Les places pour les JO 2024 s'achètent à prix d'or, les stades seront-ils aussi pleins pour les jeux paralympiques ? En manque de moyens et d'équipements, de visibilité et de reconnaissance, le handisport peine à se faire sa place dans les plus grands évènements sportifs.
Retrouvez la question qui fâche de Marie Misset sur France Inter et sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/la-question-qui-fache
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00:00 Le handisport est-il un sous-sport ? Et pour répondre à cette question, quelqu'un me
00:09 regarde droit dans les yeux avec un peu de colère dans le regard, c'est la championne
00:13 du monde des triples médaillés d'or paralympiques en natation Ludivine Munos qui est avec nous
00:18 ce soir.
00:19 Bonsoir Ludivine.
00:20 Bonsoir.
00:21 Vous êtes aussi la responsable d'intégration paralympique au sein du comité des Jeux
00:24 pour Paris 2024.
00:25 Est-ce que vous pouvez nous rappeler rapidement votre parcours sportif ?
00:27 Mon parcours sportif, en résumé, 3 Jeux paralympiques, 3 médailles d'or, au total
00:34 12 médailles et puis également 22 titres de championne d'Europe et 6 titres de championne
00:39 du monde sur 12 ans.
00:40 Voilà, donc vous êtes à peu près la championne incontestée de la natation paralympique mondiale
00:43 non ?
00:44 En tout cas, je ne suis pas toute seule parce qu'on a aussi plein d'athlètes à suivre
00:46 pour les Jeux paralympiques mais ce qu'il y a de sûr, c'est que j'aime l'eau.
00:49 Vous avez pu en vivre de la natation Ludivine ?
00:52 Alors là, on a parlé de 1996 à 2004.
00:54 La grande différence c'est que finalement, je n'en ai pas du tout vécu.
00:57 Et puis j'ai été étudiante.
00:58 Donc forcément, je poursuivais mes études jusqu'à mon Master 2.
01:01 Donc j'ai surtout nagé et travaillé à l'école.
01:04 La seule chance que j'avais déjà à l'époque, c'est de ne pas avoir à payer mon matériel
01:07 parasportif, ni mes déplacements, ni mes compétitions.
01:10 Donc je n'ai pas perdu d'argent par ma pratique parasportive.
01:13 Pour le coup, mes parents étaient là pour le reste.
01:15 Vous, donc vous n'avez pas perdu d'argent ? C'est ça que vous nous dites.
01:18 C'est que vous n'étiez pas tout à fait une sportive professionnelle malgré vos très
01:22 nombreuses médailles ?
01:23 Oui, on n'a plus… On ne peut pas comparer ce qui s'est passé dans les années précédentes
01:26 à ce qui se passe aujourd'hui.
01:27 Les teams, tels qu'on les connaît, l'équipe de France Unie, tels qu'on connaît aujourd'hui,
01:31 et nos athlètes paralympiques qui rentrent dans les teams de sponsors et de partenariats,
01:35 elles n'existaient pas.
01:36 Aujourd'hui, c'est le cas.
01:37 Forcément, il faut déjà des médailles pour être connue.
01:39 Et souvent, les jeunes qui démarrent dans les teams, ils ont déjà autour du cou quelques
01:42 médailles.
01:43 Alors travaillons ensemble pour que ceux qui n'ont pas encore de médailles puissent eux
01:46 aussi avoir une team.
01:47 Mais Ludivine Minos, une triple médaille d'or inconnue du grand public, c'est rare
01:51 quand même, non ?
01:52 Alors inconnue du grand public…
01:53 Je vous trouve difficile !
01:54 Je vous trouve difficile parce que…
01:56 Alors déjà, moi j'ai fait un choix, c'est qu'à la fin de ma carrière sportive, j'ai
02:00 souhaité vraiment vivre une vie de femme, une vie professionnelle accomplie.
02:03 J'étais chez EDF jusqu'à très récemment.
02:05 Donc c'est moi qui suis partie vers d'autres horizons avec une volonté, bien sûr, de
02:10 faire autre chose, mais aussi toujours de garder en fond de considération, c'est
02:13 le partage avec les enfants à l'école.
02:16 Pourquoi ?
02:17 Parce que je me dis que si un enfant, tel que moi, j'ai vécu mon enfance, avait croisé
02:21 le parcours d'un athlète paralympique de haut niveau, il y a plein de questions qui
02:25 ne se seraient jamais posées chez moi.
02:26 Ni pour mes parents, ni pour les instituteurs à l'école, et encore moins pour les nouveaux
02:30 clubs qui étaient prêts à m'accueillir quand j'étais étudiante à l'université.
02:33 Donc ça c'était important pour moi, que de partager tout ça pour ouvrir des portes
02:37 pour les autres.
