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00:00:00 [Générique]
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00:00:05 [Musique]
00:00:34 Lorsqu'Emmanuel fut dévêtu,
00:00:36 elle lui fit signe d'entrée dans la baignoire
00:00:38 qu'emplissait une nobleté odorante et chaude.
00:00:42 Emmanuel frissonna lorsque l'éponge gonflée de mousse
00:00:45 circula entre ses jambes.
00:00:47 On en parle dans les dîners, vous avez vu Emmanuel.
00:00:51 Emmanuel, c'est l'entrée de l'érotisme dans la consommation de masse.
00:00:54 C'est digne, on peut y aller.
00:00:56 Lorsqu'elle fut ainsi entièrement dévêtue,
00:00:59 il la serra contre lui
00:01:01 et commença de la caresser des cheveux aux chevilles,
00:01:04 n'oubliant rien.
00:01:06 Elle avait maintenant tant envie de faire l'amour
00:01:08 que le cœur lui faisait mal.
00:01:10 Dans tous les pays du monde où le film est sorti,
00:01:12 ça a marché. Incroyable.
00:01:14 Au Japon, Sylvia Christel,
00:01:16 qui va ont d'une déesse vivante.
00:01:19 Il suffisait de très peu de choses pour que ce film n'existe jamais.
00:01:22 Lorsque la main toucha sa peau nue,
00:01:26 pour la première fois, Emmanuel eut un sursaut
00:01:29 et elle tenta d'échapper au sortilège.
00:01:31 En tout début 1973, la société française
00:01:38 est un peu une société qui étouffe.
00:01:40 Mai 68 a libéré la parole,
00:01:42 mais pas les corps.
00:01:44 Quand la lumière se fait, le président dit,
00:01:51 après ce que nous venons de voir,
00:01:53 c'est très simple, c'est l'interdiction totale.
00:01:55 Emmanuel fait trembler le gouvernement.
00:01:57 Le paradoxe, c'est que plus on disait aux gens
00:02:00 "non c'est pas bon", plus les gens avaient envie d'y aller
00:02:02 pour juger par eux-mêmes.
00:02:04 Voici donc l'histoire d'un scandale,
00:02:13 celui de ce corps dénudé qui s'est offert à la France.
00:02:16 Après mai 68, après De Gaulle et Pompidou,
00:02:19 la parole s'était libérée, mais la sexualité
00:02:21 relevait toujours de l'intime.
00:02:23 Sous la nouvelle présidence de Valéry Giscard d'Estaing,
00:02:26 Emmanuel allait tout révolutionner.
00:02:28 Mais ce ne fut pas simple, les réflexes étaient toujours là,
00:02:31 la censure gouvernait encore.
00:02:33 Ce sont les secrets de cette aventure que nous allons vous raconter,
00:02:35 ceux d'un film érotique adapté d'un livre
00:02:37 qui s'est longtemps vendu discrètement.
00:02:39 Emmanuel, c'est aussi l'abandon d'une vie,
00:02:41 celle de Sylvia Christel, jeune femme née irlandaise,
00:02:44 ingénue de 22 ans, qui ne pouvait imaginer
00:02:46 qu'elle resterait prisonnière à vie
00:02:48 du fantasme qu'elle allait faire naître.
00:02:50 Tout commence par une époque,
00:02:52 la France étouffe, elle a besoin de respirer,
00:02:54 elle ne sait pas encore qu'elle a probablement besoin
00:02:57 d'un peu d'érotisme.
00:02:59 - Marlène Jobert, vous êtes très photographiée,
00:03:01 par exemple dans "Lui", nue, complètement nue, c'est vrai.
00:03:04 Ça vous gêne pas ? - Quoi ?
00:03:06 - De poser nue. - Ça dépend, devant qui ?
00:03:08 - Bonsoir.
00:03:10 Actuelle 2 aborde en effet ce soir un des problèmes
00:03:12 les plus personnels, les plus délicats,
00:03:14 les plus importants de toujours,
00:03:16 et posée aujourd'hui en terme aigu,
00:03:18 la sexualité.
00:03:20 - La société française est frustrée,
00:03:22 elle est bloquée, elle est brimée,
00:03:24 elle est mal dans sa peau.
00:03:26 Elle a connu la secousse
00:03:28 de mai 1968,
00:03:30 mais elle reste encore paralysée.
00:03:32 - Cette émission lui est consacrée
00:03:34 parce qu'on vient de publier le premier rapport
00:03:36 sur le comportement sexuel des Français.
00:03:38 C'est un événement culturel et politique aussi,
00:03:40 qu'il ne faut pas craindre de traiter devant vous.
00:03:42 - Vous savez, à ce moment-là, dans la télévision publique,
00:03:44 une spikrine
00:03:46 qui montrait un bout de décolleté,
00:03:48 j'ai pas dit un sein, un bout de décolleté,
00:03:50 ou simplement un genou,
00:03:52 était licenciée.
00:03:54 - Mai 68 a libéré la parole,
00:03:56 mais pas les corps.
00:03:58 - Il y a eu De Gaulle, là c'est Pompidou
00:04:00 qui est président exactement
00:04:02 dans la même ligne qu'elle était
00:04:04 le général De Gaulle avant.
00:04:06 - Daniel Bremi, NF2. Depuis 1968,
00:04:08 les femmes ont beaucoup évolué
00:04:10 dans tous les domaines.
00:04:12 Or, elles se heurtent sans cesse à des barrières,
00:04:14 qu'il s'agisse des lois,
00:04:16 notamment sur la naissance,
00:04:18 sur l'inhabitude de l'administration,
00:04:20 des comités d'entreprise ou des assemblées.
00:04:22 Pensez-vous que ce blocage puisse durer indéfiniment ?
00:04:24 - Pour tout ce qui est de la morale,
00:04:36 des moeurs quotidiennes,
00:04:38 c'est un régime très strict,
00:04:42 un régime, on peut le dire, de censure.
00:04:46 - On est à une époque où la sensualité est cachée,
00:04:48 où la sexualité est cachée,
00:04:50 la sexualité des jeunes,
00:04:52 la sexualité divergente, dirais-je.
00:04:54 - Bonjour. Un film récent
00:04:56 fait actuellement couler beaucoup d'encre
00:04:58 et déplacer beaucoup de monde,
00:05:00 il faut bien le dire.
00:05:02 578 000 spectateurs, en effet,
00:05:04 ont déjà vu le dernier film de Bernardo Bertolucci,
00:05:06 le dernier tango à Paris.
00:05:08 Certaines scènes très audacieuses
00:05:10 divisent véritablement les esprits.
00:05:12 - En décembre 1972,
00:05:14 cette histoire tumultueuse
00:05:16 entre un homme d'âge mûr, joué par Marlon Brando,
00:05:18 et une jeune inconnue
00:05:20 fait l'effet d'une bombe
00:05:22 dans cette France conservatrice.
00:05:24 - C'est l'époque où
00:05:26 le scandale fonctionne très bien.
00:05:28 - C'est le début de ce qu'on va appeler
00:05:30 le "Q.1.0",
00:05:32 c'est-à-dire celui qui est permis,
00:05:34 qui n'est pas pornographique, qui n'est pas honteux,
00:05:36 qui n'est pas tabou, qui est possible.
00:05:38 - J'ai vu le dernier tango à Paris
00:05:40 et c'est un film que j'ai aimé.
00:05:42 Que j'ai même beaucoup aimé,
00:05:44 qui ne m'a pas choqué du tout.
00:05:46 Et justement, au sujet de ce film,
00:05:48 je n'aimerais pas que l'on emploie le mot "pornographie",
00:05:50 parce qu'on peut peut-être dire
00:05:52 que c'est un film érotique,
00:05:54 mais pas un film pornographique. Enfin, pour moi.
00:05:56 - Le public
00:05:58 de bourgeois et de bourgeoises
00:06:00 n'ont pas honte
00:06:02 d'aller voir le film
00:06:04 parce que c'est un film de qualité,
00:06:06 c'est un film signé Bertolucci.
00:06:08 - C'est le film intellectuel
00:06:10 par excellence,
00:06:12 le film d'auteur.
00:06:14 - Un succès sulfureux
00:06:16 qui fait réfléchir et rêver un jeune producteur publicitaire.
00:06:18 - 1,25 millions
00:06:22 entrés à Paris.
00:06:24 Mon challenge, c'était de battre
00:06:26 le dernier tango à Paris.
00:06:28 - Il n'a jamais fait de long métrage,
00:06:30 donc il pense que tout est possible.
00:06:32 Il est très cash avec ça, il veut faire des sous,
00:06:34 il veut faire un coup, il y va au culot.
00:06:36 - Je suis par conviction un entrepreneur.
00:06:38 J'ai une envie de réussite,
00:06:40 de conquête.
00:06:42 - Reste à trouver la bonne idée de film érotique.
00:06:46 Son ami Alain Cyritzki,
00:06:48 directeur marketing d'un des plus grands réseaux de salles de cinéma,
00:06:50 va lui souffler une idée.
00:06:52 - Si jamais on veut reproduire
00:06:56 le succès du dernier tango
00:06:58 à Paris, nous
00:07:00 devons avoir un alibi
00:07:02 intellectuel.
00:07:04 Et cet alibi ne peut être
00:07:06 qu'un livre. Je lui dis, écoute,
00:07:08 il y a "Histoire d'eau" et il y a "Emmanuel".
00:07:10 - "Emmanuel",
00:07:12 le producteur n'a jamais
00:07:14 entendu parler de ce livre,
00:07:16 mais quelques semaines plus tard,
00:07:18 cette idée va réapparaître.
00:07:20 Ce jour-là,
00:07:26 Yves Rousserroir se rend à New York
00:07:28 avec un ami écrivain.
00:07:30 - Nous cherchons quel est
00:07:32 le film érotique qui
00:07:34 pourrait séduire un très grand public.
00:07:36 Comme nous sommes dans un avion, je pense immédiatement
00:07:42 à une autre scène d'avion
00:07:44 qui est un chapitre emblématique
00:07:46 du livre "Emmanuel" où l'on voit
00:07:48 l'héroïne du livre entretenir
00:07:50 une relation passionnelle
00:07:52 avec un voisin inconnu.
00:07:54 - Et Guy me dit, mais tiens, tu devrais
00:07:56 faire "Emmanuel". - C'était un livre
00:07:58 que tout le monde avait lu et dont tout le monde
00:08:00 parlait ouvertement. - Apparemment, tout le monde
00:08:02 connaissait "Emmanuel" sauf moi.
00:08:04 - Il appartient à un milieu très bourgeois
00:08:06 et dans ces milieux bourgeois,
00:08:08 on ne lit pas des livres érotiques.
00:08:10 - Deux amis proches qui,
00:08:12 au même moment, soufflent la même idée,
00:08:14 le producteur se dit qu'il y a sûrement là
00:08:16 une piste intéressante.
00:08:18 Il se met alors en quête d'"Emmanuel".
00:08:20 - Je cherche le livre.
00:08:22 Je cherche le livre, je ne le trouve pas.
00:08:24 Donc je me dis, bon,
00:08:26 ça sent le souffre, enfin, il doit y avoir quelque chose.
00:08:28 - Quelque chose
00:08:30 qui, avant de devenir un best-seller,
00:08:32 a connu bien des péripéties.
00:08:34 14 ans plus tôt,
00:08:42 la toute première édition
00:08:44 paraît anonymement,
00:08:46 sans mention d'auteur,
00:08:48 ni même d'un éditeur.
00:08:50 - C'est un livre avec rien sur la couverture
00:08:56 et à l'intérieur, il y avait
00:08:58 un titre qui était "Emmanuel".
00:09:00 - Cette édition,
00:09:02 on va la vendre de manière clandestine,
00:09:04 sous le manteau,
00:09:06 dans une connivence de bouche à oreille,
00:09:08 à travers des petits points de vente
00:09:10 et de la vente par correspondance.
00:09:12 - Il n'y a pas beaucoup de livres qui circulent.
00:09:16 Il suffit qu'il y en ait un qui l'est,
00:09:18 il le passe à l'autre,
00:09:20 et on s'amuse même, c'est un petit jeu coquin,
00:09:22 à se lire
00:09:24 des passages d'"Emmanuel"
00:09:26 au téléphone.
00:09:28 - Un circuit souterrain
00:09:30 est donc mis en place
00:09:32 pour cet ouvrage subversif.
00:09:34 - C'est un livre qui appelle
00:09:36 la libération sexuelle des femmes mariées.
00:09:38 - C'est le récit d'une femme,
00:09:40 "Emmanuel", qui multiplie
00:09:42 les aventures de tout genre,
00:09:44 avec les hommes, avec les femmes.
00:09:46 - Si le couple ne se suffit pas lui-même,
00:09:48 il faut l'introduction
00:09:50 d'un troisième personnage, au minimum.
00:09:52 Et ça, c'est l'aspect véritablement révolutionnaire
00:09:54 d'"Emmanuel".
00:09:56 - Il ouvre de nouveaux horizons
00:09:58 et de nouvelles perspectives sur les rapports
00:10:00 sexuels entre les hommes, les femmes,
00:10:02 les ménages à deux, à trois,
00:10:04 l'homosexualité féminine, etc.
00:10:06 - Dans un pays où il y a eu quand même
00:10:08 une sorte de censure, les livres érotiques,
00:10:10 c'est une façon de lutter contre
00:10:12 l'ordre établi, le pouvoir,
00:10:14 d'une certaine façon.
00:10:16 - On peut dire pratiquement qu'"Emmanuel" fait trembler le gouvernement.
00:10:18 - Neuf ans après cette sortie clandestine,
00:10:20 l'éditeur fait paraître
00:10:22 le livre de manière officielle.
00:10:24 - Il voit émerger
00:10:26 quand même "68",
00:10:28 qui est là, ça frémit.
00:10:30 - On va avoir cette libération
00:10:32 sexuelle qui nous
00:10:34 transforme notre vie, nous, les femmes.
