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"Bavures" isolées ou violence systémique qui entame la confiance des citoyens dans l'appareil d'état, la police est sous le feux des critiques. Le sociologue Fabien Jobard nous apporte un éclairage sur la constitution de ces forces du maintien de l'ordre qui existent partout dans le monde.
Avec Fabien Jobard, Docteur en science politique

Retrouvez la question qui fâche de Marie Misset sur France Inter et sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/la-question-qui-fache

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Amusant
Transcription
00:00 Notre question qui fâche du jour ne parle ni du roi Charles, Dieu merci, ni de Dieu d'ailleurs, qu'il soit musulman ou catholique, merci,
00:06 mais bien d'un sujet qui, dès qu'il est posé sur la table, indique les opinions politiques de ceux qui mangent autour.
00:11 Puisque la question qui fâche du jour, c'est « peut-on être de gauche et aimer la police ? »
00:16 La police est un service public. Les policiers ne gagnent pas des sommes mirobolantes et sont plutôt issus des classes populaires.
00:24 La police est censée empêcher la loi du plus fort. C'est pas de gauche tout ça.
00:27 Pourtant, chaque fois que la police tue ou blesse, les avis sont très tranchés, les faits n'ont pas toujours de l'importance.
00:33 Ceux qui défendent la police sont de droite, ceux qui attaquent la police sont de gauche.
00:36 Sauf Fabien Roussel, mais bon, Fabien Roussel, personne ne sait où il habite.
00:39 Alors...
00:40 Peut-on être de gauche et aimer la police ?
00:48 Pour répondre à cette question, nous sommes avec Fabien Jobard.
00:51 Bonsoir Fabien Jobard.
00:52 Bonsoir.
00:52 Vous êtes directeur de recherche au CNRS, spécialisé dans l'étude comparative des polices et auteur d'une BD qui vient de sortir,
00:59 « Global Police, la question policière dans le monde et dans l'histoire ».
01:03 Alors, est-ce qu'on peut reprendre ensemble, Fabien Jobard, les éléments qui pourraient faire penser que les gens de gauche devraient, logiquement, aimer la police ?
01:10 D'abord, la police est un service public. On est d'accord, Fabien Jobard ?
01:13 Absolument, la police est un service public.
01:15 Donc, la police se substitue, par exemple, aux troupes armées du prince ou bien aux milices patronales.
01:22 Si une police s'est développée en Europe tout au long du 19e siècle, c'était bien parce qu'elle s'appuyait sur la loi,
01:31 qui est censée être la même pour tous et toutes, et non pas entre les mains des puissants.
01:39 Donc, la police s'est développée, dans le fond, avec l'idéal d'une justice équitable, d'une justice transparente,
01:48 parce que les décisions policières et judiciaires sont fondées sur la loi.
01:54 Et on retrouve des échos de ces dispositions-là aujourd'hui, par exemple, sur des criminalités ou des délinquances qui étaient soustraites au regard, à la vue collective.
02:08 Par exemple, la maltraitance sur les enfants, personne ne s'en souciait, jusqu'à quoi ? Les années 70, 80 ?
02:15 Aujourd'hui, on a des brigades de protection de la famille, des brigades des mineurs, dont c'est le métier d'enquêter sur ces affaires et même d'essayer de les connaître.
02:25 Évidemment, violence sur les femmes, mais aussi la délinquance économique, la délinquance environnementale.
02:33 Tout ces thèmes-là, la délinquance en col blanc, sont des thèmes qui peuvent et doivent rapprocher la police de la gauche.
02:43 - Et en même temps, on voit dans votre livre, que ce soit en Angleterre ou en France, les deux polices qui ont inspiré beaucoup de polices dans le monde,
02:50 que les polices modernes sont nées au moment des mouvements ouvriers et des mouvements de revendications ouvrières.
02:57 - Oui, cela étant, si on n'avait pas eu au moment de l'irruption des masses ouvrières dans la politique, sous la forme d'émeutes, de manifestations, d'occupations d'usines,
03:14 on avait soit les milices patronales dont je parlais, d'ailleurs, aux États-Unis, la répression des conflits du travail,
03:20 elle est essentiellement entre les mains des patrons, jusqu'à les années 50-60, ou bien elle était entre les mains de l'armée.
03:27 Et l'armée, si vous voulez, sont des gens, des professionnels ou des conscrits, peu importe, mais qui sont formés à tuer dans une perspective où l'adversaire, c'est l'ennemi.
03:37 Et c'est l'ennemi qu'il faut éradiquer.
03:39 Et de fait, l'introduction de forces armées, mais civiles, policières, sous l'autorité immédiate du gouvernement, c'est pour, face aux masses ouvrières,
03:54 pour introduire ce qu'on appellerait aujourd'hui, un tant soit peu, de désescalade, c'est-à-dire faire en sorte qu'on ne ramasse pas les cadavres après chaque manifestation.
04:05 Et c'est ce qui s'est effectivement produit en France à partir de la fin du 19e siècle.
04:08 - Et on sera d'accord pour dire que les policiers, dans leur grande majorité, et dans l'histoire de la police, sont des travailleurs, qui n'ont pas des salaires marimbolants,
04:15 et qui sont plutôt issus des classes moyennes ou populaires ?
