L'intervention télévisée de Dominique Strauss-Kahn le 18 septembre

  • l’année dernière
L'intervention télévisée de Dominique Strauss-Kahn le 18 septembre
Transcript
00:00 Et puis notre invité ce soir, Dominique Strauss-Kahn. Bonsoir, Dominique Strauss-Kahn.
00:04 Ce sont ce soir vos premières déclarations après l'affaire du Sofitel de Manhattan.
00:08 Il y a quatre mois, vous étiez arrêté à New York après la plainte pour agression sexuelle déposée par Nafisatou Diallo.
00:14 Finalement, les poursuites pénales ont été abandonnées, ce qui vous a permis de rentrer en France.
00:18 Il subsiste une procédure civile aux Etats-Unis, mais aussi une plainte déposée en France par Tristan Bannon.
00:24 On va y revenir au cours de cet entretien.
00:26 Vous n'avez pas donné votre version des faits alors qu'on a écouté Nafisatou Diallo, ses avocats, les vôtres.
00:34 Pouvez-vous dire ce soir ce qui s'est passé dans la suite 2806 ce samedi 14 mai ?
00:40 Beaucoup de gens se sont exprimés sur cette affaire, sauf moi, parce que j'avais dit que je voulais parler d'abord devant les Français.
00:50 J'ai toujours clamé mon innocence et je suis content ce soir, alors que les charges qui étaient énoncées contre moi sont tombées, de pouvoir m'exprimer.
01:02 Alors, qu'est-ce qui s'est passé ?
01:04 Ce qui s'est passé ne comprend ni violence, ni contrainte, ni agression, ni aucun acte délictueux.
01:17 C'est le procureur qui le dit, ce n'est pas moi.
01:21 Ce qui s'est passé, c'est une relation non seulement inappropriée, mais plus que ça, une faute.
01:31 Une faute vis-à-vis de ma femme, mes enfants, mes amis, mais aussi une faute vis-à-vis des Français, qui avaient placé en moi leur espérance de changement.
01:44 Et de ce point de vue-là, il faut bien le dire, j'ai manqué mon rendez-vous avec les Français.
01:50 Vous dites "pas de violence", le procureur parle de "rapport précipité", est-ce qu'il faut entendre par là un rapport tarifé ?
01:57 Non, ça n'était pas un rapport tarifé. Est-ce que c'était une faiblesse ? Je crois que c'est plus grave qu'une faiblesse, je crois que c'est une faute morale.
02:04 Et je n'en suis pas fier. Et je la regrette infiniment, je l'ai regretté tous ces jours, au long de ces quatre mois, et je crois que je n'ai pas fini de la regretter.
02:16 Alors le rapport médical indique tout de même qu'il y avait des traces de violence, en tout cas c'est sur la foi des déclarations de Nafis Atoudi Allaud.
02:24 Il faut lire ce que dit le rapport du procureur. Et il faut le lire attentivement.
02:34 Le rapport du procureur ne m'accuse en rien en matière de traces de blessures.
02:44 Ce tabloïd qu'est devenu L'Express, avec beaucoup d'acharnement, a voulu présenter comme un rapport médical ce qui n'était que la fiche d'entrée à l'hôpital de Nafis Atoudi Allaud,
03:02 et ce qu'elle avait elle-même déclaré. Mais dans le rapport du procureur, dans le rapport officiel, il n'y a rien, ni griffure, ni blessure, ni aucune trace de violence, ni sur elle, ni sur moi.
03:16 Et comment expliquez-vous, si vous dites qu'il n'y a pas eu de violence, qu'elle ait porté plainte, au fond, que les choses aient dérapé ainsi ?
03:22 C'est une question à laquelle il faut répondre, mais c'est plus à elle d'y répondre. Certains ont évoqué plusieurs hypothèses, des hypothèses financières par exemple.
03:33 Je ne veux pas pour ma part me prononcer trop là-dessus, mais on y reviendra peut-être tout à l'heure.
03:37 Et certains ont dit que vous aviez voulu quitter très rapidement, voire précipitamment l'hôtel.