00:10:36 - La sortie du livre est toutefois soumise
00:10:40 à des mesures de restriction.
00:10:42 - Le livre est toujours interdit
00:10:46 à l'affichage. Il faut que je le demande.
00:10:48 Je le demande au vendeur
00:10:50 pour pouvoir sortir de dessous son comptoir.
00:10:52 - On ne peut pas faire de publicité
00:10:54 pour ces livres-là.
00:10:56 Donc, théoriquement, un livre qui est
00:10:58 interdit est un livre
00:11:00 morné. Eh bien là, pas du tout.
00:11:02 - Avec plus d'un million d'exemplaires vendus à travers le monde,
00:11:06 "Emmanuel" est devenu
00:11:08 un véritable phénomène.
00:11:10 Le producteur Yves Rousserroir
00:11:12 n'a toujours pas lu la moindre ligne,
00:11:14 mais c'est ce roman
00:11:16 qu'il veut adapter au cinéma.
00:11:18 Il faut maintenant convaincre l'éditeur
00:11:20 de lui céder les droits.
00:11:22 - Il y avait une espèce de capharnaüm
00:11:24 assez surprenant.
00:11:26 La maison Lossfeld, c'est une boutique.
00:11:28 C'est une boutique avec plein
00:11:30 de livres à l'intérieur, mais des piles
00:11:32 de livres. Il y avait une âme, quand même.
00:11:34 Il y avait une atmosphère.
00:11:36 - À la tête de cette maison d'édition,
00:11:38 l'éditeur des surréalistes.
00:11:40 Un homme à la réputation sulfureuse,
00:11:42 Éric Lossfeld.
00:11:46 - C'est un éditeur qui est un franc-tireur indépendant.
00:11:48 Il publie très souvent
00:11:50 des livres clandestins,
00:11:52 pornographiques ou érotiques.
00:11:54 - Éric Lossfeld me dit "Mais que voulez-vous ?"
00:12:00 Je lui dis "Écoutez, je suis producteur,
00:12:02 je me renseigne sur les droits d'Emmanuel,
00:12:04 du livre "Emmanuel".
00:12:06 Il me dit "Mais de toute façon,
00:12:08 les droits sont pris."
00:12:10 - En fait, cela fait plusieurs années
00:12:12 que de grands producteurs de cinéma réservent
00:12:14 leurs droits. Face à la déception
00:12:16 d'Ibrous-Seroir, l'éditeur se propose
00:12:18 tout de même de vérifier.
00:12:20 - Il appelle sa secrétaire
00:12:24 "Apportez-moi le dossier d'Emmanuel."
00:12:26 Il ouvre son dossier.
00:12:30 - Il regarde, hélas, stupéfaction.
00:12:32 Un des premiers miracles de cette histoire,
00:12:34 les droits sont tombés depuis 15 jours.
00:12:36 - Un coup de chance,
00:12:38 seulement le producteur manque d'argent.
00:12:40 Il va donc acheter les droits
00:12:42 pour une durée très courte.
00:12:44 - Et là, j'ai eu le sentiment
00:12:46 qu'il était presque satisfait
00:12:48 parce qu'il s'est dit
00:12:50 "Bon, il ne va pas réussir à monter le film
00:12:52 en 6 mois."
00:12:54 - 10 jours plus tard, le 27 avril 1973,
00:13:02 un premier chèque de 2500 francs
00:13:04 est versé par le producteur
00:13:06 et le contrat d'adaptation est signé.
00:13:08 Entre-temps, il a lu,
00:13:10 Emmanuel, ce texte est cru,
00:13:12 mais il croit pouvoir l'adapter
00:13:14 en édulcorant certains passages.
00:13:16 Yves Rousserroir a maintenant
00:13:18 6 mois pour agir avant que les droits
00:13:20 du livre ne lui appartiennent plus.
00:13:22 Le compte à rebours est lancé
00:13:24 et la première étape, trouver un réalisateur.
00:13:26 - J'avais d'abord pensé
00:13:30 à David Hamilton.
00:13:32 - David Hamilton est un photographe
00:13:34 de l'époque qui a vraiment le vent en poupe.
00:13:36 Sa spécialité, c'est les jeunes filles en fleurs.
00:13:38 - Il est dans le temps audacieuse.
00:13:40 Il y a pas beaucoup de photographes
00:13:42 qui sont passés à la mise en scène.
00:13:44 - David Hamilton refuse la proposition,
00:13:46 mais quelques temps plus tard,
00:13:48 le hasard va mettre sur la route du producteur
00:13:50 un jeune photographe de mode reconnu
00:13:52 à l'occasion d'une projection.
00:13:54 - Je suis à côté d'Yves, je regarde le film avec lui.
00:13:56 Je suis un petit peu inquiet parce que c'est
00:13:58 mon premier film personnel, en fait.
00:14:00 Pendant la projection,
00:14:06 je me penche vers lui, je lui dis juste
00:14:08 "Est-ce que tu as envie de faire un long métrage ?"
00:14:10 - J'ai cru que c'était un gag
00:14:12 parce qu'on prend une projection
00:14:14 et qu'il me dit "Tu veux faire un long métrage ?"
00:14:16 Je dis "Oui, bien sûr, j'aimerais."
00:14:18 Je lui dis "Bon, on se voit à la sortie."
00:14:20 Pour ce réalisateur peu expérimenté,
00:14:22 cette proposition paraît totalement inattendue.
00:14:24 - Je suis pas tout à fait prêt
00:14:26 à faire un long métrage, c'est quand même autre chose.
00:14:28 - Yves Rousserroir a dû penser aussi
00:14:30 qu'il connaissait un tas de top modèles
00:14:32 et de mannequins qui pourraient servir
00:14:34 pour le casting du film.
00:14:36 A l'issue de la projection,
00:14:38 le producteur est certain
00:14:40 de tenir enfin le réalisateur
00:14:42 de son film érotique.
00:14:44 Sans plus attendre, il lui confie
00:14:46 un exemplaire du livre.
00:14:48 - Je lui dis "Emmanuel, il n'y a pas de photo,
00:14:50 il n'y a rien, c'est quoi ?"
00:14:52 Il me dit "C'est un film érotique."
00:14:54 Je dis "Alors, Yves,
00:14:56 c'est pas tellement mon univers,
00:14:58 j'aime bien les femmes, j'adore la beauté,
00:15:00 mais enfin l'érotisme,
00:15:02 j'ai fait mon truc, laisse-moi lire le livre."
00:15:04 Ce n'est que quelques jours plus tard
00:15:12 que Juste Jacquin se décide
00:15:14 enfin à ouvrir le livre.
00:15:16 - Je tournais pas, j'ai dit "Mais c'est pas possible,
00:15:22 qu'est-ce que je vais faire avec ça ?
00:15:24 Je suis complètement stupéfait
00:15:26 des scènes érotiques.
00:15:28 J'arrive pas du tout à les imaginer
00:15:30 parce qu'elles sont crues."
00:15:32 - Je me souviens, ça commence par une scène de fédération
00:15:34 particulièrement gratinée, on va dire.
00:15:36 - Je rappelle Yves, "Vraiment,
00:15:38 c'est pas possible, quoi.
00:15:40 Je ne vois pas comment on peut tourner ça."
00:15:42 - Je lui dis "Non mais attends,
00:15:44 juste, c'est un livre,
00:15:46 nous on fait un film, on va faire une adaptation,
00:15:48 ni vulgaire, ni choquante."
00:15:50 Le photographe hésite,
00:15:52 mais il finit par accepter
00:15:54 de tourner Emmanuel.
00:15:56 Une fois ce problème réglé,
00:15:58 le producteur sollicite son ami
00:16:00 Alain Cyritzki,
00:16:02 le fils d'un très influent distributeur de films.
00:16:04 - Mon objectif est absolument de convaincre
00:16:10 mon père que
00:16:12 Emmanuel est une bonne affaire
00:16:14 et qu'il ne faut pas la laisser passer.
00:16:16 Il faut absolument qu'on soit dans ce coup-là.
00:16:18 - L'enjeu, pour moi,
00:16:20 est déterminant.
00:16:22 Il faut que le film sorte dans des salles
00:16:24 de qualité, pas comme
00:16:26 les films sexys de l'époque,
00:16:28 dans des salles de seconde zone.
00:16:30 - J'ai organisé un rendez-vous
00:16:32 entre Yves Rousserroir
00:16:34 et mon père,
00:16:36 et ce rendez-vous ne s'est pas bien passé.
00:16:38 Mon père m'engueule en me disant
00:16:40 "Demain, tu vas
00:16:42 me proposer d'ouvrir des bordels."
00:16:44 - Pour le moment,
00:16:46 le distributeur ne semble pas du tout convaincu.
00:16:48 - Parlons maintenant de cinéma, on s'habitue à tout,
00:16:52 c'est ce que l'on pourrait conclure après la projection
00:16:54 hier soir à Cannes du film de Marco Ferreri,
00:16:56 "La Grande Bouffe", dont nous
00:16:58 avons déjà parlé hier soir. On nous avait promis
00:17:00 un scandale pour le film le plus
00:17:02 scandaleux de l'histoire du cinéma.
00:17:04 "La Grande Bouffe" et ses scènes
00:17:06 d'orgies provoquent des réactions indignées
00:17:08 lors du 26e Festival de Cannes.
00:17:10 L'équipe du film
00:17:12 est même huée à la sortie de la projection.
00:17:14 - C'est un scandale !
00:17:20 Un scandale !
00:17:22 Ça gagne du pognon, ça !
00:17:24 - Un parfum de scandale
00:17:26 qui conforte Yves Ausserroir
00:17:28 dans son projet d'adapter "Emmanuelle".
00:17:30 Et le producteur
00:17:32 a fait le déplacement à Cannes pour trouver des soutiens financiers.
00:17:34 - Je constate
00:17:38 que j'ai peu de moyens
00:17:40 par rapport à des
00:17:42 projets qui sont annoncés sur la croisette
00:17:44 avec des moyens
00:17:46 considérables.
00:17:48 Je dis à Yves "Écoute,
00:17:50 voilà ce qu'on va faire.
00:17:52 Tu vas imprimer
00:17:54 un prospectus publicitaire."
00:17:56 - Je n'avais aucune image
00:17:58 pour le projet d'Emmanuelle.
00:18:00 Donc j'ai découpé une page du livre
00:18:02 qui était
00:18:04 en quelque sorte un peu
00:18:06 la philosophie d'Emmanuelle.
00:18:08 - Ce prospectus est en fait
00:18:10 un leurre qui ne vise
00:18:12 qu'un seul homme, le père d'Alain Cyritzki,
00:18:14 le distributeur
00:18:16 pour le moment hostile au projet.
00:18:18 - Je lui dis "Écoute,
00:18:20 là où il faut particulièrement le distribuer,
00:18:22 c'est au Carleton.
00:18:24 Tu glisses un ou deux
00:18:26 exemplaires sous la porte.
00:18:28 En principe, il va à la plage
00:18:32 le matin
00:18:34 vers 11h.
00:18:36 Tu remets un ou deux sur
00:18:38 la chaise longue qu'il va occuper
00:18:40 pour lire les journaux avant de partir
00:18:42 jouer au golf."
00:18:44 - Une distribution stratégique
00:18:46 qui va produire son effet.
00:18:48 - Et alors là, je tombe,
00:18:52 je vois son père et son oncle
00:18:54 qui me disent "Ah, mais c'est vous,
00:18:56 mais c'est incroyable
00:18:58 la publicité que vous faites."
00:19:00 - Mon père me dit
00:19:02 "Dis donc, ton copain là,
00:19:04 Yves Rosserroir, au fond,
00:19:06 c'est peut-être pas une mauvaise idée.
00:19:08 Peut-être que
00:19:10 on devrait le faire."
00:19:12 - On sait que la parole
00:19:14 de Josiaïski vaut de l'or.
00:19:16 Une fois qu'on a serré sa main
00:19:18 et qu'on s'est mis d'accord
00:19:20 sur quelque chose,
00:19:22 l'affaire est faite.
00:19:24 - Ils étaient lucides.
00:19:26 C'était sous réserve
00:19:28 du visa de censure.
00:19:30 L'accord qu'on pouvait passer
00:19:32 tombait à l'eau
00:19:34 si le visa de censure
00:19:36 était négatif.
00:19:38 (musique)
00:19:40 - Les choses avancent pour le producteur.
00:19:44 Il a trouvé un réalisateur,
00:19:46 un scénariste, celui de François Truffaut,
00:19:48 et puis un distributeur, à condition, certes,
00:19:50 que le film terminé passe le véto
00:19:52 de la censure. Nouvelle étape,
00:19:54 il faut trouver les interprètes de ce film érotique.
00:19:56 Pas facile. L'équipe va d'abord
00:19:58 chercher un acteur dont le nom apporterait
00:20:00 au film une caution culturelle, comme
00:20:02 Marlon Brando dans "Le dernier tango" à Paris.
00:20:04 Un nom s'impose, un comédien
00:20:06 de théâtre, une référence intellectuelle.
00:20:08 Il s'appelle Alain Cuny.
00:20:10 (musique)
00:20:12 - Alain Cuny,
00:20:22 c'était le grand comédien
00:20:24 pendant la guerre. - Un comédien qui jouait
00:20:26 à l'Odéon,
00:20:28 des pièces extrêmement
00:20:30 intellectuelles. - Une diction
00:20:32 parfaite, il jouait du Claudel.
00:20:34 - C'est un mythe, Alain Cuny.
00:20:36 (musique)
00:20:38 - C'est un monsieur qui a 70 ans,
00:20:42 mais je lui dis "Ah, mais c'est pas du tout le personnage."
00:20:44 C'est rédhibitoire pour moi.
00:20:46 C'est un vieux monsieur qui entraîne une fille, ça devient
00:20:48 complètement porno. Et il me dit "Écoute, tu comprends,
00:20:50 aujourd'hui,
00:20:52 Alain Cuny, c'est un nom."
