«L'école m'a permis d'apprendre à penser par et pour moi», confie Halimata Fofana

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Halimata Fofana, écrivaine, auteure de "A l'ombre de la cité Rimbaud" aux éditions du Rocher, réalisatrice de "A nos corps excisés", répond aux questions de Sonia Mabrouk au sujet des émeutes et du racisme en France.
Retrouvez "L'entretien" sur : http://www.europe1.fr/emissions/linterview-politique-de-8h20
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00:00 - Il est 8h12 sur Europe 1, votre invitée Sonia Mabrouk, écrivain, auteur d'un ouvrage remarqué l'an dernier "À l'ombre de la cité rainbow",
00:09 réalisatrice également notamment de ce film "À nos corps excisés".
00:13 - Bienvenue sur Europe 1 et bonjour Alimata Fofana.
00:16 - Bonjour.
00:17 - Vous êtes également, vous avez été professeur en banlieue, vous y avez grandi également, entre autres choses vous vous êtes
00:24 occupée de mineurs délinquants et une fois n'est pas coutume
00:28 sur Europe 1 ce matin avant de démarrer par des questions pour une interview je vais démarrer par une sorte de "mea culpa",
00:34 une forme de "mea culpa" j'allais dire à la fois
00:37 personnelle et peut-être plus générale dans les médias parce qu'on entend peu votre voix.
00:42 Il y a souvent beaucoup d'autres personnes qui se succèdent dans les
00:45 studios de télévision et puis derrière les micros de radio mais la vôtre on ne l'entend pas, pas assez, c'est de notre faute également
00:52 mais pourquoi selon vous ?
00:54 - Je pense que c'est lié au fait que je ne corresponds pas
00:58 mon parcours ne correspond pas, ma façon de penser ne correspond pas à ce qu'on pourrait attendre d'une femme française
01:06 originaire d'un ailleurs. Je pense que c'est sans doute pour ça qu'on ne m'entend pas.
01:10 - Pourquoi ? Quel est ce discours ? Pourquoi ce discours n'est pas compatible selon vous dans les médias aujourd'hui ?
01:16 - Je détonne déjà parce que moi je travaille sur une problématique particulière qui est extrêmement tabou
01:22 chez les victimes et également dans les médias qui est la question des mutilations sexuelles faites aux femmes
01:28 il y a cette question là et aussi
01:30 sans doute parce que je pense qu'on a une part de responsabilité dans ce qu'on vit
01:35 alors on peut être victime à un moment donné mais on ne le reste pas constamment.
01:41 Moi c'est le discours que je tiens face à des femmes qui ont subi une excision
01:44 donc vous imaginez bien.
01:47 - Il y a ce discours que vous tenez, il y a le débat actuel plus largement sur ce que connaît la France avec un focus sur la
01:56 responsabilisation, c'est un thème auquel vous intéressez beaucoup, responsabilisation des parents,
02:00 débat sur les sanctions financières de parents de mineurs délinquants.
02:04 Est-ce que ce sont pour vous de bonnes pistes ? Est-ce qu'on est en train de poser le débat de la bonne manière ? Est-ce que
02:10 le sursaut passe par là ? - Il va de soi que les parents ils ont une part de
02:13 responsabilité. Là aujourd'hui on se réveille en se disant "bah oui mais il faut que les parents s'occupent des enfants"
02:17 mais là à 14 ans si votre enfant il peut être dehors jusqu'à 2-3 heures du matin c'est qu'on arrive bien tard.
02:24 Donc bien sûr qu'il faut faire en sorte que les parents soient au centre
02:27 de l'éducation
02:29 mais par contre c'est dès la maternelle et ça va être quelque chose de très basique.
02:33 Moi j'étais prof en juillet dernier en école maternelle
02:36 avec des élèves qui avaient entre quatre ans et demi et cinq ans, quatre ans et demi et six ans parce que j'avais des moyens grands.
02:41 Un élève qui était censé porter des lunettes
02:45 et donc il les portait plus et je voyais qu'il voyait mal donc je dis à la maman "mais votre enfant il porte des lunettes
02:51 pourquoi il n'en porte plus ?" Elle me dit "mais il veut pas"
02:54 "ah mais donc comme il veut pas il fait pas il a cinq ans" alors vous allez me dire que c'est rien mais ça commence par là
02:59 ça commence par là. Est-ce qu'un enfant décide
03:03 de porter des lunettes ou non en fonction de ses envies en sachant qu'il en a besoin ?
