Affaire Duhamel, un si long silence

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00:00 Quelques jours avant de quitter le pouvoir, le président de la République François Hollande
00:15 a pris le temps de rejoindre un vieux camarade, Olivier Duhamel.
00:21 Autour d'eux, reprenant un champ révolutionnaire cubain, des journalistes vedettes, des anciens
00:28 ministres, des intellectuels.
00:30 Ils sont tous là pour rendre hommage à l'épouse d'Olivier Duhamel, l'écrivaine Evelyne
00:37 Pizier, décédée deux mois plus tôt.
00:38 Dans l'assistance, on trouve aussi les enfants d'Evelyne Pizier qu'Olivier Duhamel a élevés,
00:47 Julien, Victor et Camille Kouchner, qui depuis la mort de sa mère, mûrit un projet dévastateur
00:53 pour son beau-père.
00:54 C'est une accusation de v**** d'inceste qui vise le politologue très médiatique Olivier
01:12 Duhamel.
01:13 Le 5 janvier dernier, dans un livre, Camille Kouchner raconte l'inceste, les v**** qu'Olivier
01:18 Duhamel aurait imposé à son frère jumeau Victor à l'âge de 14 ans.
01:22 Pour Olivier Duhamel, c'est le début de la chute.
01:28 L'homme de pouvoir se terre désormais entre son appartement parisien et sa résidence
01:33 secondaire dans le sud de la France.
01:35 Quatre mois après la sortie du livre, c'est là que nous avons tenté de lui parler.
01:40 - Bonjour.
01:41 Nous le découvrons dans cette voiture côté passager.
01:45 - Bonjour, excusez-moi.
01:46 Bonjour, Monsieur Duhamel.
01:47 Éric Léniche, je travaille pour l'émission Complément d'enquête sur France 2.
01:51 Je pourrais vous parler ou pas ?
01:52 Deux minutes, c'est juste pour savoir...
01:56 Je vous avais contacté par mail, je sais pas si vous l'aviez eu.
02:01 Bon, d'accord, merci.
02:02 La voix faible, le visage défait, Olivier Duhamel est désormais seul ou presque.
02:07 Il aurait reconnu une partie des faits, même si son avocate n'a pas voulu s'exprimer.
02:12 C'est la fin d'un secret qui aura mis 30 ans à voler en éclat.
02:17 - Duhamel, le soir, avant d'aller se coucher dans le même lit que sa femme, il passait
02:25 par la chambre de Victor et qu'il y avait cette pratique sexuelle qui l'imposait.
02:31 - Olivier lui disait qu'il voulait l'aider, qu'il voulait lui apprendre que ça se faisait,
02:35 que ça pouvait lui donner confiance en lui, etc.
02:38 Donc, à 14 ans, c'est pas facile de savoir exactement ce qui se passe.
02:42 L'histoire d'une famille brisée par l'inceste.
02:47 Une famille recomposée au croisement des pouvoirs.
02:51 Les 3 enfants Kouchner, Julien, Victor et Camille, sont nés de l'union de l'ancien
02:58 ministre Bernard Kouchner et de l'écrivaine Evelyne Pizier.
03:02 En 1981, Evelyne Pizier quitte Bernard Kouchner pour le professeur de droit Olivier Duhamel.
03:09 Ensemble, ils adoptent 2 enfants d'origine chilienne, Aurore et Simon.
03:14 Pour la 1re fois depuis la sortie du livre de sa soeur, Aurore, la fille d'Olivier Duhamel,
03:20 s'exprime publiquement.
03:21 - J'ai décidé très clairement de...
03:27 De soutenir mon père à ma manière.
03:30 - C'est quoi, votre manière ?
03:32 - C'est de rester sa fille et d'être là quand il a besoin de moi.
03:38 Parfois, il y a des gens très bien qui peuvent faire des choses monstrueuses.
03:42 Alors, est-ce que mon père est quelqu'un de très bien ?
03:46 Ça, je sais pas.
03:47 Est-ce qu'il a fait quelque chose de monstrueux ?
03:49 Ça, c'est...
03:51 - Vous pensez que c'est le cas ?
03:52 - Si c'est ce qui s'est passé, oui.
03:55 - Mais vous préférez ne pas savoir si c'est vrai.
03:57 - Pour qu'il reste mon père et mon repère, j'ai pas besoin de savoir ce qui s'est passé.
04:06 - Olivier Duhamel, qui est professeur de droit public à l'université...
04:10 Olivier Duhamel, c'est d'abord un jeune homme pressé à qui tout réussit.
04:13 Il fait ses premières armes à la télévision, ce soir-là,
04:17 aux côtés d'un autre Duhamel, Alain, le journaliste.
04:20 - Vous êtes parent, vous ?
04:22 - Pas du tout.
04:22 - Non, vous êtes...
04:23 - Non, pas du tout.
04:23 - Aucune parenté ?
04:24 - Aucune parenté.
04:25 Moins célèbre qu'Alain, Olivier se fait vite un prénom,
04:28 comme écrivain et éditorialiste.
04:31 - Je crois qu'il y a des moments où l'homme politique,
04:33 tout au moins s'il est digne et courageux...
04:35 - Doit...
04:36 - Doit aller au-delà parce qu'il pense que ça correspond à un intérêt supérieur.
04:39 - Et s'il ne le fait pas, les médias...
04:40 Invité depuis 30 ans sur toutes les chaînes pour donner son avis,
04:44 par exemple sur la vie privée des hommes politiques.
04:47 - Mais comment ?
04:48 Vous êtes père de famille, ministre de l'Education nationale,
04:50 et on sait que vous avez eu une maîtresse tel jour avec telle personne.
04:54 Ça ne fait progresser en rien le débat public.
04:56 Un redoutable battleur pour l'un de ses contradicteurs attitrés,
05:00 Christophe Barbier.
05:01 - Olivier Duhamel, il aimait ça.
05:03 Il aimait la scène.
05:04 Il aimait le petit écran avec...
05:06 Il avait adapté sa logomachie.