02:38 En même temps, vous dites que c'est la colère qui vous poussait dans le bassin.
02:40 Oui, c'est la colère.
02:41 La colère d'une jeune fille qui est née finalement avec ce handicap et qui se rend
02:45 compte à l'adolescence que rapidement, le rapport homme-femme, vraiment je mets
02:49 ça au collège.
02:50 C'est vraiment le début de l'ouverture un peu vers les autres.
02:52 Et on se rend compte que finalement, l'esthétique est dans la symétrie.
02:55 Vous imaginez, moi je n'ai pas de bras droits, pas de jambes droites.
02:59 Symétrie limitée.
03:00 C'est pas moi.
03:01 Donc pour le coup, c'est là qu'on se pose plein de questions.
03:04 Mais finalement, ma place, elle est où ? Elle est auprès de qui ? Et qu'est-ce que
03:07 je vais faire ?
03:08 C'est quoi vos relations avec vos collègues sportifs valides ? Vous avez eu l'impression
03:13 d'être traité comme une égale pendant votre parcours sportif ?
03:15 Alors peut-être pas au début, par méconnaissance et par absence de relativisme sur la perf.
03:20 Justement, on parle perf.
03:21 C'est-à-dire que moi, j'ai nagé en 36 secondes le 50 mètres nage libre.
03:24 Alors aujourd'hui, je nage beaucoup plus vite.
03:26 Et heureusement, on n'avait pas, on l'a dit, les mêmes moyens.
03:28 Mais c'est pas forcément simple de comprendre comment l'homme à nos doux peut nager son
03:32 50 mètres nage libre.
03:33 Et comment on peut relativiser justement cette perf.
03:35 Cette perf, elle est pas bonne au regard d'un…
03:40 Elle est bonne si on l'associe à un nombre d'heures d'entraînement.
03:43 Moi, c'est ça qui est important.
03:44 C'est pour ça que la question, est-ce qu'on parle de handisport, est-ce que c'est du
03:47 sport ? J'ai envie de vous dire quels sont les moyens qu'on se met pour le pratiquer.
03:50 On parle de compète, là, on ne parle pas de loisir.
03:51 C'est finalement quand on s'entraîne deux fois par jour.
03:53 Moi, c'est ce que je faisais.
03:54 Je faisais de la muscu tous les midis.
03:56 J'allais chez le kiné.
03:57 J'avais la dernière année une vie d'athlète de haut niveau.
03:59 Et donc forcément, j'étais à la hauteur de mes perfs, à la hauteur de mon engagement.
04:03 Donc c'est là qu'on parle de sport.
04:05 Alors moi, si je suis un petit peu…
04:06 On est en mi-temps.
04:07 Il n'y a pas de mi-temps en natation, mais là, on est en mi-temps de cette question
04:11 qui fâche.
04:12 Et si je vous écoute, Ludivine Munoz, d'abord, vous n'êtes pas la sœur de Mathilde Munoz
04:17 qu'on entend le matin.
04:18 C'est une première info qu'on n'a pas encore donnée, mais on en a parlé avant.
04:20 C'était important pour moi de le dire.
04:21 Mais surtout, j'ai compris que d'abord, vous êtes super badass.
04:23 Rien qu'en vous écoutant, quand vous avez vos titres, j'étais crevée.
04:25 Et surtout, les teams avec des sponsors existent depuis peu.
04:30 Le but, c'est que les jeunes puissent être soutenus avant qu'ils aient des médailles.
04:32 Pour vous-même, il faut éduquer les gens, mais le grand public et tout le monde dès
04:35 l'école.
04:36 Et à partir du moment où on travaille dur et qu'on travaille comme une tarée, parce
04:40 que vous avez vraiment beaucoup entraîné, les résultats sont là.
04:43 - Aux derniers Jeux Olympiques et Paralympiques, c'était 100 heures de direct sur France
04:48 TV, les Jeux Paralympiques, contre 700 heures pour les Jeux Olympiques.
04:51 Est-ce que cette médiatisation, elle compte pas aussi beaucoup pour la perception du sport
04:55 paralympique ?
04:56 - Il faut voir d'où on est parti.
04:57 Parce que moi, je vous ai parlé d'Atlanta, Sydney, Athènes, il n'y avait pas de médiatisation,
05:00 il n'y avait pas de relais.
05:01 Il n'y avait rien.
05:02 On a quand même débuté la médiatisation en France avec les Jeux de Rio.
05:06 C'est là qu'on a démarré à retransmettre des compétitions.
05:09 Aujourd'hui, vous pouvez suivre aussi les Jeux Paralympiques d'hiver.
05:11 C'est sûr qu'il y a du progrès encore à faire en nombre d'heures d'audience.
