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L’historien Ivan Jablonka publie "Goldman" (Seuil), biographie culturelle et politique consacrée au chanteur aussi starisé que discret : Jean-Jacques Goldman. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-du-lundi-28-aout-2023-2407080

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00:00 France Inter, le 7-10.
00:03 Il est 7h48, Sonia De Villers, votre premier invité est historien et il a enfin écrit
00:08 son livre sur Jean-Jacques Goldman.
00:10 C'est ce qui s'appelle « Aller au bout de ses rêves ». Bonjour Yvan Jablonka.
00:14 Bonjour.
00:15 Les ingrédients du mythe, 300 chansons, 30 millions d'albums vendus, une hyperstar qui
00:19 se retire de la vie publique au sommet de sa gloire et qui devient l'indétrônable
00:24 personnalité préférée des français.
00:25 Goldman paraît aux éditions du Seuil et c'est le livre qui fâche 400 pages.
00:32 Yvan Jablonka, parce que gamin vous étiez vissé au top 50 ou parce que comme lui, vous
00:37 partagez le destin des juifs communistes immigrés d'Europe de l'Est ?
00:41 Dans ce livre, j'ai essayé de raconter le parcours d'un artiste exceptionnel qui est
00:46 devenu non seulement une hyperstar mais encore un mythe, c'est-à-dire presque une institution
00:51 nationale et Jean-Jacques Goldman est en quelque sorte l'arc de triomphe au bout de
00:56 l'avenue.
00:57 J'ai essayé de comprendre la signification de Goldman, c'est-à-dire sa place unique
01:02 dans le paysage français mais vous avez raison de dire qu'il y a aussi en creux un portrait
01:08 de moi puisque comme lui, je viens d'une famille juive immigrée, comme lui j'ai une
01:13 sensibilité sociale démocrate et puis j'ai aussi réfléchi sur le côté vulnérable,
01:21 fragile de sa masculinité que je trouve remarquable puisque c'est dès les années 80 qu'il
01:26 se montre, qu'il se met en scène comme un homme fragile qui doute en quelque sorte
01:32 aussi un allié des femmes.
01:33 C'est ça, un anti-Bernard Tapie, un anti-rockeur au sens viril et masculin comme on l'entendait
01:40 à l'époque.
01:41 Cette matrice, cette famille Goldman dans laquelle naît Jean-Jacques en 1951, il hérite
01:48 de son père une immense reconnaissance à la République française, ce qu'on appelle
01:52 les fous de la République, ceux qui seront élevés dans le culte des institutions, l'école,
01:58 le vote, le service militaire.
02:00 Oui, je pense qu'il y a chez Jean-Jacques et d'ailleurs chez tous les Goldman un franco-judaïsme
02:07 républicain qui se traduit par le fait qu'on aime la France de manière inconditionnelle
02:12 et aussi qu'on veut transformer le monde, ça c'est aussi le côté social-démocrate.
02:18 Mais ce que j'ai trouvé intéressant dans le parcours de Goldman et aussi bien sûr
02:21 dans ses chansons, c'est qu'elles expriment ce que j'appellerais la tension de la vie
02:26 en diaspora.
02:28 Puisque Jean-Jacques Goldman est conscient d'appartenir à une minorité, sa judaïté
02:33 il ne s'en est jamais caché et elle se voit dans certaines chansons, les chansons de l'exil
02:39 comme « Là-bas où on ira ». Et en même temps, tout conscient qu'il est de sa minorité,
02:44 il y a toujours la tentation de se fondre dans la masse pour ressembler aux autres.
02:48 Il y a une forme de désir, de ressemblance qu'on voit par exemple né en 1917 à Leidenstadt.
02:56 Le mandat de l'intégration c'est à la fois rester soi-même dans la foule et réussir
03:03 tout en restant discret.
03:04 Il y a une espèce comme ça de tension qui traverse tout l'homme et toute l'œuvre,
03:08 je crois.
03:09 Vous pointez néanmoins des fractures au sein de la famille Goldman.
03:12 Albert Goldman, résistant communiste.
03:15 Robert Goldman, frère, passé militant d'extrême gauche, trotskiste.
03:20 Pierre Goldman, demi-frère, demi-frère aîné, tristement célèbre, assassiné en
03:25 pleine rue par un commando probablement d'extrême droite, lui-même condamné pour braquage
03:29 et double meurtre.