04:19 - Alors effectivement, des classes moyennes plus que populaires aujourd'hui.
04:22 Les policiers ne font plus le choix aujourd'hui d'entrer dans la police pour ne pas avoir à descendre au fond de la mine.
04:29 Les policiers, et c'est un peu d'ailleurs un des drames de cette institution aujourd'hui, sont issus majoritairement des classes moyennes diplômées,
04:41 mais faiblement diplômées de l'enseignement supérieur, et des petites ou moyennes agglomérations.
04:46 Et si bien que, quand les policiers sortent d'école, d'école de police, et qu'ils se retrouvent pour 80% d'entre eux projetés dans des grandes villes denses de banlieue parisienne,
04:58 c'est pour eux toujours un choc, un choc qui est dû d'abord au changement d'environnement, mais aussi au fait qu'on les a convaincus,
05:06 et puis ils se sont convaincus tout seuls, en regardant la télé, les séries télévisées et autres, qu'ils allaient combattre les délinquants,
05:12 qu'ils allaient terroriser les terroristes, et en fait, quand ils prennent leur service, quand ils prennent leur poste, ils se rendent compte qu'ils font du travail social.
05:21 C'est-à-dire qu'ils ont à gérer, en première ligne, la misère, celle qui se voit, d'abord la misère de rue, et puis aussi la misère derrière les portes des familles et des logements,
05:31 et ça, ils y sont pas du tout préparés.
05:33 Marine ? Marine, pardon.
05:35 Oui, alors très bien, moi je vous ai écouté sur cette question "peut-on être de gauche et aimer la police ?"
05:39 Pour l'instant, si j'ai bien compris, la police est un service public qui a un objectif de justice transparente.
05:44 Avant ça, c'était les patrons ou l'armée qui gérait quand il y avait des révoltes.
05:51 Aujourd'hui, ces forces armées, elles doivent calmer ces révoltes, mais les policiers, qui en général sont issus des classes moyennes,
05:57 vivent un choc parce qu'en fait, ils pensaient qu'ils allaient sauver le monde en arrivant sur le terrain, mais en fait, ils doivent faire du social.
06:02 Et alors, justement, la police, est-ce qu'elle peut faire son travail si on sort du clivage gauche-droite sans le soutien du peuple ?
06:09 C'est une vraie question compliquée parce que vous pouvez considérer qu'il y a un peuple, il y a une opinion publique,
06:25 que cette opinion publique est unanime et si effectivement la société est unanime, ce serait bien difficile pour la police d'aller contre la société.
06:39 Le souci, c'est que rares sont les sociétés qui sont unanimes.
06:42 Et ce qu'on constate en France, c'est que par rapport à nos voisins d'Europe de l'Ouest, la police est un sujet, est une institution qui clive, clive énormément.
06:55 La police, elle est aimée de la majorité des Français.
06:59 Absolument. Bien plus que ne le sont les politiques, bien plus que ne l'est la justice, bien plus que ne le sont les journalistes.
07:07 Mais elle est beaucoup moins aimée, même à 70 %, que ne l'est la police allemande des Allemands, que ne l'est la police anglaise des Anglais.
07:17 Et notamment, il y a une grande partie, une grande partie, il y a un tiers des Français qui estiment que la police, quand elle fait son travail, elle discrimine.
07:27 Ça se dit jamais comme ça dans les sondages. Elle ne traite pas les gens de manière égale.
07:32 Et dans cette partie de la population qui estime que la police ne traite pas les gens de manière égale, il y a celles et ceux qui pensent que c'est mal et il y a celles et ceux qui pensent que c'est bien.
07:43 Parce qu'ils pensent que le travail de la police, c'est de maintenir des séparations entre les différentes parties de la société.
07:50 Les gens qui habitent en centre-ville, les gens qui habitent à l'extérieur.
07:53 Ceux qui aiment la police et ceux qui aiment les séparations entre les gens de la société, c'est ça que vous nous dites Fabien Dubas.
07:57 Absolument.
07:58 Et donc, est-ce qu'on peut être de gauche et aimer la police en France aujourd'hui, en 2023 ?
08:02 Aujourd'hui, comme hier.
08:04 Oui, je rappelle juste un élément historique, pas si ancien.
08:09 Le code de déontologie de la police, il a été introduit en 1986 par un gouvernement de gauche à l'époque de François Mitterrand.
08:16 Mais ce code de déontologie, il a été rédigé au cabinet du ministre de l'Intérieur, Pierre Jox, avec le syndicat policier de l'époque, la FASP, la Fédération Autonome des Syndicats de Police,
08:27 qui est un syndicat majoritaire à l'époque, majoritaire et de gauche.
08:32 Et donc oui, dans notre histoire récente, le syndicalisme policier était un syndicalisme de gauche,
08:37 était un syndicalisme qui voulait plus de contrôle de la police, qui voulait une police plus proche des citoyens, plus transparente,
08:44 et qui a favorisé l'introduction de ce code de déontologie.
08:48 Et aussi, au passage, le fait que dans tous les commissariats de France, la Déclaration des droits de l'homme est affichée à l'accueil.
08:55 Merci beaucoup Fabien.
08:57 Je remarque que votre livre, votre BD s'appelle "Globale Police", elle est passionnante, elle retrace l'histoire de la police dans le monde et dans l'histoire.

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