en dessin d'une certaine manière cette lutte.
09:36 En dehors des plans, bien évidemment, juste pour les sources, je voulais juste dire qu'on
09:42 a aussi des médecins, on en a parlé un peu ce matin, dès le Moyen-Âge, mais on a des
09:47 tests de médecine où des médecins réfléchissent dans la deuxième moitié du XIXe siècle,
09:51 avant même les découvertes de Pasteur, à un isolement des malades au sein des hôpitaux,
09:56 par salle, par sexe bien sûr, mais aussi par salle, pour essayer de limiter, pas des
10:03 infections nosocomiales, mais en tout cas le fait que des malades atteints d'une pathologie
10:09 soient atteints d'une autre pathologie à l'hôpital.
10:12 Et puis, au-delà des tests de médecine, on a bien évidemment des sources très importantes
10:18 qui sont conservées dans les archives départementales et qu'il y a une épidémie, il y a quantité
10:22 de rapports qui sont produits à la fois par les hôpitaux, mais aussi par les administrations
10:28 préfectorales, etc., qui sont pour la plupart du temps conservés dans les archives départementales,
10:34 même si aux archives nationales il y a aussi à l'échelon supérieur d'autres types d'archives.
10:40 Et puis enfin, à Paris, on a les archives de l'assistance publique qui conservent aussi
10:45 également beaucoup, beaucoup de plans d'hôpitaux et de textes réglementaires sur les épidémies.
10:52 On a une prolifération d'archives essentiellement administratives, je pense qu'on pourra s'interroger
11:00 sur sa relation avec la réalité, mais j'avais envie de demander à mon voisin de droite
11:06 si du côté de Sonitaly, il avait des précisions à apporter.
11:12 Alors, au niveau des sources administratives, on va dire officielles, on retrouve des choses
11:19 qui sont très similaires à ce qui a été décrit dans le cas français par Clerc, donc
11:23 à la fois des sources réglementaires, des sources des autorités de santé, etc.
11:27 Pour peut-être préciser l'ampleur géographique sur quoi vous...
11:30 Alors, là, ce dont je parle, c'est l'Italie de la fin du XVIIIe et du début du XIXe siècle,
11:36 plutôt la partie nord, et un point qui m'avait aussi frappé, c'était l'importance des sources
11:44 privées dans l'écriture de cette histoire des épidémies, notamment de la correspondance
11:51 des personnes qui sont sur place ou des personnes qui, au contraire, prennent des nouvelles,
11:54 des gens qui sont bloqués dans les villes contaminées.
11:58 Et en fait, ces sources-là sont principalement des sources qu'on retrouve dans les archives
12:02 de police, parce que la plupart des États mentaient sur l'état de santé de leur territoire
12:08 pour des raisons commerciales, pour ne pas être mis en quarantaine, et donc ils cherchaient
12:12 à intercepter toutes les correspondances qu'ils pouvaient trouver à ce sujet-là.
12:17 Et donc on trouve dans les archives de police des lettres qui ont été interceptées et
12:20 qui vont généralement être des lettres qui vont d'un membre d'une famille à un autre,
12:25 généralement son frère, puisque c'est une famille commerçante, en fait, disperser
12:29 les différents membres d'une fratrie dans différentes villes pour avoir à chaque fois
12:31 des pieds-à-terre dans différents endroits.
12:34 Et un dernier point à ce sujet, ce qui est frappant, je trouve, par rapport à d'autres
12:39 périodes, c'est la manière dont la peur est exprimée de manière très nette.
12:43 Contrairement à d'autres registres, on peut vouloir au contraire essayer de rassurer ses
12:47 proches.
12:48 Là, on a vraiment une expression assez forte de l'inquiétude.
12:50 Et donc on voit qu'il n'y a effectivement aucun mal dans cette société à exprimer
12:56 sa peur, son inquiétude, tant pour sa vie, du point de vue de la santé, mais aussi pour
13:00 les affaires, puisque ça fait le lien, évidemment, avec tous les enjeux économiques.
13:04 Les gens sont souvent plus inquiets pour la mise en péril des affaires familiales que
13:08 véritablement pour leur vie.
13:10 Donc là, on a une constante du lien entre affaires et santé, quelque chose que l'on
13:18 peut comprendre encore aujourd'hui.
13:20 Nils, vous avez ?
13:22 Oui, donc moi, je suis plus spécialiste du médicament.
13:26 Et donc le médicament en lui-même incarne cette ambiguïté que vous mentionnez, c'est-à-dire
13:32 c'est à la fois un remède, un thérapeutique et en même temps une marchandise, généralement
13:39 aujourd'hui de production industrielle.
13:41 Donc il y a tout un ensemble d'enjeux qui relèvent soit de la stratégie industrielle,
13:48 soit des politiques publiques et des questions d'approvisionnement de marché.
13:51 Donc de tout un ensemble de questions qui sont entre guillemets jusqu'à un certain
13:56 degré extérieur à la question clinique d'un soin spécifique.
14:01 Et c'est particulièrement marquant dans les périodes d'épidémie, puisque généralement
14:08 ce que l'on peut observer, c'est le fait qu'une fois une épidémie arrive, elle en
14:14 passe d'un point de vue des marchés, d'une période de fonctionnement plus ou moins normale,
14:19 planifiée par les entreprises, à une période d'exception qui généralement n'est pas
14:23 anticipée au niveau soit des productions, soit des canaux de distribution, soit au
14:29 niveau des paiements.