00:20:54 - Alain Cuny avait suffisamment
00:20:56 de mystère,
00:20:58 et puis de passé aussi,
00:21:00 pour apporter
00:21:02 une espèce de caution
00:21:04 intellectuelle.
00:21:06 - Alain Cuny
00:21:08 arrive dans la pédon, robe de chambre
00:21:10 parasée, avec sa voix grave
00:21:12 et tout, mais j'étais paniqué,
00:21:14 pétrifié devant ce grand personnage.
00:21:16 J'essaye un peu en bafouillant
00:21:20 de lui expliquer ce que je veux faire. Il me regarde
00:21:22 et me dit "Est-ce que vous avez lu Bataille ? Il faut faire du Bataille."
00:21:24 Quand je suis sorti là, j'avais été tellement nul,
00:21:30 j'étais tellement
00:21:32 bafouilleur et tellement paniqué,
00:21:34 j'étais persuadé qu'il allait dire non.
00:21:36 - Une semaine passe,
00:21:38 et l'équipe n'a toujours pas de nouvelles du comédien.
00:21:40 - 8 jours après, il me téléphone, il me dit "Il a accepté."
00:21:44 Là, je suis estomaqué, abasourdi.
00:21:48 D'un sein raconté, je suis
00:21:50 très flatté qu'il accède
00:21:52 de tourner avec un bisou.
00:21:54 De l'autre côté, je dis "C'est pas le rôle."
00:21:56 Je suis un peu paniqué, comment je vais m'en sortir ?
00:21:58 - Des états d'âme vite chassés
00:22:00 par d'autres défis de taille.
00:22:02 Trouver des comédiennes qui acceptent
00:22:04 de jouer des scènes dénudées,
00:22:06 le réalisateur se tourne d'abord
00:22:08 vers l'une de ses amies,
00:22:10 l'égérie de ses photos de mode.
00:22:12 - Je dis ça à mon agent, et elle saute au plafond
00:22:14 "Mais Marika, qu'est-ce que vous allez faire dans cette galère ?
00:22:16 Mais c'est pas possible,
00:22:18 c'est érotique, c'est pornographique."
00:22:20 J'étais un petit peu
00:22:24 curieuse d'aller dans cette provocation
00:22:26 de ce sujet qui était
00:22:28 assez tabou à l'époque.
00:22:30 Alors j'ai réfléchi
00:22:32 quand même, au bout d'un moment,
00:22:34 pourquoi pas, essayons.
00:22:36 - Quelques rares comédiennes audacieuses
00:22:38 viennent peu à peu
00:22:40 étoffer le casting du film,
00:22:42 mais il manque toujours un personnage essentiel,
00:22:44 le personnage d'Emmanuelle.
00:22:46 - Il faut trouver l'héroïne.
00:22:52 L'héroïne, dans le livre,
00:22:54 elle est thoracienne,
00:22:56 mais on dit, au fond,
00:22:58 il n'y a pas d'obligation
00:23:00 à retrouver exactement
00:23:02 le même personnage.
00:23:04 - Je ne voyais pas Catherine Heneu, bien sûr.
00:23:06 D'abord, comment la toucher ?
00:23:08 - C'est surtout très compliqué de trouver une actrice française
00:23:10 connue qui va jouer le personnage
00:23:12 d'Emmanuelle. Prononcer le nom "Emmanuelle"
00:23:14 faisait que les agents raccrochaient.
00:23:16 En désespoir de cause,
00:23:18 le producteur pousse son réalisateur
00:23:20 à démarcher un milieu qu'il connaît bien.
00:23:22 J'appelle les agences de mannequins
00:23:24 en disant "j'ai un film à faire, un métrage".
00:23:26 Ils m'envoient les mannequins.
00:23:28 Mais je n'avais pas dit
00:23:30 que c'était pour un film érotique.
00:23:32 Je prends mon assistant, je l'écoute.
00:23:36 Je les déshabille, et quand
00:23:38 elles sont bien déshabillées, tu m'appelles.
00:23:40 J'entre au rapport, je fais
00:23:44 "Oh merde, c'est ma pudeur,
00:23:46 refais refermer la porte".
00:23:48 Je l'ouvre, je dis "très bien, je referme la porte".
00:23:50 Mais après,
00:23:52 elles se rhabillent, il faut que je leur explique
00:23:54 pourquoi je les ai fait mettre nues.
00:23:56 J'ai des réactions un peu brutales.
00:23:58 "Comment vous m'avez fait déshabillée
00:24:00 pour un film érotique, c'est scandaleux."
00:24:02 Elles se sont plaintes à leurs agents.
00:24:04 Trois semaines après, on se retrouvait au départ.
00:24:08 Comment fait-on ? Personne
00:24:10 ne voulait faire le film.
00:24:12 Dès lors, la recherche de l'héroïne
00:24:14 va se poursuivre à l'étranger.
00:24:16 Juste Jacquin écume les villes d'Europe
00:24:18 pour finalement se retrouver
00:24:20 à Amsterdam, en juillet 1973.
00:24:22 Je me rappelle bien
00:24:28 les tables en plastique.
00:24:30 On était assis autour.
00:24:32 Des caméras nous filmaient.
00:24:34 Il n'y avait rien de romantique dans ce studio.
00:24:38 Absolument rien.
00:24:40 Barbara De Vries, alors mannequin,
00:24:44 a été invitée à participer à ce casting
00:24:46 avec deux autres jeunes femmes.
00:24:48 Et parmi elles,
00:24:50 une certaine Sylvia Christel.
00:24:52 Elle est arrivée
00:24:54 avec un grand boa,
00:24:56 comme si elle avait déjà le rôle.
00:24:58 Elle se comportait comme une star de cinéma
00:25:00 avant même d'en être une.
00:25:02 La jeune Sylvia
00:25:04 n'a pas encore 21 ans.
00:25:06 En plus des trois petits films tournés
00:25:08 dans son pays, elle vient d'être élue
00:25:10 Miss TV Europe.
00:25:12 Elle est magnifique.
00:25:14 Elle a un sourire
00:25:16 et des yeux éblouissants.
00:25:18 Elle est comme une elfe.
00:25:20 Elle a un visage d'une pureté
00:25:22 et d'une perfection absolue.
00:25:24 Elle est sublime et elle le sait.
00:25:26 Ce qu'elle attend de ce rôle,
00:25:28 surtout, même si elle sait que c'est un rôle érotique,
00:25:30 c'est que ce soit un tremplin.
00:25:32 Sylvia prémédite les choses.
00:25:38 Ça n'est pas quelqu'un de spontané.
00:25:40 Lorsqu'elle va au casting,
00:25:42 elle sait bien ce qu'elle va faire.
00:25:44 En se présentant face à la caméra,
00:25:46 la jeune femme va prendre
00:25:48 une initiative surprenante.
00:25:50 Sa nuisette tombe et ça bluffe les gens
00:25:56 parce qu'elle continue
00:25:58 de parler comme si de rien n'était,
00:26:00 avec ce même aplomb,
00:26:02 avec cette même douceur.
00:26:04 C'est comme ça qu'elle montre ses seins.
00:26:06 Elle était prête à tout
00:26:08 pour attirer l'attention.
00:26:10 C'est comme si Sylvia ne connaissait pas de limite.
00:26:12 Elle va chercher
00:26:14 et elle obtient ce qu'elle veut.
00:26:16 Elle disait toujours à ma mère
00:26:22 "Je veux être connue,
00:26:24 peu importe de quelle manière."
00:26:26 Elle veut être connue.
00:26:28 Sa mère, qui est très terre à terre
00:26:30 et qui est une vraie travailleuse,
00:26:32 une femme besogneuse et austère,
00:26:34 lui dit "Être une star, c'est pas un métier."
00:26:36 Et elle lui dit "Maman, ce sera mon métier,
00:26:38 je vais être une star."
00:26:40 Pourtant ce jour-là,
00:26:42 c'est une concurrente qui retient l'attention du réalisateur.
00:26:44 Il a dit qu'il n'était pas sûr à 100% pour le rôle,
00:26:52 mais qu'il aimait beaucoup mes yeux
00:26:54 et qu'il voulait me revoir à Paris.
00:26:56 Mais avant de la faire venir,
00:27:00 juste Jacquin fait visionner à l'équipe
00:27:02 les images du casting
00:27:04 et là, c'est une autre fille
00:27:06 qui a l'unanimité.
00:27:08 Très rapidement,
00:27:10 on tombe d'accord tous les trois
00:27:12 pour considérer que Sylvia Christel
00:27:14 sort complètement de l'écran,
00:27:16 elle a un charme fou,
00:27:18 et on se dit "C'est elle,
00:27:20 évidemment c'est elle."
00:27:22 Quelques jours plus tard,
00:27:24 c'est donc Sylvia Christel
00:27:26 qui arrive à Paris.
00:27:28 L'occasion de voir une nouvelle fois
00:27:30 comment elle se comporte face à l'objectif.
00:27:34 C'est la première photo de Sylvia
00:27:36 avec un petit chapeau pour donner un petit air de comédie,
00:27:38 et je joue le chapeau, comme ça.
00:27:40 À un moment, je lui dis "écoute, Sylvia,
00:27:48 il faut que je te voie nue,
00:27:50 il faut que je te voie...
00:27:52 excuse-moi."
00:27:54 Ce que juste Jacquin ne soupçonne pas,
00:27:56 c'est la timidité de Sylvia Christel.
00:27:58 Sylvia disait toujours qu'elle était très timide
00:28:02 et détestait se mettre nue.
00:28:04 J'ai vu ma mère en bikini sur des photos,
00:28:06 mais je ne l'ai jamais vue en portée dans la vraie vie.
00:28:08 Ma mère était probablement
00:28:10 la personne la plus timide que j'ai rencontrée dans ma vie.
00:28:12 On commence avec un petit peu de papillon,
00:28:18 après elle enlève sa chemise,
00:28:20 on fait un petit strip-tease sympathique.
00:28:22 J'apprends à la connaître,
00:28:26 à être près de Sylvia,
00:28:28 voir la lumière que je peux faire avec elle.
00:28:30 Après j'ai mis complètement nue,
00:28:32 elle dit "mais ça ne me dérange pas du tout",
00:28:34 et très naturellement, elle se les a vues.
00:28:36 Le top modèle s'exécute,
00:28:38 sans rien laisser paraître de sa gêne.
00:28:40 Elle le joue de façon assez naturelle,
00:28:44 alors qu'au fond d'elle-même,
00:28:46 ça ne l'est pas du tout.
00:28:48 Sa volonté d'être comédienne,
00:28:50 sa volonté d'être une star,
00:28:52 était bien supérieure à sa pudeur.
00:28:54 Quand la séance prend fin,
00:28:56 au bout d'une heure,
00:28:58 le photographe et son héroïne sont soulagés.
00:29:00 La tension tombe,
00:29:02 je sens que Sylvia est confiante,
00:29:04 et moi j'ai confiance.
00:29:06 J'ai mon Emmanuel.
00:29:08 La jeune femme se réjouit d'avoir décroché
00:29:12 son premier rôle dans un film français.
00:29:14 Une bonne nouvelle dont elle sait
00:29:16 qu'elle ne sera pas la seule bénéficiaire.
00:29:18 Sylvia pensait que
00:29:26 devenir célèbre aiderait ma mère
00:29:28 à avoir une vie meilleure,
00:29:30 à avoir un réfrigérateur,
00:29:34 à avoir une vie plus facile.
00:29:36 Sa mère boit, discrètement,
00:29:40 mais boit toute la journée.
00:29:42 Et elle se noie dans le travail.
00:29:44 Sylvia veut vraiment, enfin,
00:29:46 par son succès,
00:29:48 apporter à sa mère du réconfort,
00:29:50 apporter à sa mère de la couleur.
00:29:54 La tension est généreuse,
00:29:56 l'annonce de ce rôle érotique
00:29:58 reste délicate.
00:30:00 Sa mère lui a donné une éducation stricte,
00:30:02 sérieuse.
00:30:04 On commence à lui dire "c'est un film sans tabou,
00:30:06 tu sais, maman".
00:30:08 Pas la peine de le voir,
00:30:10 c'est tout ce que tu n'aimes pas.
00:30:12 Il y a beaucoup de nudité dedans.
00:30:14 Alors ma mère a dit "vas-y,
00:30:20 nous verrons bien
00:30:22 quand le bateau coule".
00:30:24 Avec l'accord de sa mère,
00:30:30 Sylvia Christel sera donc émanuelle.
00:30:32 La jeune femme et l'équipe s'envolent
00:30:34 pour une destination lointaine,
00:30:36 située à quelques milliers de kilomètres
00:30:38 de sa ville natale, direction la Thaïlande,
00:30:40 un pays exotique pour un film érotique.
00:30:42 C'était le décor du livre,
00:30:44 ce sera donc le décor du film.
00:30:46 C'est donc en décembre 1973
00:30:48 que l'équipe pose ses bagages
00:30:50 au pays de Chiang Mai, au nord du pays.
00:30:52 L'équipe de tournage, en fait,
00:30:56 est une petite équipe.
00:30:58 Des jeunes, en plus, une équipe de jeunes,
00:31:00 ils viennent tous de la pub ou presque.
00:31:02 On était des débutants sur un long-métrage,
00:31:04 mais on y allait très très détendus.
00:31:06 C'était surtout, oui,
00:31:08 partir, découvrir un pays
00:31:10 qui faisait rêver.
00:31:12 C'était à la découverte d'ailleurs.
00:31:14 Une insouciance que certains ne partagent pas.
00:31:18 Je me retrouve en Thaïlande
00:31:20 avec toute une équipe que je ne connais pas.
00:31:22 Et là, une trouille énorme me saisit
00:31:24 et je commence à trembler de peur.
00:31:26 Je relis de 20 fois à 30 fois mon scénario.
