• il y a 2 ans
« Je passais mes journées tout seul dans la cour de récré, je me faisais emmerder, mais voilà, c’était comme ça. » De l’école, Pierre Bonneyrat ne retient pas des heures de jeu avec des amis ou des cours passionnants, son expérience se résume plutôt à de la solitude, des coups et des insultes.
Dans cette vidéo, Pierre Bonneyrat revient sur son harcèlement scolaire, les séquelles sur sa vie d’adulte et son combat au sein de l’association «Marion La Main Tendue».

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Transcription
00:00 Pour moi, c'était la vie de tous les jours, d'être la victime des autres.
00:05 Je m'appelle Pierre Bonnerat,
00:09 et j'ai été victime pendant la majeure partie de ma scolarité,
00:12 de la fin des années 90 au début des années 2000, du harcèlement scolaire.
00:16 Le harcèlement scolaire, ça a commencé très tôt.
00:24 Ça a même commencé, je dirais, dès l'entrée à l'école.
00:28 J'ai eu des soucis de santé,
00:30 et j'avais une tête un petit peu plus grosse que celle des autres,
00:37 à cause de ces soucis.
00:39 Et assez rapidement, un de mes surnoms, à partir de la fin de la maternelle,
00:47 début de la primaire, ça a été "Grosse Tête".
00:49 Et encore aujourd'hui, quand je dis ça, "Grosse Tête",
00:54 ça me fait mal parce que c'est un truc qui m'a suivi pendant des années, des années, des années.
00:59 C'est hyper humiliant, c'est extrêmement dégradant.
01:03 Je dirais qu'à partir de la primaire, ça a commencé à s'accélérer.
01:06 C'était les premiers surnoms, c'est là que "Grosse Tête" a commencé à arriver.
01:11 C'est les premiers vols de goûter, les premières écharpes, les premiers gants, les premiers bonnets,
01:17 qu'on s'amuse à se balancer comme ça à travers la cour et à me voir courir après.
01:23 Et puis au milieu de la primaire, je crois que c'était à la fin du CE2,
01:26 j'ai déménagé et je suis allé dans la ville d'en face.
01:28 Et ça m'a suivi.
01:32 C'est-à-dire que j'ai beaucoup, beaucoup de mal à me faire des copains.
01:35 Mes copains de l'école primaire d'avant restent à l'école primaire d'avant et je me retrouve encore plus seul.
01:40 Et là, je commence à passer des récréations entières à aérer dans la cour.
01:46 Je me souviens notamment du temps du midi où, après la cantine, on reste pendant une heure dans la cour de récré.
01:52 Et là, c'est une heure tout seul, tous les jours, à attendre que le temps passe.
01:57 Et ça commence à devenir difficile.
02:01 Quand je suis arrivé au collège, je dirais que c'est là que le harcèlement scolaire a empiré.
02:05 Il n'y a pas une seule fois, je crois, en cinq années de collège, parce que j'ai redoublé la troisième,
02:10 où je n'ai pas mangé seul à la cantine.
02:17 Ça m'est arrivé parfois qu'on balance des petits pois d'une table vers l'autre,
02:22 ou qu'on vide son verre d'eau dans mon assiette.
02:26 Il y a des endroits comme ça au collège où le harcèlement est légion,
02:33 par exemple, je pense aussi au vestiaire d'EPS, où là, il n'y a aucun adulte.
02:38 Donc, c'est nos limites.
02:41 Je me souviens d'une fois où je me suis pris des baffes, il y avait un mec qui voulait mettre des balayettes,
02:46 où il y a des mecs qui me menaçaient avec un briquet et un déo en spray,
02:51 et qui me menaçaient de me brûler.
02:54 Je me souviens aussi de trucs qui ont pu m'arriver dans les toilettes du collège,
03:00 où ma trousse a fini peut-être deux, trois fois dans le trou de l'échiotte.
03:05 Et puis, toujours les vols d'affaires dans la cour de récré,
03:11 les cailloux qu'on me balance comme ça de loin.