05:08 Il n'était pas professeur à la télévision, il était vulgarisateur.
05:10 C'était toujours agréable, c'était vivant, c'était drôle.
05:13 Il était aussi dans la recherche de l'aura du professeur.
05:16 C'est un homme d'amphithéâtre, comme souvent les juristes, d'ailleurs,
05:18 quand ils ne sont pas avocats, ils sont profs avec des effets de manche.
05:21 À droite comme à gauche, Olivier Duhamel murmure aux oreilles des politiques,
05:26 des présidents de la République, des premiers ministres, des chefs de parti.
05:32 Il partage même des moments intimes avec eux.
05:34 Par exemple, quand François Hollande l'invite dans sa maison de vacances.
05:38 Il séduira son successeur, Emmanuel Macron,
05:41 qui le convie au restaurant La Rotonde pour fêter sa victoire du premier tour.
05:45 Il a même été élu du Parti socialiste, député européen pendant 7 ans.
05:51 Sur la liste ou ironie de l'histoire, figurait aussi Bernard Kouchner,
05:56 le père de Camille et Victor.
05:58 - La solidarité, c'est la vraie raison pour laquelle,
06:00 avec Bernard Kouchner, j'ai rejoint la liste de Michel Rocard.
06:03 La solidarité, c'est trois choses, essentiellement.
06:06 La justice pour tous, la parité pour les femmes, la paix pour nos enfants.
06:09 - Décidez-vous, c'est le destin de notre France et de nos enfants qui est en cause.
06:13 Chaque été, Olivier Duhamel reçoit ses amis dans l'immense propriété familiale
06:20 de Sanary, dans le Var.
06:21 Un domaine de 6 hectares dont lui et ses deux frères ont hérité.
06:27 Trois villas, trois piscines et un terrain de tennis
06:30 sous les cyprès des Oliviers.
06:32 Sanary, c'est un peu le village Duhamel.
06:39 Une charmante station balnéaire avec sa médiathèque Duhamel
06:44 et son rond-point Duhamel.
06:46 Un hommage au père d'Olivier, deux fois ministre sous Pompidou.
06:49 Depuis 40 ans, Olivier y réunit ses proches.
06:56 La familia grande.
06:57 Les invités viennent à Tour de Rôle pour une semaine.
07:02 Parmi eux, dans les années 80, la productrice Sylves Desmeuse.
07:08 - Il y avait un brassage, effectivement, de gens.
07:16 On venait pour trouver ces gens très, très intéressants, très charmants.
07:20 Et puis, on menait sa vie, sauf pendant les repas, on menait la vie qu'on voulait.
07:25 Sur la plage, la ville, faire le marché.
07:27 Il y avait des gens qui avaient du pouvoir, d'autres qui n'en avaient pas,
07:30 mais toujours des gens intéressants, quand même.
07:31 Des gens cultivés, essentiellement des gens quand même cultivés.
07:35 Parmi les gens cultivés, on croise des intellectuels comme Luc Ferry
07:41 ou Alain Finkelkraut.
07:43 Des avocats comme Jean Veil, fils de Simone Veil et ami d'enfance d'Olivier Duhamel.
07:49 Des politiques comme la socialiste Martine Aubry.
07:54 Ou encore des artistes comme le célèbre costumier Christian Gasque.
07:58 Allongé 35 ans plus tôt au bord de la piscine où règne une atmosphère de liberté.
08:04 - C'était l'époque, quand même.
08:08 C'était normal, c'était après Katmandou, enfin.
08:11 Et c'était même très, très pudique.
08:13 J'avais toujours un voile de qui je me levais.
08:16 Quelque chose qui... - Ah, d'accord.
08:17 - Bah oui, quand même.
08:18 Derrière l'image "Peace and love" de Sanari,
08:22 Olivier Duhamel dissimule-t-il un personnage plus sombre ?
08:26 Ici, pendant les vacances, il aurait abusé de son beau-fils à de nombreuses reprises.
08:32 C'est ce que nous affirme une amie de Victor à qui nous avons parlé.
08:36 Nous retranscrivons ses propos.
08:39 - Plus tard, Victor nous a dit "Mais vous étiez tous là.
08:43 Comment vous avez fait pour ne rien voir ?
08:45 Mais vous savez, c'était une demi-heure par-ci, par-là.
08:48 On ne sait pas où sont les autres pendant la sieste."
08:51 C'est grand, Sanari. Il y a la maison des adultes, il y a la maison des enfants.
08:55 Tout le monde n'est pas au même endroit.
08:56 Ça peut paraître logique que les autres n'aient rien vu.
08:59 Vous savez, Olivier, il est malin et Victor, discret.
09:03 Tout aurait débuté en 1989.
09:07 Olivier Duhamel à 39 ans, Victor, 14.
09:10 À l'époque, il n'en parla personne, sauf à sa soeur jumelle.
09:15 - Et donc, mon frère me parle et je me dis mais bon...
09:21 Tout s'emmêle.
09:22 Voilà. Tout s'emmêle et puis après, je le laisse, quoi.
09:27 Je le laisse parce que je ne comprends pas ce qu'il me dit.
09:29 Je ne sais pas s'il me demande de l'aide ou pas.
09:31 J'arrive pas bien à comprendre ce qu'il me dit, en fait.
09:34 - Il aimait tellement cet homme qui avait été très présent pour eux
09:37 et qui voulait continuer son éducation.
09:40 En gros, il était assez perdu, perplexe,
09:42 mais il ne voulait pas de lui dans son vie.
09:44 Et puis, il en a parlé à sa soeur qui a été dans la même confusion.
09:46 Elle avait 14 ans aussi, ce n'était pas facile.
09:49 Comprendre vraiment l'attitude du père.
09:51 Est-ce qu'il avait raison, est-ce qu'il avait tort ?
09:54 Victor demande à sa soeur de garder le secret.
09:58 Il va durer 20 ans.
10:00 Octobre 2008.
10:08 Les jumeaux décident de parler à leur mère.