03:07 Donc c'est par des petites choses en gros ce sont des petits renoncements qui font que on en arrive à
03:14 un jour il ouvre la porte il sort jusqu'à deux ou trois heures du matin.
03:18 Et il brûle et il brûle des écoles, des gymnases. Quand vous voyez tomber
03:22 à Limata Fofana les premières sanctions contre les émeutiers
03:26 avec de la prison ferme, des peines pour l'exemplarité vous qui avez été éducatrice au tribunal d'Evry, est-ce que cette fermeté
03:33 a manqué toutes ces dernières années ?
03:35 Je pense qu'elle est nécessaire. Vous pouvez pas quand même laisser des jeunes gens brûler des écoles et dire "ah ben non
03:41 certes c'est parce que la mère c'est une femme seule qui élève ses enfants" ça n'excuse pas tout.
03:47 Moi je connais des mères seules qui élèvent leurs enfants et ce n'est pas pour autant que
03:51 donc ça n'excuse pas tout mais je crois tout de même que
03:54 la sanction elle permet aux autres de comprendre que si tu fais quelque chose il y a une limite mais s'il n'y a pas de sanctions
04:02 c'est le problème. Parce que là les mineurs qu'on voit, les
04:05 très adolescents, qu'est ce qu'ils vous disent même quand je travaillais au tribunal, qu'est ce qu'ils vous disaient ? "Ah mais moi je risque rien"
04:10 Quand je dis "ben tu vas voir Coco si tu risques rien"
04:12 ils sont très surpris donc là ils se rendent compte qu'il y a une sanction.
04:16 Il y a un mur.
04:18 Là ils se prennent le mur en pleine face alors moi j'ai entendu hier une qui disait "oui mais elle avait que pris un pulko
04:23 ou je sais pas trop quoi dans un magasin qui a été pillé"
04:25 mais le problème c'est pas ce qu'elle a pris, le problème c'est le geste et donc c'est une question de principe.
04:30 C'est ça qu'il faut remettre en place, c'est une question de principe, de cadre.
04:34 Et ce dont ces jeunes gens manquent parce que vous parlez des mineurs.
04:38 Quand on observe les vidéos on se rend compte de quoi ? Moi je pense qu'un mineur, supposons qu'on le prend.
04:42 On l'assoit, je l'efface à moi, je fais l'entretien avec lui.
04:46 Il va dire "mais il s'est amusé".
04:48 C'est ce que certains disent.
04:50 Ils se sont amusés et vous voyez même des rires.
04:52 Oui il y a un côté presque festif.
04:55 Voilà c'est ça, il y a une espèce de jouissance derrière ça.
04:58 Là on doit s'interroger.
05:01 Comment on peut l'expliquer ? Une jouissance à détruire.
05:03 Des bâtiments que leurs jeunes frères et sœurs ont utilisé le lendemain, des écoles calcinées, des gymnases totalement détruits, des mairies vandalisées.
05:12 Moi je trouve ça terriblement triste parce que c'est de l'auto-destruction.
05:15 C'est-à-dire qu'ils détruisent tous les éléments qui peuvent leur permettre de s'émanciper.
05:20 C'est troublant.
05:23 Et là où on voit le scandale, parce que là quand tu brûles la voiture de ton voisin qui est autant en difficulté que toi, déjà c'est le manque d'empathie.
05:31 Là il faut aussi s'interroger sur le fait que ces jeunes gens ne soient pas en mesure de se mettre à la place de l'autre.
05:35 Là on est quand même dans une société qui est tout de même extrêmement en grande difficulté
05:42 quand vous êtes dans l'incapacité de vous mettre à la place de l'autre.
05:44 Donc vous pouvez le détruire.
05:46 - Ali Metafofana, quand Sandrine Rousseau a tenté d'expliquer les violences et les émeutes par la pauvreté de ces émeutiers,
05:53 comment vous, vous l'avez vécu, vous qui avez grandi, vous avez travaillé en banlieue ?
05:57 - Moi j'ai trouvé que c'était une insulte.
06:02 Comment vous pouvez dire que c'est parce qu'on est pauvre qu'on se met à piller ?
06:06 Quand j'ai dit ça à mon père, mon père n'en revenait pas parce que mon père était boueur à la ville de Paris.
06:11 Il n'a pas gagné des milles et des cents, mais il y avait des valeurs.
06:15 Si j'avais volé quelque chose en disant "oui mais papa c'est parce que je suis pauvre je pense qu'il m'en aurait collé une",
06:19 c'est aussi simple que ça.
