• l’année dernière
Fondées en 1936, les Phalanges libanaises sont devenues un des partis politiques libanais les plus connus sur la scène internationale. Or ce parti politique fut propulsé médiatiquement par les guerres civiles libanaises, d'abord celle de 1958 qui fut courte mais assez importante de par ses conséquences, puis celle de 1975 qui faisait plus figure d'une guerre entre deux confessions, musulmane et chrétienne. Ainsi, depuis des années, les Phalanges libanaises ne sont connues que sous la forme d'une milice chrétienne formée dans le seul but de défendre les populations chrétiennes du Liban.
Mais l’histoire des Phalanges, les Kataebs, ne se résume pas à ces deux conflits, elle prend sa source à l’indépendance même du Liban dont elles furent un des acteurs principaux. Pour nous raconter les origines du mouvement chrétien libanais, Guillaume Fiquet reçoit Richard Haddad, auteur d’une étude du mouvement chrétien libanais de sa création en 1936 jusqu’à l’indépendance du Liban en 1943, parue aux éditions Godefroy de Bouillon.
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00:01:07 Chers téléspectateurs de TVL, bonjour et bienvenue dans Passer présent, votre émission
00:01:13 historique présentée en partenariat avec la revue d'histoire européenne.
00:01:18 Fondées en 1936, les phalanges libanaises sont devenues un des partis politiques libanais
00:01:25 les plus connus sur la scène internationale.
00:01:27 Or, ce parti politique fut propulsé médiatiquement par la guerre civile libanaise, d'abord
00:01:33 celle de 1958 qui fut courte mais assez importante de par ses conséquences, puis celle de 1975
00:01:40 qui faisait plus figure d'une guerre entre deux confessions musulmanes et chrétiennes.
00:01:44 Ainsi, depuis des années, les phalanges libanaises ne sont connues que sous la forme d'une
00:01:49 milice chrétienne formée dans le seul but de défendre les populations chrétiennes
00:01:53 du Liban.
00:01:54 Mais l'histoire des phalanges, des kataébes, ne se résume pas à ces deux conflits.
00:01:58 Elle prend sa source à l'indépendance même du Liban dont elles furent un des acteurs
00:02:03 principaux.
00:02:04 Et c'est ce que nous allons voir aujourd'hui avec notre invité Richard Haddad qui est
00:02:08 l'auteur d'une étude du mouvement chrétien libanais de sa création en 1936 jusqu'à
00:02:13 l'indépendance du Liban en 1943.
00:02:16 Richard Haddad, bonjour.
00:02:18 Bonjour Guillaume.
00:02:19 Je ne vous présente plus à nos téléspectateurs de Télé-Vie Liberté.
00:02:22 Enfin, je rappelle que vous êtes historien, docteur en histoire, également titulaire
00:02:26 d'un DEA en géopolitique et d'une licence de langue et de civilisation arabe et d'une
00:02:31 maîtrise de sciences politiques.
00:02:33 Alors, vous dirigez depuis de nombreuses années la maison d'édition que vous avez créée,
00:02:37 les éditions Gautrefroid de Bouillon.
00:02:39 Et comme on n'est jamais aussi bien servi que par soi-même, vous rééditez, je crois
00:02:45 que c'est un livre qui a déjà été édité au Liban, vous rééditez un livre sur les
00:02:49 phalanges libanaises, comme je disais, sur la période 1936-1943.
00:02:55 Alors moi j'aime bien toujours, pour nos téléspectateurs, pour moi aussi, replacer
00:02:59 les choses dans leur contexte de l'époque.
00:03:01 Alors, qu'est-ce que le Liban, disons, de l'entre-deux-guerres ?
00:03:04 Alors, le Liban a été fondé, ce qu'on appelle le Grand Liban, il a été fondé
00:03:10 en 1920 par le général Gouraud à la demande du patriarche maronite.
00:03:14 Donc ces territoires faisaient partie de l'Empire Ottoman.
00:03:18 Et donc, à la fin de la Première Guerre Mondiale, lorsque les puissances européennes
00:03:25 se sont partagées les résidus de l'Empire Ottoman, à savoir le Levant, l'Irak, la Palestine, etc.
00:03:32 La Syrie actuelle et le Liban actuel étaient mis sous mandat français par la SDN,
00:03:40 et le reste, l'Irak, Jordanie, Palestine, sous mandat britannique.
00:03:44 Mais il n'était pas, au départ, on ne savait pas trop qu'est-ce qu'on allait en faire.
00:03:48 Et à la demande du patriarche maronite, qui s'est déplacé à Rome puis à Paris en 1919,
00:03:54 il demandait… parce que le Mont Liban, la chaîne montagneuse qui est au centre du Liban,
00:03:59 avait eu une autonomie après les massacres de 1860 par des druses et des musulmans,
00:04:05 et l'intervention de l'armée française de Napoléon III à l'époque avait eu une autonomie.
00:04:10 La France avait exigé que ce territoire soit autonome au sein de l'Empire Ottoman.
00:04:15 – Parce que le Liban n'existait pas en tant que nation.
00:04:18 – Non, c'était des régions de l'Empire Ottoman.
00:04:22 Donc ce Mont Liban est devenu autonome avec un gouverneur chrétien mais non maronite,
00:04:27 pour que les maronites n'aient pas le dessus sur les autres communautés,
00:04:33 alors qu'ils étaient majoritaires dans le Mont Liban.
00:04:36 Bref, cette autonomie a été levée pendant la Première Guerre mondiale
00:04:39 parce que les chrétiens soupçonnaient par l'Empire Ottoman d'être des agents français.
00:04:44 En réalité, ce n'est pas totalement faux, ils n'étaient pas bien sûr agents des français
00:04:47 mais ils étaient très favorables à la France.
00:04:49 – Sympathiques.
00:04:50 – Beaucoup. Et donc l'autonomie a été levée,
00:04:53 il y a eu une famine organisée par l'Empire Ottoman.
00:04:56 Et donc le patriarche maronite est venu en France exiger de Clemenceau un grand Liban.
00:05:02 Pourquoi ? Parce qu'il considérait que le Mont Liban n'était pas viable économiquement.
00:05:06 À l'époque, on pensait, dans le contexte de l'époque, on pensait à l'agriculture.
00:05:10 Il pensait que ce territoire n'était pas autosuffisant.
00:05:14 Après, on s'est rendu compte de nos jours que le Liban vive de son secteur tertiaire,
00:05:18 du niveau d'études de ses citoyens chrétiens notamment,
00:05:22 plutôt que de l'industrie ou de l'agriculture.
00:05:25 Mais bon, dans le contexte de l'époque.
00:05:26 Et donc la France accepte et crée le grand Liban en 1920.
00:05:30 Pour le créer, la France, l'armée française a dû défaire les armées de Faisal,
00:05:36 du prince Faisal à qui les Anglais avaient promis un empire arabe.
00:05:40 Vous vous souvenez, Laurence d'Arabie, etc.
00:05:42 Et donc Faisal arrive à Damas et continue jusqu'à la plaine de l'Abéka,
00:05:48 qui faisait partie du grand Liban.
00:05:50 Et le général Gouraud va défaire les armées de Faisal, les armées arabes,
00:05:54 et imposer le grand Liban.
00:05:56 Cette défaite a énormément marqué les populations musulmanes.
00:06:00 Pour eux, vous savez, dans l'inconscient collectif arabo-musulman dans la région,
00:06:06 au Levant, il y a deux symboles et les deux touchent la France.