00:31:32 J'essaie de me le rentrer dans la tête.
00:31:34 Les images deviennent floues,
00:31:36 je ne sais plus ce que je vais faire.
00:31:38 J'étais paniquée, mais complètement paniquée.
00:31:40 Je ne suis pas capable de le faire,
00:31:42 c'est pas possible, c'était la veille du tournage.
00:31:44 Dans une chambre voisine,
00:31:46 celle qui doit incarner Emmanuel
00:31:48 n'est pas non plus rassurée.
00:31:50 Elle a cette espèce de vertige
00:31:52 juste avant l'obstacle.
00:31:54 Elle relit le scénario
00:31:56 et elle se dit qu'il y a
00:31:58 un gouffre entre ce qu'elle a lu
00:32:00 tranquillement chez elle
00:32:02 et la réalité de ce qu'elle va devoir faire
00:32:04 le lendemain matin.
00:32:06 Une réalité qui lui fait peur
00:32:08 et qui réveille en elle le souvenir
00:32:10 d'un traumatisme survenu à l'adolescence.
00:32:14 La scène se passe dans une maison de vacances
00:32:16 des Pays-Bas.
00:32:18 Sylvia Christel et sa soeur
00:32:20 sont convoquées par leur père.
00:32:22 Son père fait rentrer
00:32:24 une femme
00:32:26 et cette femme est une femme
00:32:28 vulgaire. C'est une femme
00:32:30 très maquillée, avec beaucoup de rouge,
00:32:32 habillée court, avec un gros chignon,
00:32:34 des yeux très noirs.
00:32:36 Elle portait
00:32:38 beaucoup de maquillage.
00:32:40 Ma mère n'en portait jamais.
00:32:42 Alors non, dès le premier regard,
00:32:44 on ne l'a pas aimée.
00:32:46 Cette femme si différente
00:32:48 de leur mère
00:32:50 est en fait une entraîneuse de bar.
00:32:52 Le père se retourne vers cette femme
00:32:56 et dit "les enfants,
00:32:58 je vous présente ma nouvelle femme."
00:33:00 Et c'est un choc
00:33:02 immense pour Sylvia.
00:33:04 Elle se bat avec cette femme,
00:33:06 elle se rue sur son père,
00:33:08 elle lui dit "tu ne peux pas faire ça,
00:33:10 tu ne peux pas laisser maman,
00:33:12 tu ne peux pas nous laisser."
00:33:14 Mais le père ne reviendra jamais.
00:33:16 Alors, à la veille d'incarner Emmanuel,
00:33:20 Sylvia Christel ne trouve pas le sommeil.
00:33:22 Elle aura toujours en elle
00:33:28 ces deux figures
00:33:30 qui ont accompagné son enfance,
00:33:32 la figure de la putain
00:33:34 et la figure de la mère pieuse.
00:33:36 Sa mère, qui se réveille en elle
00:33:38 et qui lui dit "mais Sylvia,
00:33:40 qu'est-ce que tu es en train de faire ?"
00:33:42 Dans ce contexte incertain et fragile,
00:33:44 la jeune débutante et le réalisateur
00:33:46 parviendront-ils à dompter leur peur ?
00:33:48 Le lendemain matin,
00:33:54 peu avant 8h,
00:33:56 l'équipe technique commence à s'installer
00:33:58 dans ce qui sera le décor principal du film,
00:34:00 la maison d'Emmanuel.
00:34:02 On arrive devant cette maison
00:34:04 qui est quand même un endroit
00:34:06 qui est comme un conte de fées
00:34:08 au cœur d'un parc jardin
00:34:10 luxuriant,
00:34:12 avec des sculptures,
00:34:14 une grande terrasse.
00:34:16 Il n'y a pas de bruit.
00:34:20 Le seul bruit, c'est le tintement
00:34:22 des petites clochettes accrochées
00:34:24 au toit de la terrasse.
00:34:26 Si le cadre est paradisiaque,
00:34:28 les conditions de tournage
00:34:30 le sont beaucoup moins.
00:34:34 Le budget du film est à peu près
00:34:36 le budget d'un bon film publicitaire
00:34:38 de 30 secondes.
00:34:40 Sauf que nous, on doit faire 1h30 avec.
00:34:42 Il fallait jouer serré.
00:34:44 Sur le plateau,
00:34:46 le réalisateur et son actrice ont finalement
00:34:48 rejoint l'équipe.
00:34:50 Sylvia Christel, dès le début,
00:34:52 est mise à l'épreuve.
00:34:54 Elle doit jouer la scène des retrouvailles sexuelles
00:34:56 entre Emmanuel et son mari.
00:34:58 Quand tu dis à une comédienne
00:35:00 "on commence par une scène érotique",
00:35:02 c'est assez stupéfiant, c'est étonnant
00:35:04 de se mettre dans le bain aussi rapidement.
00:35:06 Elle en est malade
00:35:08 d'avoir à tourner cette séquence-là.
00:35:10 Et à cette difficulté,
00:35:12 s'en ajoute une autre.
00:35:14 Elle est incapable de mémoriser ses lignes.
00:35:20 Elle était un peu derrière elle,
00:35:22 elle est dé...
00:35:24 idéale, un peu comme des souffleurs de théâtre.
00:35:26 Une comédienne qui essaye
00:35:30 de faire le mieux possible,
00:35:32 mais qui ne parle pas un mot de français
00:35:34 et qui ne peut pas dire son texte
00:35:36 sans tout d'un coup, au bout d'une phrase
00:35:38 ou quelques mots, hésiter
00:35:40 et être obligée de se reprendre.
00:35:42 Une évidence s'impose
00:35:44 à toute l'équipe.
00:35:46 La voix de l'actrice principale devra être doublée.
00:35:48 Elle comprend qu'elle va être
00:35:56 une sorte d'actrice muette.
00:35:58 Tu es une actrice érotique,
00:36:00 on va filmer ton corps,
00:36:02 ce que tu dis, on s'en fiche.
00:36:04 C'est une immense déception.
00:36:06 Elle devient, elle dit,
00:36:20 une sorte d'automate formidable
00:36:22 qui va faire tout ce qu'on lui dit de faire.
00:36:24 Son corps était là,
00:36:26 mais rien d'autre était là.
00:36:28 Elle ne se livre pas
00:36:30 quand elle joue
00:36:32 et on sent un espèce de voile.
00:36:34 En fin de journée,
00:36:36 la première séquence du film
00:36:38 est sur la pellicule.
00:36:40 Pour le réalisateur,
00:36:42 c'est un véritable apaisement.
00:36:44 Mon traque était en passé,
00:36:52 j'étais libre,
00:36:54 j'étais un metteur en scène heureux.
00:36:56 Je me retrouve devant Sylvia,
00:36:58 je l'embrasse, je lui dis
00:37:00 "C'est parti, c'était magique."
00:37:02 Les jours suivants,
00:37:06 chacun prend ses marques,
00:37:08 trouve son rythme,
00:37:10 et très vite,
00:37:12 un air de vacances
00:37:14 plane au-dessus de l'équipe.
00:37:16 Le soir, ils vont dans le Chiang Mai,
00:37:18 ils font la fête.
00:37:20 C'est joyeux,
00:37:22 des garçons font monter
00:37:24 des masseuses dans leur chambre.
00:37:26 On fait quelques bêtises,
00:37:28 on a tous fumé,
00:37:30 on n'a pas pu tourner le lendemain.
00:37:32 On ne fait pas un grand film,
00:37:34 mais on est tous contents
00:37:36 de ces premières journées.
00:37:38 On a l'impression que tout se passe bien.
00:37:40 Si la détente et la bonne humeur
00:37:42 règnent sur le tournage,
00:37:44 l'équipe travaille néanmoins
00:37:46 à l'aveugle.
00:37:48 - J'ai fait un véhicule à Air France
00:37:50 qui l'envoie à Paris.
00:37:52 J'ai tourné tout le film sans rien voir.
00:37:54 Après six jours de tournage,
00:37:58 les premières images arrivent à Paris.
00:38:00 Les producteurs s'apprêtent à les découvrir
00:38:04 en compagnie de la monteuse du film,
00:38:06 Claudine Boucher.
00:38:08 - Maman a beaucoup travaillé
00:38:10 avec François Truffaut,
00:38:12 et c'est quelqu'un qui a beaucoup de métiers.
00:38:14 Elle me dit "Viens, on va aller voir
00:38:16 les premières rushs du film,
00:38:18 mais tu te mets au fond et surtout,
00:38:20 tu dis rien."
00:38:22 J'avais 15 ans
00:38:24 et je n'avais jamais vu de film érotique,
00:38:26 donc j'étais très intéressée.
00:38:28 - Yves Rousserroir regarde les rushs
00:38:40 avec Claudine Boucher,
00:38:42 il est atterré.
00:38:44 - On n'est pas enthousiaste,
00:38:46 Claudine Boucher est même assez négative.
00:38:48 - Il n'y avait pas beaucoup, il me semble-t-il,
00:38:56 de plans intermédiaires.
00:38:58 Le choix de juste, ça a été effectivement
00:39:00 de faire un plan très large,
00:39:02 de façon à installer le décor très esthétiquement,
00:39:04 et puis après, de se concentrer plutôt
00:39:06 sur des plans assez serrés,
00:39:08 qui sont beaucoup plus évocateurs.
00:39:10 - La lumière est belle,
00:39:12 mais objectivement,
00:39:14 on ne sentait pas suffisamment d'érotisme.
00:39:16 - Yves Rousserroir s'attendait
00:39:18 à quelque chose d'un peu plus arbre,
00:39:20 mais à ce moment-là, il ne fallait pas
00:39:22 prendre Jacquin comme réalisateur,
00:39:24 parce que Juste est quelqu'un
00:39:26 de très prude, justement.
00:39:28 - Il ne disait pas "Mets plus de chaleur,
00:39:30 embrasse différemment,
00:39:32 caresse-la."
00:39:34 Il ne pouvait pas, ça lui restait là.
00:39:36 - À l'issue de la projection
00:39:38 des premiers Rush,
00:39:40 une réunion de crise
00:39:42 est très vite organisée.
00:39:44 - Les producteurs sont
00:39:46 complètement catastrophés,
00:39:48 parce que les gens sont loin,
00:39:50 l'équipe est loin,
00:39:52 et qu'ils n'ont pas de contrôle.
00:39:54 Pour eux, c'est le truc de "Une semaine
00:39:56 de tournage, ça nous a coûté tant.
00:39:58 Si on va jusqu'au bout, ça va nous coûter
00:40:00 beaucoup plus. Si on n'a pas de film,
00:40:02 on perd tout."
00:40:04 Est-ce qu'on change le réalisateur ?
00:40:06 C'était difficile.
00:40:08 - Il suffisait de très peu de choses
00:40:10 pour que ce film n'existe jamais.
00:40:12 - À cet instant précis, l'enjeu est capital.
00:40:14 Face à ces premières difficultés,
00:40:16 le producteur va-t-il
00:40:18 renoncer ?
00:40:20 - On vient juste de commencer.
00:40:22 C'est le film qui est en question.
00:40:26 Complètement.
00:40:28 Et puis je me suis dit "Non, il faut
00:40:30 continuer."
00:40:32 - Le producteur préfère miser pour gagner.
00:40:34 Et puis maman les rassure en leur disant
00:40:36 "Ne prenez aucune décision avant
00:40:38 d'avoir vu les séquences montées."
00:40:40 - Dès le lendemain,
00:40:42 le producteur envoie un télégramme
00:40:44 au réalisateur avec des mots directs.
00:40:46 - "C'est nul, on voit rien,
00:40:48 tu te dégonfles." Visiblement, Yves n'avait pas
00:40:50 envie de faire le même film que moi.
00:40:52 - Juste, on a été affecté physiquement.
00:40:56 Il a été détruit par la production.
00:40:58 - Peut-être ai-je été
00:41:00 un peu dur,
00:41:02 un peu négatif.
00:41:04 Je ne suis pas toujours très politique dans ces cas-là.
00:41:06 - A la suite de ce télégramme, l'équipe
00:41:12 se montre solidaire envers juste chacun.
00:41:14 Le réalisateur sent bien qu'il est en danger
00:41:16 mais le tournage doit avancer.
00:41:18 Le dimanche 16 décembre 1973,
00:41:20 tout le monde part vite se coucher
00:41:22 car le lendemain, une scène les attend
00:41:24 au petit matin.
00:41:28 Toute l'équipe s'est levée tôt
00:41:30 ce matin du 17 décembre.
00:41:32 Aujourd'hui,
00:41:34 ils vont tourner la scène dans laquelle Emmanuel
00:41:36 parcourt les rizières à cheval
00:41:38 avec une amie.
00:41:40 - Elle me dit que
00:41:44 le cheval, c'est pas son truc.
00:41:46 Si on pouvait lui amener un éléphant,
00:41:48 elle préférerait.
00:41:50 Je lui dis d'abord que dans le scénario,
00:41:52 il n'y a pas d'éléphant de prévu, c'est un peu tard,
00:41:54 le soleil se lève
00:41:56 et il faut que tu montes à cheval.
00:41:58 Donc là, elles font alarme.
00:42:00 - Elle n'a jamais monté de chevaux.
00:42:02 Elle a terriblement peur de...
00:42:04 - C'était une peur viscérale, l'idée de monter
00:42:06 sur un cheval.
00:42:08 - On ne s'attendait pas à ce qu'elle ne monte pas à cheval
00:42:12 parce que le scénario, elle l'avait lu
00:42:14 donc elle savait qu'il y avait une scène à cheval.
00:42:16 Il faut faire vite,
00:42:18 tourner avant le lever du soleil,
00:42:20 alors à défaut de grandes chevauchées,
00:42:22 le réalisateur soumet une idée.
00:42:24 - Il dit "C'est pas grave, ce qu'on va faire,
00:42:26 c'est que vous allez marcher toutes les deux
00:42:28 en tenant votre cheval par la bride."