14:32 C'est-à-dire il y a des moments où la question des carences par exemple se pose comme un
14:37 problème, que ce soit en raison des difficultés de production ou de distribution.
14:42 Et bien évidemment de ces carences découlent de nouvelles inégalités sociales ou se renforcent
14:49 des inégalités sociales existantes.
14:51 Merci de nous avoir fait passer, j'allais dire, de la protection sanitaire à la protection
14:58 active du soin.
14:59 Ce qui me fait que j'ai peut-être envie de demander à Claire quand est-ce qu'elle
15:03 voit dans ces hôpitaux apparaître cette possibilité de soin ?
15:07 Par rapport aux épidémies ?
15:12 Oui.
15:13 Plus spécialement.
15:14 Plus spécialement. Alors en 1832 par exemple, très clairement, on ne sait pas du tout comment
15:20 la maladie se propage mais il y a déjà un certain nombre de recettes, plus ou moins
15:26 empiriques, qui sont utilisées au sein des hôpitaux pour soigner les patients atteints
15:31 du choléra dont la mortalité est assez rapide.
15:34 Donc ça va des fumigations jusqu'au bain, jusqu'à l'ingestion de plantes.
15:44 Donc là c'est plutôt empirique.
15:46 À la fin du siècle, alors même que le vibrillon du choléra n'est pas tout à fait encore
15:52 découvert, là on est plutôt dans le développement d'une prophylaxie qui passe non seulement
16:01 par l'antisepsie mais par l'asepsie avec le changement de blouse, des masques qui existent
16:07 dès cette époque, un isolement qui est porté vraiment à l'intérieur même de l'hôpital,
16:16 c'est-à-dire qu'on va séparer les patients, des box vont être créés et on enjoint par
16:22 exemple aux soignants de changer de blouse quand ils passent d'une chambre à une autre.
16:28 Donc je dirais que c'est plutôt la fin du 19e siècle si on voulait marquer ça.
16:33 Et puis bien évidemment il y a les traitements, les vaccins, on en a déjà un petit peu parlé
16:37 ce matin.
16:38 Alors l'hôpital n'est pas véritablement forcément le lieu de la vaccination même
16:41 s'il l'est aussi.
16:42 Mais on a aussi, alors là c'est plutôt au 20e siècle, la mise au point de médicaments,
16:48 des traitements à base de pénicilline par exemple pour la tuberculose qui vont se faire
16:51 dans les sanatoriums, évidemment un peu plus tard à partir du milieu du 20e siècle.
16:59 Je pense que Nix pourra davantage répondre que moi sur ces questions.
17:03 Je vais peut-être revenir en demandant à Fleur qui a dû trouver beaucoup de traitements
17:09 médicaux à Marseille.
17:11 Comment elle perçoit cette question ?
17:14 La question du soin.
17:17 Effectivement il y a très très peu de traitements médicaux encore au début du 18e siècle
17:23 pour traiter de la peste.
17:24 Il y a des expérimentations médicales mais chirurgicales en fait qui sont mises en place
17:29 notamment dans les hôpitaux pendant la peste de 1720.
17:33 On a pas mal de chirurgiens qui croient en fait à la contagion et qui tentent d'opérer
17:40 les bubons ou les charbons, ce qui finalement tue plus les malades que les guéris.
17:46 C'est un peu le souci mais en tout cas il y a énormément d'observations scientifiques
17:50 et médicales qui ont été faites pendant cette épidémie-là en particulier avec des
17:55 traités médicaux qui en sont sortis et qui sont assez facilement accessibles.
18:00 Après le soin en tant que tel, c'est-à-dire les médicaments, on va avoir des recettes
18:05 avec des concoctions de plantes, effectivement la terriac de l'hémothyque qui est une recette
18:10 un peu commune à ce moment-là.
18:14 Mais du coup c'est vrai que les effets sur la peste, en fait le corps médical est assez
18:20 démuni.
18:21 Si je cite là une observation d'un des médecins de la ville sur comment se prémunir
18:27 en fait ou même comment soigner la peste, il écrit "le meilleur préservatif en des
18:32 temps suspects c'est de mener une vie sobre, égale, gaie et contente, de n'user que de
18:36 bons aliments, d'être toujours en garde contre les passions de l'âme et surtout
18:41 contre ces craintes et ces frayeurs qui consent un si grand trouble, en un mot, de ne donner
18:46 dans aucun excès".
18:47 Donc c'est finalement assez…
18:50 Ça rejoint presque ce qu'on nous dit aujourd'hui, le moral c'est la moitié de la guérison.
18:57 Mais est-ce que ça suppose pas, j'allais dire cette approche, malgré tout de prendre
19:05 un soin humain du malade ?
19:06 De ne pas simplement le renfermer.
19:09 C'est là où la médecine est un peu inopérante en fait, elle est vite relayée par le care,
19:14 ce qu'on va nommer le care en sciences sociales, ce qui est attention portée aux
19:19 patients, aux autres, par d'autres, finalement par le lien humain et qui semble du coup jouer
19:27 plus un plus grand rôle à cette époque que des traitements purement médicaux et
19:32 c'est là où en fait, en tout cas moi ce qui m'intéressait dans cette recherche
19:35 était plutôt que de parler de dislocation des liens familiaux, ou de dislocation du
19:39 lien social énormément fort en temps épidémique, finalement il se maintient aussi d'une
19:43 certaine façon, même dans des moments de grande mortalité, parce que la peste de Marseille
19:47 c'est 50% de mort quand même, donc on est quand même dans des taux de mortalité extrêmement
19:53 forts.