00:06:11 Les croisades, mais pour eux les croisades c'est la France,
00:06:13 parce que c'est les francs, c'est pas tout à fait exact, mais c'est comme ça.
00:06:16 Et Maïs Saloum, c'est l'endroit où Faisal a été défait par le général Gouraud.
00:06:21 Pour eux c'est une humiliation, son nom.
00:06:23 Et le comble de tout ça, c'est que le patriarche maronite adresse une lettre
00:06:27 au général Gouraud après la défaite de Faisal et la victoire de la France.
00:06:31 Et cette lettre, je vais vous la lire parce que ça résume tout.
00:06:34 Elle est très courte en fait, c'est deux, trois lignes.
00:06:37 Il lui dit, imaginez le contexte de l'époque, aujourd'hui ce n'est plus possible.
00:06:41 "Je suis convaincu que la leçon que votre armée victorieuse a donnée à l'arrogance des Arabes
00:06:45 rehaussera dans le pays le prestige de la France et vous vaudra à tous
00:06:50 une ère de prospérité et de paix.
00:06:52 La France peut dorénavant travailler à faire régner la justice et l'ordre
00:06:55 dans les régions confiées à ses soins.
00:06:58 Déjà nous sentons les bienfaits de cette victoire
00:07:00 et nous entrevoyons la réalisation de nos rêves et de nos espoirs séculaires."
00:07:04 Vous vous rendez compte ? Cette lettre était officielle, ouverte.
00:07:07 Et donc voilà, c'est ça le contexte de 1920.
00:07:10 Les populations musulmanes refusent la création du Grand Liban,
00:07:16 veulent l'unité arabe et donc de 1920 à 1943, donc l'entre-deux-guerres,
00:07:23 la vie politique libanaise était dirigée au départ par des chrétiens
00:07:30 pour lequel ce pays a été créé et ils étaient majoritaires à l'époque.
00:07:34 Pas largement, un peu, enfin ils étaient 55% selon un recensement de 1932.
00:07:42 Mais ceux qui menaient la vie politique puisque les autres la boycottaient.
00:07:47 Et donc les personnalités musulmanes du pays les plus importantes,
00:07:50 les notables, s'étaient installées à Damas pour vous dire.
00:07:53 Donc Damas qui était aussi la Syrie étant sous mandat français.
00:07:57 Mais il faut se souvenir qu'il n'y avait pas de Syrie,
00:08:01 la France avait 5 mandats, un sur le Liban et sur 4 territoires syriens.
00:08:06 Damas, les territoires Damas et ce qu'il y a autour, Alep,
00:08:11 l'état Druse, donc le Djebel Druse et l'état de Latkiye
00:08:17 qui est un état à la huit au nord de la Syrie,
00:08:22 donnant sur la Méditerranée.
00:08:24 Et ne se nait que 10 ans plus tard que ces 4 états vont être unifiés en Syrie.
00:08:28 Et donc ces notables libanais s'étaient installés à Damas
00:08:34 qui est pour eux la capitale arabe par excellence
00:08:36 et refusaient de participer à la vie politique.
00:08:38 Ce n'est qu'en 1936 lorsqu'il y a eu un traité franco-libanais
00:08:41 qu'ils ont commencé timidement à accepter, pas l'idée d'un grand Liban
00:08:47 mais de participer à la vie politique tout en voulant intégrer le Liban
00:08:53 dans ce monde arabe.
00:08:54 – Alors justement politiquement parlant, quelle est l'organisation ?
00:08:57 C'est-à-dire qu'il y a un mandat français, mais il y a un président libanais,
00:09:00 il y a un parlement libanais, il y a une vie politique libanaise.
00:09:02 – Donc le grand Liban est fondé en 1920, en 1926 il y a une constitution libanaise
00:09:07 qui est installée, qui est une copie de la 3ème République.
00:09:12 Donc il y a un président de la République, un Premier ministre, un Parlement.
00:09:15 Le président de la République est élu par le Parlement,
00:09:17 il n'y a pas de Sénat, et donc par les députés.
00:09:21 Et donc il est convenu que le président est chrétien dès le départ.
00:09:24 – Maronite ou ? – Maronite.
00:09:26 Alors aujourd'hui le président est toujours maronite,
00:09:31 le Premier ministre sunnite et le président de la Chambre chiite.
00:09:35 Et après toutes les fonctions, les ministères sont distribués par confession,
00:09:41 alors après les orthodoxes ont leur quota, les catholiques uniates ont leur quota, etc.
00:09:47 Les petites minorités, arméniens, arméniens catholiques, etc.
00:09:50 Les druzes, qui sont très peu nombreux, n'ont pas de poste comme Premier ministre,
00:09:55 mais ils ont des postes qui leur reviennent.
00:09:57 Le chef des armées est maronite, chrétien maronite.
00:10:00 Voilà, donc tout ça.
00:10:01 Mais à l'époque, jusqu'en 1936, les Premiers ministres étaient chrétiens,
00:10:04 puisque comme les musulmans boycottaient,
00:10:06 donc en fait les chrétiens dominaient largement la vie politique.
00:10:11 – Et justement cette fameuse influence française,
00:10:14 l'histoire entre le Liban et la France, il y a un attachement.
00:10:17 – Oui, c'est une vieille histoire.
00:10:18 – Je t'aime, moi non plus, parfois. Elle date de quand cette histoire ?
00:10:21 – On se dit avec le Liban, en fait le Liban n'existait pas.
00:10:23 – Oui. – Ça, ça ne va pas plaire
00:10:25 à beaucoup de mes amis libanais, mais c'est la réalité.
00:10:27 Il faut être honnête.
00:10:30 Non, l'amitié est avec les chrétiens, et notamment les maronites.
00:10:33 – Oui, donc elle date du Moyen-Âge.
00:10:35 – Elle date du Moyen-Âge. Elle date des croisades, en fait.
00:10:38 Les croisades ont été…
00:10:40 d'abord les populations chrétiennes locales avaient fait appel aux croisés.
00:10:43 Avaient fait appel, ils étaient envahis par les hordes musulmanes
00:10:50 et ils ont fait appel aux chrétiens d'Occident pour les sauver.
00:10:54 Et lorsqu'il y a eu les croisades, les maronites notamment,
00:10:56 parce que ce n'était pas le cas de tous les chrétiens,
00:10:58 il faut se rappeler que dans cet Orient compliqué,
00:11:01 il y a beaucoup d'églises dissidentes, les jacobites, les grégoriens, les chaldéens,
00:11:07 et c'était la guerre entre eux.
00:11:09 Et là aussi, il faut se remettre dans le contexte de l'époque,
00:11:11 l'islam était tout nouveau,
00:11:13 et puis il n'y avait pas, évidemment, la communication d'aujourd'hui.
00:11:16 Et donc toutes ces églises qui luttaient entre elles,
00:11:20 parfois s'appuyaient sur un envahisseur musulman
00:11:23 contre le concurrent chrétien voisin,
00:11:26 ne sachant pas ce que c'est vraiment l'islam.
00:11:28 – Oui, c'est la même chose en Espagne d'ailleurs.
00:11:30 – Et donc les maronites avaient une particularité,
00:11:35 c'est qu'eux ne se sont jamais séparés de Rome,
00:11:38 et donc étaient les plus proches de la France.
00:11:40 Ce qui n'était pas le cas des d'autres chrétiens orientaux,
00:11:43 plutôt byzantins, donc pas du tout pro-occidentaux.
00:11:48 Les maronites avaient cette particularité d'être proches de l'Occident.