03:41 On a dit beaucoup de choses fausses là-dessus. On a dit que j'avais voulu fuir. Alors qu'il est très facile de vérifier, et il aurait été facile de vérifier immédiatement,
03:50 que mon billet pour l'Europe avait été pris depuis des jours, et que donc l'horaire n'avait en rien changé.
03:56 On a dit que je voulais fuir, alors que j'allais simplement déjeuner avec ma fille.
04:00 On a dit que j'avais quitté précipitamment l'hôtel, comme vous venez de le rappeler, alors que les caméramens de l'hôtel montrent que ce n'est absolument pas le cas.
04:09 Mais voyez-vous, ce à quoi il faut se référer, c'est le rapport du procureur.
04:15 Ce procureur qui m'a accusé, qui m'a fait passer les menottes sur les seules déclarations qu'il avait reçues.
04:24 On a écrit qu'il y avait des traces matérielles d'agression, vous le rappeliez. Le rapport du procureur dit qu'il n'y en a aucune.
04:32 Et ce rapport du procureur, ce procureur qui abandonne les poursuites pénales à votre encontre, il ne s'agit pas, en tout cas pour nous Français, de non-lieu. Est-ce que vous estimez qu'il vous blanchit ?
04:42 Le rapport du procureur dit quoi ? Ce procureur qui a enquêté, avec des moyens considérables, ce ne sont pas mes avocats qui disent ça, ce n'est pas moi.
04:55 Il dit "Nafisatou Diallo a menti sur tout, pas seulement sur son passé, ça, ça n'a pas beaucoup d'importance, elle a menti sur les faits".
05:06 Il dit, ce rapport, c'est écrit dedans, "Elle a présenté tellement de versions différentes de ce qui s'est passé que je ne peux plus en croire un mot".
05:18 Il dit "Dans pratiquement chaque entretien que nous avons eu avec elle, elle nous a menti".
05:24 Et à l'audience de la Cour, celle qui a finalement renoncé aux charges, il dit "C'était surréaliste", surréaliste c'est son mot, "C'était surréaliste de voir comment, à un entretien, elle niait nous avoir dit ce qu'elle nous avait dit à l'entretien précédent".
05:42 Donc toute cette histoire qu'elle a racontée est un mensonge.
05:45 Alors j'en viens à votre question. Les charges ont été abandonnées. Qu'est-ce que ça veut dire ?
05:51 Est-ce que ça veut dire qu'on ne sait pas si celui qui était accusé est coupable ou innocent, mais qu'on ne peut rien prouver ?
05:58 On imagine qu'elles ont été abandonnées parce qu'il y a un doute.
06:01 Non, elles ont été abandonnées parce qu'il n'y avait pas lieu de poursuivre. Et vous évoquiez le non-lieu à la française, c'est exactement la même chose.
06:09 Il n'y a pas lieu de poursuivre. Pourquoi ? Parce que toutes les accusations sont tombées, parce qu'il ne reste plus d'accusations.
06:16 S'il était resté la moindre accusation qui tienne, alors il y aurait eu un procès.
06:21 Il n'y a pas eu de procès parce qu'il n'y avait plus aucune accusation qui tienne et que le procureur sait son rôle, a dit "Puisqu'il n'y a plus aucune accusation qui tienne, ni preuve matérielle, ni déclaration crédible, alors on ne peut que renoncer".
06:34 Mais Dominique Strauss-Kahn, il y a maintenant une procédure civile. Est-ce qu'elle va se dérouler maintenant ? Est-ce que vous souhaitez ou est-ce que vos avocats souhaitent négocier avec la plaignante ?
06:43 C'est un peu curieux pour nous français que quand toutes les charges ont disparu au pénal, on puisse néanmoins mener une procédure au civil. Mais c'est le cas aux Etats-Unis.
06:54 Au demeurant, l'existence de cette procédure civile montre bien les motivations financières qui sont derrière tout ça et que j'évoquais tout à l'heure en réponse à votre interrogation. Qu'est-ce qui a bien pu se passer ?