19:54 Et on se rend compte que finalement il y a des mises en place de ce qui a été un peu
19:57 rappelé ce matin d'ailleurs, de solidarité familiale, de familles qui s'organisent
20:04 pour soigner l'un des leurs, c'est-à-dire aller acheter quelques médicaments chez
20:07 l'apothicaire, mais surtout apporter nourriture, soins et accompagnement aux mourants, parce
20:12 que si on est quand même souvent condamné de la peste, ça par contre c'est des rapports
20:18 sociaux et des sociabilités qui se maintiennent.
20:21 Alors est-ce que cette sociabilité, est-ce qu'on ne peut pas se poser la question, vous
20:29 avez peut-être un peu esquissé la chose, si ça ne peut pas s'appliquer aux médicaments
20:34 quelque part, ce rapport presque affectif ?
20:38 Oui, je pense tout à fait, parce que notre regard, et je pense que c'est particulièrement
20:44 intéressant à travers les siècles, notre regard me semble-t-il est toujours un peu
20:48 marqué par le mythe de la victoire par les antibiotiques sur les maladies infectieuses.
20:56 On sait très bien que cette victoire a été tout à fait relative, elle a été importante,
21:00 mais elle a été relative et limitée, mais surtout elle occulte un peu un élément très
21:06 important, c'est que même s'il n'y avait pas beaucoup de médicaments qui avaient un
21:11 effet causal, comme dans le cas des antibiotiques, dans un cas idéal, on n'a jamais manqué
21:19 d'une offre de médicaments, c'est-à-dire il y avait à toute époque, et particulièrement
21:24 au XXe siècle, une offre assez importante de médicaments qui, pour la plupart, n'avaient
21:30 pas besoin forcément d'être reconnus par des experts scientifiques ou médicaux et
21:35 qui ont souvent été étiquetés, souvent à raison, parfois à tort, de traitements
21:41 charlatanesques.
21:42 C'est-à-dire l'épidémie en tant que telle, en tant qu'événement qui fait peur, elle
21:46 suscite, littéralement parlé, de nouveaux marchés de l'angoisse, de la peur et de
21:54 l'espoir surtout, et donc qui permet après à des producteurs divers et variés de venir
22:01 avec des médicaments qui sont étiquetés en tant que tels, et là l'ambiguïté de
22:06 nouveau du médicament, elle arrive au premier plan.
22:09 Un médicament en fait n'est pas défini en tant que tel par quelque chose de précis,
22:15 c'est une utilisation fonctionnelle au final, et donc je peux, comme le font les médecins
22:22 de l'époque moderne notamment et des époques médiévales et antiques, et aujourd'hui encore
22:28 en partie, je peux bien évidemment transformer l'aliment en médecine et donc en médicament
22:34 pour, généralement on parlerait de remède, pour améliorer la santé.
22:38 C'est-à-dire cette ambiguïté ouvre, notamment pendant des périodes où il y a peu de médicaments
22:44 reconnus comme par exemple dans la carence de production ou dans des situations où il
22:49 n'y a pas d'alternative, ouvre de nouveaux marchés pour des producteurs divers et variés
22:55 et vous l'avez vu que cette offre florissante, on l'a pu observer notamment pendant la dernière
23:04 pandémie, puisqu'il y avait toute une offre diverse et variée de médicaments préventifs
23:11 ou prétendument curatifs du virus SARS-CoV-2.
23:18 Et dans cette perspective, médicaments, prévention, etc., comment situez-vous le vaccin ?
23:26 Merci, le vaccin il est tout à fait intéressant parce que justement on parlait ce matin, Christian
23:37 et ses collègues ont parlé beaucoup de la question justement de la confiance.
23:41 Le vaccin avec toute son ambiguïté d'être quelque chose qui est censé protéger mais
23:49 qui protège dans une population donnée et pas dans un cadre strictement individuel nécessairement.
23:56 Donc il développe une efficacité au niveau populationnel.
24:00 Cette ambiguïté-là, on la retrouve dans les angoisses et les peurs.
24:05 C'est-à-dire, on peut trouver aujourd'hui, et là on arrive aux sources, on peut trouver
24:11 des très belles sources dans les archives notamment du XXe siècle, archives publiques
24:18 mais aussi archives privées notamment de médecins, où il y a des lettres de patients,
24:26 des protestations de patients qui associent un refus vaccinal avec des thérapies dites
24:34 alternatives et d'un point de vue de l'industrie et des producteurs de médicaments, notamment
24:39 ceux qui ont été poursuivis par l'État ou par les organes de la médecine comme charlatans,
24:46 on trouvera le même type d'argumentaire.
24:48 C'est-à-dire, attention le vaccin c'est dangereux, ça ne vous sert à rien, etc.
24:53 Tandis que voici la cure qui reste pourtant individuelle.
24:57 C'est-à-dire, il y a une opposition qui peut être construite assez facilement et qui joue
25:02 sur à la fois la peur présente dans l'épidémie et l'espoir justement d'une protection maximale
25:10 que l'on peut bien évidemment comprendre.
25:11 Il me semble que l'on trouve aujourd'hui un discours analogue sur certaines ondes radio
25:16 sans grand changement.
25:19 Oui, ce sont des discours qui transcendent sans problème les époques.
25:26 Ce qui fait qu'on peut passer de là avec le vaccin à tout un aspect de résistance
25:35 des populations à beaucoup de choses.
25:37 Je prends juste une seconde la parole pour compléter ce qu'a dit Fleur pour avoir utilisé
25:43 sa très intéressante thèse récemment à l'attention de juristes.