00:42:30 Sylvia dit "Moi, je ne peux pas tenir un cheval par la bride."
00:42:32 Alors là, catastrophe, qu'est-ce qu'on fait ?
00:42:34 - Sur le moment, il n'y avait qu'une chose à faire,
00:42:36 c'était sauver les plans.
00:42:38 - Et c'est le chef opérateur
00:42:40 qui va trouver la solution.
00:42:42 - J'étais le seul qui correspondait
00:42:44 au physique de Sylvia.
00:42:46 - Il n'était pas très barraqué,
00:42:48 il était fin quand même.
00:42:50 - Des cheveux plutôt bras,
00:42:52 bouclés, comme Sylvia.
00:42:54 - Je lui passe mon jean, mes bottes, ma chemise,
00:42:58 je prends sa petite robe blanche.
00:43:00 - Et Richard revient habillé comme Sylvia suit tel,
00:43:06 il est évident que c'est l'éclat de rire
00:43:08 de toute l'équipe.
00:43:10 - Le chef opérateur dans la peau d'Emmanuel,
00:43:12 pour que le subterfuge fonctionne à l'écran,
00:43:14 c'est son assistant qui va filmer la scène,
00:43:16 en adaptant bien sûr le cadrage.
00:43:18 - Quand ils sont de profil,
00:43:20 on est très, très loin.
00:43:22 Et quand on est beaucoup plus près,
00:43:24 généralement, on est dos ou trois quarts dos
00:43:26 aux deux comédiennes,
00:43:28 et donc on ne remarque rien.
00:43:30 - Au cinéma, personne ne l'a vu,
00:43:38 mais c'est pas une montre très féminine, non.
00:43:40 - Voilà une difficulté supplémentaire surmontée.
00:43:46 Le tournage peut continuer.
00:43:48 Nous sommes le lendemain de cette fameuse chevauchée.
00:43:56 Nouvelles scènes, nouveaux décors
00:44:00 et nouveaux problèmes.
00:44:02 - On arrive tous, cet endroit est magnifique,
00:44:04 l'eau et la lumière sont extraordinaires,
00:44:06 une très jolie rivière,
00:44:08 avec une petite cascade, etc.
00:44:10 Donc je commence à tourner avec Sylvia,
00:44:12 je demande à Marika de couper le pantalon
00:44:14 pour me faire un t-shirt,
00:44:16 tout c'est sublime.
00:44:18 - Il y a un pont juste au-dessus, ou la route,
00:44:20 et il y a des gens qui nous voient là, à poil,
00:44:22 toutes les deux, faire les imbéciles.
00:44:24 - Deux femmes nues sous une cascade,
00:44:30 effectivement, ça les étonne,
00:44:32 ça les intéresse, jusqu'au moment
00:44:34 où il y a un jeune Thaïlandais
00:44:36 qui arrive et qui se met à hurler,
00:44:38 qui ramasse une poignée de terre par terre
00:44:40 et qui nous dit,
00:44:42 "Vous souillez la terre de mon pays."
00:44:44 - Je vois arriver des voitures
00:44:50 avec des gyrophares, des flics,
00:44:52 qui se précipitent sur nous.
00:44:54 - Alors que les policiers sont arrivés sur les lieux,
00:44:56 le chef opérateur prend une précaution.
00:44:58 - Je demande à l'assistant
00:45:02 de changer le magasin de la caméra
00:45:04 et de décharger très rapidement
00:45:06 ce que l'on a fait dans la cascade
00:45:08 pour le mettre à l'abri.
00:45:10 Et lorsqu'il nous demande les films,
00:45:12 on a déjà interverti les bobines.
00:45:14 - La bobine saisie,
00:45:18 le tournage est immédiatement arrêté
00:45:20 et l'équipe se retrouve au commissariat de Chiang Mai.
00:45:22 - On était assises à l'extérieur
00:45:24 avec un haut vent,
00:45:26 comme ça, et on attendait.
00:45:28 On attendait.
00:45:30 - En deux minutes, ils imaginent le pire.
00:45:32 Ils se disent, si les autorités thaïlandaises
00:45:34 découvrent qu'on tourne un film érotique,
00:45:36 on est dehors.
00:45:38 - J'avais peur qu'ils nous interdisent
00:45:40 totalement le tournage.
00:45:42 - Tout ne me passe pas la tête.
00:45:48 Je me voyais en taux.
00:45:50 J'ai eu peur.
00:45:52 Je me suis rendu compte
00:45:54 qu'on était allégés de partir sans permission, sans rien.
00:45:56 - En fait, les autorités thaïlandaises
00:45:58 ont refusé le tournage d'Emmanuel.
00:46:00 - Il est hors de question
00:46:06 d'être un film sexy, osé.
00:46:08 - C'est un pays bouddhiste
00:46:10 extrêmement pudique.
00:46:12 Dans les années 70, on ne tourne pas de film érotique en Thaïlande.
00:46:14 - Le producteur a donc cherché
00:46:16 une solution auprès d'une personnalité
00:46:18 influente dans le royaume.
00:46:20 - Yves Rousserroir
00:46:22 a rencontré le prince Panopane,
00:46:24 qui est un des cousins du roi de l'époque,
00:46:26 qui lui dit, pourquoi avez-vous demandé
00:46:28 des autorisations ?
00:46:30 Vous dites que vous allez
00:46:32 tourner un documentaire sur la Thaïlande
00:46:34 et puis je m'occupe du reste.
00:46:36 C'est quasiment de la contrebande.
00:46:38 - Seulement le prince a indiqué des lieux de tournage précis.
00:46:40 Le réalisateur, lui,
00:46:42 ne les a pas respectés.
00:46:44 - On avait fixé
00:46:48 une cascade et au dernier moment,
00:46:50 juste jacquin a changé
00:46:52 le lieu de tournage.
00:46:54 - On ne s'était pas rendu compte
00:46:56 qu'on tournait à côté d'un monastère.
00:46:58 C'était un lieu sacré.
00:47:00 - Heureusement, avec l'appui du prince thaïlandais,
00:47:02 le producteur obtient la libération de l'équipe
00:47:04 et le tournage peut reprendre.
00:47:06 A Paris,
00:47:10 la monteuse reçoit les images de la scène
00:47:12 de la cascade qui aurait échappé à la saisie
00:47:14 de la police. Pourtant,
00:47:16 ici encore,
00:47:18 il y a un petit souci.
00:47:20 - On a dû perdre
00:47:22 une bobine qui comportait une partie
00:47:24 de la scène importante, c'est-à-dire les deux filles
00:47:26 nues sous la cascade qu'on ne verra jamais.
00:47:28 - La cascade, oui, on a un trou.
00:47:30 J'espère que ça passe,
00:47:32 mais on a un trou.
00:47:34 - Aucune image de la baignade,
00:47:36 un manque que la monteuse va combler
00:47:38 par un plan unique, celui du pont
00:47:40 sur lequel passent justement les moines,
00:47:42 à l'origine du scandale.
00:47:44 - On peut nous dépêcher maintenant
00:47:46 si nous voulons arriver à temps.
00:47:48 - C'est encore loin ?
00:47:50 - Pas tellement,
00:47:52 mais on a perdu beaucoup de temps.
00:47:54 - Tu trouves ? - Quoi ?
00:47:56 - Parce que nous avons perdu du temps.
00:47:58 - Ah...
00:48:00 Non, ce n'est pas ce que je voulais dire.
00:48:02 Allons-y.
00:48:04 - L'accumulation des incidents
00:48:14 oblige le producteur
00:48:16 à se rendre sur place
00:48:18 et à prendre une décision
00:48:20 qui concerne le réalisateur.
00:48:22 - Il m'annonce donc
00:48:24 qu'il souhaite
00:48:26 me renvoyer juste à Paris.
00:48:28 Il me propose de me donner son pourcentage
00:48:30 pour continuer.
00:48:32 Je leur dis que si juste,
00:48:34 je partirais aussi.
00:48:36 - Richard Suzuki refuse.
00:48:38 Il va proposer à Yves Rousserroir
00:48:40 de dépôler
00:48:42 Jus Jaïquan à la mise en scène.
00:48:44 - Même si le réalisateur est maintenu,
00:48:46 la confiance est rompue.
00:48:48 - Le problème, c'est que chacun
00:48:52 prenait le pouvoir.
00:48:54 - Je ne savais plus tellement
00:48:56 qui fallait suivre, ce qu'il fallait faire.
00:48:58 - À partir de ce moment-là,
00:49:00 Jus Jaïquan, qui n'était pas déjà
00:49:02 très sûr de lui, va être vraiment
00:49:04 en retrait. Le peu de confiance
00:49:06 qu'il avait en lui en tant que metteur en scène
00:49:08 va s'évaporer.
00:49:10 - À cela, il faut ajouter
00:49:12 les humeurs de la caution intellectuelle
00:49:14 du film, l'acteur Alain Cuny.
00:49:16 - Alain Cuny, il arrive
00:49:20 en statue impériale.
00:49:22 Il était assez froid
00:49:24 dans son attitude, il était assez
00:49:26 mystérieux.
00:49:28 - Distant,
00:49:30 dans son monde, dans son flègme,
00:49:32 son attitude, comme ça,
00:49:34 un petit peu arrogante et étrange.
00:49:36 - Il exècre Jus Jaïquan.
00:49:40 Pour lui, c'est un imbécile,
00:49:42 un inculte. Il méprise gentiment
00:49:44 le reste des techniciens.
00:49:46 - Cuny, alors,
00:49:48 il ne nous a pas aidé du tout.
00:49:50 Il a été odieux du début jusqu'à la fin.
00:49:52 - C'était quelqu'un
00:49:54 qu'on n'intéressait pas. C'était quelqu'un
00:49:56 que le film n'intéressait pas.
00:49:58 - Bonjour, Marie-Ange. - Je vous présente Emmanuel.
00:50:00 Bonjour.
00:50:02 - Mais la beauté de votre amie
00:50:04 dépasse de beaucoup vos éloges.
00:50:06 - Je vous la prêterai si vous voulez.
00:50:08 Et si je veux ?
00:50:10 - Vous avez un très
00:50:12 beau corps.
00:50:14 - Vous pourriez dire, vous portez une très belle robe.
00:50:16 Je ne suis pas nue que je sache.
00:50:18 Ce qui m'importe
00:50:20 n'est pas que vous soyez nue,
00:50:22 mais que je vous vois nue.
00:50:24 Vous ne voulez pas me sourire ?
00:50:26 Allons nous réconcilier en buvant un peu.
00:50:28 - Visiblement, d'aller en Thaïlande
00:50:32 serait pour lui
00:50:34 quelque chose de coquin et d'écharmant.
00:50:36 - Il voulait aller dans un salon
00:50:38 de massage. Donc, je lui
00:50:40 organise une visite
00:50:42 dans un salon de massage.
00:50:44 Et au bout de 5 minutes, je vois
00:50:46 une masseuse qui part en criant
00:50:48 et Cuny qui le poursuivait.
00:50:50 - Les humeurs d'Alain Cuny n'ont pas fini
00:50:54 de perturber le bon déroulement du film.
00:50:56 Le tournage est presque
00:50:58 terminé,
00:51:00 mais le comédien exige de rentrer
00:51:02 plus tôt que prévu à Paris.
00:51:04 - Alain Cuny
00:51:06 a tout d'un coup craqué vers la fin.
00:51:08 Et donc, pour l'arranger,
00:51:10 on s'est dit, qu'est-ce qu'on peut faire ?
00:51:12 Cette scène-là, on peut la faire en France,
00:51:14 en studio.
00:51:16 Je ne suis pas opposé au rapatriement
00:51:20 et à l'organisation du tournage
00:51:22 à Paris. Au fond, plus vite on est parti
00:51:24 du pays, mieux c'est.
00:51:26 - Si le comédien a exigé de rentrer plus vite,
00:51:28 c'est en réalité
00:51:30 parce qu'il se retrouve face à un dilemme.
00:51:32 - Alain Cuny avait les droits d'une pièce
00:51:38 de théâtre, l'annonce faite à Marie,
00:51:40 qu'il avait achetée à la famille
00:51:42 de Claudel. Quand ils ont su qu'Alain Cuny
00:51:44 tournait dans un film érotique,
00:51:46 la famille a dit, on vous retire les droits.
00:51:48 C'est l'un ou l'autre, vous choisissez.
00:51:50 - Le choix est vite fait.
00:51:52 Trois jours avant la reprise du tournage
00:51:54 à Paris, l'acteur envoie
00:51:56 un courrier au producteur.
00:51:58 - Alain Cuny ne veut plus entendre parler
00:52:02 d'Emmanuel, il ne veut plus entendre surtout parler
00:52:04 de Juge Jaïquin, il ne veut plus faire
00:52:06 quoi que ce soit. Débrouillez-vous,
00:52:08 sans moi, moi je ne participe plus, je ne vous dois
00:52:10 plus rien.
00:52:12 - Le comédien, donc pas remplaçable
00:52:14 qui a déjà tourné la moitié, ne veut plus faire
00:52:16 la suite. Vous imaginez la tête des producteurs.
00:52:18 - Je lui dis, mais enfin écoutez Alain,
00:52:20 là je suis au bord du suicide,
00:52:22 vous me mettez dans une situation
00:52:24 incroyable, on ne peut pas finir le film,
00:52:26 c'est terrible.
00:52:28 - Le producteur invoque
00:52:30 le contrat signé par l'acteur, qui se doit
00:52:32 de terminer le film, sous peine
00:52:34 de sanction.
00:52:36 Alain Cuny va alors adopter une autre
00:52:38 stratégie. - Il se dit
00:52:40 que s'il arrive à saboter les choses
00:52:42 assez, peut-être qu'il va renoncer à le faire
00:52:44 sortir le film. - Il serait très très
00:52:46 très heureux si le film
00:52:48 ne sortait pas. - Du coup,
00:52:50 il va tourner ça comme s'il ne
00:52:52 jouait pas, il refuse de dire son
00:52:54 texte avec le ton, et pour manifester
00:52:56 sa colère, il fait tout
00:52:58 pour être insupportable. C'est très pénible
00:53:00 pour tout le monde.