00:11:51 – Alors est-ce qu'à partir de…
00:11:52 on va arriver à la période qui nous intéresse, 1936,
00:11:55 est-ce qu'à ce moment-là on peut parler vraiment
00:11:57 de l'émergence d'un sentiment national libanais,
00:12:01 que vous appelez le libanisme ?
00:12:03 – Oui, alors c'était par opposition,
00:12:05 parce qu'en fait ce Grand Liban a été créé,
00:12:07 donc à la demande, en fait c'est un État qui a été créé pour les maronites,
00:12:11 qui étaient les chrétiens les plus nombreux.
00:12:13 Dans le mot "Liban" ils étaient 80%,
00:12:16 mais dans le Grand Liban non.
00:12:17 Et ça a été créé pour eux,
00:12:19 mais ils ont assimilé les autres chrétiens à l'idée du Liban.
00:12:24 En fait il y a une nation maronite,
00:12:27 et ils ont assimilé, cette nation maronite a assimilé
00:12:30 beaucoup de chrétiens à sa nation,
00:12:32 en transformant la nation maronite en nation libanaise.
00:12:35 Mais il n'y avait pas de parti politique structuré,
00:12:40 il n'y avait pas un combat pour cette nation,
00:12:41 pour eux ça allait soin.
00:12:42 Mais puis ils se sont rendus compte très vite d'abord que
00:12:44 le reste de la population musulmane refusait l'idée d'une nation libanaise,
00:12:48 et par opposition à tous ces mouvements,
00:12:51 parce que le nationalisme arabe, l'idée nationaliste arabe,
00:12:54 et les mouvements nationalistes arabes existaient depuis la fin du 19ème.
00:12:58 Je rappelle au passage, tout ça a été créé par des chrétiens orthodoxes,
00:13:02 le nationalisme arabe.
00:13:03 – Vraiment ?
00:13:03 – Oui, tous les mouvements nationalistes arabes
00:13:07 ont été créés par des chrétiens orthodoxes,
00:13:10 des intellectuels chrétiens orthodoxes,
00:13:12 pour des raisons d'ailleurs qu'on peut développer plus tard,
00:13:15 pensant, rapidement je peux le dire,
00:13:17 pensant dissoudre l'islam dans une nation arabe laïque.
00:13:24 Vous voyez ?
00:13:24 Donc en fait l'idée c'était, avec le nationalisme arabe,
00:13:27 parce qu'en fait dans l'islam, le seul nationalisme autorisé
00:13:30 c'est la nation islamique, la "Ummah Islamia".
00:13:33 Le nationalisme autre que islamique est interdit dans l'islam.
00:13:36 Donc le nationalisme arabe est une idée contraire à l'islam en réalité.
00:13:40 Les orthodoxes lancent cette idée en copiant les intellectuels occidentaux,
00:13:45 la révolution française notamment,
00:13:47 pensant que comme les révolutionnaires de 1789,
00:13:51 eux avec le nationalisme arabe, en imposant un nationalisme arabe
00:13:58 face à l'empire ottoman qui était donc le calife,
00:14:02 le sultan était le calife,
00:14:03 ils vont comme les révolutionnaires français,
00:14:05 dissoudre les religions, à savoir laquelle la plus puissante.
00:14:10 Tout ça a fait faillite.
00:14:11 Ça n'a pas du tout fonctionné
00:14:12 parce que le nationalisme arabe a toujours été tinté d'islam.
00:14:15 A tel point que le fondateur du parti Basse, Michel Aflac,
00:14:19 qui était un chrétien bien sûr, orthodoxe,
00:14:21 se convertit à l'islam à la fin de sa vie,
00:14:23 pensant qu'on ne peut pas être nationaliste arabe sans être musulman.
00:14:25 Vous voyez ? Donc ça résume tout.
00:14:26 Bref, donc on va revenir au sujet.
00:14:28 – On va revenir au nationalisme arabe.
00:14:29 Vous expliquez qu'il y a trois courants principaux.
00:14:31 – Oui, en fait, par opposition à ce nationalisme arabe,
00:14:35 il fallait créer des mouvements nationalistes libanais.
00:14:40 Et donc, la vie politique libanaise était coupée en deux à l'époque,
00:14:44 dans le camp chrétien.
00:14:46 Émile Hédé, qui était une personnalité…
00:14:49 c'est une société féodale, clanique.
00:14:53 – Clanique, des grandes familles.
00:14:54 – Des grandes familles.
00:14:57 Et donc, il y a Émile Hédé, qui était un francophone, francophile,
00:15:02 qui voulait que ce pays reste très attaché à la France,
00:15:06 voire même les plus extrémistes imaginaient
00:15:09 une sorte de département français, à ce point-là.
00:15:12 Il ne voulait surtout pas que la France s'en aille,
00:15:15 parce qu'il avait peur, une peur que beaucoup de chrétiens partageaient,
00:15:20 une fois la France partie, que ce soit la domination musulmane
00:15:23 et que ce pays tombe.
00:15:25 Face à lui, Pichara El Khoury, qui lui était aussi un francophone,
00:15:28 c'est comme toutes les grandes familles chrétiennes libanaises,
00:15:30 ils étaient tous francophones, éduqués, formés dans des écoles françaises.
00:15:34 Donc, lui aussi était francophone, et de culture plus ou moins française,
00:15:40 mais beaucoup plus orientale dans ses relations politiques,
00:15:44 dans son projet politique.
00:15:46 Et donc, lui était plus indépendantiste.
00:15:48 Donc, c'était coupé en deux.
00:15:50 Et lorsque ces mouvements nationalistes ont été fondés,
00:15:54 face au nationalisme arabe, en réalité, c'était un peu des militants des deux camps,
00:16:00 qui ont fondé ces mouvements, parce que les deux camps étaient libanistes,
00:16:02 comme on disait à l'époque.
00:16:05 L'un voulant l'indépendance, l'autre libaniste,
00:16:08 mais voulant toujours la protection de la France,
00:16:10 mais les deux étaient très attachés,
00:16:12 et même étaient à l'origine de la fondation de ce grand Liban.
00:16:16 Donc, dans ces mouvements, à l'époque, c'était la mode
00:16:19 des mouvements paramilitaires, les défilés…
00:16:21 – Oui, ça, ce sont les années 30.
00:16:22 – Ce sont les années 30.
00:16:23 – De gauche comme de droite.
00:16:24 – Exactement.
00:16:25 – En Europe, on mettait une cravate et on défilait.
00:16:26 – Et donc, ça a été fondé par des notables des deux camps.
00:16:31 Et les phalanges libanaises, lorsqu'elles ont été fondées,
00:16:33 alors c'est Pierre Gemayel, bien sûr, qui avait fait le voyage,
00:16:37 qui était président d'une équipe de football libanaise
00:16:44 et qui se rend aux Jeux Olympiques de Berlin en 1936.
00:16:50 Il était impressionné, alors c'est son premier voyage,
00:16:52 il était impressionné par la discipline de tous ces mouvements,
00:16:55 d'abord par l'organisation des Jeux Olympiques,
00:16:58 la discipline de tous ces mouvements.
00:17:00 Il y avait beaucoup de mouvements de jeunesse dans les années 30 en Europe.
00:17:05 Et puis, il a découvert les Sokol tchèques,
00:17:08 donc ce mouvement de jeunesse sportif, etc.
00:17:11 et d'autres mouvements en Espagne, en Italie, en Allemagne, etc.
00:17:17 Et donc, il revient au Liban avec l'idée de créer,
00:17:19 parce que c'est une société, donc clanique, individualiste, etc.
