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00:00 6h39, les matins de France Culture, Guillaume Erner.
00:06 La question du jour, bonjour Marguerite Caton.
00:08 Bonjour Guillaume, bonjour à tous, bonjour Géraldine Farge.
00:12 Bonjour.
00:13 Vous êtes sociologue, maîtresse de conférences en sciences de l'éducation et de la formation
00:17 à l'université de Bourgogne-Franche-Comté, autrice de l'ouvrage « Les mondes enseignants,
00:22 identités et clivages » qui a été publié au PUF en 2017.
00:24 Merci d'être venue en studio ce matin nous expliquer qui veut encore devenir enseignant
00:29 alors que les derniers chiffres de cette rentrée 2023 montrent qu'il manque plus
00:33 d'un professeur dans 58% des collèges et lycées tant l'éducation nationale peine
00:38 à recruter.
00:39 A quand remonte cette perte d'attractivité du métier Géraldine Farge ?
00:43 Alors on pourrait répondre qu'elle remonte seulement à quelques années, qu'elle pourrait
00:49 être liée à des facteurs conjoncturels mais je trouve intéressant de prendre un
00:53 peu plus de recul historique et de considérer que dès les années 60 on peut identifier
01:00 une première crise de recrutement, même on peut parler de crise aiguë de recrutement
01:05 à ce moment-là dans un contexte de massification scolaire où on a besoin de beaucoup d'enseignants
01:10 et où on n'a pas beaucoup de diplômés pour occuper tous ces postes d'enseignants.
01:14 Par la suite on peut penser aussi aux années 80, surtout dans le premier degré il y a
01:21 eu une autre crise de recrutement, là dans un contexte plutôt d'allongement des études
01:26 demandées aux enseignants.
01:27 Et puis actuellement la crise de recrutement qu'on rencontre actuellement elle est plutôt,
01:35 on peut la suivre depuis le début des années 2000 en fait.
01:37 Par exemple en 2004 on avait dans le premier degré 5 candidats ou candidates par poste
01:43 et aujourd'hui on en a nettement moins.
01:45 Est-ce que c'est une difficulté qui est propre à la France ?
01:47 Alors c'est intéressant de regarder en comparaison internationale parce qu'en effet
01:54 on se rend compte que la France est loin d'être un pays isolé.
01:57 L'Union Européenne produit régulièrement des publications sur ce sujet et on constate
02:02 que dans beaucoup de systèmes éducatifs, dans la grande majorité des systèmes éducatifs,
02:06 il y a des pénuries d'enseignants plus ou moins généralisées.
02:10 Alors même la situation française peut paraître modeste par rapport à celle que rencontrent
02:17 d'autres pays.
02:18 Alors j'ai parlé de l'Europe mais l'été dernier par exemple, l'été 2022, il y avait
02:22 des pénuries importantes aux Etats-Unis qui ont conduit à des mesures qu'on n'imagine
02:25 même pas.
02:26 Réduire les semaines de classe, réduire le nombre d'heures de classe, ne pas traiter
02:30 certains points du programme, faire appel à des étudiants non formés, des retraités.
02:36 Quand on se compare, on se console, c'est bien connu.
02:39 On pointe souvent un faible niveau de rémunération.
02:42 Il est clair que les salaires ont beaucoup baissé en valeur relative dans les années
02:45 1990, un instituteur débutait à 1,8 SMIC, en 2020 il commence à 1,5 SMIC.
02:51 En fin de carrière, il atteignait un salaire équivalent à 3,7 fois le SMIC.
02:55 C'est descendu actuellement à 2,6.
02:58 Et la courbe vaut aussi pour les professeurs certifiés et les agrégés.
03:02 Est-ce que cette baisse de la rémunération, sa faiblesse relative, est le premier facteur
03:06 de désaffection du métier à votre avis Géraldine Farge ?
03:09 C'est en tout cas un facteur qui est vraiment important.
03:11 C'est-à-dire que depuis plusieurs années et encore très récemment, les publications
03:17 de l'OCDE, toutes les publications qui comparent internationalement les niveaux de salaire
03:20 des enseignants, pointent la faiblesse des salaires des enseignants en France.
03:24 Et on a aussi des données comparatives qui montrent que par rapport à d'autres diplômés
03:29 de même niveau, donc actuellement Bac+5, les enseignants ont des niveaux de salaire
03:33 qui sont particulièrement bas.
03:34 Alors il y a ce point-là, on va dire que la comparaison ne joue pas du tout en faveur
03:39 des métiers d'enseignement du point de vue salarial.
03:41 Mais par contre, il y a aussi d'autres facteurs auxquels on ne pense pas trop.
03:45 C'est-à-dire que les enseignants ont souvent à assumer des charges financières qui pèsent
03:52 sur les salaires.
03:53 Par exemple, en début de carrière, il faut souvent financer un logement d'appoint quand
03:57 on est affecté loin de chez soi par exemple, ou il faut payer des frais kilométriques
04:00 de voiture qui pèsent sur les budgets.
04:02 Et donc là, la question du salaire parfois, elle devient vraiment centrale.
04:05 Mais il y a d'autres facteurs aussi de désaffection du métier.
04:08 Le salaire est important, mais il y en a d'autres.