00:53:02 [Musique]
00:53:04 - Il est l'acteur le mieux
00:53:06 payé du film, il devait en être
00:53:08 la caution intellectuelle, mais il est surtout
00:53:10 devenu celui qui rêve de le saboter.
00:53:12 Alain Cuny est bien décidé à faire
00:53:14 le service minimum. Fini
00:53:16 la chaleur moite de la Thaïlande, place à la rigueur
00:53:18 de l'hiver parisien dans les studios
00:53:20 dépinés sur scène. L'équipe est désormais
00:53:22 impatiente de boucler les dernières scènes,
00:53:24 et tout le monde ignore que l'une d'entre
00:53:26 elles s'annonce particulièrement
00:53:28 violente pour l'actrice principale.
00:53:30 [Musique]
00:53:32 - Dans le décor d'un salon
00:53:34 d'opium reconstitué en studio,
00:53:36 Sylvia Christel fait face
00:53:38 à un figurant.
00:53:40 [Musique]
00:53:42 [Musique]
00:53:44 [Musique]
00:53:46 - Elle sait
00:53:48 que ça n'est pas un comédien professionnel.
00:53:50 [Musique]
00:53:52 [Musique]
00:53:54 Elle perçoit dans son regard
00:53:56 une sorte de désir
00:53:58 sexuel, brutal,
00:54:00 animal.
00:54:02 Ce matin, la comédienne doit interpréter
00:54:04 une scène de viol.
00:54:06 Une scène qui réveille en elle un traumatisme
00:54:08 subi à l'âge de 9 ans.
00:54:10 [Musique]
00:54:12 L'histoire remonte aux années 60.
00:54:14 Sylvia Christel
00:54:16 descend au bar de l'hôtel de ses parents,
00:54:18 où se trouve le directeur de l'établissement.
00:54:20 [Musique]
00:54:22 [Musique]
00:54:24 - On l'appelait
00:54:26 "Oncle Hans",
00:54:28 mais ce n'était pas vraiment un oncle, je pense.
00:54:30 [Musique]
00:54:32 [Musique]
00:54:34 [Musique]
00:54:36 [Musique]
00:54:38 [Musique]
00:54:40 - Il appelle un commis de cuisine
00:54:42 et à deux,
00:54:44 ils mettent ses mains dans le dos,
00:54:46 ils attachent ses mains avec un torchon
00:54:48 et ils l'embrassent.
00:54:50 Ils embrassent cette gamine
00:54:52 de 9 ans. Ils l'embrassent
00:54:54 goulûment, tous les deux,
00:54:56 ensemble. Et cette gamine
00:54:58 ne dit rien.
00:55:00 Elle est pétrifiée.
00:55:02 - Ce jour-là, la jeune fille
00:55:04 est sauvée grâce à l'arrivée inattendue de sa tante.
00:55:06 [Musique]
00:55:08 12 ans plus tard,
00:55:10 au moment de jouer la scène prévue
00:55:12 dans le scénario,
00:55:14 le souvenir douloureux de cette agression
00:55:16 hante la comédienne.
00:55:18 [Musique]
00:55:20 - Je vois subitement
00:55:22 ce type complètement brutal.
00:55:24 Il a sauté dessus,
00:55:26 il a poussé par terre.
00:55:28 Sylvia a été paniquée.
00:55:30 [Musique]
00:55:32 On la tient
00:55:34 comme on la tenait
00:55:36 dans cet abus
00:55:38 lorsqu'elle était enfant.
00:55:40 [Musique]
00:55:42 Ce type, il croit que cette fille a envie
00:55:44 de lui et lui s'est vraiment
00:55:46 pris au jeu.
00:55:48 - Tout d'un coup, Sylvia brutalement
00:55:50 regarde dans la caméra.
00:55:52 Et je vois qu'elle a un regard complètement affolé
00:55:54 et que, complètement, elle regarde autour de la caméra
00:55:56 et elle cherche sûrement le regard de juste.
00:55:58 - Ça devient terrifiant.
00:56:00 On est dépassé par la chose.
00:56:02 On a assisté presque à un viol.
00:56:04 [Musique]
00:56:06 [Musique]
00:56:08 Elle ne joue plus la comédie.
00:56:10 Elle veut arrêter cette scène.
00:56:12 C'était très violent.
00:56:14 Là, je m'en suis voulu énormément
00:56:16 et Sylvia a manqué de craquer et d'arrêter.
00:56:18 - Sylvia Christel est sous le choc
00:56:20 et personne sur le plateau
00:56:22 reconnaît ce qu'elle vient de revivre.
00:56:24 - On a interrompu le tournage parce que ça devenait
00:56:26 un petit peu délicat pour Sylvia.
00:56:28 [Musique]
00:56:30 [Musique]
00:56:32 [Musique]
00:56:34 [Musique]
00:56:36 - Après huit semaines chaotiques,
00:56:38 le tournage du film
00:56:40 est enfin terminé.
00:56:42 En salle de montage, le rythme s'accélère.
00:56:44 La magie va-t-elle finalement opérer ?
00:56:46 La monteuse du film
00:56:48 a sollicité l'avis d'un réalisateur
00:56:50 de la nouvelle vague.
00:56:52 - François Truffaut est invité un jour
00:56:54 par Claudine Boucher
00:56:56 à voir un premier montage
00:56:58 ou quelques scènes montées.
00:57:00 - Il lui remonte beaucoup le moral
00:57:02 parce qu'il lui dit qu'il trouve
00:57:04 vraiment beaucoup d'érotisme
00:57:06 dans le film.
00:57:08 - Il est scotché par
00:57:10 la performance de Sylvia Christel
00:57:12 parce qu'il trouve qu'il y a un décalage
00:57:14 entre l'actrice
00:57:16 et ce qu'elle joue.
00:57:18 C'est un personnage très belle
00:57:20 qui traverse des situations
00:57:22 un peu comme une somnambule.
00:57:24 - Le fait qu'elle ne comprenne pas son texte,
00:57:26 ça donne du charme
00:57:28 et ça donne un plus d'érotisme.
00:57:30 - Pour François Truffaut,
00:57:32 c'était vraiment la clé
00:57:34 de l'érotisme dans Emmanuel.
00:57:36 - Alors que le montage d'Emmanuel
00:57:38 se poursuit, le producteur se demande
00:57:40 si son film passera le cap de la censure.
00:57:42 - Entretien en tête à tête ce matin
00:57:44 entre messieurs Pompidou et Brejnev
00:57:46 qui viennera à Paris ce soir.
00:57:48 - En mars 1974,
00:57:50 le président Pompidou
00:57:52 semble des plus fragilisés.
00:57:54 Et comme le signe annonciateur
00:57:56 de la fin d'une époque,
00:57:58 c'est un autre film choc
00:58:00 qui sort au cinéma.
00:58:02 Un film signé Bertrand Billet.
00:58:04 - Les Valcieuses posent un vrai problème
00:58:10 de société,
00:58:12 de mutation de la société
00:58:14 sexuelle et sa célébration
00:58:16 joyeuse dans les bois.
00:58:18 - Les Valcieuses, c'était pas non plus
00:58:20 un conte de fées.
00:58:22 Le film
00:58:24 a marqué quand même l'opinion.
00:58:26 - On a franchi un pas avec Les Valcieuses.
00:58:28 Ça c'est un précédent quand même.
00:58:30 C'est LE précédent.
00:58:32 - Le succès d'Les Valcieuses va directement
00:58:34 aider le film Emmanuel
00:58:36 grâce à une bande-annonce.
00:58:38 - J'en ai profité
00:58:40 parce que le film-annonce d'Emmanuel
00:58:42 passait avec Les Valcieuses.
00:58:44 - C'était juste l'image
00:58:58 de Sylvia Christelle dans l'avion
00:59:00 et le texte "Off"
00:59:02 disait simplement...
00:59:04 - Livre au serroir est un publicitaire.
00:59:10 Ils ont fait un film-annonce qui est
00:59:12 vraiment très très malin.
00:59:14 - Il y a une promesse
00:59:24 dans la bande-annonce.
00:59:26 Une promesse de sexe,
00:59:28 une promesse d'érotisme chic.
00:59:30 - Publicitairement parlant,
00:59:34 c'est un excellent bouche-oreille.
00:59:36 - Emmanuel, la plus longue caresse
00:59:38 du cinéma français.
00:59:40 - J'étais de plus en plus confiant
00:59:42 parce que je trouvais que le film-annonce
00:59:44 fonctionnait parfaitement bien.
00:59:46 - Mais si l'étape de la censure a été franchie
00:59:48 par la bande-annonce, rien n'est encore fait
00:59:50 pour le film.
00:59:52 - 21h58 sur nos téléscripteurs hier soir,
00:59:54 la nouvelle est tombée, brutale et sèche.
00:59:56 Le président Georges Pompidou est mort.
00:59:58 - Je m'adresse à vous
01:00:02 aujourd'hui,
01:00:04 ici,
01:00:06 dans cette mairie
01:00:08 de la province d'Auvergne,
01:00:10 pour vous dire
01:00:14 que je suis candidat
01:00:16 à la présidence de la République française.
01:00:18 - La disparition soudaine du président Pompidou
01:00:22 et les promesses d'un jeune candidat
01:00:24 à sa succession
01:00:26 laissent entrevoir un contexte favorable
01:00:28 pour la sortie d'Emmanuel.
01:00:30 - Pendant la campagne,
01:00:32 les médias avaient parlé
01:00:34 d'une libéralisation de la censure.
01:00:36 - Ce que le producteur ne sait pas,
01:00:38 c'est qu'une première commission
01:00:40 a déjà émis des avis consultatifs
01:00:42 sur le film, et ils sont sans équivoque.
01:00:44 Nombreuses scènes licencieuses et pornographiques,
01:00:48 accouplements diversifiés,
01:00:50 lesbianisme,
01:00:52 sodomisation,
01:00:54 films insidieusement malsains pour la jeunesse
01:00:56 et les moins jeunes.
01:00:58 La commission de censure suivra-t-elle cet avis défavorable,
01:01:00 ou prendra-t-elle une autre décision ?
01:01:02 Le 2 mai 1974,
01:01:04 des représentants des administrations
01:01:06 et du cinéma
01:01:08 visionnent le film.
01:01:10 - Quand la lumière se fait,
01:01:12 le président dit,
01:01:14 après ce que nous venons de voir,
01:01:16 c'est très simple,
01:01:18 c'est l'interdiction totale.
01:01:20 - Sur Emmanuel,
01:01:22 toutes les forces un peu répressives,
01:01:24 elles se sont toutes fait entendre.
01:01:26 Nous, on se regarde,
01:01:28 les distributeurs, les producteurs, les réalisateurs,
01:01:30 un peu atterrés devant cet acharnement
01:01:32 sur ce film.
01:01:34 Il y a des moments où on a envie d'insulter les gens,
01:01:36 en leur disant, c'est pas possible
01:01:38 que vous ne vouliez pas quitter le Moyen-Âge.
01:01:40 - C'est un film sulfureux,
01:01:44 mais assez esthétique.
01:01:46 Alors, est-ce que nous allons interdire ce film
01:01:48 comme on interdit de vulgaires horreurs,
01:01:50 des films de la vie ?
01:01:52 - Je pense que c'est un film
01:01:54 qui est très particulier,
01:01:56 des horreurs pornographiques.
01:01:58 Ou est-ce qu'on considère quand même
01:02:00 que c'est un vrai film ?
01:02:02 - Il est temps maintenant
01:02:04 pour les 22 membres de la commission
01:02:06 de procéder au vote.
01:02:08 - C'est secret, en principe.
01:02:10 Enfin, avec les prises de parole,
01:02:12 on peut se douter du vote des uns et des autres.
01:02:14 - Une semaine après le vote de la commission,
01:02:16 le producteur n'a toujours aucune nouvelle.
01:02:18 Mais il présente quand même
01:02:20 le film aux distributeurs,
01:02:22 et l'enjeu est donc de taille.
01:02:24 - A ma grande surprise,
01:02:30 celui qui est le plus emballé
01:02:32 sur le film à la fin de la projection,
01:02:34 c'est mon père.
01:02:36 Mon père, il croit dur comme fer.
01:02:38 Je lui ai dit, "Est-ce que tu crois
01:02:40 que ça va marcher ?"
01:02:42 Et il m'a dit, "Bien sûr, on fera au moins 500 000 entrées."
01:02:44 - Conséquence directe de cet enthousiasme,
01:02:48 le film sera programmé
01:02:50 dans une salle parisienne,
01:02:52 un atout primordial pour le lancement.
01:02:54 - C'est ce dont il rêvait,
01:02:56 le même circuit à Paris
01:02:58 que le dernier tango.
01:03:00 Une salle sur les Champs-Élysées,
01:03:02 des salles vraiment sélectionnées
01:03:04 pour marcher dans les pas du film de Bertolucci.
01:03:06 - La réponse de la commission
01:03:08 se fait toujours attendre,
01:03:10 ce qui n'empêche pas la tenue des projections presse,
01:03:12 où il se produit un phénomène assez étrange.
01:03:18 - Ce sont les gens qui sortent de la salle
01:03:20 en disant, "Mais quelle merde !
01:03:22 C'est épouvantable !
01:03:24 C'est pas un film !
01:03:26 Et quand on pense qu'ils vont oser sortir ça..."
01:03:28 - Zéro, zéro, puis y a rien, y a rien !
01:03:30 (Rire)
01:03:32 Je me disais, "Oh, non..."
01:03:34 Mais la bonne chose, c'est qu'ils venaient tous très nombreux.
01:03:38 - Et chaque projection,
01:03:40 y a plus de monde qui vient.