00:17:23 donc il revient au Liban dans l'idée,
00:17:25 il trouvait qu'il n'y avait pas d'État, il n'y avait pas d'esprit national.
00:17:28 – Donc il faut des structures pour encadrer la jeunesse.
00:17:30 – Voilà, l'idée de faire un mouvement copié sur ces mouvements européens.
00:17:34 Et avec lui, donc ils étaient cinq au total,
00:17:37 il y avait deux personnalités proches d'Émile Hédé
00:17:40 et deux proches de Pierre-Alain Courir.
00:17:42 Donc ce mouvement était un peu, comment dire,
00:17:45 ces grandes personnalités pensaient profiter de ce mouvement,
00:17:50 vous voyez, pour avoir plus de voix aux élections, etc.
00:17:53 donc ils pensaient le manipuler, au départ.
00:17:56 – Donc ils décident de créer, pourquoi le nom phalange en arabe c'est "Kataeb" ?
00:18:00 – Au départ, c'est très frappant, parce qu'au départ tout est en français.
00:18:03 J'ai été sur place, j'ai fait mes recherches,
00:18:07 j'ai eu des personnalités qui m'ont donné des documents de leurs parents,
00:18:13 et qui étaient, par exemple Louis Toutounji,
00:18:15 qui était un des adjoints de Pierre Gemayel,
00:18:21 faisait un procès-verbal quotidien pendant les six premiers mois.
00:18:25 Et donc ce procès-verbal quotidien était en langue française, bien évidemment,
00:18:28 écrit à la main, il fallait voir comment ils écrivaient à l'époque,
00:18:31 c'était un document manuscrit, mais c'est de la calligraphie.
00:18:35 C'est vraiment des gens éduqués chez les jésuites à l'époque,
00:18:37 ou dans d'autres écoles, voilà.
00:18:39 Et donc tout est en français, les documents officiels du parti sont en français,
00:18:45 du mouvement à l'époque c'était un mouvement,
00:18:46 et même jusqu'aux années 50, leur revue est en français, tout est en français.
00:18:50 Donc la pensée est structurée en langue française,
00:18:54 et phalanges, il n'y a aucun doute que c'était copié sur les phalanges espagnols,
00:18:59 parce que idéologiquement c'est très proche.
00:19:02 Et puis bon les phalanges c'est le défilé, c'est la structure paramilitaire.
00:19:07 – Donc ils ont un uniforme de quelle couleur ?
00:19:09 – De couleur beige, avec un casque colonial, et un brassard rouge,
00:19:14 sur lequel il y a un cèdre à trois branches.
00:19:17 Trois branches, Dieu, Famille, Patrie,
00:19:20 parce que Dieu, Famille, Patrie était leur devise.
00:19:25 – Et donc ça se structure en mouvement de jeunesse,
00:19:26 c'est-à-dire qu'on recrute de quel âge à quel âge ?
00:19:28 – Des jeunes, il n'y a pas de limite d'âge,
00:19:31 mais dans la société de l'époque ce sont les jeunes entre 20 et 35 ans
00:19:37 qui étaient les plus motivés.
00:19:39 – Qui sont ces jeunes ?
00:19:39 Ce sont des jeunes de bonne famille ou ça recrute ?
00:19:41 – Au départ ce sont des jeunes de bonne famille,
00:19:43 les fondateurs en tout cas étaient des gens de bonne famille, etc.
00:19:48 Et puis petit à petit le mouvement va s'élargir,
00:19:51 va devenir populaire et va recruter dans la classe moyenne.
00:19:55 Alors il faut noter qu'au Liban, de l'époque et d'aujourd'hui aussi,
00:20:00 les chrétiens, la majorité des chrétiens,
00:20:03 enfin il y a une grande classe moyenne dans la société chrétienne,
00:20:05 ce qui n'était pas le cas chez les musulmans.
00:20:07 Chez les musulmans il y a des grandes familles riches
00:20:10 et puis le reste de la population était très pauvre et pas éduquée.
00:20:13 Alors que chez les chrétiens il y a une grande classe moyenne, très importante.
00:20:17 Et donc il y avait un terreau là pour recruter,
00:20:20 parce que ce ne sont pas évidemment des ouvriers qui en faisaient partie,
00:20:25 il faut dire la vérité, et puis la classe la plus aisée
00:20:28 n'était pas assez nombreuse pour faire la masse de ce parti.
00:20:32 – Alors vous parlez justement des musulmans,
00:20:33 est-ce qu'il y a des contacts avec les musulmans en vue de former,
00:20:39 pourquoi pas, un grand Liban ?
00:20:41 – Alors, il y a un mouvement musulman qui a été fondé à la même période,
00:20:46 qui s'appelle les Najadés.
00:20:47 Il y a eu des contacts au départ dans l'idée de l'esprit civique,
00:20:52 de structurer le pays, etc.
00:20:55 Mais en fait très vite ils se sont divisés
00:20:58 parce qu'ils n'avaient pas la même vision du Liban.
00:21:01 Les musulmans voulaient, à partir de 1936,
00:21:05 commencer à accepter l'idée d'un Liban,
00:21:07 mais un Liban arabe qui s'associerait immédiatement aux autres pays arabes.
00:21:12 – Quand vous dites "arabe" finalement,
00:21:13 pour vous "arabe" c'est systématiquement musulman ?
00:21:16 – Non, c'est eux, en fait c'est les musulmans qui voulaient,
00:21:20 qui ne voulaient pas d'abord du grand Liban et qui voulaient par la suite
00:21:23 que, éventuellement, s'il existe ce Liban,
00:21:25 qu'il fasse partie d'un ensemble arabe.
00:21:28 Et donc, alors chez les chrétiens il y a des nationalistes arabes,
00:21:31 je l'ai dit il y a quelques minutes, qui ont fondé une nation,
00:21:33 mais en fait ce sont des intellectuels, ce n'est pas la masse.
00:21:36 Et c'est souvent chez les orthodoxes.
00:21:38 Et donc il y a un autre mouvement, une autre idéologie
00:21:40 dont je vais parler dans quelques minutes,
00:21:42 en fait c'est très important.
00:21:44 Mais je dis toujours les musulmans parce que les masses musulmanes
00:21:47 refusaient l'existence, considéraient que le Liban était une importation étrangère,
00:21:55 un caprice des chrétiens.
00:21:56 Donc ils refusaient catégoriquement ça.
00:21:58 Et les chrétiens, en grande majorité, considéraient qu'il y a une nation libanaise,
00:22:06 en réalité c'est la nation…
00:22:07 – Ils n'essayaient pas de la rattacher la nation phénicienne à la vieille Phénisie.
00:22:11 – Justement, alors c'était pour eux, ils ont créé une nation libanaise
00:22:15 qui en réalité, quand on regarde bien l'histoire,
00:22:18 c'est la nation maronite qui a évolué vers une nation libanaise.
00:22:21 Mais eux, voulant faire une nation libanaise dans laquelle il y a 45% de musulmans,
00:22:25 ils ne pouvaient pas dire c'est une nation maronite.
00:22:27 Ils ne pouvaient pas la légitimer en tant que nation maronite qui a évolué.
00:22:32 Donc ils ont inventé un mythe phénicien.
00:22:35 Je dis ça parce que dans les écoles libanaises,
00:22:37 je dis ça et en même temps on va m'en vouloir,
00:22:39 parce que dans les écoles libanaises, c'est un pays jusqu'à aujourd'hui,
00:22:42 où vous n'avez pas le même programme d'histoire dans les écoles chrétiennes
00:22:46 que dans les écoles musulmanes.