07:05 Ça n'est d'ailleurs pas le seul moment où ces motivations financières apparaissent.
07:10 Peut-être vous rappelez-vous l'épisode qu'il y a eu de la phrase qui avait été prononcée entre Navissatou Diallo et son ami en prison dans l'Arizona, où elle disait "Je sais, ce Tom a de l'argent, je sais ce que je fais".
07:21 Kenneth Thompson, l'avocat de la plaignante, a prétendu que la traduction, parce que ça avait été dit en Fulani, le langage de Guinée, la traduction était mauvaise.
07:30 Alors le procureur, il le dit ici, a fait venir un deuxième traducteur. Et le deuxième traducteur a confirmé ce que disait le précédent, que c'était bien une affaire d'argent.
07:38 La procédure civile va se dérouler. Je n'ai pas l'intention de négocier. Elle prendra le temps qu'il faudra.
07:45 Vous parliez tout à l'heure de Miextroscan des images violentes qu'on a aperçues, nous évidemment, français, les menottes, la prison.
07:51 Est-ce que vous estimez que la justice américaine a été particulièrement violente à votre égard ?
07:55 Comment vous dire ? J'ai eu peur. J'ai eu très peur.
08:03 Quand vous êtes pris dans cette sorte de... les mâchoires de cette machine, vous avez l'impression qu'elle peut vous broyer.
08:13 J'ai eu le sentiment que j'étais piétiné, humilié, avant même de pouvoir dire un mot.
08:22 Et dans cette affaire, j'ai vécu des choses violentes, oui.
08:28 Des attaques terribles. Et j'ai beaucoup perdu. Même si d'autres, dans d'autres circonstances, ont pu parfois perdre plus que moi.
08:36 Et vous pensez qu'il y a eu pour cela des interventions extérieures, des pressions, des actions ?
08:43 Est-ce que vous pensez, vous avez pensé à un moment, à un piège ou à un complot ?
08:47 Un piège c'est possible, un complot, nous verrons. Mais, voyez-vous, il y a des zones d'ombre.
08:56 Vous verrez, vous enquêterez, vous ferez faire des enquêtes.
08:58 Voilà un exemple de zone d'ombre. À la page 12 de ce rapport, le procureur dit que des informations ont été données à Kenneth Thompson, l'avocat de Navisatou Diallo, sur les circulations dans l'hôtel.
09:16 Et il dit "c'est pas nous, nous procureurs, qui l'avons donnée".
09:20 Ça veut dire que vous pensez qu'il y a eu des complicités, notamment au Sofitel ?
09:23 L'avocat a bien dû la donner, parce que moi je les avais demandées, ces informations, et elles m'ont été refusées.
09:28 Et donc je voudrais bien savoir pourquoi on a choisi d'aider celle qui m'accusait, et pas de collaborer avec moi.
09:34 Mais ce soir, pour le moment, vous n'accusez pas.
09:36 Nous verrons.
09:38 Le rôle de votre femme Anne Sinclair a semblé déterminant. Est-ce que sans son soutien à la fois personnel, moral, évidemment, et financier, tout ça se serait passé de la même façon ?
09:49 C'est une femme exceptionnelle. J'aurais pas résisté. Je n'aurais pas résisté à tout cela.
09:54 Sans elle, j'ai eu une chance folle de la voir à mes côtés.
10:00 Je lui ai fait du mal, je le sais. Je m'en veux.
10:08 Mais vous savez, elle n'aurait pas été comme cela à mes côtés, elle n'aurait pas soutenu de cette façon-là.
10:17 Si dès la première seconde, elle n'avait pas su que j'étais innocent.
10:21 Est-ce que vous avez pu comprendre que les moyens employés, ou en tout cas utilisés à ce moment-là, à la fois pour votre défense, et aussi les cautions versées, tout cet argent versé,
10:31 est-ce que vous avez pu comprendre que ça a choqué, d'une certaine façon, l'opinion ? Est-ce qu'on a pu penser qu'il y avait une justice à deux vitesses ?
10:38 Mais bien sûr.
10:39 Pour les riches et pour les pauvres.