25:48 Je me suis aperçue de quelque chose, je ne sais pas si vous avez mesuré la nouveauté
25:53 de ce que vous avez dit par rapport à la manière dont la justice a été rendue à
25:57 Marseille pendant l'épidémie.
25:59 Je ne vous apprends pas que seul le tribunal de police a fonctionné au moment de l'épidémie.
26:07 Mais vous avez là un cas à peu près unique où vous avez un tribunal d'origine municipale
26:15 qui prend le pouvoir aux civils, aux criminels en première instance et en appel, qui squeeze
26:21 complètement le parlement et qui juge souverainement ce qui est pour les juristes, m'est apparu,
26:28 un cas absolument extraordinaire.
26:31 Si vous avez l'occasion de publier, soulignez-le de trois traits.
26:35 C'est vraiment un cas étonnant.
26:38 Mais ce tribunal, finalement, il est unique, mais il n'est pas féroce.
26:45 Alors, il n'est pas féroce, c'est un peu complexe.
26:48 Parce que, bon, effectivement, c'est exceptionnel.
26:51 C'est un tribunal local, urbain, qui prend le pouvoir, mais qui prend le pouvoir sous
26:56 l'égide de la royauté.
26:57 Parce que c'est quand même un...
26:59 Le commandant militaire se retrouve...
27:02 Toute justice émane forcément.
27:04 Voilà, juge suprême, finalement, sur la question.
27:08 Donc, il y a quand même un contrôle à travers lui, en tout cas, de l'État.
27:14 Après, il y a quand même des condamnations à mort qui ne laissent pas de traces, mais
27:19 qui sont attestées, en fait, si on lit les autres sources.
27:23 Donc, là, en fait, on est dans un angle mort du droit.
27:27 Tout à fait.
27:28 On est dans un angle mort du droit où, en fait, cette justice a été mise en place
27:32 sans être complètement autorisée.
27:34 Et qui a, vraiment, dans la question de justice exceptionnelle, des condamnations à mort
27:39 qui n'auraient pas dû avoir lieu.
27:40 Donc, finalement, des archives qui ne restent pas non plus.
27:43 Mais, effectivement, on est loin, là encore, des discours, ou en tout cas, des topos littéraires
27:48 de dislocation, enfin, de temps de grands débordements sociaux.
27:52 Par exemple, il n'y a aucun meurtre.
27:54 On ne retrouve aucun meurtre.
27:55 Alors que ça pourrait être des choses qui, en tout cas...
27:58 C'est ça qui est très surprenant.
28:00 Oui.
28:01 On retrouve, finalement, des illégalismes, clairement.
28:05 C'est-à-dire des condamnations pour vol, pour non-respect des mesures sanitaires.
28:09 Et qui, en fait, en temps normal, sont simplement allées et venir d'un quartier à l'autre.
28:14 Et comme vous l'observez très bien, on brise le confinement et on le réprime par des mesures
28:20 de confinement, d'emprisonnement.
28:22 Oui, oui, oui.
28:23 Et on auto-alimente aussi, voilà.
28:26 On auto-alimente le système.
28:28 C'est très étonnant de voir ce système qui tourne en rond, finalement.
28:31 Qui tourne un peu en rond.
28:32 Parce que c'est souvent, en fait, des membres de...
28:35 Des hommes, ce qu'on appelle des hommes de confiance, en fait, qui sont recrutés par
28:40 la municipalité pour mettre en place les mesures.
28:42 Confiance relative.
28:43 Mais qui sont les premiers à pouvoir les détourner.
28:46 En Italie, est-ce que vous avez des choses qui confirment, infirment ?
28:55 Alors, on va dire la matrice générale, qui est celle de la lutte contre les maladies
29:02 infectieuses, qui ne change pas tant que ça depuis le Moyen-Âge et jusqu'à la période
29:07 moderne.
29:08 Que ce soit en France ou en Italie, ces pratiques d'isolement, des malades, enfin de séparation
29:12 des malades et des saints, et d'isolement des personnes malades, évidemment, tient
29:17 aussi.
29:18 Il y a quelques spécificités, ou en tout cas quelques traits qui me semblent importants.
29:22 Le premier, c'est l'importance des différences sociales dans la manière dont les mesures
29:28 sont appliquées.
29:29 Globalement, plus on est riche, plus on peut être soigné chez soi.
29:33 La plupart des personnes riches sont isolées, mais dans leur propre domicile.
29:38 En fait, il y a un texte de loi qui prévoit qu'on a le droit de faire la quarantaine
29:41 chez soi si, je cite, la maison est suffisamment vaste et bien aérée.
29:45 On voit quel type de domicile est éligible.
29:49 Et il faut aussi pouvoir payer deux gardes.
29:51 Et donc, il y a une situation un peu étrange où on doit payer deux personnes pour nous
29:55 surveiller.
29:56 Donc, on est employeur de nos gardes.
29:58 Ce qui, encore une fois, laisse imaginer qu'on peut s'affranchir assez facilement
30:02 de leur regard.
30:03 Donc, ça, c'est pour les personnes qui ont les plus grandes maisons.
30:05 Pour celles qui ont des maisons à la campagne, elles vont aussi pouvoir échapper à la quarantaine
30:09 si elles partent avant l'instauration de la quarantaine.
30:14 Donc, on a un phénomène d'exode assez massif.
30:16 Et généralement, les personnes vont à la campagne dans leur maison secondaire pour
30:20 se reposer.
30:21 Donc, finalement, il ne reste que les classes populaires en ville.