00:22:47 Dans les écoles chrétiennes, on vous apprend l'histoire,
00:22:49 on vous dit que le Liban c'est la Phénisie, etc.
00:22:52 Et même tout le long de l'histoire, au fil des siècles,
00:22:55 on sort des personnages de l'histoire comme des défendants,
00:23:01 défendeurs de la nation libanaise au 17ème, au 18ème siècle,
00:23:07 ce qui est absurde, ça n'existait pas, le mot "Liban" n'existait même pas.
00:23:10 Alors que chez les musulmans, pas du tout.
00:23:12 On va vous parler de l'héroïsme arabe, etc.
00:23:15 Et donc cette nation phénicienne, le Liban doit être légitimé par ça,
00:23:19 c'est-à-dire que ce n'est que la suite de cette nation phénicienne qui a disparu.
00:23:24 C'est une idée, pourquoi pas, mais c'est totalement faux historiquement.
00:23:27 Et donc cette nation libanaise n'était pas acceptée par les Arabes,
00:23:34 la grande majorité des chrétiens l'avouait,
00:23:37 et par opposition au nocianisme arabe, c'était le nationalisme libanais,
00:23:40 donc ils ne voulaient pas entendre parler de quelque union que ce soit
00:23:43 avec le monde arabe parce que pour eux, pourquoi ?
00:23:47 C'est intéressant ce que vous m'avez dit, vous avez dit "nation arabe musulman",
00:23:50 parce que pour eux, si le Liban est noyé dans la nation arabe, c'est terminé.
00:23:56 Il n'existe plus en tant que nation libanaise,
00:23:59 inconsciemment en tant que nation maronite et en tant que chrétien.
00:24:02 Parce que les chrétiens du monde arabe n'étaient que tolérés.
00:24:06 Alors que là, eux, ils étaient toutes puissants, c'est eux qui avaient le pouvoir.
00:24:09 – Alors sur le terrain, que font concrètement ces phalanges ?
00:24:13 Un mouvement de jeunesse, on pense au scoutisme ?
00:24:15 – Oui c'est ça, un mouvement de jeunesse, discipline, entraînement,
00:24:19 très vite entraînement par un militaire pour défiler la discipline.
00:24:22 En fait le mot d'ordre de Pierre Gemayel c'était la discipline,
00:24:25 donc défiler de l'entraide, du scoutisme, etc.
00:24:32 Mais alors très vite aussi, au bout de 6 mois, comme il y avait deux tendances,
00:24:36 une proche d'Émile Hédé et une de Pierre El Khoury, ils ont décidé de…
00:24:40 Au départ c'était collégial, et ils ont décidé de nommer Pierre Gemayel
00:24:44 comme chef suprême.
00:24:46 – Alors justement, qui est ce Pierre Gemayel ?
00:24:47 On peut dire un mot de sa personnalité, personnage charismatique ?
00:24:51 – Oui Pierre Gemayel, c'est une famille, d'abord les Gemayels sont une famille de Big Phallée,
00:24:53 donc dans le monde liban, c'est une famille de notables, une grande famille.
00:24:58 Son père avait émigré en Égypte, ce qui arrivait souvent
00:25:02 chez les chrétiens du Liban à la fin du 19ème, début 20ème siècle.
00:25:05 Donc lui, il avait été éduqué en Égypte, dans les milieux chrétiens levantins,
00:25:10 et donc il revient au Liban, il est pharmacien, il fait des études de pharmacie,
00:25:14 donc il est pharmacien, et donc d'abord c'est un personnage,
00:25:18 parce que c'est quelqu'un de très grand, très charismatique,
00:25:21 les Libanais ne sont pas tous à l'époque surtout grands,
00:25:25 donc c'est quelqu'un qui doit faire 1m90 ou quelque chose comme ça,
00:25:28 charismatique, autoritaire, très autoritaire.
00:25:32 Et donc en fait, quand il arrivait dans une pièce,
00:25:36 il y a quelque chose qu'il faisait, qu'il imposait le respect,
00:25:40 et donc il se faisait respecter, et donc très vite il structure le mouvement,
00:25:46 il était admiré par ses militants, et donc, et lui avait une idée précise
00:25:53 de, en fait, discipline, entraide, esprit civique, voilà.
00:26:00 Donc au départ c'était ça.
00:26:03 L'idée au départ aussi c'était de contrer le nationalisme arabe,
00:26:08 donc l'idée obsessionnelle c'était de défendre,
00:26:11 parce que ce n'était pas acquis, jusqu'au traité de 1936,
00:26:15 comme il y avait 4 États, c'est pour ça que je vous ai parlé des 4 États en Syrie,
00:26:18 comme il y avait 4 États en Syrie qui ont été unifiés,
00:26:21 donc c'était 4 États qui portaient des noms différents,
00:26:24 et qui ont été unifiés en États syriens,
00:26:27 il n'était pas acquis du tout que le Grand Liban resterait le Grand Liban,
00:26:30 il aurait pu aussi, comme ces 4 autres États, intégrer une Syrie unifiée.
00:26:35 Et donc il y avait une peur de ça chez les chrétiens,
00:26:38 et donc Pierre Gemayel, son obsession, lui et ses camarades,
00:26:42 et d'autres libanais chrétiens, c'était de défendre l'indépendance du Grand Liban,
00:26:47 pas l'indépendance vis-à-vis de la France,
00:26:48 mais l'indépendance vis-à-vis du monde arabe au départ.
00:26:50 Donc il n'était pas question au départ de lutter pour l'indépendance,
00:26:54 d'ailleurs pour eux elle était acquise,
00:26:56 puisque la France n'avait qu'un mandat qui devait amener à l'indépendance.
00:27:00 – Et qui expirait quand ?
00:27:01 – Qui expirait en 1941, oui c'est ça, 41.
00:27:06 Et donc en 1936, le traité franco-libanais d'ailleurs,
00:27:09 accorde l'indépendance pratiquement.
00:27:11 Dans le traité, il est convenu que le Liban serait indépendant,
00:27:14 et que la France n'est là que pour les former à gérer l'État.
00:27:18 D'ailleurs il y a un président, un Premier ministre, un Parlement,
00:27:21 et le haut commissaire français n'est là que pour les former et les aider.
00:27:25 Et donc pour les phalanges libanaises et Pierre Gemayel,
00:27:28 l'indépendance est acquise, mais il faut surtout se protéger de l'impérialisme arabe.
00:27:36 Et ce n'est que plus tard qu'il va réclamer l'indépendance,
00:27:42 pour la simple raison qu'il se rende compte que la France finalement
00:27:45 leur donne l'indépendance, mais dans les faits elle n'y est pas.
00:27:48 – Voilà, et donc c'est le seul moyen effectivement de combattre le panarabisme.
00:27:52 – Oui, alors ils étaient coupés en deux,
00:27:55 parce que les phalanges libanaises sont parties dans cette voie-là,
00:27:58 mais beaucoup d'autres chrétiens libanais n'étaient pas pressés d'être indépendants,
00:28:04 ayant peur d'être immédiatement envahis par les autres puissances arabes,
00:28:11 notamment la Syrie, une fois que la France évacue le Liban.
00:28:15 – Ce qui fait que les rapports avec la France sont toujours ambiguës finalement.
00:28:18 C'est "je veux bien que tu restes, mais pas trop haut".
00:28:21 – Oui, ça dépend, en fait il y a ceux qui ont peur,
00:28:27 et il y a ceux qui n'ont pas peur, qui se disent "non, on est assez mûrs pour cela".