03:14 Tiens, d'ailleurs, il y a une anecdote dont je me souviens particulièrement.
03:17 Un jour où j'étais en rang, il y a un collégien qui est au bout du rang,
03:22 qui me balance un caillou comme ça, de loin en plus, de plusieurs mètres,
03:26 et qui atteint ma tête de derrière.
03:30 Et donc, je m'en plains, forcément, un surveillant.
03:37 Chose assez étonnante, l'élève qui m'a balancé le caillou a été puni,
03:45 mais moi aussi.
03:47 Je me suis pris trois heures de colle un samedi matin,
03:49 parce que, je cite le surveillant, "on ne balance pas".
03:53 Voilà, c'est ça aussi le harcèlement scolaire.
03:56 C'est parfois les adultes qui participent.
03:59 Moi, j'en veux beaucoup, par exemple, à mes professeurs,
04:02 parce qu'il se passait aussi des choses dans les salles de classe.
04:05 Parfois, il y avait des insultes qui fusaient,
04:08 une grosse tête qui revenait pas mal.
04:11 Parfois, je me prenais des petits taquets derrière la tête,
04:15 je me faisais voler des affaires, en classe.
04:19 Et les profs, je ne comprends pas comment ils ont pu ne pas le voir.
04:24 Et même encore aujourd'hui, je ne comprends pas comment un professeur
04:27 peut ne pas voir et ne pas entendre qu'un élève est victime de harcèlement scolaire.
04:31 Pour moi, c'est carrément de la mauvaise foi, en fait.
04:36 Je ne comprends pas. C'est quelque chose qui me met vraiment hors de moi.
04:40 En parallèle aux dernières années du collège et aux premières années du lycée,
04:46 j'écoutais une émission de radio qui passait le soir,
04:49 qui était une émission de libre-antenne qui s'appelait "Les filles du Mouv",
04:52 sur la radio "Le Mouv", qui était animée par Émilie Mazoyer.
04:55 D'ailleurs, je lui dois une fière chandelle.
04:57 J'ai commencé à passer toutes les semaines dans cette émission.
05:00 Et pour cette émission de radio, il y avait un forum de fans qu'on appelait "Les émouvues".
05:05 Et de temps en temps, il y avait des rencontres entre émouvues dans Paris.
05:11 Et c'est là que j'ai commencé à me faire mes premiers vrais potes d'adolescence,
05:14 à partir de mes 13-14 ans.
05:16 En fait, ça m'a sauvé parce qu'il y a des moments où j'ai commencé à avoir des idées noires
05:25 qui me traversaient l'esprit.
05:26 Je ne pense pas que je serais allé au bout, quoi qu'il en soit,
05:30 mais j'avais toujours mes potes.
05:33 J'avais des potes.
05:34 En fait, sur le moment, le harcèlement scolaire, je le vivais pas mal.
05:40 Parce que...
05:42 Enfin, je crois que je le vivais pas mal parce que c'était mon quotidien, en fait.
05:45 C'était tous les jours, que j'étais tout seul,
05:48 que j'étais soit mis à l'écart volontairement de moi-même,
05:53 soit mis à l'écart par les autres.
05:55 Donc, en fait, c'était comme ça et j'en accommodais, quoi.
05:59 Je passais mes journées tout seul dans la cour de récré,
06:03 je me faisais emmerder, mais voilà.
06:05 C'était comme ça, quoi.
06:07 Pour moi, c'était la vie de tous les jours, quoi,
06:11 d'être la victime des autres.
06:13 On ne parlait pas du harcèlement scolaire à l'époque.
06:19 Il n'y avait pas cette expression, harcèlement scolaire.
06:21 Ça fait une dizaine d'années qu'elle existe,
06:22 mais moi, j'étais au collège il y a plus de 15 ans,
06:24 donc on ne savait pas, quoi.
06:26 Je ne savais pas que ça existait,
06:27 qu'il y avait d'autres élèves qui se faisaient emmerder.