03:30 Ça a mobilisé toute la gauche intellectuelle de l'époque.
03:35 Pierre Goldman versus Jean-Jacques.
03:38 Oui, j'ai trouvé ça passionnant de voir comment les traditions de la gauche française
03:43 s'incarnent dans une seule et même famille.
03:45 Il y a le père Albert qui est un marxiste, communiste, mais anti-stalinien dès les années
03:50 30.
03:51 Et puis il y a cette lutte fratricide, on peut le dire comme ça, entre l'extrême gauche
03:58 qui est celle de Pierre Goldman, gauchiste de choc dans les années 68, et son demi-frère
04:06 Jean-Jacques qui lui est dans ce qu'on appellera la deuxième gauche à la manière française.
04:13 Il n'a jamais frayé avec le gauchisme, écrivez-vous.
04:16 Ça c'est sûr.
04:17 Dès les années 70, il salue la pensée de ce qu'on appelle les nouveaux philosophes.
04:22 Il est déjà dans un courant anti-totalitaire.
04:25 Et ce qu'il appellera plus tard la pensée entre gris clair et gris foncé, elle est
04:29 déjà au point dans les années 70.
04:31 Maintenant, les deux demi-frères ont vécu ensemble.
04:34 Ils s'apprécient.
04:35 Jean-Jacques est allé voir Pierre en prison.
04:38 Et donc…
04:39 - Yves Jablonka, quand vous dites qu'il est un des rares à rendre visite à Pierre
04:43 en prison, vous écrivez, vous l'historien, je vous cite, « Je vais résister à ma colère
04:48 et essayer de comprendre pourquoi Jean-Jacques n'a pas complètement rompu avec Pierre ».
04:53 C'est quoi cette colère ? C'est celle d'un historien qui écrit un plaidoyer pour
04:58 la social-démocratie ou une charge contre l'extrême gauche et ses héritiers ?
05:02 - Non, certainement pas.
05:03 En revanche, je suis présent à mon texte.
05:05 Je mets en œuvre ce que j'ai appelé un jeu de méthode.
05:07 Je n'ai pas un point de vue de Sirius.
05:09 Je ne suis pas Zeus écartant les nuages et regardant ce qui se passe dans l'humanité
05:14 qui fourmille à ses pieds.
05:15 Pas du tout.
05:16 Je suis présent à mon texte.
05:17 Et oui, effectivement, le fait que je sois beaucoup plus Jean-Jacques que Pierre n'est
05:23 pas un mystère.
05:24 Je l'ai dit par mon travail ou par mon engagement éditorial.
05:33 Et ce que j'ai voulu montrer, c'est que j'ai voulu revenir sur ces années aussi Pierre
05:37 Goldman, à l'époque où la gauche, comme un seul homme, défendait ce qu'elle prenait
05:44 comme un héros.
05:45 Héros d'une certaine pureté révolutionnaire.
05:49 Et puis aussi, je crois qu'il y a dans les années 70, dans ces années de plomb à la
05:53 française, une certaine fascination pour la violence qu'on trouve dans la pétition
06:00 qui a été faite en faveur de Pierre Goldman et qu'on trouve aussi à l'époque dans
06:04 Libération.
06:05 C'est cette fascination de l'extrême gauche pour une forme de violence de Jean Genet à
06:13 Cesare Battisti en passant par Pierre Goldman.
06:15 Bien plus tard, quand Jean-Jacques Goldman composera la chanson pour les Restos du Chœur,
06:20 il écrira "Je te promets pas le grand soir, mais juste à manger et à boire".
06:25 Et bien ça justement, c'est tout le contraire.
06:27 C'est précisément la preuve qu'au-delà de cette proximité du peuple qui est une
06:32 des marques de fabrique de Jean-Jacques Goldman et de toute la famille, il y a aussi ce refus
06:37 du grand soir.
06:38 Parce que Jean-Jacques en quelque sorte refuse...
06:41 Le grand soir c'est la révolution.
06:43 Bien sûr.
06:44 C'est faire du passé tableau rase.
06:46 Bien sûr.
06:47 Mais il refuse les idéologies et ces utopies millénaristes dont il voit bien qu'elles
06:53 ont échoué.
06:54 Et donc dans les années 80, Jean-Jacques Goldman invente plutôt une gauche pragmatique
06:59 qui va parler à des millions de Français, à des jeunes surtout, et qui se traduira
07:05 par un engagement pour la démocratie.