00:28:32 Lorsque les phalanges libanais, dans les premiers mois de la fondation,
00:28:37 le général, non c'était pas… comment il s'appelle ?
00:28:39 J'ai oublié le nom du général de l'époque, c'était pas d'Einstein,
00:28:44 c'était dans les années 40.
00:28:45 – C'était Singer non ?
00:28:47 – Exactement, leur fournit des entraîneurs.
00:28:50 Donc l'armée française fournit des entraîneurs aux phalanges libanaises
00:28:54 pour les former, vous voyez, donc les rapports avec la France
00:28:57 étaient très étroits.
00:29:00 Et par la suite ça va se détériorer, notamment avec le Colombani,
00:29:03 donc la police française.
00:29:05 – Alors, vous décrivez qu'à partir de 1937, le mouvement tourne plus vers…
00:29:12 enfin se politise, devient plus politique.
00:29:15 Si on parle de politique, quel est son programme économique, social ?
00:29:20 – Alors en fait il va devenir politique parce que le gouvernement libanais,
00:29:25 ne pouvant plus… alors à partir de 1936, il y a un premier ministre musulman.
00:29:28 Mais en réalité c'est le président de la République qui a le plus de pouvoir,
00:29:32 d'ailleurs jusqu'aux années 90.
00:29:34 Mais le gouvernement va dissoudre tous les mouvements paramilitaires.
00:29:40 Et pour cause, il n'arrivait plus… au départ ils étaient très favorables,
00:29:44 parce qu'ils se sont dit, on était dans ce pays, dans les années 30,
00:29:47 il n'y avait pas de parti politique ni de militant.
00:29:50 Comme je te dis, c'est un pays, une société clanique, etc.
00:29:54 Donc ils se sont dit, avec tous ces mouvements, c'est formidable,
00:29:57 on va trouver des militants qui vont nous apporter des voix aux élections, etc.
00:30:00 Mais petit à petit, ils se sont rendu compte que ces mouvements sont incontrôlables.
00:30:03 Et puis il y avait beaucoup de défilés dans la rue, ce qui se terminait en bagarre,
00:30:07 entre les nationalistes arabes et les nationalistes libanais.
00:30:11 Et donc, ils les ont dissous.
00:30:13 – Donc ça c'est en novembre… – 36 ou 37.
00:30:17 – 37, j'ai lu votre livre.
00:30:18 – Voilà, et donc je ne me souviens plus des dates.
00:30:20 Et donc, ils les ont dissous.
00:30:22 Et comme c'est la France, c'est l'armée, c'est la police française
00:30:26 qui était chargée par le gouvernement libanais d'appliquer ce décret,
00:30:32 on a considéré que c'est la France qui a dissous ces mouvements.
00:30:36 Ce qui n'est pas vrai, c'est le gouvernement libanais qui les avait dissous,
00:30:39 parce que ça ne faisait pas son intérêt.
00:30:40 Donc c'est là où il y a un conflit avec la police française.
00:30:45 – Alors, on va arriver justement à cette date du 21 novembre 1937,
00:30:51 un petit dimanche, que vous appelez le baptême sanglant,
00:30:56 parce que le mouvement des phalangés dissout.
00:31:00 Le gouvernement… – Tous les mouvements sont dissous.
00:31:03 – Tous les mouvements sont dissous, dont les phalanges.
00:31:04 – La seule différence c'est que les autres acceptent plus ou moins.
00:31:06 – Voilà, donc les phalanges n'entendent pas cette oreille
00:31:08 et décident donc de manifester, d'appeler une grève générale.
00:31:12 – Alors, qu'est-ce qui se passe ce 21 novembre 1937 ?
00:31:15 – Les autres mouvements protestent verbalement, mais acceptent.
00:31:19 Mais les phalanges libanaises vont descendre dans la rue.
00:31:24 Et à la veille, la police, à la demande du gouvernement libanais,
00:31:27 va perquisitionner au siège des phalanges, va interpeller Pierre Gemayel.
00:31:33 Et donc il y a eu des bagarres de rue, il y a eu beaucoup de blessés.
00:31:38 C'est la police française qui obéit au gouvernement libanais,
00:31:40 qui les arrête.
00:31:42 Il y a des émeutes, des vitrines cassées, etc.
00:31:44 Et Pierre Gemayel est emprisonné.
00:31:46 – Il est blessé ?
00:31:47 – Il est blessé.
00:31:48 Il est blessé, et puis dans cette manifestation, il est emmené en prison.
00:31:54 Et puis on n'a pas soigné sa blessure, alors tout ça fait de lui un héros,
00:31:59 parce qu'il reste en prison pendant deux jours, blessé.
00:32:02 Et puis ses camarades, c'était…
00:32:05 – Enfin, il est blessé autour de nous, il a une coupe dans la tête.
00:32:07 – Il a une blessure à la tête, mais pas soignée, donc ça fait plus de…
00:32:12 – D'accord.
00:32:12 – Vous voyez, tout ça…
00:32:13 – Mais est-ce qu'il y a des morts ?
00:32:14 – Non, il n'y a pas de morts.
00:32:15 – Il n'y a pas de morts, dans ce baptême sanglant, il n'y a pas de…
00:32:17 – Non, mais dans ce pays, les gens ne manifestaient pas.
00:32:21 Donc il n'y avait pas l'habitude d'émeutes ou de manifestations de ce genre.
00:32:24 Et donc, deux de ses camarades, qui étaient des personnalités, des notables,
00:32:29 vont lui rendre visite en prison, ils vont être tabassés et mis avec lui en prison.
00:32:33 Évidemment, tout ça fait…
00:32:36 – Ça fait monter la sauce.
00:32:37 – Ça fait monter la sauce, et puis ça choque beaucoup de gens
00:32:40 qui n'étaient pas forcément des phalangistes.
00:32:43 Et donc, quelques jours plus tard, il y a eu des interventions et il est libéré.
00:32:46 Mais ça fait de lui un héros, parce qu'il est libéré, il sort sur un balcon, on l'acclame.
00:32:52 Ça va encore renforcer les militants, qui se sentent tout puissants, finalement.
00:32:56 Parce que finalement, le gouvernement n'a pas réussi à les…
00:32:59 Et puis à tel point que le gouvernement va leur faire une proposition.
00:33:03 Il va leur dire, finalement, vous vous dissoupez pas,
00:33:04 mais à condition que vous soyez juste un mouvement sportif.
00:33:08 Ils refusent, et puis ils trouvent un arrangement pour que ça soit un mouvement social,
00:33:14 qui aide les gens, qui forme à l'esprit civique, mais qui ne fait pas de politique.
00:33:18 En réalité, ils vont en faire quand même, un peu par coup, comme ça.
00:33:23 Mais c'est vrai qu'ils vont beaucoup plus traiter de l'économie et du social.
00:33:28 – Je demande, au niveau programme économique et social ?
00:33:31 – C'est là, justement, qu'ils vont développer un programme économique.
00:33:33 Donc ils vont commencer d'abord à défendre les travailleurs.
00:33:39 Et donc, ils partaient d'un principe que, pour lutter contre le communisme,
00:33:43 parce qu'ils étaient très anticommunistes, pour lutter contre…
00:33:45 Il faut dire, le communisme, au Liban, n'était pas du tout présent.
00:33:49 Mais on est sous mandat français, il y a l'idée…
00:33:52 Par exemple, le patriarche… non, pardon, l'archevêque de Beyrouth accusait Colombani,
00:33:56 donc le commissaire Colombani, qui est la police française.
00:34:00 On était nommé par le Front populaire, en 1936.