06:29 Et ça m'aurait peut-être aidé de savoir que je n'étais pas tout seul.
06:36 En fait, j'ai commencé à prendre conscience
06:38 du fait que je subissais du harcèlement
06:43 et que ça me faisait souffrir
06:45 quand je suis devenu adulte, je dirais à partir de mes 18 ans.
06:49 Et là, j'ai commencé à souffrir des séquelles du harcèlement scolaire,
06:56 du manque de confiance en moi,
06:58 parce qu'il y a cette obligation quand on est adulte
07:01 de s'assumer personnellement, physiquement,
07:09 du côté affectif, du côté professionnel, etc.
07:12 Et moi, j'avais beaucoup de mal avec ça.
07:18 Je ne sais pas quoi faire de mon corps.
07:20 Je ne sais pas gérer mes bras,
07:24 ma façon de marcher, ma façon d'évoluer dans l'espace.
07:28 On ne s'imagine pas que le harcèlement scolaire,
07:30 ça peut avoir des conséquences jusque-là.
07:32 Pourtant, je crois que c'est le cas.
07:36 Il y a, je crois, trois ans de ça,
07:39 j'ai décidé de rejoindre une association
07:41 qui lutte contre le harcèlement scolaire
07:43 qui s'appelle Marion la Main tendue.
07:44 Quand je suis entré dans l'association,
07:46 je me suis totalement reconnu en ces élèves
07:49 que je croisais de temps en temps
07:51 dans les collèges et les lycées,
07:54 parce que c'est leur vie que j'ai vécue.
07:58 J'ai reconnu immédiatement l'ambiance des collèges,
08:02 l'ambiance des cours de récré,
08:04 parfois même où on était invité à déjeuner à midi,
08:07 je retrouvais ce qui se passait dans le réfectoire,
08:12 le chat-hue, quand un élève fait tomber son plateau
08:17 et tout le monde l'applaudit.
08:20 Et parfois, je voyais des élèves qui se faisaient emmerder,
08:26 des élèves qui étaient un peu exclus,
08:28 des bagarres qui se formaient, c'est arrivé,
08:31 dans les cours de récré.
08:33 Et je me suis dit en fait, mais ça n'a pas changé,
08:37 c'est toujours pareil.
08:38 Il y a 15-20 ans qui sont passés,
08:41 c'est toujours la même chose.
08:43 Quand je vois l'actu autour du harcèlement scolaire,
08:47 je me dis que déjà on a fait un progrès,
08:49 c'est qu'on en parle.
08:51 Parce qu'à mon époque, il y a 15-20 ans de ça,
08:55 l'expression harcèlement scolaire n'existait pas du tout.
08:58 Et alors dans les télés, les radios et tout,
09:02 au JT, on n'en parlait pas.
09:06 Mais ça me renvoie aussi à ces années-là,
09:10 et à la solitude que j'ai pu vivre.
09:15 Et je me souviens de tout ce qui s'est passé,
09:20 et je me dis que c'est infernal, ça ne s'arrêtera jamais.
09:25 Ça ne s'arrêtera jamais.
09:27 Alors je vois que là, très récemment,
09:30 il y a quelques jours, il y a eu des avancées concrètes
09:33 qui ont été proposées.
09:35 Ça faisait longtemps qu'il n'y avait pas eu des idées comme ça
09:40 poussées au plus haut du gouvernement.
09:42 Et je me dis que c'est bien que ça aie lieu.
09:45 C'est bien qu'il y ait enfin une prise de conscience
09:48 au niveau du ministère de l'éducation nationale.
09:50 Alors je ne sais pas si ce sera la solution définitive,
09:59 mais en tout cas, c'est bien.
10:03 Et ça va faire du bien aux élèves,
10:05 et on va peut-être sauver des vies grâce à ça.
10:07 Parce que c'est de ça qu'il s'agit en fait.
10:09 C'est de sauver des gamins.
10:12 [musique]

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