10:11 La famille va se déchirer.
10:16 La scène se passe dans l'appartement des Duhamel à Saint-Germain-des-Prés.
10:19 Camille et Victor ont 33 ans.
10:22 Ils sont parents.
10:23 Hors de question que leurs enfants passent leurs vacances à Saint-Marie.
10:26 Victor vient expliquer pourquoi à sa mère.
10:30 - Il lui a enfin dit la vérité.
10:35 Il lui a dit ce que son mari lui avait fait subir pendant des années.
10:39 Il lui a dit qu'il s'était tué pour la protéger.
10:41 Evelyne ne veut plus parler de son mari.
10:44 Il veut la protéger.
10:45 Evelyne n'a rien dit.
10:46 Elle est partie.
10:47 - Victor en parle aussi à sa tante, la comédienne Marie-France Pizier,
10:54 petite soeur d'Evelyne.
10:55 Marie-France s'effondre.
10:58 Elle va tout raconter, même les détails les plus crus,
11:01 à son ami, le psychanalyste Alain Manier.
11:04 - C'est un dimanche, elle me téléphone en me disant
11:08 qu'elle a besoin de me parler de toute urgence,
11:10 qu'il y a un problème très grave.
11:12 Elle m'a dit que ça se passait depuis des années,
11:16 à Paris, à Saint-Henri.
11:18 L'enfant qui était chargé de faire une fellation à Duhamel.
11:22 - C'est ce qu'elle vous a dit ?
11:23 - Ah oui, là-dessus, il n'y a pas le moindre doute.
11:25 Le moindre doute sur ce qu'elle m'a dit.
11:28 Après, le reste, je n'en sais rien du tout.
11:30 Écoeurée, Marie-France Pizier coupe les ponts avec son beau-frère.
11:35 Elle décide d'informer les amis d'Olivier Duhamel qu'elle connaît,
11:39 comme Rosanne Lhermitte.
11:42 À 89 ans, elle nous reçoit à l'IT
11:44 et nous demande de n'enregistrer que le son de sa voix.
11:47 - Elle est arrivée, elle m'a dit "il faut que je te parle".
11:53 Elle m'a dit qu'Olivier rendait souvent des visites affectueuses.
11:59 Olivier s'occupait de lui.
12:02 Quand il rentrait de classe, il s'en occupait gentiment.
12:05 - Ça se dit à tous les soirs ?
12:07 - À 5 heures, oui.
12:08 Il aidait à faire ses devoirs.
12:12 Rosanne Lhermitte somme alors Olivier Duhamel de s'expliquer.
12:15 - C'est là où il me disait "qu'est-ce que je dois faire ?"
12:19 "Je m'en vais au bout du monde."
12:21 Fuir le regard de ceux à qui il avait peut-être fait du mal.
12:26 - Est-ce qu'il vous a dit que c'était vrai ?
12:27 - La question ne se posait même pas.
12:30 Parce qu'il savait que c'était vrai, je savais que c'était vrai.
12:33 - Il était conscient ou pas ?
12:35 - D'avoir fait du mal ?
12:36 Non.
12:37 Je suis sûre qu'il n'avait pas.
12:41 Si Marie-France Pizier est bouleversée par ces révélations,
12:44 elle l'est aussi par la réaction de sa soeur Evelyne,
12:47 qui ferme les yeux sur l'inceste.
12:48 Sa soeur aînée qu'elle chérissait et admirait depuis toujours.
12:53 Pour Marie-Jaoule de Poncheville, amie intime de Marie-France,
12:58 l'amour entre les deux soeurs s'est brisé en 2008.
13:01 - Evelyne disait "moi, je défends mon mari, les enfants,
13:04 ils ont eu un moment de bonheur et de jouissance, tant mieux."
13:08 - C'est Marie-France qui vous a rapporté des propos comme ça ?
13:10 - Oui, Marie-France, elle me disait ça en disant...
13:12 Ça l'a rendu folle de haine pour sa soeur.
13:16 Ce n'était pas possible.
13:17 - Sa soeur n'a absolument pas admis que sa soeur ne se sépare pas
13:21 immédiatement de cet homme-là et ne le dénonce pas publiquement.
13:25 Le mystère Evelyne Pizier.
13:28 Son amie de jeunesse, Ouna Liudkus, essaie toujours de comprendre
13:32 pourquoi elle n'a pas défendu Victor.
13:35 - Je pense qu'elle a essayé, mais elle n'a pas eu le courage
13:39 ou la force. Pour moi, elle était vraiment sous emprise totale.
13:43 Elle n'a pas pu se libérer.
13:45 Elle n'a pas osé se battre contre Olivier.
13:48 Lorsqu'il l'a connue, Evelyne Pizier était pourtant une femme libre
13:52 et indépendante.
13:53 Lors d'un séjour à Cuba organisé par les étudiants communistes,
13:57 elle aura même une liaison avec le président cubain Fidel Castro.
14:01 C'est au cours de ce même voyage qu'elle rencontrera un étudiant
14:08 en médecine, le futur père de ses enfants, Bernard Kouchner.
14:12 - Elle était libre.
14:18 Oui, mais bon, elle a fini enchaînée.
14:20 Evelyne Pizier était-elle enchaînée à Olivier Duhamel?
14:24 Si leur fille, Aurore Duhamel, a voulu s'exprimer devant notre
14:29 caméra, c'est d'abord pour défendre la mémoire de sa mère.
14:36 - Avec ma mère, on raconte qu'elle était alcoolique, qu'elle était
14:39 sous l'empreisse de mon père, mais il faut savoir que déjà,
14:43 c'était une femme qui avait énormément de caractère et qui était
14:46 tout, sauf sous l'empreisse d'un homme.
14:48 Et ça, aujourd'hui, je pense qu'elle se retournerait dans sa tombe
14:51 de savoir qu'elle a cette image-là.
14:53 Elle, qui était si féministe.
14:54 Plusieurs fois, elle m'a dit "mais Aurore, toi, tu me comprends,
14:59 je suis restée avec ton père".
