On décrypte les enjeux du climat, avec François Gemenne, professeur à HEC, président du Conseil scientifique de la Fondation pour la nature et l'homme et membre du GIEC. Samedi 21 octobre : les bons résultats du plan de sobriété énergétique.
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00:00 Zéro émission comme chaque samedi avec François Gemenne, professeur à HEC, membre du GIEC,
00:05 spécialiste des climats et migration.
00:07 François, une fois n'est pas coutume, vous arrivez cette semaine avec une bonne nouvelle.
00:10 Alors effectivement Jean-Rémi, c'est une bonne nouvelle cette semaine puisque ce sont
00:14 les résultats du plan de sobriété énergétique qui avait été lancé l'hiver dernier par
00:18 le gouvernement.
00:19 Eh bien l'année dernière, la consommation énergétique a baissé de 12%, ce n'est pas rien.
00:23 12% et vous êtes sûr que c'est vraiment grâce au plan de sobriété énergétique ?
00:27 Ce n'est pas plutôt parce que l'hiver avait été plutôt doux ?
00:30 Alors c'est sûr que l'hiver a été doux, mais les chiffres ont été corrigés pour
00:32 tenir compte de cela.
00:33 Mais bon, il est certain qu'il y a aussi d'autres facteurs évidemment qui ont joué.
00:36 D'abord il y avait la guerre en Ukraine, on importait encore massivement du gaz russe
00:41 et donc on avait l'impression de financer directement la guerre d'agression de Vladimir
00:45 Poutine quand on chauffait nos maisons et nos appartements.
00:47 Et l'effort de sobriété était donc perçu d'une certaine manière comme une forme de
00:52 contribution à l'effort de guerre ukrainien.
00:54 Et puis un autre facteur, on s'en souvient, c'était évidemment la crise énergétique
00:58 qui avait fait s'envoler les prix de l'énergie et pour beaucoup de ménages et d'entreprises,
01:02 les factures devenaient tout simplement impayables.
01:04 Et donc baisser sa consommation d'énergie, c'était avant tout faire baisser sa facture.
01:08 Et puis on avait aussi un peu peur de manquer d'énergie, disons-le François.
01:11 Et bien oui, c'est le dernier facteur que je voulais mentionner.
01:13 Partout on disait que la réservoir était à sec, la production des centrales nucléaires
01:18 était en berne à cause de problèmes de maintenance.
01:20 Et on craignait un gigantesque blackout si la consommation était trop importante.
01:24 Et donc la sobriété était présentée comme un effort patriotique.
01:28 Alors aujourd'hui, alors qu'on rallume le chauffage pour l'hiver, la situation
01:32 évidemment est complètement différente.
01:34 On ne craint plus de rupture d'approvisionnement, les réservoirs sont pleins, on s'est défait
01:37 de notre dépendance au gaz russe et surtout les prix de l'énergie, même s'ils restent
01:41 hauts, se sont heureusement éloignés des sommets de l'an dernier.
01:44 Et donc vous pensez que la consommation pourrait repartir à la hausse ?
01:47 Et bien tout le risque est là bien sûr.
01:49 L'an dernier, la sobriété a souvent été présentée comme un effort à réaliser pour
01:53 passer l'hiver.
01:54 Est-ce que ce qui apparaissait vrai comme l'an dernier et comme un effort passager
01:59 peut vraiment s'installer dans la durée ? Et en fait ça revient à se poser cette
02:01 question.
02:02 Dans la baisse de consommation qu'on a enregistrée, quelle était la part qui était motivée
02:06 par le changement climatique et quelle était la part qui était motivée par d'autres
02:10 facteurs ? C'est assez difficile à dire parce que l'hiver dernier, la conjonction
02:13 des facteurs était évidente.
02:14 La préoccupation pour la fin du monde rejoignait brutalement la préoccupation pour la fin
02:19 du mois.
02:20 Mais quand sera-t-il cet hiver ? Alors la recherche montre que beaucoup de changements
02:26 de comportement sont en fait motivés par les co-bénéfices que nous en retirons plutôt
02:31 que par la baisse de notre emprunte carbone.
02:32 Attendez, les co-bénéfices, on parle de quoi ?