01:03:42 - Le producteur et son distributeur
01:03:46 sont aux succès,
01:03:48 lorsqu'arrive enfin la réponse de la commission de censure.
01:03:50 J'ai l'honneur de vous faire connaître
01:03:52 que la commission de contrôle
01:03:54 des films cinématographiques
01:03:56 a émis un avis défavorable.
01:03:58 Sur les 22 membres,
01:04:00 13 ont voté l'interdiction totale.
01:04:02 Face à ce refus,
01:04:04 Yves Rousserroir va prendre une initiative,
01:04:06 modifier le montage.
01:04:08 - Il fallait remonter le film
01:04:14 vite, vite, vite, pour repasser en censure.
01:04:16 Donc, tout reposait
01:04:18 sur les épaules de maman
01:04:20 et son talent à enlever
01:04:22 de l'érotisme insoutenable
01:04:24 pour en faire de l'érotisme possible
01:04:26 pour la censure.
01:04:28 Elle l'a raccourci
01:04:30 et enlevé des gros plans.
01:04:32 Donc, évidemment, c'est moins choquant, mais ça reste très érotique.
01:04:34 - A peine plus d'une minute disparaît finalement du montage.
01:04:42 Yves Rousserroir est à nouveau dans le camp de la commission de censure.
01:04:44 Pour le producteur,
01:04:46 c'est une deuxième bataille qui s'engage
01:04:48 et une course contre la montre.
01:04:50 - Yves Rousserroir va se démener
01:04:52 pour son film. C'est quelqu'un
01:04:54 qui va y aller sans compter.
01:04:56 - Les ennuis financiers sont toujours là et il faut trouver de l'argent.
01:04:58 - J'avais vraiment hâte
01:05:00 que le film sorte
01:05:02 pour pouvoir rentrer dans mes frais.
01:05:04 - Yves Rousserroir écrit alors
01:05:06 aux ministres aux affaires culturelles,
01:05:08 nommé par le nouveau président Valéry Giscard d'Estaing.
01:05:10 "Monsieur le ministre,
01:05:12 je me trouve dans l'obligation
01:05:14 de reculer une fois de plus la date de sortie.
01:05:16 Une menace économique grave pèse
01:05:18 sur ma société dans les jours à venir.
01:05:20 J'attends votre réponse,
01:05:22 qui, je l'espère,
01:05:24 reflètera le caractère libéral
01:05:26 du nouveau gouvernement."
01:05:28 - Après plus de deux mois d'efforts,
01:05:34 le 20 juin 1974,
01:05:36 le film est enfin autorisé.
01:05:38 Il va pouvoir s'installer à l'affiche.
01:05:40 Mais en pleine vacances d'été,
01:05:42 Emmanuel va-t-il trouver son public ?
01:05:44 Un public qui devra être majeur.
01:05:46 C'est d'ailleurs ce qui fait la une de l'actualité le jour de la sortie.
01:05:48 La majorité sous Giscard
01:05:50 vient de passer à 18 ans.
01:05:52 - Bonjour.
01:05:54 2,5 millions de jeunes
01:05:56 concernés par ce qui s'est passé hier
01:05:58 à l'Assemblée nationale, à savoir l'abaissement
01:06:00 de l'âge électoral et de la majorité civile
01:06:02 à 18 ans.
01:06:04 - Ce 26 juin 1974,
01:06:06 seuls les spectateurs
01:06:08 de plus de 18 ans sont autorisés
01:06:10 à voir le film Emmanuel.
01:06:12 Mais seront-ils au rendez-vous ?
01:06:14 - Alain Sieritzki me dit
01:06:18 "Il faut qu'on soit là à 2h pour voir
01:06:20 comment ça se passe."
01:06:22 Il me dit "Si il y a 5, 6 personnes, ça marche pas."
01:06:24 - Quand un film marche,
01:06:26 il y a déjà du monde devant la salle.
01:06:28 35 personnes à 2h moins le quart,
01:06:30 on sait que ça va être un gros succès.
01:06:34 - Je regarde ma montre,
01:06:36 il est 2h moins le quart, je vais aller vérifier.
01:06:38 Je lui dis "Non mais attendons un peu,
01:06:40 attendons, attendons,
01:06:42 laissons les gens venir."
01:06:44 - A 14h, toute l'équipe
01:06:46 se met en route pour un cinéma des Champs-Elysées.
01:06:48 - Quand je débouche
01:06:50 au coin de la rue, je vois
01:06:52 un attroupement devant Le Triomphe.
01:06:54 Et je me dis "Oh là là,
01:06:56 il y a eu un accident sur la voirie,
01:06:58 ça va faire fuir les spectateurs."
01:07:00 Donc j'arrive
01:07:02 très anxieux devant la salle.
01:07:04 À peine la caissière me voit,
01:07:10 qu'elle me fait un signe,
01:07:12 je me rends compte qu'on a un succès.
01:07:14 - Alain est complètement
01:07:16 étonné, il me dit "Mais c'est incroyable,
01:07:18 c'est incroyable."
01:07:20 - Ce qui est extraordinaire, c'est qu'il y a autant de femmes
01:07:22 que d'hommes, et des couples.
01:07:24 C'est ça qui est extraordinaire.
01:07:26 - On va tout de suite téléphoner pour savoir
01:07:28 ce qui se passe dans les autres cinémas,
01:07:30 et le même phénomène se passe dans
01:07:32 tous les quartiers de Paris où le film sort.
01:07:34 - Tous les cinémas veulent
01:07:36 programmer le film, et comme le
01:07:38 nombre de copies manque,
01:07:40 les coursiers sont mis à contribution.
01:07:42 - Il y a eu dans les 2-3 jours suivants
01:07:48 un ballet de motocyclette
01:07:50 qui a emmené les copies pour
01:07:52 ouvrir de nouvelles salles de cinéma.
01:07:54 - Les premières bobines
01:07:56 qui ont commencé la projection dans une salle
01:07:58 ont le temps d'arriver dans l'autre
01:08:00 pour assurer une projection qui sera décalée
01:08:02 d'une vingtaine de minutes.
01:08:04 - Mais cela ne suffit pas. Il devient indispensable
01:08:06 d'ajouter des séances supplémentaires
01:08:08 pour faire face à l'afflux des spectateurs.
01:08:10 - Alors il y a eu des séances à minuit,
01:08:12 des séances à 10h du matin,
01:08:14 ils ont augmenté les séances,
01:08:16 et il y avait toujours du monde. C'était vraiment
01:08:18 très, très jubilatoire
01:08:20 de voir le soir
01:08:22 sur les Champs-Elysées
01:08:24 des queues immenses, immenses.
01:08:27 - Mais la seconde semaine
01:08:29 est plus forte que la première.
01:08:31 La troisième, plus forte que la seconde.
01:08:33 La quatrième, plus forte que la troisième.
01:08:35 Et on est au beau milieu de l'été.
01:08:37 Et le film s'installe.
01:08:39 Les exploitants commencent à rappeler
01:08:43 parce qu'ils sont affamés.
01:08:45 Il y a Emmanuel qui casse la baraque,
01:08:47 donc il faut qu'ils s'inscrivent
01:08:49 et on tire des copies pour eux.
01:08:51 Tout d'un coup, on s'aperçoit qu'on a un phénomène
01:08:53 qui dépasse celui
01:08:55 du dernier tango.
01:08:57 - Le film est un phénomène,
01:09:00 malgré les critiques désastreuses
01:09:02 parues quelques jours après la sortie.
01:09:04 Selon le magazine Le Point,
01:09:06 ces nuits calines de Thaïlande
01:09:08 baignent d'un bout à l'autre
01:09:10 dans un halo de niaiseries vaporeuses.
01:09:12 Pour L'Express,
01:09:14 c'est à vrai dire un film très hypocrite
01:09:16 et très raté.
01:09:18 - La critique est catastrophique.
01:09:20 Il n'y a pas un critique de Luma,
01:09:22 Télérama, en passant par François,
01:09:24 tout le monde assaisonne le film
01:09:26 et vraiment copieusement.
01:09:28 - Le paradoxe, c'est que plus on disait aux gens
01:09:30 "non, c'est pas bon", plus les gens
01:09:32 avaient envie d'y aller pour juger par eux-mêmes.
01:09:34 Parfois, de très mauvaises critiques
01:09:36 donnent aux gens
01:09:38 l'envie de voir le film.
01:09:40 C'est très curieux.
01:09:42 - Fait incroyable, Emmanuel est en tête
01:09:44 dans toutes les grandes villes de France.
01:09:46 Pendant les vacances,
01:09:48 le film tient le cap
01:09:50 et à la rentrée,
01:09:52 le triomphe s'amplifie encore.
01:09:54 - À partir du moment où vous avez ce type de succès,
01:10:00 non seulement les gens y vont,
01:10:02 mais les gens y retournent.
01:10:04 - On en parle dans les dîners,
01:10:06 "vous avez vu Emmanuel,
01:10:08 "allez voir Emmanuel".
01:10:10 - Emmanuel, c'est l'entrée de l'érotisme
01:10:12 dans la consommation de masse.
01:10:14 Les classes moyennes, la bourgeoisie,
01:10:16 les classes populaires peuvent aller en couple
01:10:18 voir un film érotique.
01:10:20 - Emmanuel, c'est un film qui a l'air
01:10:22 d'être des obsédés sexuels.
01:10:24 - En octobre 1974,
01:10:26 dans les salons de l'hôtel Georges V,
01:10:28 toute l'équipe est réunie.
01:10:30 Le film Emmanuel a dépassé
01:10:32 le million de spectateurs.
01:10:34 En quelques mois, Sylvia Christel
01:10:36 et son personnage sont devenus
01:10:38 un véritable symbole d'émancipation
01:10:40 pour les femmes.
01:10:42 - En 1974, le personnage d'Emmanuel
01:10:44 est d'une modernité folle.
01:10:46 C'est quelqu'un qui s'est affranchi
01:10:48 du regard des autres.
01:10:50 Il n'y a pas de plus grande modernité que celle-ci.
01:10:52 - Sylvia Christel joue ce personnage
01:11:02 avec une innocence,
01:11:04 une naïveté, une fraîcheur.
01:11:06 - Sylvia va pouvoir,
01:11:12 par ce visage angélique,
01:11:14 rendre le désir sexuel
01:11:16 acceptable,
01:11:18 regardable.
01:11:20 - Une des grandes forces du film
01:11:22 et de Sylvia, c'est qu'il n'y a pas
01:11:24 une once de vulgarité.
01:11:26 - Tout fonctionne pour le producteur.
01:11:28 Tout
01:11:30 à un détail près.
01:11:32 L'affiche du film lui déplait.
01:11:34 - J'avais lancé l'idée
01:11:40 d'un reportage spécial
01:11:42 pour le lancement du film.
01:11:44 J'ai fait des photos.
01:11:46 Il y en a une qui me plaît énormément,
01:11:48 celle de Sylvia Christel
01:11:50 sur le fameux fauteuil en osier.
01:11:52 Elle a des bas sur les cuisses,
01:11:58 comme ça.
01:12:00 Il y a ce collier.
01:12:02 Je me souviens du collier.
01:12:04 Ses cheveux courts,
01:12:06 très importants.
01:12:08 Les femmes se coupent les cheveux
01:12:10 à ce moment-là.
01:12:12 ...
01:12:14 - On le retrouve comme un symbole.
01:12:18 Ce fauteuil, c'est le fauteuil
01:12:20 d'Emmanuel. Je pense qu'il n'a plus
01:12:22 d'autre nom que celui-là.
01:12:24 - Une photo qui imprimera
01:12:26 la mémoire collective.
01:12:28 Elle deviendra un symbole
01:12:30 de la sensualité et de l'érotisme.
01:12:32 Quelques mois plus tard,
01:12:38 lorsque le festival de Cannes démarre,
01:12:40 tout le monde ne parle que d'Emmanuel.
01:12:42 Il y a tout juste deux ans,
01:12:46 le producteur cherchait à convaincre
01:12:48 les distributeurs.
01:12:50 Aujourd'hui, le succès de son film
01:12:52 est mondial.
01:12:54 - À Amsterdam, à Londres, en Allemagne,
01:12:56 il sort à Rome. Il sort partout.
01:12:58 - Dans tous les pays du monde
01:13:00 où le film est sorti, ça a marché.
01:13:02 Incroyable. Au Japon, Sylvia Christel,
01:13:04 qui est vraiment
01:13:06 une déesse vivante,
01:13:08 elle succombe au charme d'Emmanuel.
01:13:10 - Et l'invitation de Sylvia Christel
01:13:12 au festival de Cannes en est la preuve.
01:13:14 - C'est la première fois
01:13:16 qu'elle va apparaître
01:13:18 en public, devant la foule,
01:13:20 en tant qu'Emmanuel.
01:13:22 Elle appréhende
01:13:24 de monter les marches. Elle a peur
01:13:26 d'être insultée. Elle a peur
01:13:28 qu'on la traite de pute.
01:13:30 C'est une hantise qu'elle a
01:13:32 depuis qu'elle a tourné ce film.
01:13:34 - Sylvia est la femme
01:13:36 dont le monde entier désire,
01:13:38 est la femme dont le monde entier parle,
01:13:40 est le fantasme de tout le monde.
01:13:42 - Elle monte les marches
01:13:44 alors qu'elle savoure finalement ce succès
01:13:46 qu'elle a tant désiré.
01:13:48 La foule l'acclame et elle est
01:13:50 véritablement acclamée comme une star.
01:13:52 Il y a un homme qui hurle.
01:13:54 "T'as pas honte
01:13:56 de te foutre à poil ?"
01:13:58 - Une phrase qui va blesser
01:14:00 la comédienne et qui va
01:14:02 résonner durant des années.
01:14:04 Car Sylvia Christel sera attachée
01:14:06 à vie, au personnage d'Emmanuel.