15:00 Et je lui dis "moi, je comprends pourquoi je suis là, parce que
15:03 c'est mon père, mais si j'avais été toi, je n'aurais pas fait ce choix".
15:06 Après, encore une fois, je ne suis pas elle.
15:08 - Et vous auriez fait quoi, vous ?
15:09 - J'aurais pris mes enfants, je me serais barrée.
15:12 Mais je sais qu'elle n'a pas regretté son choix.
15:14 Et les sacrifices, c'était sa soeur et deux de ses enfants.
15:18 Après 27 ans de vie commune, Evelyne Pizier choisit son mari
15:25 plutôt que ses enfants.
15:26 Un choix incompréhensible pour sa soeur Marie-France.
15:30 Elle souffre pour Victor, son neveu, dont elle est très proche.
15:35 Elle essaie de le convaincre de parler et de porter plainte.
15:38 Et lui, il ne lui voulait pas.
15:39 Il avait fait ses études, il avait une femme, il avait des enfants.
15:42 Et elle n'a pas réussi à le convaincre.
15:44 Et elle m'a raconté, elle dit "je veux que tout le monde le sache".
15:46 - Et elle m'a dit "je vais faire une campagne et tu vas m'aider".
15:51 - C'était quoi la stratégie de cette campagne ?
15:53 - C'est d'en parler à tout le monde.
15:54 Les amis, tout le monde, même les gens que ça pourrait choquer,
15:59 elles s'en foutaient.
16:00 Elles voulaient que ça se sache et que tout le monde sache.
16:04 Et que ce petit milieu, qui était tout de même assez puissant déjà,
16:10 se sente responsable.
16:13 Mais en même temps, elle savait qu'elle se mettrait tous ces gens à dos.
16:16 Elle s'en foutait.
16:17 Elle disait "à la guerre comme à la guerre".
16:20 Marie-France parla des dizaines de personnes.
16:23 Une partie du tout Paris bruit de la terrible rumeur.
16:27 Quand elle lui parvient, le philosophe Raphaël Enthoven,
16:31 qui avait été à Sanary dans son enfance,
16:33 pense à tort que l'affaire va devenir publique.
16:36 - J'avais entendu la rumeur, je ne savais pas qui était la victime présumée.
16:40 Si c'était le grand frère, le plus jeune frère, etc.
16:43 Je les connaissais, donc j'avais ça en tête.
16:47 Mais ça n'était pas plus précis que ça.
16:50 Je me suis dit à ce moment-là "tiens, voilà quelqu'un qu'on accuse de..."
16:53 Bon, il va se défendre, on verra ce que ça donne.
16:55 Qu'est-ce que vous voulez que je vous dise ?
16:56 Je ne suis pas revenu dessus.
16:57 La chose s'est tue ensuite, c'est ça qui m'intéresse.
16:59 - Pourquoi d'après vous, elle s'est tue ?
17:01 - Parce que les familles sont des dispositifs,
17:03 en particulier les familles très puissantes, sont des dispositifs
17:07 destinés à étouffer les saloperies qu'on y commet à l'intérieur.
17:10 À l'époque, le secret se fissure, mais il tient bon.
17:14 Victor, pour protéger son père alors ministre des Affaires étrangères,
17:20 décide de ne rien lui révéler.
17:22 Et tous ceux qui savent vont se taire.
17:27 C'est un événement tragique qui va faire vaciller l'édifice.
17:31 - La mort de Marie-France Pizier, dont on ne connaît pas encore la cause.
17:40 Précisément, c'est son mari qui l'a découverte cette nuit
17:43 dans la piscine de leur maison de Saint-Cyr-sur-Mer, dans le Var.
17:46 Une mort mystérieuse à 66 ans.
17:49 Son mari, l'homme d'affaires Thierry Fontbrentano,
17:53 est aussi le cousin germain d'Olivier Duhamel.
17:57 Selon ses déclarations au gendarme,
17:59 il s'est réveillé à 3h30 du matin
18:02 et a découvert le corps de sa femme dans la piscine.
18:05 - J'ai d'abord hésité à plonger.
18:10 Je me suis ravisé parce que mon épouse était complètement inerte
18:13 et qu'il n'y avait aucune bulle synonyme de respiration
18:15 qui remontait en surface.
18:17 Sur les photos de l'enquête, un cercle rouge.
18:22 C'est ici que les pompiers vont tenter de réanimer en vain
18:26 Marie-France Pizier.
18:27 Elle est encore habillée et comme le montrent les clichés
18:31 de la reconstitution, son corps est enchevêtré
18:34 dans une chaise en fer forgé.
18:36 Comment Marie-France s'est-elle retrouvée dans cette position ?
18:42 Pour les gendarmes, les causes de la mort sont loin d'être évidentes.
18:48 Journaliste à l'Obs, Violette Lazare, a enquêté sur l'affaire.
18:55 - Est-ce qu'elle a eu une crise cardiaque au bord de la piscine ?
18:57 Est-ce qu'elle est tombée ? Est-ce qu'elle a voulu suicider ?
18:59 Et la dernière hypothèse, c'est évidemment un meurtre.
19:01 Donc quelqu'un qui était présent et qui l'a poussé dans l'eau,
19:06 voire qui l'a maintenu la tête sous l'eau.
19:08 Meurtre, accident, suicide.
19:11 Pour interroger les proches de la victime,
19:14 les gendarmes de Toulon se déplacent à Paris.
19:16 - Je viens de m'interroger, en effet, sur la mort de Marie-France.
19:24 Ma conviction d'homme et de psychanalyse, c'est qu'elle ne s'est pas suicidée.
19:28 Marie-France Pizzi avait fait une psychanalyse.
19:30 Donc elle n'était pas dans un état d'élabrement psychique du tout.
19:35 Elle était constituée, elle avait de la consistance,
19:39 de la présence, de la détermination.
19:41 Et non, non, non, non.
19:43 - Marie-France n'aurait jamais pu faire ça.