06:20 Mais j'ai trouvé que, vous voyez, ça c'est le problème exact.
06:25 Et c'est les conséquences de ce pour quoi on est arrivé aujourd'hui.
06:28 On part du principe qu'il y a certaines catégories de personnes où ils n'ont pas les mêmes règles que d'autres.
06:34 "Ah bah toi parce que t'es pauvre, toi tu peux piller."
06:36 Mais par contre à d'autres on leur dirait "mais ça c'est interdit, il faut que vous sachiez vous tenir."
06:39 Donc c'est un manque de considération, c'est du mépris.
06:42 Et si on veut... ça veut dire que là elle part du principe que les jeunes gens ne peuvent pas s'élever.
06:48 Mais là dans ce cas-là on arrête tout.
06:50 On fait pas de politique, on fait autre chose.
06:53 - Vous venez de dire que si vous aviez commis des vols etc, votre père vous en aurait collé une.
07:01 Quand le préfet de Leroux a dit qu'il fallait deux claques et au lit,
07:03 et que la gauche a crié, pas seulement, mais beaucoup ont crié à l'encouragement à la violence contre les enfants.
07:08 Elle vous a choqué cette sortie du préfet ?
07:10 - Non parce qu'on sent que ça vient du cœur, ça vient de ses tripes.
07:13 Et je dis pas qu'il faut battre les enfants, nous sommes toutes et tous d'accord là-dessus.
07:19 Mais moi je trouve que...
07:21 Je veux dire qu'on fait de l'esbrouf pour quelque chose... là on se scandalise.
07:25 Par contre l'autre qui dit que c'est normal que des pauvres aillent piller, c'est normal quoi.
07:30 Je trouve que c'est troublant.
07:34 Je trouve qu'on est vraiment dans une période extrêmement troublante où des choses importantes deviennent totalement futiles.
07:39 Et inversement...
07:41 C'est navrant.
07:43 - C'est navrant et la question c'est quel sursaut quand certains quartiers, parce qu'il faut aussi être nuancé,
07:49 sont tenus par des trafics de drogue.
07:51 Certains jeunes gagnent en quelques jours ce que, d'honnêtes citoyens,
07:55 vous avez parlé de votre père et vous récolte en un mois ou peut-être plus.
07:59 Comment expliquer à cette partie de la jeunesse, à certains jeunes, qu'il faut gagner moins et se retrousser les manches
08:05 et se lever tôt quand ils gagnent autant que... ?
08:07 - Là c'est une question de valeur.
08:09 Si on est sur une question de valeur, ce n'est pas une question de quantité.
08:13 Et le problème il est là, c'est qu'on essaie de faire une comparaison entre ce qui n'est pas comparable.
08:17 Lui dire à ce jeune, c'est plutôt des garçons quand même, il faut quand même le rappeler,
08:23 de lui dire que certes tu vas gagner moins, mais tu vas gagner honnêtement.
08:27 Tu peux lever la tête.
08:29 Déjà tu peux te loger, c'est-à-dire que ça va te permettre, toi, de te regarder droit dans la glace
08:35 et d'être fière de ce que tu fais et de ne pas avoir honte.
08:37 Derrière c'est aussi ça.
08:39 Mais ça, ça s'inculque petit.
08:41 On n'attend pas qu'il ait 17 ans pour se dire "ah bah tiens, faudrait peut-être lui expliquer".
08:46 Non, non, ça s'inculque petit.
08:48 - Est-ce que c'est trop tard ? Est-ce qu'il y a le risque de deux France, voire plus, d'un morcellement de la France,
08:51 de deux France irréconciliable, celle qui travaille et qui se lève tôt,
08:54 on ne va pas être caricatural, mais c'est la réalité,
08:56 et qui va payer les dégâts de ses émeutes et qui dit "non, la facture, là, ce n'est pas possible".
09:01 - Là, le problème, c'est que là, c'est un trop-plein.
09:03 C'est que les gens voient, en 2005, ça s'était déjà passé,
09:07 là, ça se répète une nouvelle fois, là, ça a pris des proportions tout de même très importantes.
09:11 Et il y a un ras-le-bol, parce que les premiers à en pâtir de cela, ce sont les honnêtes gens.
09:16 Et le problème est là.
09:18 Et je comprends, moi, qu'il y a un ras-le-bol.
09:20 Et c'est vrai que, par contre, quand on voit ces jeunes gens,
09:23 moi, je vois très bien qu'ils dillent, qu'ils font des chouffes et tout ça,
09:27 on se pose la question "comment on peut sortir ces jeunes gens de là ?"