00:34:03 Il accusait de faire entrer le communisme, le virus communiste, disait-il à l'époque,
00:34:10 au Liban, vous voyez l'idée.
00:34:12 Et donc, ils vont essayer de développer une forme de syndicalisme,
00:34:19 de demander plus de droits aux travailleurs,
00:34:22 de syndicalisme à la phalange espagnole, si vous voulez.
00:34:26 Donc, ils partent du principe, dans tous leurs écrits,
00:34:29 que pour lutter contre le communisme, il faut du social.
00:34:31 Il faut que les travailleurs aient des droits, tout en défendant une économie libérale.
00:34:37 Donc, en fait, c'est un peu une sorte de poujadisme, si on peut faire de l'anachronisme,
00:34:42 de petits commerçants face aux puissantes sociétés, défendre les travailleurs.
00:34:49 Alors, il y avait une dévaluation en 1936 en France,
00:34:52 qui a touché le Liban, parce que c'était la même monnaie.
00:34:56 Et donc, ça a créé beaucoup d'inflation.
00:34:58 Donc là, ils ont mené des combats contre l'inflation,
00:35:00 en essayant de lutter contre les sociétés qui en profitaient pour augmenter leurs prix,
00:35:06 faire des campagnes contre telle ou telle société qui en profite.
00:35:10 Il y a toute une littérature sur l'esprit mercantiliste, etc.
00:35:14 Vous voyez, donc, en gros, c'est un mouvement social,
00:35:19 peut-on dire d'extrême droite ou de droite, donc nationaliste et social.
00:35:22 Et leur programme économique, c'est l'économie de marché,
00:35:27 avec beaucoup de règles de défense du travailleur.
00:35:32 – Et d'ailleurs, ça se traduit par des actions humanitaires ?
00:35:34 – Ça se traduit par des actions humanitaires, qui, à cause de l'inflation,
00:35:38 donc il y a des gens qui avaient des difficultés, et donc ils vont les aider.
00:35:41 Ils vont faire le tour du Liban en essayant d'apporter des sacs de farine
00:35:48 pour les plus pauvres, etc.
00:35:49 Donc, aider ceux qui n'y arrivent pas à cause de l'inflation.
00:35:53 – Alors, nous avions dit tout à l'heure que le mandat prenait fin en 1941,
00:35:59 mais les choses n'ont pas passé comme prévu,
00:36:02 puisque en 1939, la guerre éclate.
00:36:07 Mais finalement, on s'aperçoit que les phalanges,
00:36:10 enfin les mouvements politiques libanais, indépendantistes,
00:36:13 ne profitent pas de la faiblesse de la France à ce moment-là.
00:36:16 Ils restent sur une neutralité prudente, peut-on dire ?
00:36:20 – Oui, en fait, contrairement aux pays arabes, que ce soit l'Irak, la Jordanie,
00:36:27 la Palestine ou la Syrie, les autres étaient sous mandat britannique,
00:36:31 la Syrie sous mandat français.
00:36:33 En Syrie, par exemple, il y a un soulèvement immédiatement.
00:36:36 Je rappelle que le grand mufti de Jérusalem soutient Adolf Hitler.
00:36:39 Donc, ça c'est culturel, vous savez, les chrétiens du Liban
00:36:43 ne pouvaient pas prendre parti contre la France.
00:36:46 Même s'ils ont envie d'être indépendants,
00:36:48 comme on l'a dit tout à l'heure, il y a quelques minutes,
00:36:50 leurs liens avec la France sont trop forts, trop anciens.
00:36:56 Les Libanais et chrétiens disaient, quand ils parlent de la France,
00:36:59 ils parlent de leur mère, la France.
00:37:03 La mère-patrie, pour eux, c'est paternaliste.
00:37:06 Et donc, c'était impossible pour eux de prendre parti pour un pays
00:37:11 qui fait la guerre à la France, même s'ils voulaient l'indépendance.
00:37:14 Donc, évidemment, ils se rangent du côté de la France,
00:37:17 ils ne restent pas neutres.
00:37:18 – Alors, ils se rangent du côté de la France, ça on est en 1939,
00:37:21 quand la France perd en 1940, le haut-commissaire
00:37:25 est aux ordres du gouvernement de Vichy.
00:37:27 – Oui, justement, pour eux, c'est la France, Vichy.
00:37:29 Et donc, ils ne prennent pas parti entre Vichy et De Gaulle,
00:37:34 mais ils prennent parti pour la France.
00:37:36 Et donc, là encore, dans le contexte de l'époque,
00:37:39 en 1940, Vichy c'est la France.
00:37:41 – Oui, et donc, en revanche, lorsque le général Dens est nommé
00:37:47 par le maréchal Pétain, haut-commissaire,
00:37:50 les phalanges libanaises ont cru à un instant que ça va les favoriser,
00:37:54 pensant qu'ayant des points communs, idéologiques, etc.,
00:37:59 le général Dens pourrait les avantager.
00:38:01 Ce qui n'a pas été le cas, il n'a pas fait grand-chose pour eux,
00:38:04 donc ils ont un peu été déçus.
00:38:05 Mais lorsque le régime va changer, pour eux, c'est juste…
00:38:10 – En réalité, c'est comme si des hauts fonctionnaires
00:38:14 sont remplacés en temps normal.
00:38:15 Pour eux, il n'y a pas eu de… – Il n'y a pas eu de changement.
00:38:19 – C'est un haut fonctionnaire remplacé par un autre, c'est tout.
00:38:23 – Et d'ailleurs, rapidement, finalement, le Liban,
00:38:25 la région tombe dans l'escarcelle des alliés de la France libre.
00:38:29 Donc, que fait De Gaulle ? Il nomme un…
00:38:32 – Nom le général Catroux, donc haut-commissaire au Liban.
00:38:36 Et parallèlement, les Britanniques vont envoyer un émissaire spécial,
00:38:41 pas un émissaire, une sorte d'ambassadeur spécial,
00:38:46 mais ils n'avaient pas le titre d'ambassadeur,
00:38:47 qui est le général Speer.
00:38:49 – D'accord. Donc là, on va se retrouver, il va y avoir…
00:38:52 ça va mener à l'indépendance, on va le raconter,
00:38:53 mais il y a une lutte d'affluence entre l'anglais et le français.
00:38:55 – Oui, déjà, il y a beaucoup de lutte entre la France libre et les Britanniques.
00:38:58 Parce que la France libre, Catroux et De Gaulle
00:39:01 ne veulent pas accorder l'indépendance rapidement au Liban,
00:39:04 ils veulent que l'armée française…
00:39:05 attention, il y a une différence entre la présence de l'armée et l'indépendance.
00:39:08 Pour eux, pourquoi pas l'indépendance, mais l'armée française doit rester.
00:39:11 Les Britanniques veulent à tout prix que la France s'en aille.
00:39:15 Alors, officiellement…
00:39:16 – Même en plein conflit mondial.
00:39:19 – Oui, ils veulent les remplacer, c'est pas grave pour eux.
00:39:21 Mais officiellement, ils disent que leur intérêt,
00:39:27 c'est que la France s'en aille parce qu'elle mécontente
00:39:30 les populations arabes sur lesquelles eux ont un mandat.
00:39:36 Et donc, ils craignent aussi un soulèvement en Syrie contre la France.
00:39:39 Ils disent "mais en fait, si la France garde le mandat sur le Liban et la Syrie,
00:39:45 il va y avoir des soulèvements arabes et tout".
00:39:48 Pour satisfaire les populations arabes, il vaut mieux que la France s'en aille.