19:45 C'était une battante.
19:47 Je veux dire, avec ses cancers, elle a eu deux cancers,
19:52 elle a eu ses trucs.
19:53 Elle s'est toujours battue avec le sourire et en disant "ça va passer".
19:58 - Vous croyez que Marie-France va se balancer dans une piscine
20:01 avec une chaise sur ses épaules ?
20:05 Il s'agit d'un meurtre.
20:07 - Mais pourquoi ? Pour quel mobile ?
20:09 - Pour la faire taire.
20:10 Depuis trois ans, elle parle de cela.
20:13 - De l'inceste ?
20:15 - Oui.
20:17 Les gendarmes ne croient pas du tout à l'hypothèse du crime.
20:21 Ils n'ont constaté aucune effraction autour de la propriété.
20:25 Aucune trace de pas dans l'herbe.
20:27 Aucune marque de violence près de la piscine.
20:29 Surtout, l'autopsie de la comédienne révèle 1,63 g d'alcool dans le sang,
20:36 l'équivalent de 4 ou 5 verres de vin et des traces d'antidouleurs puissants
20:41 pour soigner une sciatique.
20:43 - Elle m'avait dit au téléphone qu'elle avait pris 9 X prime.
20:51 Et je lui ai dit "mais tu sais ce que c'est que l'X prime ?"
20:53 Elle m'a dit "ben, ça me calme pas en tout cas."
20:56 J'ai dit "mais c'est de la morphine, ça va t'endormir, tu vas te défoncer."
21:00 Et donc, elle a dit "ben, de toute façon, c'est fait."
21:04 Le rapport médical révèle aussi que Marie-France Pizier prenait
21:08 des antidépresseurs depuis plusieurs mois.
21:10 Le mélange alcool-médicament lui a-t-il été fatal ?
21:15 C'est la conviction du professeur Eric Bacchino,
21:20 médecin légiste expert auprès des tribunaux,
21:22 à qui nous avons montré les éléments du dossier en notre possession.
21:26 - Elle a, cette dame, des raisons d'avoir fait un malaise d'origine cardiaque
21:30 avec une perte de connaissance.
21:31 C'est-à-dire qu'elle ait fait un malaise au bord de la piscine
21:34 et qu'elle est basculée dans l'eau.
21:35 Il est décrit dans le compte-rendu Anapat
21:36 qu'elle a des problèmes cardiaques susceptibles d'entraîner un malaise.
21:39 Et elle prend un médicament qui est le citaloprame,
21:41 qui est un antidépresseur, dont on sait que sur certains cœurs,
21:45 il peut entraîner des troubles du rythme et de la conduction cardiaque.
21:48 Et si vous rajoutez l'X prime, ça fait beaucoup.
21:50 - Les constatations qui ont été faites sont-elles compatibles
21:53 avec un éventuel assassinat ?
21:54 - Non, non, pour moi, l'assassinat est le mode de décès le moins probable
21:58 dans ce que vous m'avez présenté.
22:00 Imaginez de faire ça dans l'eau, dans sa piscine,
22:02 en mettant un homme dans le centre de la pièce pour faire passer,
22:05 pour faire croire que c'est un accident, une mort naturelle.
22:08 Non, elle a 1,63 g quand même.
22:10 Si on l'avait trouvé sans rien dans le sang, tout ça,
22:13 on aurait pu se poser des questions.
22:15 Mais là, il y a vraiment plein de raisons qu'elle tombe dans l'eau
22:17 et qu'elle y reste.
22:18 Un an après le drame, la justice classe l'affaire,
22:22 sans trancher entre le suicide et l'accident
22:24 et sans avoir résolu le mystère de la chaise.
22:28 Mais la mort de Marie-France Pizier ouvre une nouvelle brèche
22:33 dans le secret familial, car deux amis de la comédienne
22:36 vont mettre les enquêteurs sur la piste de l'inceste.
22:40 - Je dis aux gendarmes, vous allez sûrement vous apercevoir
22:43 qu'il y a autre chose dans la famille en ce moment.
22:45 Et le gendarme me répond, en effet, je les interroge,
22:48 je les sens pas à l'aise pour répondre, passant d'un pied à l'autre.
22:52 Je sens bien qu'il y a quelque chose d'autre, mais personne ne me dit quoi.
22:56 - Je dis, écoutez, je voudrais vous parler de quelque chose,
22:59 mais je ne sais pas comment faire.
23:02 Et j'ai raconté à la police
23:04 qu'il y avait un enfant qui avait été
23:08 violé par son beau-père.
23:14 - Et les gendarmes, ils ont réagi comment à ce moment-là ?
23:16 - Ils ont été très choqués et ils ont dit, ça ne nous regarde pas.
23:20 Nous, on s'occupe juste de Marie-France.
23:23 Ce n'est pas notre boulot.
23:24 Les enquêteurs notent quand même pour la première fois
23:29 le nom d'Olivier Duhamel dans la procédure.
23:31 Leur travail s'arrête là.
23:34 Ils transmettent le dossier à la brigade des mineurs de Paris.
23:42 Marie-Jaoule de Poncheville est à nouveau auditionnée,
23:45 mais elle ne se sent pas écoutée par les policiers.
23:48 - Je les dérangeais.
23:52 Ils ont bâclé ça.
23:54 J'ai dit, mais j'ai beaucoup de choses encore à vous dire.
23:57 Ils ont dit, on a assez, ça va.
23:59 De toute façon, c'est un témoignage, donc ce n'est pas important.
24:02 J'ai dit, si, c'est très important.
24:03 Je me suis dit, ils pensent que je suis une délatrice ou un truc comme ça.
24:07 C'était un truc épouvantable.
24:10 J'avais les larmes aux yeux.
24:12 Victor est à son tour entendu par la police.
24:16 Il confirme des abus commis par son beau-père,
24:19 mais il refuse de porter plainte.
24:21 - Mon frère, il voulait du calme, il voulait du silence.