30:24 Et en fait, celles et ceux qui ont les moyens partent du centre-ville.
30:27 Et on a à peu près la moitié de la ville, généralement, qui va dans la ville voisine
30:31 dès qu'il y a les premiers cas.
30:33 Donc, là, c'était simplement pour poser que les mesures vont s'appliquer sur la moitié
30:37 à peu près de la population, qui est la moitié la plus pauvre, qui n'a pas eu vraiment
30:41 les ressources pour pouvoir partir.
30:42 Ensuite, ces personnes, effectivement, on va les isoler dans des hôpitaux qui vont
30:47 être construits à la hâte en périphérie de la ville.
30:50 Donc, on ne va pas utiliser le système habituel des hôpitaux.
30:54 On va les envoyer, encore une fois, dans les quartiers populaires.
30:57 On va transformer des entrepôts ou des bâtiments désaffectés en hôpitaux.
31:01 Donc, on va…
31:02 En fait, globalement, c'est plus des lieux de stockage d'humains que véritablement
31:06 de soins.
31:07 Et c'est intéressant.
31:08 Je vais juste en profiter pour faire un lien avec ce qui a été dit précédemment sur
31:13 la relative absence de traitements médicaux.
31:15 Alors, effectivement, et en même temps, je pense qu'il faut bien garder en tête
31:18 qu'il y a une profusion de traitements ou, en tout cas, de solutions non médicales.
31:22 Alors, certaines qui ont déjà été évoquées.
31:23 Une qui est peut-être celle qui vient le plus vite à l'esprit pour cette période-là,
31:28 c'est la religion.
31:29 Il va y avoir un très grand nombre de processions et un très grand nombre de conseils qui vont
31:33 être donnés par l'archevêque de Pise pour lutter contre la maladie.
31:36 Notamment, il va demander aux femmes d'arrêter de proférer des jurons.
31:40 Et donc, ça peut faire sourire aujourd'hui, mais c'est véritablement pensé comme une
31:43 mesure de santé publique.
31:44 Donc, il y en a d'autres, d'autres conseils de cet ordre-là.
31:48 Mais pour dire que les sociétés, évidemment, ne restent pas du tout à rien faire et à
31:52 être, on va dire, apathiques face à une menace qui les frapperait et face auquel
31:56 elles seraient complètement démunies.
31:57 Il y a tout un tas de choses qui sont faites.
31:58 Et il va aussi y avoir un point important et qui questionne un petit peu le monopole
32:03 du soin que ont, dans une large mesure aujourd'hui, les médecins et qu'ils n'ont pas à l'époque.
32:08 Et ce qu'on observe en Italie, c'est que, notamment, lorsque la fièvre jaune, qui
32:12 est une maladie qui est pandémique sur le continent américain, notamment dans les
32:15 Caribes, va les frapper, toutes les personnes, les aristocrates et les grands bourgeois vont
32:21 essayer de recruter des personnes noires qui traînent dans la ville parce qu'ils considèrent
32:25 que ces personnes peuvent venir d'Amérique et donc avoir une certaine expérience de
32:29 la maladie.
32:30 Ils vont choisir d'être soignés plutôt par des personnes qui, généralement, vont
32:32 être soit des esclaves, soit des personnes qui travaillent sur les bateaux et qui sont
32:36 là en escale.
32:37 Donc, encore une fois, pour dire qu'il y a aussi une défiance vis-à-vis des autorités
32:42 médicales, ou en tout cas, considère pas qu'elles soient capables de prendre en charge
32:45 la maladie.
32:46 Mais il y a tout un tas d'autres alternatives, qu'elles soient religieuses, médicamenteuses
32:50 ou encore des savoirs qui ne sont pas ceux des savoirs des médecins sur place.
32:55 Donc, voilà à peu près les éléments de comparaison et de prolongement.
33:00 Ce qui m'amène à me poser une question, au fond, c'est, distinctions sociales, comment
33:08 est-ce que l'hôpital les intègre ?
33:10 Alors, il y a effectivement des hôpitaux qui acceptent des malades payants et puis
33:18 il y a des hôpitaux pour personnes aisées, qui là, pour le coup, sont en chambre isolée.
33:25 C'est le cas notamment de l'hôpital municipal, qui s'appelle Hôpital municipal, qui est
33:33 l'ancêtre de la Maison Dubois et qui est réservé pour les couples d'un certain niveau
33:37 social qui acceptent, enfin, couple, pas uniquement d'ailleurs, qui acceptent d'avoir une sorte
33:44 de suite dans laquelle ils sont...
33:46 Ils sont cernés à peu près combien ?
33:48 Oh, c'est quelques centaines de patients, c'est vraiment très très peu.
33:53 Et puis sinon, les classes très aisées sont la plupart du temps soignées à domicile.
33:58 C'est exactement ce qu'on disait ce matin, là, depuis le Moyen-Âge, ça n'a pas changé.
34:03 Je voulais juste revenir sur ce que vous disiez tout à l'heure sur le soin à l'hôpital
34:08 et sur la façon dont ces mesures pouvaient parfois être ressenties par les patients,
34:13 notamment l'isolement.
34:14 Il me semble important de rappeler que, notamment pour les enfants, puisqu'il y a des épidémies
34:19 qui touchent beaucoup les enfants à la fin du siècle, notamment la variole, qui n'est
34:23 pas uniquement une maladie infantile, mais qui touche beaucoup d'enfants, et dans lesquelles
34:28 on fait des...