10:40 D'abord, le rôle de l'argent, pour nous Français, le rôle de l'argent dans la justice américaine est très choquant.
10:46 Et face aux difficultés quotidiennes de la vie des Français, les sommes en question ont choqué, c'est sûr.
10:52 Qu'est-ce qu'il fallait faire ?
10:55 Quand vous avez quelques heures, pour vous loger ou bien vous retourner à Rikers Island ?
11:03 Vous n'hésitez pas, si vous avez la chance de pouvoir ne pas hésiter.
11:07 Je vais vous raconter ce qui s'est passé.
11:10 Lorsque, après le 1er juillet, on a levé les premières sanctions, on m'a laissé aller habiter quelque part, sans contrainte.
11:18 Et plus tôt que cela, dès la sortie de Rikers Island, lorsqu'il a fallu choisir un logement.
11:23 Anne avait loué un deux-pièces.
11:26 On n'a pas pu y rester.
11:30 300 journalistes dans la rue, les locataires ont fait une pétition pour nous sortir.
11:34 Et on peut les comprendre.
11:36 On a trouvé un studio, une vingtaine de mètres carrés, temporaire, pour 6 jours.
11:40 On y restait 3 jours.
11:41 Les 400 journalistes, cette fois-ci, qui augmentaient, qui étaient en bas, rendaient la vie à l'immeuble impossible.
11:46 Il fallait sortir.
11:47 Et il ne restait plus de temps.
11:48 Il fallait trancher.
11:50 Il fallait trouver quelque chose, sinon je retournais là-bas.
11:52 Alors, il fallait une maison.
11:55 Parce que dans un immeuble, les locataires ne nous auraient jamais accepté à cause des troubles créés par la presse.
12:00 Et vous avez trouvé cette maison ?
12:01 Alors, il n'y avait pas beaucoup de maisons possibles.
12:04 Et puis, il fallait une maison qui satisfasse les conditions de sécurité imposées par le juge et réalisées par une société privée.
12:10 Alors, on a trouvé cette maison.
12:12 Je ne l'ai pas aimée, cette maison.
12:13 Elle a coûté cher.
12:14 Mais c'était ça, ou bien retourner à Riquerseille.
12:18 Alors, Dominique Strauss-Kahn, vous êtes à Paris aujourd'hui.
12:20 Il y a une plainte pour viol aussi déposée contre vous en France par Tristan Bannon.
12:24 Vous avez été entendu à votre demande par la police en début de semaine.
12:27 Quelle est votre version des faits ?
12:30 Et comment cette affaire va se dérouler selon vous ?
12:33 J'ai été entendu comme témoin.
12:35 J'y ai dit la vérité, que dans cette rencontre, il n'y avait eu aucun acte d'agression, aucune violence.
12:43 Je n'en dirai pas plus.
12:47 Je l'avais déjà dit.
12:48 Je dis exactement la même chose.
12:50 La version qui a été présentée est une version imaginaire, une version calomnieuse.
12:56 Et d'ailleurs, j'ai déposé une plainte pour dénonciation calomnieuse.
12:59 Mais c'est une affaire en cours, donc je ne la commenterai pas plus.
13:02 Est-ce que vous redoutez aujourd'hui que d'autres affaires similaires ne sortent ?
13:06 Non.
13:07 Mais si vous avez d'autres affaires similaires, d'autres affaires tout aussi inventées, construites de toutes pièces, on ne peut jamais savoir.
13:16 Alors, Dominique Strauss-Kahn, vous êtes allé après auprès du FMI.
13:19 Vous avez voulu rencontrer le personnel, d'une certaine façon présenter des excuses.
13:23 Au fond, est-ce que la question qui se pose n'est pas celle du décalage entre certains aspects de sa vie privée,
13:30 certains comportements privés et les responsabilités énormes, à la fois politiques, professionnelles, sociales, que vous exerciez ?
13:40 Est-ce qu'il ne faut pas se poser la question des responsabilités quand on brigue la magistrature suprême ou quand on exerce des responsabilités majeures ?