24:27 Sa manière de se battre, de trouver du courage,
24:30 c'était de travailler, d'aimer sa femme, de faire des enfants
24:37 et de se construire une espèce de forteresse dans laquelle il voulait vivre.
24:41 Voilà. Et dans le silence.
24:43 De plus, les faits présumés sont prescrits.
24:46 Le parquet classe l'affaire à peine un mois plus tard,
24:49 sans même avoir entendu Olivier Duhamel.
24:52 - Quand ce genre d'enquête est ouverte,
24:54 même quand la victime ne veut pas porter plainte,
24:56 on respecte sa parole, on ne va pas la forcer à porter plainte,
24:58 mais on entend au moins la personne qui est accusée
25:00 pour savoir ce qu'elle a à dire.
25:02 Ça peut être un frein aussi.
25:03 Le fait d'être convoqué dans un commissariat
25:06 ou le fait d'être convoqué dans un tribunal,
25:08 ça peut quand même pousser quelqu'un à s'interroger sur ce qu'il a fait.
25:11 L'attitude de la justice à ce moment-là est complètement incompréhensible.
25:15 - Voilà. Alors c'est enregistré, d'accord ?
25:18 - C'est affi. - OK.
25:19 Nous sommes en ligne avec une source judiciaire
25:22 qui a participé à l'enquête.
25:24 Pourquoi n'avez-vous pas auditionné Olivier Duhamel ?
25:27 - Vous savez, c'est quand même très compliqué
25:29 de mener l'interrogatoire d'une personne sur des faits prescrits.
25:33 La victime ne voulait absolument pas appliquer de suite à cette affaire.
25:39 C'était quand même ça, son message.
25:41 - De grâce, laissez-moi tranquille.
25:42 - Donc à l'époque, si vous n'avez pas auditionné Olivier Duhamel,
25:46 ce n'est pas parce que vous avez subi des pressions.
25:48 - Oh non, on n'a pas du tout subi de pression dans cette affaire.
25:54 Aucune, aucune.
25:55 Mais alors pourquoi les enquêteurs n'ont-ils pas cherché à savoir
25:59 s'il y avait d'autres victimes éventuelles ?
26:01 Les deux enfants d'Evelyne Pizier et d'Olivier Duhamel
26:05 n'ont pas été entendus par la police.
26:08 - Mais est-ce que le travail des enquêteurs,
26:09 ça n'est pas aussi de savoir s'il y a d'autres victimes ?
26:12 - De toute façon, imaginons qu'une enquête aurait été développée.
26:18 Imaginons, on aurait trouvé des victimes de la même période.
26:21 Ça aurait changé quoi sur le plan des poursuites ?
26:24 - Non mais peut-être y avait-il des victimes plus récentes ?
26:27 - Ah oui, écoutez, nous avions le sentiment d'avoir fait notre travail convenable.
26:35 Parfois, quand on pense à une situation qu'on a déjà vécue,
26:38 on se dit "ah bah tiens, j'aurais peut-être pas fait comme ça".
26:40 Victor décide alors pour la première fois de parler à son père.
26:46 Bernard Kouchner confie sa colère à son ami, le publicitaire Jacques Saguela.
26:52 - Je me souviens que le jour où il a appris, il est venu dîner à la maison,
26:57 il était pratiquement en pleurs.
26:58 Et il m'a dit "je vais lui casser la gueule, je vais partir".
27:00 Et il m'a dit "moi, je suis complètement con, je vais partir".
27:03 Et il m'a dit "moi, je suis complètement partagé parce que je veux le dire,
27:06 je veux le dénoncer, mais mon fils ne veut pas".
27:09 C'est à ce moment-là qu'Aurore Duhamel, âgée de 24 ans,
27:13 est-elle aussi mise au courant par ses parents.
27:15 - Ils vous ont dit ce qui s'était vraiment passé ?
27:17 - Non, j'ai pas demandé de détail.
27:19 J'ai pris l'information et je suis partie.
27:23 Moi, je suis allée voir mon frère et je lui ai dit que s'il voulait porter plainte,
27:29 je lui en voudrais pas, que moi, je savais pas ce qui s'était passé,
27:33 mais que s'il y avait eu un problème, de toute façon, c'était sa vie à lui.
27:38 C'était sa volonté.
27:42 Et là, il m'a dit non.
27:44 Et je suis allée voir ma soeur Camille.
27:47 Et je lui ai dit "bon, on fait quoi ?" Et elle m'a dit "on dit rien".
27:53 À l'époque, Camille Kouchner suit les demandes de son frère.
27:58 Elle se tait.
28:00 Elle n'a pas coupé les ponts avec sa mère et son beau-père.
28:02 C'est sous leur direction qu'elle publie son premier livre comme juriste.
28:06 Elle attendra neuf ans de plus pour dévoiler son secret publiquement.
28:13 - Elle vit avec la culpabilité d'avoir été...
28:19 De n'avoir rien dit, d'avoir été silencieuse.
28:22 Je pense qu'il y a beaucoup de choses pour lesquelles elle s'en veut
28:26 et que ça doit être très difficile à vivre pour elle.
28:28 Et au fond, c'est pour ça que finalement, après coup, je me dis...
28:32 Si jamais ça peut l'aider d'avoir mis la vie de sa famille comme ça
28:38 devant la place publique, si ça peut sauver son âme, eh ben...
28:41 Tant mieux pour elle.
28:43 Camille Kouchner n'est pas la seule à avoir gardé le silence.
28:48 Certains proches d'Olivier Duhamel, qui savait tout,
28:51 ont même continué de l'aider.
28:54 Son ami d'enfance, Jean Veil, au courant des faits par Marie-France Pizier,
28:58 lui offre un poste d'associé dans son cabinet d'avocat.
29:01 Sur Europe 1, Olivier Duhamel a aussi libre antenne chaque samedi.
29:14 Europe 1, la radio phare du groupe Lagardère,
29:20 dont le co-gérant est le cousin germain d'Olivier Duhamel,
29:24 Thierry Fontbrentano, veuf de Marie-France Pizier.