01:14:08 - Elle a fait quelque chose comme
01:14:14 52 films. Alors qu'elle a
01:14:16 travaillé avec Claude Chabrol et
01:14:18 beaucoup de gens très connus,
01:14:20 je pense qu'au bout du compte, les gens continuent
01:14:22 de voir Sylvia Christel comme Emmanuel.
01:14:24 C'est à la fois une bénédiction
01:14:26 et une malédiction.
01:14:28 - Elle disait "J'ai aussi fait d'autres choses.
01:14:30 Je joue dans d'autres films.
01:14:32 Je fais plein de choses.
01:14:34 Mais tout le monde revient toujours
01:14:36 à Emmanuel."
01:14:38 - Et avec nous, une comédienne
01:14:46 qui a connu Sylvia Christel, qui lui a même consacré
01:14:48 un portrait dans un documentaire.
01:14:50 Et puis son producteur, celui qui aurait pu tout abandonner.
01:14:52 Bonsoir Valéry Straud et bonsoir Yves Rousserroir.
01:14:54 Merci d'être avec nous. - Bonsoir.
01:14:56 - Yves Rousserroir, d'abord un petit rappel, combien d'entrées
01:14:58 Emmanuel ? - Franchement, je n'en sais rien.
01:15:00 - 5, 6, 10, 15, 20 millions ?
01:15:02 - Dans le monde, en France, dans le monde,
01:15:04 c'est considérable, mais je n'ai
01:15:06 jamais compté parce que
01:15:08 j'ai vendu le film à des sociétés
01:15:10 qui elles-mêmes ont fait leur affaire.
01:15:12 Parfois c'était flat,
01:15:14 c'est-à-dire au forfait, parfois au pourcentage.
01:15:16 Je n'en sais rien. - Il va rester combien de temps
01:15:18 à l'affiche à Paris ? - Alors à Paris,
01:15:20 il restera 12 ans. - Pendant 12 ans,
01:15:22 on pouvait les voir Emmanuel au cinéma ?
01:15:24 - 12 ans, c'est un record.
01:15:26 C'était devenu un phénomène.
01:15:28 Beaucoup d'étrangers aussi
01:15:30 ont fait la fortune d'Emmanuel.
01:15:32 - Et aujourd'hui, il est encore diffusé à la télévision ?
01:15:34 - Il est diffusé à la télévision, en DVD,
01:15:36 sur le câble. - Ça vous rapporte encore de l'argent ?
01:15:38 - Non, pas du tout. - C'est ce que je voulais savoir.
01:15:40 - J'ai vendu...
01:15:42 - Vous n'auriez pas dû. - Oui,
01:15:44 j'ai vendu tout mon catalogue,
01:15:46 donc j'ai eu beaucoup
01:15:48 de réticence à accepter votre invitation
01:15:50 parce que je n'ai eu aucun intérêt.
01:15:52 - Si, pour revenir sur deux, trois choses. Par exemple,
01:15:54 Sylvia Christel, elle a vécu
01:15:56 finalement une destinée assez incroyable.
01:15:58 Elle a 22 ans.
01:16:00 Quand ce film sort, elle devient
01:16:02 une star absolue dans le monde entier.
01:16:04 - Absolument.
01:16:06 Et elle est... On se l'arrache,
01:16:08 mais en fait,
01:16:10 elle a mal géré, finalement,
01:16:12 sa carrière, si je puis dire,
01:16:14 parce qu'on dit toujours qu'il vaut mieux
01:16:16 avoir un bon agent
01:16:18 et de bons amants pour gérer sa carrière.
01:16:20 Et malheureusement, elle n'a pas toujours été bien conseillée.
01:16:22 - Béla Héristot,
01:16:24 vous allez la rencontrer pour un documentaire
01:16:26 sur les comédiennes.
01:16:28 D'abord, est-ce qu'elle a supporté
01:16:30 cette idée d'être un fantasme, de devenir un fantasme ?
01:16:32 C'est quelque chose qui l'a troublée ou pas trop ?
01:16:34 - Ça a été très douloureux pour elle.
01:16:36 Oui, oui. Elle l'a très mal supportée.
01:16:38 Mais au démarrage de tout ça,
01:16:40 l'aventure était formidable.
01:16:42 Elle a été une dizaine d'années très heureuse
01:16:44 d'être comme ça, portée au nu,
01:16:46 de devenir une icône. Et puis, c'est devenu
01:16:48 très lourd. Ça a envahi sa vie,
01:16:50 ça a tué sa première
01:16:52 belle histoire d'amour
01:16:54 avec son écrivain, Hugo Claus.
01:16:56 Et ça l'a séparée
01:16:58 de son fils. Non, ça a été
01:17:00 un portable.
01:17:02 - La bascule, elle se fait quand elle quitte
01:17:04 finalement la France pour les États-Unis.
01:17:06 C'est aux États-Unis qu'elle bascule.
01:17:08 - La descente. - La descente, les mauvaises fréquentations,
01:17:10 l'alcool, la drogue. - Oui, l'alcool, la drogue,
01:17:12 de mauvais amants
01:17:14 qui la spolient.
01:17:16 - Parce qu'elle a gagné beaucoup d'argent
01:17:18 avec ce film ? - Elle a gagné très peu
01:17:20 avec Emmanuel, mais c'était une débutante.
01:17:22 - A l'avis du producteur ?
01:17:24 - Non, elle en avait rajouté,
01:17:26 de l'argent. - Oui, un peu. - Parce qu'elle fera pas
01:17:28 un seul Emmanuel, qu'il y aura ce succès. - Moi,
01:17:30 j'en ai produit trois.
01:17:32 Le dernier s'appelait "Goodbye Emmanuel", donc moi,
01:17:34 j'avais tiré un trait là-dessus. - Alors, elle a gagné
01:17:36 quand même, beaucoup d'argent ? - Non, non.
01:17:38 Sinon, elle n'aurait pas fait les os.
01:17:40 Elle n'aurait pas à recommencer à faire
01:17:42 le 2 et le 3. Et naturellement,
01:17:44 après le succès du premier,
01:17:46 nous avons évidemment...
01:17:48 - Elle avait signé pour trois films. - Voilà.
01:17:50 - Elle vit aux Pays-Bas, quand vous la retrouvez,
01:17:52 après cette période,
01:17:54 finalement américaine,
01:17:56 vous la retrouvez dans quel état psychologique ?
01:17:58 - Une autre femme.
01:18:02 Une femme épanouie,
01:18:04 qui a connu la maladie,
01:18:06 qui est dans une sorte de...
01:18:08 Enfin, un vrai dénuement,
01:18:10 qui n'a pas le sou,
01:18:12 et qui est amoureuse,
01:18:14 et qui fait de la peinture,
01:18:16 et qui dit
01:18:18 "c'est bien aussi l'anonymat".
01:18:20 - Finalement, elle a été dépossédée
01:18:22 de son identité.
01:18:24 Elle est devenue, pour le monde entier,
01:18:26 Emmanuelle, et Sylvia,
01:18:28 elle l'a oubliée, en tout cas,
01:18:30 pendant toutes ces années.
01:18:32 - Oui, et puis elle aimait beaucoup raconter
01:18:34 qu'à Paris, on disait "Emmanuelle, Emmanuelle !"
01:18:36 Et elle disait "non, non, c'est Sylvia !"
01:18:38 Et ce que j'ai trouvé très joli,
01:18:40 chez cette femme que j'ai rencontrée à 50 ans, puis à 60,
01:18:42 c'était une espèce de candeur, de fraîcheur
01:18:44 qu'elle a toujours gardé. Cette naïveté,
01:18:46 quand vous dites "elle n'a pas su s'entourer
01:18:48 d'un bon agent", etc.,
01:18:50 c'est vrai d'abord, au début, elle n'en avait pas,
01:18:52 et puis c'est une fille de la campagne
01:18:54 qui arrive là-dedans, qui devient une icône mondiale.
01:18:56 - Elle tourne des films comme avec Vadim,
01:18:58 elle tourne avec Robbrié, elle a une carrière.
01:19:00 - Elle n'a pas de chance, elle tourne que des mauvais films avec eux.
01:19:02 Ils ne font pas leurs bons films avec elle.
01:19:04 - Exactement. - Et elle a des bons acteurs,
01:19:06 Depardieu, Trintignant, Carmet,
01:19:08 Piccoli,
01:19:10 je crois qu'ils sont tous à vouloir l'objet, aussi,
01:19:12 Emmanuel. - Après, elle a vécu finalement
01:19:14 avec cette overdose de notoriété,
01:19:16 elle a voulu fuir tout ça. - C'était quelqu'un
01:19:18 de très pudique. Elle s'est mise à
01:19:20 boire du champagne dès qu'elle a dû tourner
01:19:22 les scènes un peu
01:19:24 érotiques d'Emmanuel. - Elle a aussi une forme
01:19:26 de panache,
01:19:28 je trouve, cette femme.
01:19:30 - Complètement. - Oui ?
01:19:32 - Une grande femme, elle était très grande,
01:19:34 mais une générosité,
01:19:36 une joie
01:19:38 de vivre incroyable,
01:19:40 parce qu'elle a tout traversé,
01:19:42 sa vie est plus qu'un roman,
01:19:44 et elle a
01:19:46 toujours une fraîcheur, une innocence,
01:19:48 une distance
01:19:50 par rapport à tout ça.
01:19:52 Tout ça n'est pas grave,
01:19:54 il y a quelque chose de comme ça,
01:19:56 dans ce qu'elle dégage,
01:19:58 qui est assez formidable. Il n'y a pas
01:20:00 d'aigreur, ça c'est extraordinaire.
01:20:02 - Elle a eu, donc, ses débuts,
01:20:04 puis cette période très délicate aux Etats-Unis,
01:20:06 puis ce retour aux Pays-Bas,
01:20:08 et puis elle tombe malade.
01:20:10 - Oui, plusieurs fois.
01:20:12 C'est le cancer qui va l'emporter,
01:20:14 une troisième fois.
01:20:16 Mais avant ça,
01:20:18 elle s'accroche,
01:20:20 elle disait des choses
01:20:22 assez jolies,
01:20:24 elle me disait "Oh, j'aime pas trop
01:20:26 ça qui tombe, mais je trouve que c'est tellement
01:20:28 formidable d'être en bonne santé
01:20:30 maintenant,
01:20:32 qu'il faut passer par-dessus."
01:20:34 "Non, je ne me ferai pas tirer."
01:20:36 Elle était rigolote,
01:20:38 elle avait un charme fou,
01:20:40 et quand on parle de sa lumière,
01:20:42 elle avait une lumière intérieure extraordinaire,
01:20:44 une... oui...
01:20:46 une joliesse,
01:20:48 une beauté d'âme.
01:20:50 Et dans le dénuement, on voit ça,
01:20:52 parce qu'elle aurait pu être aigrie,
01:20:54 chaque fois que je repense à Saint-Germain-des-Prés,
01:20:56 à cette période, elle dit "J'ai comme un printemps
01:20:58 qui naît en moi."
01:21:00 C'est la grâce, ça,
01:21:02 et le panache aussi.
01:21:04 - Thibault Serrois, le triomphe d'Emmanuel,
01:21:06 ce qu'on ignore, c'est que finalement, il a fait,
01:21:08 et il a permis,
01:21:10 de faire celui des bronzés.
01:21:12 - J'ai vu la pièce et j'ai dit
01:21:14 "Rendez-vous demain, on fait le film."
01:21:16 Donc j'étais absolument enthousiaste.
01:21:18 Peu de gens pensaient que
01:21:20 le film existerait
01:21:22 encore 40 ans après,
01:21:24 c'est un peu comme Emmanuel.
01:21:26 Le Père Noël est une ordure aussi, que j'ai produit,
01:21:28 et beaucoup d'autres,
01:21:30 mais ça c'est le...
01:21:32 Comment dirais-je ?
01:21:34 C'est la magie du cinéma,
01:21:36 c'est à la fois l'intuition,
01:21:38 la chance,
01:21:40 et puis surtout la conviction.
01:21:42 Il faut vraiment y croire,
01:21:44 parce qu'il y a plus de raisons
01:21:46 de ne pas faire un film que de le faire.
01:21:48 - Valérie Strokan, vous rendez visite
01:21:50 à Cydia Christelle.
01:21:52 D'abord, au départ, elle ne veut pas vous recevoir dans son appartement.
01:21:54 - Oui, elle avait cette pudeur,
01:21:56 et puis c'était modeste, et elle n'avait pas envie que je vois
01:21:58 son appartement qui n'était pas celui
01:22:00 d'une star, et voilà.
01:22:02 Mais j'en avais besoin pour des raisons de son, de calme.
01:22:04 - Donc vous vous retrouvez chez elle,
01:22:06 et elle vit effectivement modestement ?
01:22:08 - Très modestement, une espèce de deux pièces,
01:22:10 avec ses pinceaux,
01:22:12 peu de bordel. - Elle peignait ?
01:22:14 - Oui, beaucoup. - Et elle avait un nouvel homme dans sa vie
01:22:16 qui n'avait pas vu Emmanuel. - Non.
01:22:18 C'était un marin,
01:22:20 Peter,
01:22:22 et son bateau, sa péniche,
01:22:24 se prénommait Emmanuel.
01:22:26 - Emmanuel. - Incroyable.
01:22:28 - Et il a rencontré un bal, enfin vraiment l'histoire encore
01:22:30 de contes de fées,
01:22:32 et elle a été enfin aimée
01:22:34 pour elle-même. - Et Sylvia Christel
01:22:36 disparaîtra en octobre 2012,
01:22:38 à l'âge de 60 ans,
01:22:40 des suites d'un cancer
01:22:42 qui avait récidivé.
01:22:44 Merci à tous les deux d'être venus nous rendre visite.
01:22:46 C'est la fin de ce numéro d'Un jour en destin,
01:22:48 et à très bientôt.
01:22:50 (Générique)
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01:24:08 (Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org)
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