13:50 Oui, vous avez raison. C'est pourquoi je disais tout à l'heure que ça n'est pas juste une faiblesse.
14:01 C'est une faute morale, une faute morale dont on ne peut pas être fier.
14:05 Mais la question que vous posez va plus loin. Elle pose la question qui a été posée, je l'ai vue mille fois dans la presse, de mes relations avec les femmes.
14:14 Et il faut aborder les choses franchement.
14:16 Vous savez qu'elle choque à la fois les femmes...
14:18 Je comprends.
14:19 Les féministes notamment.
14:20 Je comprends que vous abordiez ce point. J'ai lu, j'ai entendu, j'ai vu ce qui avait été dit, le portrait qui avait été fait de moi, ensuce de dizaines de mensonges.
14:31 Et je mesure bien l'impression que ça a donné. Et ce portrait, moi je ne l'aime pas. Mais je le récuse, même si j'ai ma part de responsabilité.
14:41 Ce qui m'a blessé le plus, c'est le point que vous évoquez.
14:47 C'est que toute ma vie était présentée comme si, parce que j'ai eu du pouvoir, et c'est vrai que j'ai eu du pouvoir, j'ai exercé des fonctions d'autorité.
14:56 Mes relations avec les autres, hommes ou femmes, devaient toujours passer par cette relation de pouvoir.
15:01 C'est tout le contraire de moi. Jamais, jamais, une relation avec quelqu'un n'a voulu se traduire, ou je n'ai essayé de la traduire, ou de l'entraîner, de la mettre sur le terrain, d'un rapport de pouvoir.
15:14 C'est tout le contraire. J'ai du respect pour les femmes, je comprends leur réaction. Vous me demandiez si je comprends leur réaction.
15:19 Oui, des réactions notamment violentes, même chez vos amis, Martine Aubry, Michel Rocard a prononcé des mots...
15:25 Je comprends cette réaction, je comprends que cela ait choqué, je l'ai payé lourdement, je le paye toujours.
15:33 Vous n'avez jamais cherché à changer, ou assez conscient de ça ?
15:42 Vous savez, depuis 4 mois, j'ai vu la douleur que j'ai créée autour de moi, et j'ai réfléchi. J'ai beaucoup réfléchi.
15:55 Et... cette légèreté, je l'ai perdue. Pour toujours.
16:09 Vous saviez, Dominique Strauss-Kahn, que vous étiez très observée, vous étiez en campagne, vous étiez sur cette trajectoire énorme, importante.
16:15 Est-ce qu'au fond, et on l'a dit, certains l'ont dit, vous n'avez pas fait un acte manqué ?
16:19 C'est-à-dire, ces dérapages qui, tout d'un coup, font s'écrouler une carrière, font basculer la vie d'un homme.
16:27 Parce que peut-être, votre envie d'y aller n'était pas assez forte.
16:31 Non, je ne crois pas cela. Je ne crois pas à cette thèse psychologisante.
16:35 Alors, j'en viens à cette carrière politique qui a été brutalement interrompue.
16:39 Est-ce que vous pouvez confirmer que vous vouliez être candidat à la présidentielle, et que vous y avez renoncé ?
16:45 Oui. Je voulais être candidat. Je pensais que ma position FMI me donnait un regard aigu sur la vérité de la situation française,
16:56 sur ses difficultés, et aussi ses atouts dans la mondialisation, et que je pouvais être utile à porter des réponses.
17:05 Alors, tout cela est derrière moi. Je ne suis évidemment pas candidat, même si je continue de penser que la victoire de la gauche est nécessaire dans notre pays.
17:16 Cela veut dire que vous allez vous impliquer dans la campagne, d'une façon ou d'une autre, pour les primaires, et ensuite auprès du candidat ou de la candidate socialiste ?
17:23 Écoutez, je dis que je souhaite la victoire de la gauche, donc je souhaite le succès des primaires.
17:27 D'ailleurs, il me semble, depuis le débat de l'autre soir, que c'est plutôt bien parti. Mais je ne crois pas que ce soit mon rôle de mimisser dans la primaire.