29:27 Il n'a pas souhaité nous parler.
29:29 - Je n'aimerais pas être à la place des gens qui étaient suffisamment proches
29:35 pour savoir exactement ce qu'il en était
29:38 et qui, pendant des années, ont continué tranquillement à faire comme si
29:42 c'était une bizarrerie du personnage qu'ils connaissaient.
29:44 Je crois que c'est compliqué pour eux.
29:46 Le réseau d'Olivier Duhamel est devenu tentaculaire.
29:50 Il est donc avocat.
29:54 Éditorialiste sur Europe 1, mais aussi sur LCI.
29:58 Président de la fondation qui chapote Sciences Po Paris.
30:02 Co-directeur de la revue Pouvoir, qui l'a fondée.
30:06 Et il devient même en 2020 président du siècle, un club très fermé
30:12 où les élites économiques et politiques dînent chaque mois
30:15 dans cet hôtel particulier.
30:17 - Marie-France avait dit qu'il s'était construit une carapace
30:21 pour se rendre invincible.
30:22 - Une carapace de pouvoir. - De pouvoir, oui.
30:24 - Et de réseau. - De réseau, absolument.
30:26 Et puis parce qu'il aimait dominer.
30:27 Donc ça faisait aussi partie de sa personnalité.
30:31 Pouvoir, Omerta.
30:34 Le réseau d'Olivier Duhamel va montrer toute sa puissance
30:37 dans le sein des seins des élites françaises, Sciences Po,
30:41 où il a enseigné le droit pendant 25 ans.
30:44 Sciences Po, c'est mon université, c'est ma maison,
30:51 c'est ma famille, c'est ma base.
30:53 Une base qui va s'effondrer, abîmant au passage l'image de l'institution.
30:58 Tout commence en 2018.
31:02 L'ancienne ministre de la Culture Aurélie Filippetti
31:05 vient d'être nommée professeure de littérature.
31:07 Elle apprend le secret de la famille Kouchner par une collègue,
31:11 Jeannine Mossuz Laveau, la meilleure amie d'Evelyne Pizier,
31:15 décédée un an plus tôt.
31:20 Elle m'a expliqué que cette famille avait été détruite par cette histoire.
31:27 Je suis comme tous les gens quand ils l'ont appris.
31:30 Ça me semble tellement horrible, inenvisageable, inacceptable.
31:34 Olivier Duhamel préside la Fondation nationale des sciences politiques
31:39 qui chapote l'école.
31:40 Six ans plus tôt, lors de son dernier cours,
31:44 les élèves lui rendaient un vibrant hommage.
31:48 Olivier Duhamel, c'est un mythe à Sciences Po.
31:50 C'est des heures de cours inoubliables.
31:53 Je pense que c'est un des professeurs qui restera dans la mémoire de Sciences Po.
31:57 Un cours, ce n'est pas simplement des connaissances qu'on nous donne,
32:00 c'est aussi un moment qu'on partage avec un professeur.
32:03 Donc, voilà, ça a été un plaisir.
32:06 Il y a des élèves, des étudiants, des jeunes.
32:10 Et pour qui ?
32:11 En plus, il représente une autorité morale, intellectuelle,
32:15 et donc là, je me dis, là, je peux agir.
32:18 Pour qu'au moins, ils ne puissent plus être présidents
32:20 de la Fondation des sciences politiques.
32:22 Donc, je vais voir le directeur de Sciences Po pour...
32:26 Voilà, pour l'en informer.
32:28 Haut fonctionnaire, sortie majeure de l'ENA,
32:30 Frédéric Mion a été élu à la tête de l'école cinq ans plus tôt
32:34 grâce à Olivier Duhamel.
32:35 Il s'est effondré, enfin, il est devenu blême.
32:40 Et j'ai vu qu'il avait un problème.
32:43 Il est devenu blême et j'ai vu qu'il était absolument choqué.
32:47 Et il m'a dit tout de suite...
32:49 "Bah, non, mais tu comprends bien, Aurélie,
32:52 "que ce que tu me dis est très grave."
32:54 Je lui ai dit "oui, bien sûr, c'est pour ça que je te le dis."
32:57 Et là, il m'a dit "bon, je vais en parler à Marc."
32:59 -Marc Guillaume,
33:01 le secrétaire général du gouvernement d'Edouard Philippe,
33:04 surnommé "le grand chambelan",
33:06 encore un ami d'Olivier Duhamel.
33:08 Mais les semaines passent,
33:11 Duhamel est toujours en place et Frédéric Mion ne donne plus de nouvelles.
33:15 -J'allais pas aller le voir cinq fois, Mion.
33:19 Il aurait fallu que je le voie combien de fois,
33:21 que je lui dise combien de fois, pour qu'il comprenne.
33:24 C'est à un moment donné, quand vous vous rendez compte
33:26 que la personne en face de vous est lâche...
33:28 Moi, je n'étais pas en position à ce moment-là.
33:32 Enfin, j'étais plus ministre, j'étais pas sa ministre.
33:34 J'étais une prof, quoi, c'est tout.
33:36 -Frédéric Mion ne change rien.
33:40 En septembre dernier, il confie même la leçon inaugurale,
33:43 moment clé de la rentrée des étudiants,
33:45 à une vieille connaissance.
33:47 -Vous l'aurez compris, chers étudiants,
33:49 vous êtes, cet après-midi, entre de très bonnes mains,
33:52 celle du président de la Fondation nationale des sciences politiques,
33:55 du professeur Olivier Duhamel,
33:57 celle de quelqu'un que je m'honore à considérer comme un maître,
34:01 mais surtout comme un ami.
34:02 -Bonjour.
34:04 Nous ne nous connaissons pas.
34:06 Vous en savez déjà un peu...
34:09 -Le message du maître aux futures élites de Sciences Po,
34:12 soyez exemplaires.
34:13 -Une des sources du populisme, je pense,
34:17 c'est quand des membres des élites pensent
34:18 que parce qu'elles participent des élites,
34:21 elles ont le droit de...