34:29 Donc on crée des structures, des hôpitaux d'épidémie qui sont destinés aux varioleux,
34:33 et dans lesquels on insiste sur l'isolement.
34:35 Et donc l'isolement, ça veut dire séparation de la famille.
34:38 Et c'est parfois difficilement ressenti par les familles qui doivent se couper de leur
34:43 enfant d'une certaine manière, mais là encore, c'est strictement appliqué.
34:47 Et même dans le courrier que les familles adressent à leur enfant, ce courrier même
34:52 passe par la désinfection.
34:53 On passe le courrier à la fumigation pour éviter la propagation des germes.
34:58 Donc tout ça pour vous dire que c'était à la fois appliqué, l'hôpital répond à
35:03 une demande sociale, mais c'était parfois au prix d'une séparation douloureuse, parce
35:10 qu'on n'en voyait pas forcément le bout, on n'en connaissait pas forcément la durée,
35:14 et en plus, on ne connaissait pas forcément l'issue de cette période d'isolement.
35:20 Et le cerveau humain ne déteste rien tant que d'ignorer ce qui va arriver.
35:25 Ce matin, on a...
35:27 Alors si vous pensez ce que vous dites tous, on a évoqué un point qu'on pourrait peut-être
35:32 reprendre.
35:33 C'est celui de l'information scientifique.
35:36 Qu'il s'agisse du médicament, des traitements, des procédures, à partir de quand l'un d'entre
35:49 vous la voit-il se mettre en place ? Claire ?
35:53 L'information scientifique par rapport au vaccin, par rapport à la connaissance de
35:59 la maladie ?
36:00 Par rapport au traitement, à la connaissance ?
36:01 En tout cas, il y a un effort très très clair après les découvertes de Pasteur sur...
36:10 On en a parlé un peu ce matin, aussi bien dans l'affichage, dans des campagnes de prévention,
36:17 des médecins qui vont dans les populations...
36:20 Claire en a parlé à propos de l'Algérie, qui vont jouer un peu le rôle d'instituteurs,
36:29 qui vont proférer la bonne parole.
36:31 On a les médecins des épidémies du XVIIIe siècle.
36:35 Exactement, exactement.
36:36 Et puis, donc je saurais difficilement dater cette...
36:41 Parce que je crois qu'il y a toujours eu une forme d'information scientifique.
36:43 Quand Joël Lechandelier disait ce matin qu'il y avait un quadrillage sanitaire au Moyen-Âge
36:51 qui était équivalent à celui du XIXe siècle, il y avait une forme de connaissance scientifique
36:56 qui était ce qu'elle était, mais qui circulait quand même au travers des populations essentiellement
37:01 urbaines, j'entends bien, mais comment ?
37:04 Là-dessus, je pense qu'il y a une connaissance empirique, en fait.
37:07 C'est-à-dire que malgré les débats entre les contagionnistes, les aéristes, etc.,
37:12 on se rend bien compte que des épidémies telles que la peste circulent.
37:15 Et en fait, on met en place des mesures qu'on ne va peut-être pas qualifier en tout cas
37:19 encore de scientifiques, mais de salubrité urbaine et autres aussi qui participent, en
37:25 fait.
37:26 On n'est pas encore dans la certitude qu'on va retrouver avec le médicament.
37:30 Oui et non.
37:33 Oui, peut-être, parfois.
37:36 Je ne pense pas que l'information scientifique, notamment dans une période d'épidémie,
37:45 soit particulièrement facile à établir à ce moment-là, parce qu'elle souffrira
37:53 du problème que dénoncent souvent aussi et critiquent souvent beaucoup de scientifiques
37:58 quand ils sont en train de faire de la recherche justement en temps de pandémie ou en épidémie
38:03 sur un sujet relatif à la maladie.
38:07 C'est que le temps de la recherche n'est pas du tout propice pour la gestion de l'épidémie.
38:15 Et ça produit ce qu'on a très bien pu observer dans la science qui est en train de se faire,
38:23 c'est-à-dire cet ensemble de caractéristiques tout à fait normaux de la recherche qui est
38:32 le temps des controverses.
38:33 C'est-à-dire, comme nous sommes tous historiens, historiennes, normalement c'est la controverse
38:42 qui anime la recherche, pas l'accord total.
38:46 Et donc, de fait, ce qui se passe pendant ces phases-là, c'est en quelque sorte cette
38:51 confrontation des deux temporalités et les difficultés qu'il y a justement à trouver
38:58 des accords.
38:59 En France, il y a eu le fameux professeur Raoult avec son exposition particulière qui
39:05 est très intéressante, non seulement par rapport au thèse qu'il a défendue, mais
39:08 plutôt par rapport à la personne, à l'autorité dont il bénéficie à ce moment-là et à
39:16 cette ambiguïté des rôles qu'il prend dans un débat public.
39:20 Et ce type de positionnement, on peut l'observer dans le passé dans beaucoup de situations
39:30 qui font controverse, mais dans la phase épidémique, elles sont bien évidemment exacerbées par
39:36 la pression du temps et par les angoisses aussi que suscitent.
39:41 Et par la formation permanente d'aujourd'hui.
39:44 Oui, en plus, c'est la question de la médiatisation et de la disponibilité des médias.
39:51 Oui, en même temps, certains mécanismes de circulation d'informations peuvent tout
39:59 à fait être retrouvés déjà dans des périodes antérieures, au moins du XXe siècle.
40:05 C'est-à-dire les mobilisations que peuvent susciter par exemple des médicaments qui
40:10 reçoivent un appui d'autorité médicale, ça pouvait solliciter déjà des mouvements
40:18 au XXe siècle.