17:35 Vous ne soutiendrez pas Martine Aubry, par exemple, puisqu'il semble que vous ayez passé un pacte avec elle ? Ce pacte est réel ?
17:42 En effet, un pacte. Martine Aubry est une amie. Pendant toute cette période, elle a été très présente. Et j'ai été sensible à cette présence. Mais je ne veux pas mimisser dans la primaire.
17:55 C'est-à-dire que vous ne prendrez pas position jusqu'à la fin, jusqu'à l'élection ?
18:00 Vous avez été directeur général du Fonds monétaire international, et votre voix a toujours beaucoup compté sur les questions économiques et financières.
18:07 Aujourd'hui, nous sommes en pleine crise. Est-ce que, selon vous, l'euro est en difficulté ?
18:11 Non, je ne crois pas que l'euro soit en difficulté. Mais je crois que la situation est très sérieuse.
18:17 Avec le défi écologique, le défi que nous rencontrons là, dans cette crise, est sans doute celui qui est le plus sérieux pour les générations qui y sont présentes, les plus jeunes, les plus vieilles, celles du milieu.
18:29 Et si nous ne réagissons pas vite, dans 25 ans, l'Europe sera une terre de désolation, avec des hauts taux de chômage et des systèmes de protection sociale à la dérive.
18:41 Et donc, il faut réagir maintenant. Et pour cela, il faut bien comprendre ce qui s'est passé.
18:47 Qu'est-ce qui s'est passé ? Il s'est passé que la crise de 2008, qui est partie d'une sorte d'étincelle, vous vous souvenez, dans les subprimes, et qui finalement était périphérique.
18:55 La crise profonde de 2008 a montré que des économies qu'on croyait dominantes, Etats-Unis, Japon, mais aussi l'Europe, n'étaient plus aussi dominantes que ça.
19:06 Qu'elles étaient gangrénées par la dette, qu'elles étaient déstabilisées par un système financier tout à fait hors de contrôle, qu'elles n'avaient plus le monopole de la technologie, et j'ajouterais qu'elles avaient des démocraties vieillissantes.
19:20 Est-ce qu'on peut remédier à tout ça aujourd'hui ? Est-ce qu'on peut prendre des mesures ? Est-ce que par exemple le plan pour la Grèce vous paraît suffisant ?
19:26 Non, on peut y remédier. La dette, puisque vous parlez de la Grèce, c'est le sujet que je vois tous les jours dans les journaux aujourd'hui, ou en télévision.
19:35 Et on voit bien qu'elle est massive, et qu'il faut la réduire à tout prix. À tout prix, sauf au prix de la stagnation, voire de la récession.
19:46 Alors le chemin de crête est difficile. Comment réduire la dette et ne pas entraîner les économies dans la stagnation ?
19:53 Et ce chemin de crête, il faut bien le dire, les gouvernements européens ont du mal à le suivre. Ils ont du mal à le suivre. Pourquoi ?
19:58 Parce qu'ils ne veulent pas prendre la mesure de l'ampleur du problème. Vous parliez de la Grèce.
20:04 Il faudrait par exemple rayer la dette de la Grèce, purement et simplement ?
20:07 C'est un peu l'idée. La Grèce s'est appauvrie dans cette histoire. Elle a perdu de la richesse.
20:13 Ce n'est pas seulement la Grèce, ce serait vrai pour d'autres pays européens aussi. Mais prenons l'exemple de la Grèce, je ne veux pas focaliser dessus, mais c'est un bon exemple.
20:18 Ça a été le premier. Elle s'est appauvrie. On peut dire que les Grecs paieront tout seuls. Mais ils ne peuvent pas.
20:24 Ou on peut dire que parce que nous sommes dans une union, nous allons partager cela. Et il faut le faire.
20:29 C'est la convergence budgétaire, quand on a eu de la convergence monétaire au moment de l'euro.
20:34 Le problème, c'est que pour ça, il faut accepter de reconnaître qu'il faut prendre sa perte. Il y a une perte, il faut la prendre.