07:07 Et ça se voit jusque dans SOS Racisme ou plus tard la lutte contre la réforme de Vaquet
07:15 dans ces années Goldman.
07:16 Jean-Jacques Goldman, l'homme qui aurait liquidé l'héritage post-68.
07:20 Vous avez réussi l'exploit, Yvangel Blanca, de faire sortir Jean-Jacques Goldman de son
07:24 silence.
07:25 Il ne s'est quasiment pas exprimé, une fois seulement, depuis 2002.
07:29 Il s'est adressé aux Canards Enchaînés, personnellement et directement.
07:32 Je le cite.
07:33 « Je n'ai jamais rencontré cet auteur, mes amis non plus.
07:36 Je suis triste pour tous les gens qui se font duper en achetant ces livres qui parlent de
07:40 moi.
07:41 Je voudrais vous entendre sur le mot « tristesse ». » Il a choisi le mot « tristesse ».
07:44 Quel honneur, d'abord, qu'il ait enseveli dans le silence depuis 20 ans, en sorte pour
07:51 parler de mon livre.
07:53 Cela dit, je ne suis pas très surpris parce que ça correspond à sa logique qui est celle
07:56 du retrait de la vie publique.
07:58 Et puis, par ailleurs, je lui ai écrit pour lui dire que je faisais ce livre.
08:02 Et puis, je lui ai demandé d'avoir accès à certaines de ses archives.
08:06 Il n'a pas répondu, il a refusé.
08:08 De même que certains de ses proches.
08:11 En effet, il parle de tristesse.
08:14 Je crois que la cause de sa tristesse, ce n'est pas mon livre, mais c'est sa célébrité
08:19 persistante.
08:20 Oui, on aime Goldman, alors même qu'il a disparu.
08:24 Et cette célébrité persistante, le fait même qu'il soit personnalité préférée
08:29 des Français officiellement depuis 12 ans et officieusement, comme je le montre, depuis
08:33 en fait 20 ans, ça indique le paradoxe d'une star qui ne voulait pas être connue.
08:38 Et ça, ça remonte à un autre Jean-Jacques Rousseau.
08:42 Mais en disant "je n'ai jamais rencontré cet auteur", mes amis, non plus, il est redoutablement
08:48 intelligent parce qu'il pointe la question des sources.
08:50 Or, vous êtes historien et la question des sources, elle est centrale pour un travail
08:54 d'historien.
08:55 Vous n'avez fait qu'avec des coupures de presse.
08:57 Des coupures de presse, ça s'appelle des sources imprimées.
09:00 Donc, tout dépend effectivement de comment on parle.
09:03 J'ai dépouillé 50 ans d'archives audiovisuelles, presse écrite, etc.
09:09 J'ai eu accès au dossier d'instruction de Pierre Goldman et de Sirima, une des proches
09:16 de Jean-Jacques Goldman qui a été tuée, comme on sait.
09:19 Et puis j'ai eu aussi accès aux chiffres de Deezer.
09:23 J'ai fait des entretiens de fans.
09:25 Enfin, j'avais presque un trop-plein de sources.
09:28 Mais je voudrais terminer en disant qu'un historien, ce n'est pas quelqu'un qu'on
09:33 autorise.
09:34 Un historien incarne la liberté de pensée, la liberté d'expression.
09:37 Et le but d'un livre de sciences sociales, c'est de dire des choses vraies, et peu
09:41 importe si ça ne plaît pas aux uns ou aux autres.
09:45 Enfin, la définition même de l'histoire, c'est des enquêtes dans l'absence.
09:49 Parce que je vais vous donner un scoop, je n'ai pas rencontré Laetitia quand j'ai
09:53 consacré un livre à elle.
09:54 Je n'ai pas rencontré mes grands-parents morts en déportation.
09:57 Et mes collègues qui travaillent sur Tout-en-Camon et Saint-Louis ne les ont pas rencontrés
10:01 non plus.
10:02 Donc, l'histoire…
10:03 Je précise que Jean-Jacques Goldman n'est pas mort.
10:05 Heureusement.
10:06 Jean-Jacques est parmi nous, heureusement.
10:08 Mais c'est ça l'histoire, c'est mener des enquêtes dans l'absence, et c'est
10:11 ce que j'ai fait.
10:12 Yvan Jablonka, Goldman, c'est au seuil.

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