02:34 Alors on parle ici des avantages collatéraux qu'on va pouvoir trouver à un changement
02:38 de comportement.
02:39 Par exemple, beaucoup des automobilistes qui préfèrent aller au travail en vélo plutôt
02:43 qu'en voiture, ne le font pas tellement pour baisser leur emprunte carbone mais plutôt
02:47 pour faire un peu d'exercice ou pour ne pas perdre de temps dans les embouteillages.
02:50 Et puis parce que ça fait du bien.
02:51 Parce que ça fait du bien, parce qu'ils sont contents.
02:53 Pareil pour ceux qui choisissent de changer de moins de viande, ils le font avant tout
02:56 pour avoir un régime alimentaire plus sain, pour diminuer le risque de maladies cardiovasculaires,
03:00 etc.
03:01 La baisse de l'emprunte carbone en fait ce n'est pas la motivation première.
03:04 Un exemple type, c'est Toyota.
03:06 Vous savez comment Toyota est devenue leader du marché automobile américain Jean-Rémi ?
03:09 Dites-nous François.
03:10 Alors c'est une histoire intéressante.
03:12 C'est grâce à la Prius qui est son modèle de voiture hybride.
03:15 C'était, on s'en souvient, une des premières voitures hybrides qui existait sur le marché
03:20 et les américains se sont rués dessus.
03:22 Alors les constructeurs américains comme Ford et General Motors, évidemment, avaient
03:26 aussi développé des modèles hybrides.
03:28 Mais la différence, c'est que ces modèles hybrides n'étaient pas aussi reconnaissables
03:32 que la Prius qui avait un design très particulier, très reconnaissable et qui n'existait qu'en
03:37 version hybride.
03:38 Alors qu'à l'inverse pour les modèles américains, il fallait soulever le capot,
03:42 regarder le moteur pour voir que c'était un modèle hybride.
03:44 Et pour les consommateurs américains, ce qui comptait, c'était évidemment de rouler
03:49 dans une voiture plus écologique, mais surtout de le montrer.
03:53 De s'assurer que dans la rue ou sur le parking de leur entreprise, tout le monde pouvait
03:57 voir comme ils étaient écolo et vertueux.
04:00 C'est ce qu'on appelle en marketing le "virtue signaling", c'est-à-dire le signalement
04:04 de vertu.
04:05 Alors est-ce que vous pensez que les gens vont inviter leurs voisins à dîner cet hiver
04:08 en leur disant "tiens regarde, t'as vu, je chauffe à 19, je suis écolo".
04:11 Sincèrement, je ne pense pas que ça ira jusque-là.
04:14 Mais c'est sûr que si on veut que la sobriété s'installe dans la durée et ne soit pas
04:17 juste un effort temporaire, il va falloir montrer aux gens pourquoi ils ont intérêt
04:22 à la sobriété.
04:23 Et donc il va falloir la présenter positivement et non comme un effort réalisé.
04:27 Rendre ça cool quoi d'une certaine manière.
04:28 Exactement.
04:29 Et donc paradoxalement, la communication sur l'effort de guerre qui avait bien fonctionné
04:32 l'an dernier, elle risque de nous revenir dans la figure comme un boomerang cet hiver.
04:36 Surtout si l'hiver est rigoureux.
04:38 Oui, parce qu'il va falloir clairement donner aux gens des envies de sobriété.
04:42 Et là, ça ne va pas être évident.
04:44 Et c'est là où les signaux symboliques vont être très importants.
04:47 Par exemple, la décision récente de l'équipe de France de football de réaliser certains
04:52 déplacements en train plutôt qu'en avion va clairement dans ce sens-là et c'est une
04:55 bonne nouvelle.
04:56 Mais on attend toujours la fin des cortèges de voitures sirènes hurlantes avec escorte
05:00 de police dans Paris, dès qu'un ministre doit effectuer un déplacement.
05:03 Un exemple parmi d'autres.
05:05 Merci beaucoup François.
05:06 On se retrouve la semaine prochaine, zéro émission chaque samedi sur France Info et
05:09 France Info.fr.
05:10 7h56 sur France Info, il fait 12 degrés à Paris.
05:14 C'est mon budget avec la Carac, mutuelle d'épargne et de retraite engagée.