20:39 Mais est-ce que les banques françaises peuvent le supporter ? Est-ce que vous diriez, comme Christine Lagarde, qu'elles sont fragiles et qu'il faut qu'elles soient recapitalisées ?
20:45 Pour prendre la perte, tout le monde doit la prendre. Les États, vous avez raison, et les banques.
20:50 Mais pour ça, il faut être capable de dire que l'on va reconnaître l'ampleur du sujet, plutôt que d'essayer de le pousser.
20:58 Les gouvernements ne le résolvent pas, ils poussent le problème devant eux. La boule de neige grossit et rend la difficulté de plus en plus grande.
21:04 Et la croissance est de moins en moins là.
21:06 Et Nicolas Sarkozy n'est pas à la hauteur, selon vous, pour prendre la mesure du problème et le résoudre ?
21:10 Pierre Chazal, le piège est un peu évident. Je crois que les dirigeants européens ont besoin. Ils ont des élections, tous.
21:18 Ça les gêne, peut-être, mais la réalité aujourd'hui est d'une autre ampleur.
21:22 Et il faut prendre la mesure de cette ampleur et couper les pertes maintenant pour pouvoir repartir de l'avant.
21:27 Parce que bien sûr qu'on peut repartir de l'avant, à condition qu'on ne prenne pas des décisions tardives et qu'on les mette en oeuvre de façon aussi lente.
21:36 Rappelez-vous, le 21 juillet, grand sommet, décision, pas si mal. On est deux mois après, c'est toujours pas à l'oeuvre.
21:42 Le temps de l'économie est plus rapide que ce temps de la politique.
21:46 Et donc, une action collective est nécessaire, elle est possible, mais il faut accepter de prendre des pertes quand la Grèce n'a pas fait ce qu'il fallait,
21:54 les Européens n'ont pas suffisamment surveillé, les gouvernements européens n'ont pas été assez vite pour s'en occuper.
21:59 Et le problème des gouvernements européens, c'est qu'ils font soit trop peu, soit trop tard, soit souvent trop peu et trop tard.
22:08 Alors avant de conclure, Dominique Strauss-Kahn, revenons peut-être à vous-même. Comment imaginez-vous maintenant votre avenir ?
22:15 Vous avez renoncé, vous le dites ce soir, à toute candidature. Est-ce que vous avez renoncé, ça veut dire, à toute carrière politique ?
22:22 A toute vie politique ?
22:24 Ces problèmes m'intéressent. On a parlé de la dette, le système financier qu'il faut réguler et qui ne se régulera pas tout seul, qui est devenu fou.
22:32 Les problèmes de technologie et les alliances avec les nouveaux pays émergents qu'il faut mettre en place, l'Europe a un rôle à jouer là-dedans, mais à condition qu'elle le veuille.
22:40 Nous ne sommes pas perdus, loin de là, à condition qu'on soit capable de s'insérer dans le nouveau monde, dans un monde où on n'est plus les maîtres tout seuls de la technologie.
22:47 Les vieux pays ou les autres ont cette technologie. En plus, ils n'ont pas de dette, ils n'ont pas de problèmes démographiques, ils n'ont pas trop de problèmes de système financier.
22:54 Donc il faut s'allier avec eux. C'est à ça que je veux travailler. Et aussi aux problèmes de démographie, parce que nous vieillissons et ça pose le problème inévitable de l'immigration,
23:03 qu'il ne faut pas esquiver, on ne va pas en parler ce soir.
23:05 Ça veut dire un rôle trouvé ?
23:06 Mais il faut une immigration organisée et accueillante, sinon nos pays deviendront trop vieux. Donc tous ces sujets sont des sujets qui me passionnent.
23:13 Vous exacterez dans le privé ?
23:15 Je l'ai dit, je ne suis candidat à rien. Et dans ces conditions, je vais d'abord me reposer. Je vais retrouver les miens. Je vais prendre le temps de réfléchir.
23:30 Mais toute ma vie a été consacrée à essayer d'être utile au bien public. Et on verra.
23:42 Merci beaucoup Dominique Troscane d'être venue sur ce plateau.
23:46 Merci.

Recommandée