34:23 Ou de frauder le fisc,
34:25 ou de violer la loi sur tel ou tel point,
34:29 ou de s'accorder des privilèges à un dieu, etc.
34:32 Et je pense que c'est tout le contraire.
34:35 On ne peut pas se permettre tout et n'importe quoi.
34:37 -Merci beaucoup, monsieur le président.
34:39 A bientôt. Bonne année.
34:40 -Quatre mois plus tard, ce sera le cataclysme,
34:46 la sortie du livre de sa belle-fille.
34:48 Olivier Duhamel publie alors son dernier tweet,
34:52 visiblement fébrile, avec une faute de frappe.
34:55 Aurélie Filippetti affirme avoir reçu alors un appel étrange
35:07 du directeur de Sciences Po, Frédéric Mion.
35:09 -Il m'a appelé immédiatement et il m'a dit...
35:12 "Je suis stupéfait."
35:14 Et là, j'ai eu un temps d'arrêt, je lui ai dit "Mais enfin, je t'en avais parlé."
35:18 Et là, il a eu l'air étonné, presque,
35:21 que je me souvienne que je lui avais parlé.
35:23 Tout était très bizarre.
35:24 Et à la fin, il a eu cette phrase, me disant...
35:27 "Il est très important que personne ne puisse penser que nous savions."
35:34 Et qui a été la dernière phrase de notre conversation.
35:37 Et donc là, j'ai raccroché, je me suis dit...
35:40 Donc il me dit de me taire.
35:42 -Elle va au contraire tout raconter à la presse.
35:46 Trois syndicats d'étudiants demandent la démission de leur directeur.
35:51 -Bonjour, Frédéric Mion, merci de répondre à nos questions.
35:54 -Il choisit de répondre aux attaques en terrain connu,
35:57 la télé de ses étudiants.
35:58 -Frédéric Mion, allez-vous démissionner ?
36:03 -Je me dois de vous dire que la question aujourd'hui
36:05 n'est pas la question de la démission.
36:08 Parce que "démissionner" signifierait que, à titre personnel,
36:12 j'admets être d'une quelconque manière complice
36:16 des agissements terribles que nous connaissons désormais.
36:19 -Un mois plus tard, il finira quand même par démissionner
36:23 à la suite d'un rapport d'inspection
36:25 qu'il accuse de "manquement grave".
36:27 Sa faute principale,
36:30 n'avoir jamais pris la peine de vérifier les propos d'Aurélie Filippetti
36:33 auprès de celle qu'il avait informée, Jeannine Mossuz-Lavaux.
36:37 Elle n'était pourtant pas difficile à trouver,
36:40 puisqu'elle était prof à Sciences Po.
36:42 -Est-ce qu'il a fait ça pour préserver un ami
36:47 ou pour préserver l'institution qu'il représente ?
36:50 -Moi, je pense qu'en fait, c'est pour préserver un certain réseau.
36:54 Un réseau, un entre-soi, c'est ça.
36:57 C'est-à-dire qu'au fond, il y a un certain milieu
37:00 où l'essentiel, c'est de se préserver.
37:04 Et en préservant ceux qui font partie de ce milieu,
37:06 vous vous préservez vous-même.
37:08 Chacun se fait la courte échelle dans sa carrière.
37:10 Olivier Duhamel se vantait tout le temps
37:13 d'avoir fait nommer un tel,
37:15 d'avoir permis à un tel de se faire connaître,
37:19 d'être devenu ministre.
37:20 -Frédéric Mion a décliné notre demande d'interview.
37:25 Il doit sa chute à une femme qui n'avait jamais oublié les paroles
37:29 d'un de ses amis de jeunesse.
37:31 -Moi, je sais très bien pourquoi j'étais aussi loin,
37:35 parce qu'en fait, quand j'avais 19 ans, j'avais mon meilleur ami
37:38 qui, un jour, m'a dit
37:39 "Voilà, il faut que je te raconte quelque chose.
37:42 J'ai été violée par mon grand-père entre 8 ans et 12 ans."
37:46 Son grand-père le violait tous les mercredis après-midi.
37:49 Il avait été ensuite aphasique, anorexique, enfin voilà, bon...
37:55 Et quand il m'avait raconté ça,
37:57 je n'avais pas su quoi faire de cette parole-là.
38:01 J'avais 19 ans, j'étais étudiante,
38:04 j'ai été écrasée par ça et bouleversée.
38:10 Et quand j'en parle, ça me donne encore la chair de poule,
38:12 parce que demain, ça peut être ma fille, quoi, en fait.
38:14 -L'affaire Duhamel s'est déplacée sur le terrain judiciaire.
38:19 Pour la première fois,
38:20 l'ancien prof de droit a été entendu par la police.
38:24 Il n'aurait reconnu que des baisers et des caresses
38:27 et aurait contesté l'âge de Victor quand tout a commencé,
38:30 non pas 14, mais 15 ans, la majorité sexuelle.
38:34 Ses enfants, Simon et Aurore,
38:38 ont eux aussi été entendus par les policiers.
38:41 -Ils nous ont demandé, à mon frère et à moi,
38:44 si on avait eu, dans notre enfance,
38:50 des attouchements, et non.
38:54 Ça n'a pas été le cas, ni pour mon petit frère, ni pour moi.
38:57 -Et en dehors des attouchements, des gestes déplacés,
39:00 des ambiguïsmes ? -Rien, jamais.
39:01 On a eu impérément.
39:03 C'était notre pilier, c'est celui qui nous a ouverts au monde.
39:09 En plus, on était les enfants adoptés,
39:10 donc on était la prunelle de ses yeux, on était tout, quoi.
39:14 -Victor a cette fois porté plainte pour viol contre son beau-père,
39:19 mais les faits présumés sont prescrits.
39:21 Olivier Duhamel ne risque pas grand-chose.
39:24 Il n'y aura sans doute jamais de procès.
39:28 Sous-titrage ST' 501
39:31 ♪ ♪ ♪

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