40:19 Bien évidemment, sans que cela atteigne l'immédiateté de ce qu'on peut observer aujourd'hui.
40:27 Finalement, on est dans un choc, avec les épidémies, on est dans un choc d'autorité,
40:35 de temporalité quelque part.
40:37 Alors, ça m'amène, je vois que le temps passe, on va essayer de vous laisser la place,
40:44 de préparer vos questions cet après-midi.
40:45 Nous sommes aux archives, les épidémies, elles ont produit, on l'a vu, beaucoup, beaucoup
40:53 de documents qui, tout au moins pour ceux que l'on conserve, sont souvent des documents
41:00 administratifs.
41:01 Or, quel est l'un des grands reproches que l'on a fait récemment aux services de santé,
41:09 c'est leur côté suradministratif.
41:11 Quelle valeur, vous, en tant qu'historien, de quelle valeur vous affecteriez ces documents,
41:20 c'est-à-dire quelle marge vous mettriez entre les prescriptions qui émanent des autorités
41:26 et au fond, leur exécution dans la pratique.
41:29 Dans la mesure où l'historien, lui, il lit ces documents, faut-il qu'il les prenne
41:36 pour argent comptant au pied de la lettre, quelle marge, quelle différence avec la réalité
41:43 et cette différence a-t-elle évolué au cours des siècles ?
41:47 Fleur, qu'est-ce que vous en pensez ?
41:51 On a cinq minutes pour répondre.
41:53 Deux.
41:54 Oui, non, il y a un effet de source qui est évident et qu'il faut savoir tenir à distance.
41:59 Moi, je l'avais résolu en croisant avec des archives judiciaires qui sont finalement
42:04 l'adaptation ou non aux normes sanitaires qui sont mises en place.
42:08 Il y a un écart, en fait, après comment mesurer, finalement, la réception de la population.
42:17 C'est la question qui est là.
42:19 La réception de la population, c'est vrai que selon les périodes, on est limité.
42:23 Je vois pas mal de résistances qui sont à la fois aux mesures, mais également pouvoir
42:28 en place, croiser avec d'autres types de sources comme des poèmes de contestation,
42:35 comme des correspondances qui sont des archives finalement privées.
42:38 On a un peu plus le point de vue individuel qui se retrouve.
42:42 Je pense que c'est dans le croisement des sources qu'on peut mesurer un peu tout ça.
42:47 Dernier tour de table, Claire.
42:49 Moi, j'ai une autre piste aussi qui est de plus en plus utilisée par les historiens.
42:54 C'est parfois, même si c'est un peu aride, de mesurer l'efficacité de ces prescriptions
43:04 grâce à des sources comptables, par exemple, voir quel type de médicaments, quel type
43:09 de, je sais pas, le nombre de matelas, le nombre de blouses, de masques qui sont achetés
43:15 quand on les a, ces sources.
43:16 C'est relativement intéressant pour voir d'une certaine manière, en tout cas, la
43:20 mise en œuvre au niveau d'un établissement hospitalier, de ce que ça peut donner.
43:26 Et puis, je pense aussi que ça dépend de la période.
43:29 Là, clairement, nous, on parle de période ancienne où il y a une opinion publique,
43:35 mais qui est vraiment difficile à ressentir.
43:37 Il se trouve que j'ai travaillé récemment sur des établissements qui accueillaient
43:44 des lépreux au Japon jusqu'en 1996.
43:48 Les lépreux étaient isolés au Japon dans des lépreuseries.
43:52 Et bien, même dans une société comme le Japon, qu'on imagine quand même un petit
43:57 peu militaire, un petit peu...
43:58 Et bien, dans les années 50, il y a des mouvements d'opinion, il y a des manifestations qui prennent
44:05 la rue et qui disent que c'est un scandale et qu'il faut supprimer ces lépreuseries
44:11 d'un autre âge.
44:12 Donc je pense aussi que ça dépend...
44:13 Et elles ont survécu jusqu'à quand ?
44:15 1996.
44:16 1996.
44:17 Bien, Arthur.
44:18 Merci.
44:19 Alors, je ne vais pas revenir sur cette question du décalage entre la théorie et la pratique
44:28 que mes collègues ont déjà évoquée.
44:30 Peut-être faire un pas de côté sur comment on traite un document normatif, de toute façon
44:35 qu'on parlait, par exemple, d'un règlement en cas d'épidémie, etc.
44:38 Alors, le prendre au pied de la lettre, non, mais je pense que c'est important de le prendre
44:42 au sérieux parfois et de penser autrement.
44:44 Donc je vais donner un exemple pour essayer d'illustrer un peu ce que j'entends par ça.
44:49 Si on prend un règlement sanitaire qu'on trouve ici aux archives nationales, enfin
44:52 un règlement italien, ville du Nord, il se retrouve au ministère de l'Intérieur français.
44:58 Et une question, ça pourrait être de dire, ok, on va regarder les archives de police
45:01 pour essayer de voir est-ce qu'il était appliqué ou pas.
45:03 Mais en fait, une autre question, c'est aussi est-ce que finalement il avait vraiment vocation
45:08 à être appliqué ?
45:09 Parce que lorsqu'on a un texte de loi, on se dit, c'est forcément que le magistrat
45:13 veut qu'on obéisse à sa loi.
45:14 Et en fait, ce n'est pas toujours le cas, notamment dans le cas des règlements sanitaires.