09:32 Moi, je n'ai pas la réponse, malheureusement.
09:34 - Est-ce qu'elle ne passe que par la répression ?
09:36 - Non, moi, je pense qu'il faut éduquer.
09:38 Vous voyez, quand on brûle une école, moi, je crois profondément,
09:41 alors on va me dire "oui, à l'école, il y a des choses qui ne vont pas,
09:43 tout le monde est d'accord qu'il y a des choses qui ne vont pas,
09:45 on a très bien compris, mais je sais, et d'autres ont su,
09:49 que le seul moyen de s'en sortir, c'est l'école,
09:52 même si ça ne va pas, même s'il y a des choses qui ne vont pas, d'accord,
09:55 mais c'est, pour nous, le seul moyen de s'en sortir.
09:57 - On sent que les écoles brûlées, calcinées, ça vous a vraiment heurtées,
10:01 ça vous a mis en colère.
10:02 - Oui, parce que pour moi, je suis plutôt reconnaissante,
10:05 parce que j'ai bien conscience que...
10:07 - Reconnaissante ? À qui, à quoi ?
10:09 - J'ai vu de l'éducation nationale, même si ça ne va pas,
10:11 même s'il y a plein de tout ça, et moi, je suis reconnaissance,
10:13 parce que moi, l'éducation nationale m'a permis de sortir du chemin qui m'était tracé.
10:17 Et ça, pour moi, ça vaut tout l'or du monde.
10:19 - Quel était le chemin qui vous était tracé ?
10:21 - Parce que je pense que j'aurais été mariée très très jeune,
10:23 et j'aurais eu des enfants, je voudrais répéter le schéma de ma mère.
10:26 Et là, l'école, elle m'a permis de faire autrement,
10:29 de me tracer une autre voie, et surtout,
10:32 d'apprendre à penser par et pour moi.
10:35 - Le président turc Erdogan affirme que la France est un pays raciste,
10:40 il dénonce un racisme structurel avec son passé colonial.
10:43 Vous avez vécu, Ali Matafofana, à l'étranger, notamment au Canada.
10:48 - Au Canada.
10:49 - Vous êtes revenue en France ?
10:50 - Oui, j'ai vécu 5 ans là-bas.
10:52 - 5 ans en France, au Canada.
10:54 Comment la France est vue de l'étranger ?
10:55 Comment vous réagissez à de tels propos ?
10:57 - J'ai trouvé ça tout de même troublant que des présidents,
11:01 il y a la Turquie, mais il y a aussi l'Iran,
11:03 dans ces endroits où les femmes sont toutes mêmes maltraitées,
11:06 et viennent donner la leçon, j'ai trouvé ça extrêmement troublant.
11:10 Après, quand je compare par rapport à ce que j'ai pu vivre au Canada
11:14 durant les 5 années, je reconnais que, en 5 ans au Canada,
11:18 je n'ai pas été confrontée à la question de ma couleur.
11:21 Moi, là-bas, j'ai oublié que j'étais noire.
11:23 La réalité, elle est là.
11:24 C'est vrai qu'en France, ça m'est revenu comme un boomerang quand je suis revenue.
11:27 - C'est quoi ? C'est des remarques ?
11:29 C'est quelque chose d'ambiant ?
11:31 - C'est la galère pour trouver un appartement.
11:33 C'est plutôt des choses concrètes.
11:34 La galère pour trouver un appartement où je me souviens...
11:37 Moi, j'adore la littérature du 19e siècle.
11:39 Je disais "Madame Bovary", on me regardait, on trouvait ça bizarre
11:42 que je lisais "Madame Bovary".
11:44 Alors que c'est ouvert à tous, "Madame Bovary" est accessible dans toutes les librairies.
11:49 Je dirais que c'est plus ce regard-là, mais moi, j'ai les mots pour répondre.
11:53 - Que dites-vous dans ce cas-là ?
11:55 - Je cite Balzac, "le propre de la médiocrité est de se croire supérieur".
12:01 - C'est sûr, vous avez tout dit.
12:03 Et que répondez-vous à certaines voix dans le débat public et politique
12:08 qui ont accès beaucoup aux médias comme "Roca et Adiallo"
12:11 qui disent "non, il y a un racisme structurel".
12:14 Il n'y a pas certains qui sont racistes, non.
12:16 Il y a une sorte de racisme de base, de système aujourd'hui
12:21 qui est mis en œuvre en France et qui est raciste avec des relents colonialistes.