04:11 Oui, il faut peut-être penser aussi aux conditions de travail qui sont en réalité très contraignantes
04:15 parce que vous parliez de mobilité, on ne choisit pas le lieu de travail, on choisit
04:18 à peine son emploi du temps, chaque semaine se répète, on ne peut rien aménager dans
04:21 ses horaires, même les congés sont fixes.
04:24 C'est un métier qui est en fait très peu flexible.
04:26 Est-ce que vous pensez que ça joue pour la jeunesse ?
04:28 Alors c'est un métier qui est en effet beaucoup moins flexible qu'on ne le pense, que souvent
04:34 les étudiants par exemple qui veulent devenir enseignants l'imaginent.
04:37 Et qu'il est devenu de moins en moins ces dernières années avec un contexte de resserrement
04:42 des demandes qui sont adressées aux enseignants, on leur demande de rester plus longtemps dans
04:46 les établissements, de participer davantage à la vie collective, ce qui est d'un certain
04:50 point de vue très bien, mais qui demande beaucoup d'investissement.
04:53 Et ces conditions de travail du coup, elles sont parfois en effet perçues comme particulièrement
05:01 exigeantes, difficiles, et elles peuvent amener à réfléchir à deux fois à son
05:06 projet d'orientation quand on sait qu'il y a un salaire bas et puis en plus il y a
05:10 des contraintes comme celles que vous avez soulignées.
05:12 Il y a la question de l'orientation, mais il y a aussi un autre phénomène qui est
05:15 assez important, c'est celui des démissions, les enseignants en poste qui renoncent.
05:18 Et là encore les chiffres sont assez intéressants.
05:21 Géraldine Farge, entre 2008 et 2021, le nombre de démissions annuelles n'a cessé d'augmenter.
05:25 Il est passé de 364 enseignants à 2411.
05:30 A partir de 2014, on a 200 démissionnaires en plus en moyenne chaque année.
05:34 Alors évidemment c'est très faible rapporté aux 750 000 enseignants du public, mais c'est
05:38 quand même une tendance inquiétante.
05:39 Qu'est-ce qui fait qu'un professeur lâche ? Qu'est-ce qui dans le quotidien les fait
05:44 renoncer ?
05:45 Plusieurs choses.
05:46 Alors déjà sur ce point, c'est une question qui m'intéresse beaucoup.
05:50 On a travaillé sur ce sujet avec des collègues de Dijon et c'est vrai qu'on a pu démontrer
05:56 déjà que cette hausse, elle est modeste en termes d'effectifs, mais elle est significative
06:00 statistiquement.
06:01 Il y a bien une hausse.
06:02 Elle ne dépend pas que d'effets de structure.
06:03 Et ce qu'on a pu identifier, alors nous on a fait une recherche plutôt qualitative,
06:08 mais ce qui revenait très souvent dans les entretiens, les nombreux entretiens qu'on
06:12 a pu faire, c'est une sensation de conditions de travail à la fois pénibles et bloquées.
06:19 Ne pas pouvoir obtenir dans le cadre de l'éducation nationale des solutions pour résoudre un
06:25 problème.
06:26 Et ces démissions, elles se faisaient du coup à la suite souvent d'arrêts de travail,
06:30 souvent assez douloureux et qui étaient suivis par une reconversion professionnelle.
06:39 Mais tout ça, on l'a bien vu dans notre enquête, exige des ressources pour pouvoir
06:42 se reconvertir.
06:43 Il faut avoir un diplôme qui permet d'aller vers autre chose.
06:46 Il faut avoir souvent un conjoint ou une famille qui peut assurer les finances pendant qu'on
06:53 entame son projet.
06:54 Pour autant, et pour ne pas finir sur une touche trop négative, il faut quand même
06:58 dire que c'est une profession qui a un atout, elle a du sens, c'est un métier utile.
07:02 Est-ce que ça peut jouer dans le recrutement ? Est-ce que ça peut favoriser des reconversions
07:06 mais du privé vers l'enseignement ?
07:09 Oui, je crois que c'est vraiment quelque chose qu'il faut souligner.
07:11 Quand on interroge des personnes qui veulent devenir enseignantes, qu'elles soient étudiantes
07:18 ou qu'elles soient salariées avec un projet de reconversion, le sens du métier, la volonté
07:23 de travailler auprès d'enfants, d'instruire, est vraiment important.
07:27 Donc le sens du métier est central et ça joue dans ces vocations qui peuvent être
07:35 tardives mais qui restent un facteur explicatif fort.
07:39 Il faut bien avoir conscience de ce sens pour surtout le préserver et faire en sorte que
07:45 les personnes qui deviennent enseignantes continuent à trouver du sens dans l'exercice
07:49 ordinaire de leur métier.
07:50 Et ça, ça passe par une certaine liberté pédagogique, une liberté un peu plus forte
07:55 peut-être des professeurs d'enseignement, une hiérarchie un peu moins pesante.
07:58 Merci beaucoup Géraldine Farge pour ces éclaircissements.
08:01 Merci Marguerite Caton.
08:02 On pense fort évidemment aux enseignants et aux élèves qui sont sur le chemin de l'école
08:07 probablement.
08:08 Il est 7h23 sur France Culture.

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