45:18 En fait, ces documents, et ce n'est pas un hasard si on le retrouve ici aux archives
45:23 nationales, c'est que ces règlements ont été envoyés à tous les magistrats de toutes
45:26 les audivilles italiennes et à l'étranger.
45:27 Donc en fait, ce règlement, qu'est-ce qu'il a aussi comme fonction ? C'est de dire, regardez,
45:33 nous sommes en train de prendre des mesures.
45:34 Qu'elles soient appliquées réellement ou pas n'est pas l'enjeu premier.
45:38 Et d'ailleurs, pourquoi je m'appuie pour dire ça, c'est que si on regarde la correspondance
45:43 par exemple entre le gouverneur de la ville en question et son ministre de tutelle, le
45:49 gouverneur dit, mais est-ce qu'on peut lever ces mesures qui ne servent à rien ? On sait
45:51 tous, vous et moi, nous savons, messire, que ça ne sert à rien.
45:55 Et son ministre lui dit, oui, on sait très bien que ça ne sert à rien, mais c'est utile
45:59 pour les autres.
46:00 Comme ça, ils ne nous mettent pas en quarantaine.
46:01 Donc on va laisser ça encore quelques temps parce que c'est un investissement.
46:05 On paye pour un cordon sanitaire et mettre en place ces règlements.
46:08 Et ça nous donne une bonne image à l'étranger.
46:10 Donc parfois, certains règlements, effectivement, si on les regarde au prisme du décalage,
46:16 on va toujours voir un décalage entre une loi et son application, je pense que c'est
46:19 normal, mais aussi parfois simplement les prendre au sérieux et se demander quelles
46:23 sont les autres fonctions qui sont assignées à ce texte.
46:28 Et parfois, un texte de loi a beaucoup plus une fonction diplomatique, une fonction de
46:31 relation internationale, qu'une fonction de politique intérieure.
46:34 Et ça, c'est une idée que j'ai essayé de développer.
46:37 Je ne dis pas que c'est tout le temps le cas.
46:38 Je dis que c'est un prisme d'analyse qui, dans certaines conditions, est pertinent.
46:41 Ce n'est pas forcément le cas ailleurs ou à d'autres périodes.
46:43 Mais de regarder ces textes ou ces actes de politique intérieure qui semblent être
46:49 de la politique intérieure et qui, en réalité, sont de la politique extérieure et qui permettent
46:54 de faire parfois un pas de côté et de sortir de cette question de "est-ce que cette loi
46:58 est appliquée ou pas".
47:00 De la politique extérieure, voire même, on peut aller jusqu'à parler de propagande.
47:04 Et ça, on le voit parfaitement aussi jusqu'au XVIe siècle à Marseille où les intendants
47:13 de la santé laissent passer des cas flagrants avec de gros négociants, mais tomberont sur
47:20 un tout petit négociant dont ils montrent l'affaire en épingle pour voir avec quelle
47:25 sévérité on traite des affaires de la santé à Marseille.
47:28 Alors là, on a une surcorrespondance sur des cas absolument anodins, par exemple, contemporains.
47:36 Oui, en fait, je constate qu'entre la période qu'étudiait Paul Arthur autour de 1804 et
47:46 la mienne qui est plus située dans les années entre 1920 et 1990, il y a pas mal de parallélisme
47:54 parce que dans une de mes premières enchifres que j'ai étudiées autour du médicament,
47:58 c'était autour d'un scandale et d'une affaire de médicaments en Allemagne.
48:01 Justement, le secrétaire d'État chargé de la santé de l'époque disait il nous faut
48:07 absolument faire quelque chose pour montrer que lorsque le prochain scandale éclate,
48:11 qu'on aura fait quelque chose.
48:12 Donc, il y a en effet, je pense, cette logique d'anticipation aussi d'une réponse politique
48:20 ou administrative qui doit être documentée, qui doit être présentée.
48:23 Mais pour revenir à la question des sources, je pense que comme fleur, le croisement des
48:30 sources est essentiel.
48:31 Pour ma période où il y a plutôt abondance d'archives à plein de niveaux, ce sont plutôt
48:39 les archives plus difficilement d'accès qui m'intéressent parce que ce sont celles
48:44 qui sont moins consultées.
48:46 Concrètement, les archives de l'État sont relativement accessibles par rapport, par
48:54 exemple, à des archives privées, notamment d'entreprises, de pharmaciens, de médecins.
49:01 Mais dans les archives, justement, même publiques, il y a parfois encore des fonds qui sont beaucoup
49:08 moins regardés que d'autres.
49:09 C'est-à-dire ce qui m'a pas mal aidé dans mes propres recherches sur les pratiques
49:15 de consommation, notamment, c'était justement un travail qui croisait des archives d'une
49:22 entreprise privée productrice d'études de marché avec des archives d'un ministère
49:31 fédéral en Allemagne qui regardait, qui finalement, en fait, ne publiait pas grand
49:38 chose mais qui essayait de réguler les mêmes médicaments.
49:41 Et la combinaison des deux permettait après de voir, en fait, comment la gestion des risques
49:46 était de fait répartie entre acteurs de nature différente.
49:50 Et de fait, dans un cadre épidémique, par exemple, on est plus à même après de répartir
49:59 également le pouvoir, entre guillemets, qu'on attribue aux acteurs entre les différents
50:05 groupes.
50:06 Bon, je crois que vous avez vu sur ces thèmes combien, au fond, malgré notre diversité
50:16 chronologique, on pouvait conjointre les approches et se retrouver dans la longue durée sur
50:22 des thèmes qui persistent et qu'on a vécu même ces dernières années.
50:26 [SILENCE]

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