12:26 Moi, je ne crois pas que la France soit raciste.
12:29 Moi, je pense que oui, il y a du racisme en France.
12:31 Oui, il y a de la discrimination.
12:32 Oui, je pense que ça existe, mais pas de manière systémique.
12:35 Ça, je n'y crois pas parce que je ne pense pas que tout un pays
12:38 soit contre des gens avec un faciès différent.
12:44 Je pense que sinon, je ne serai pas là face à vous.
12:48 - Vous racontez dans votre livre ce que vos parents vous ont toujours répété.
12:51 "Toi, il faudra que tu te lèves deux fois plus tôt et travailler cinq fois plus que les autres".
12:55 C'est aussi ça, la réalité ?
12:56 - Ça, vous l'avez appliqué.
12:57 - C'est aussi ça, la réalité.
13:00 Moi, mon père, il me disait ça très jeune parce que mon père est arrivé en 1962 en France.
13:05 Donc, lui, il a connu quand on parle de racisme, même là aujourd'hui, il dit
13:09 "mais ça, ce n'est pas ça le racisme par rapport à ce que lui a connu".
13:11 Lui, mon père, quand il se baladait, on mettait sa main sur sa joue
13:13 pour voir si le noir ne décollerait pas.
13:15 Là, ça n'existe plus aujourd'hui.
13:17 Vous allez me dire "Dieu merci".
13:18 Mais mon père, il a connu ça.
13:19 Donc, pour lui, le racisme, c'est lui, ce qu'il a connu dans les années 60-70.
13:24 Et que là, aujourd'hui, quand il nous voit vivre, quand il nous voit travailler,
13:28 quand il nous voit faire, il sait qu'il y a des difficultés.
13:32 Donc, il faut travailler plus.
13:33 Et je dirais que lui, ce qu'il me disait, "parce que tu es noir, on te remarque".
13:37 Donc, fais-toi remarquer que pour les bonnes raisons.
13:39 - Ali Metafufana, je voudrais qu'on a parlé de sujets lourds
13:42 et de défis importants pour notre pays.
13:44 Je voudrais qu'on termine par un éloge du beau.
13:46 Parce que je vois que ça vous interpelle.
13:49 C'est magnifique la manière dont vous racontez que le beau existe
13:52 malgré tout dans ce monde, malgré les problèmes, malgré les fractures,
13:55 malgré les abominations comme celles que vous avez subies vous-même
13:59 à l'âge de 5 ans, excisé.
14:02 Aujourd'hui, vous êtes une femme libre, magnifique, ici, dans ce studio européen,
14:06 assurée, mais tout aussi sensible.
14:09 Qui ou qu'est-ce qui vous a aidé, mis à part vous-même et vos parents, bien sûr ?
14:13 - Oui, mes parents, les rencontres, mon ami Gilbert Comte,
14:17 dont j'avais déjà parlé, qui a 90 ans, que j'aime profondément,
14:21 qui m'a apporté sa culture, il m'a fait lire,
14:26 il m'a fait découvrir de très grands auteurs.
14:29 Il a été très exigeant avec moi et je le remercie pour ça.
14:32 Après, moi, c'est beaucoup la littérature.
14:35 C'est-à-dire que ce que j'appelle des puits de lumière,
14:38 quand j'ai lu "Les Misérables" de Victor Hugo, pendant un certain temps,
14:41 je n'ai pas été en mesure de lire autre chose tellement j'ai été subjuguée
14:45 par la beauté, par la profondeur.
14:48 C'est ce qui m'a nourrie. Et là où j'ai granti,
14:51 où je trouvais que c'était vraiment très très laid,
14:54 à côté de ça, j'avais Victor Hugo.
14:56 Et donc, je voyais la beauté des choses.
14:59 Et ce que je dis souvent, c'est que moi, sur le corps, j'ai la trace de l'ignorance
15:02 à travers l'excision que j'ai subie étant enfant.
15:04 Donc, moi, le défi dans ma vie, c'est de passer de l'autre côté,
15:08 aller vers le savoir, aller vers beaucoup plus de réflexion
15:12 et aller vers la beauté.
15:14 - Vous y êtes de plein pied.
15:16 Merci à Tafofana d'avoir répondu à nos questions.
15:18 Je vais rappeler le titre de votre livre aux éditions du Rocher,
15:21 "À l'ombre de la cité Rimbaud" et votre documentaire
15:24 "Saisissant à nos corps excisés". Merci encore.

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