05:15 Et puis aussi, il faut être capable d'avoir du public.
05:17 C'est-à-dire que mettre des heures et des heures pour que personne ne les garde, ça
05:20 n'a pas d'intérêt.
05:21 Alors que par contre, faire un éclairage sur une athlète de rugby-fauteuille qui est
05:26 dans l'équipe de France Mixte de rugby-fauteuille, c'est assez dingue quand même.
05:29 - Pourquoi on ne met pas les deux ensemble ? Pourquoi on ne met pas les Jeux Olympiques
05:33 et Paralympiques ensemble en même temps ?
05:35 Pourquoi les distinguer et du coup en faire une catégorie à part et, si on prend notre
05:39 question qui fâche, presque une sous-catégorie ?
05:41 - Moi, j'adore cette question.
05:42 Parce que j'adore y répondre.
05:44 En fait, pour moi, c'est assez simple.
05:46 C'est que finalement, si on mélange les deux, est-ce qu'on va vraiment parler des
05:50 athlètes paralympiques ? Est-ce qu'on a parlé, ça fait 6 ans, car au Langaros, il
05:53 y a déjà du tennis-fauteuil.
05:55 Est-ce qu'on en parle depuis 6 ans ? Non.
05:57 On n'en parle que récemment parce qu'on voit arriver les Jeux Paralympiques.
06:00 Donc si c'est pour mélanger et qu'on ne parle pas des athlètes paralympiques, ce
06:03 n'est pas une bonne idée.
06:04 Moi, j'ai fait les championnats du monde avec l'équipe de France Olympique à Barcelone
06:09 en 2003.
06:10 Autant vous dire que quand on est passés, ils avaient éteint la lumière et la retransmission
06:13 télé.
06:14 Donc autant mieux traiter les athlètes paralympiques par un événement qui leur est propre.
06:17 Et puis, multiplier les infrastructures par deux, c'est assez dingue en fait.
06:21 Comment on justifie que la France mette 12 piscines, multiplier par deux le village,
06:25 ça n'a pas de sens.
06:26 Et enfin, être devant, c'est-à-dire d'abord les Jeux Olympiques et ensuite les Jeux Paralympiques,
06:29 le mouvement paralympique ne veut pas être le crash test d'une compétition pas encore
06:33 prête.
06:34 Nous, on veut que tout soit terminé.
06:35 Et je vous promets que du coup, quand il y a des tout petits bugs aux Jeux Olympiques,
06:38 ils sont super réparés quand arrivent les paras.
06:40 Et moi, ce que j'aime dire, c'est que nous du coup, on a la fête de fin.
06:43 - Maya ?
06:44 - Moi, je voudrais revenir à la question du sous-sport.
06:46 Dans le haut niveau, on célèbre la performance maximale.
06:49 Il y a des corps qui ne peuvent pas atteindre la performance maximale.
06:52 Du coup, il ne faut pas juste faire son deuil et se dire "ouais, on ne sera pas au même
06:57 niveau".
06:58 La performance maximale, elle ne peut pas exister avec la différence physique.
07:01 - Est-ce que l'espace médiatique n'est pas infini ?
07:03 - Oui, mais pourquoi pas essayer ? On a bien l'espace médiatique pour parler de plein
07:06 de disciplines très peu connues.
07:07 J'ai envie de vous dire, aidons ces athlètes paralympiques qui s'entraînent au quotidien
07:11 deux fois par jour, qui sont tous les jours dans le bassin, qui sont tous les jours sur
07:14 une piste d'athlétisme, justement pour faire connaître des choses qu'on n'imagine pas.
07:18 Et puis imaginez demain, dans votre quotidien, il vous arrive quelque chose.
07:21 Vous vous retrouvez avec un handicap permanent ou temporaire.
07:24 Pourquoi pas une béquille et puis finalement une jambe dans le plâtre.
07:27 Et là vous vous dites "mais en fait je peux faire plein de trucs".
07:29 Ça ne m'empêche pas de vivre, ça ne m'empêche pas de faire du sport et surtout ça ne m'empêche
07:32 pas d'être encore douée et de faire de la perf'.
07:34 - Pour terminer, Ludivine Munoz, est-ce que le handisport est un sous-sport ?
07:37 - Non, le handisport n'est pas un sous-sport et venez suivre tous les athlètes paralympiques
07:41 qui vous attendent.
07:42 - Marine, conclusion ?
07:43 - Bah moi pour résumer, non, le handisport n'est pas un sous-sport.
07:45 En revanche, c'est des vrais sportifs qui manquent de sous.
07:47 - On rappelle d'ailleurs à cet effet que la billetterie pour les Jeux paralympiques
07:51 ouvre le 9 octobre.