00:39:52 En réalité, ça c'est une excuse.
00:39:55 Les Britanniques n'ont jamais admis que la France est un pied dans cette région.
00:39:59 Ils se méfiaient beaucoup de la présence française,
00:40:01 notamment au Grand Liban et pas du tout en Syrie,
00:40:04 parce qu'ils savent qu'en Syrie, elle n'est pas la bienvenue.
00:40:07 Donc, sa présence n'était pas viable.
00:40:11 En revanche, au Liban, ça les embêtait beaucoup parce qu'ils savent les liens
00:40:16 que la France avait avec les chrétiens du Liban.
00:40:18 Et l'idée que la France ait un pied confortable,
00:40:23 haut levant avec cet État dirigé par des chrétiens
00:40:26 mécontentait énormément les Anglais.
00:40:28 Et donc, ils n'en voulaient pas.
00:40:30 Et comme ils n'ont pas voulu d'un État 100% chrétien,
00:40:33 l'idée avait traversé les dirigeants français et chrétiens libanais dans les années 30.
00:40:39 On parlait beaucoup de déplacement de population en Europe,
00:40:43 notamment pour l'Allemagne, vous savez,
00:40:46 les territoires dans lesquels il y avait des Allemands, des Tchèques, des Polonais.
00:40:50 Faire bouger, c'est pour faire des États cohérents.
00:40:54 Donc l'idée était de remplacer les musulmans qui ont intégré le Grand Liban,
00:41:02 qui étaient dans les territoires limitrophes de la Syrie,
00:41:06 Tripoli, la plaine de l'Abéka, autour du mont Liban,
00:41:10 de les remplacer par des populations chrétiennes de Syrie ou d'Irak.
00:41:14 – De Syrie, oui.
00:41:17 – J'ai trouvé, maintenant les archives sont ouvertes,
00:41:19 qu'en réalité, ça n'a pas eu lieu pour de tas de raisons,
00:41:23 mais notamment, l'Angleterre ne l'aurait jamais accepté.
00:41:27 Il y avait un veto anglais sur ça.
00:41:28 Parce que, là, un État 100% chrétien sous influence française,
00:41:33 c'était une idée, mais pas acceptable du tout par les britanniques.
00:41:37 – Alors pour arriver à l'indépendance, il faut des élections.
00:41:42 Donc il va y avoir des élections en 1943.
00:41:44 Qui remporte ces élections ?
00:41:46 – Alors, il faut dire que ces élections se sont passées sous l'égide de,
00:41:51 entre guillemets, sous l'égide de General Speer, qui manigancait énormément.
00:41:54 – D'ailleurs, ce sont les anglais qui exigent les élections.
00:41:57 – Oui, non seulement ils les exigent, mais ils font une campagne
00:42:01 pour ceux qu'ils soutiennent, à savoir les indépendantistes.
00:42:05 Et il y a eu une lutte entre Catroux et Speer,
00:42:07 et puis des menaces et de l'intimidation.
00:42:09 Les anglais menacent constamment leurs alliés français.
00:42:14 Ils menacent notamment parce que le blé et le sucre qui arrivent au Liban,
00:42:18 c'est les anglais qui l'acheminent.
00:42:20 Donc à un moment donné, c'était les menaces de "on recoupe les vivres".
00:42:23 Et intimidation, menace, etc.
00:42:25 Donc ça ne s'est pas passé facilement.
00:42:27 Et le Général Speer va mener campagne, va aider matériellement,
00:42:32 de plein de manières, les indépendantistes.
00:42:34 À savoir, toujours les mêmes, Aidez revient en 1942.
00:42:38 Parce qu'en fait, on est passé un peu vite.
00:42:40 La France avait nommé un président, à cause de la guerre,
00:42:43 ils avaient nommé quelqu'un, un chrétien.
00:42:46 Aidez va revenir en 1942.
00:42:48 Et Pichard-El Khoury, son concurrent, va se présenter.
00:42:51 Cette fois-ci, il va remporter l'élection en 1943.
00:42:54 Et puis, il est allié avec un musulman sunnite,
00:42:58 un notable sunnite, Riyad El-Sol.
00:43:03 Et donc, lui, il s'était établi à Damas dans les années 30.
00:43:07 Mais il va accepter l'idée…
00:43:08 Ils vont faire un pacte tous les deux,
00:43:10 ce qu'on a appelé le pacte national,
00:43:12 dans lequel chacun va renoncer à ses engagements antérieurs.
00:43:18 C'est-à-dire, le chrétien va renoncer à l'Occident,
00:43:21 et le musulman va renoncer au monde arabe.
00:43:24 Inutile de vous dire que c'était un peu pieux.
00:43:27 Mais bon, c'est le pacte national, donc deux négations,
00:43:30 c'est la fameuse formule du journaliste…
00:43:33 Alfred Macash, "deux peuples ne font pas une nation".
00:43:40 Non, ça c'est le sous-titre de mon livre, pardon.
00:43:41 – "Deux peuples ne font pas une nation".
00:43:43 – Oui, ça c'est le titre de mon deuxième livre.
00:43:45 Mais en fait, sa formule à lui, c'était
00:43:46 "deux négations ne font pas une nation",
00:43:48 d'où, moi j'ai transformé ça en "deux peuples ne font pas une nation".
00:43:50 Deux négations ne font pas une nation.
00:43:52 En fait, oui, cette indépendance était appuyée sur deux négations.
00:43:56 Évidemment, ça n'a pas marché.
00:43:57 Mais ça a marché pour obtenir l'indépendance,
00:43:59 parce qu'ils remportent l'élection de très peu,
00:44:03 et là, ils vont exiger l'indépendance
00:44:07 qui était acquise sur papier.
00:44:08 – Oui, ce 4 août, ils l'avaient déjà proclamée l'indépendance.
00:44:10 – Ils l'avaient déjà proclamée, mais eux, ils vont aller plus loin.
00:44:12 Ils vont réformer la Constitution.
00:44:14 En fait, ils ne vont pas changer grand-chose dans la Constitution,
00:44:16 elle va rester la même, ils vont juste modifier quelques articles
00:44:20 qui vont mécontenter les Français.
00:44:22 Et donc là, ils vont être emprisonnés.
00:44:24 Bon, quels sont ces articles ?
00:44:25 D'abord, on retient souvent les moins importants.
00:44:29 On retient, il y a un article qui prévoit
00:44:35 que la France a un mandat sur le Liban.
00:44:38 Ils vont l'annuler.
00:44:40 On n'a retenu que ça.
00:44:41 Mais en fait, le premier article qu'ils annulent,
00:44:44 c'est un article qui prévoit la solidarité du Liban
00:44:49 avec les autres États sous mandat français.
00:44:53 Et pourquoi ils le résilient ?
00:44:54 Parce que quels sont les autres États ?
00:44:56 – C'était la Syrie.
00:44:57 – C'était la Syrie, mais on parle au pluriel,
00:44:58 parce qu'à l'époque, en 1926, il y avait 4 États.
00:45:01 Et donc, ils le résilient parce qu'ils ne veulent pas
00:45:04 de solidarité avec la Syrie.
00:45:05 Parce que pour eux, solidarité avec la Syrie,
00:45:07 ça veut dire aussi fusion, etc.
00:45:10 Donc, ils résilient ça, en premier.
00:45:12 En deuxième, pour eux, pour que le Liban existe,
00:45:16 il ne faut pas ça, il ne faut pas d'article de ce genre.
00:45:19 Parce que ça sous-entend une alliance ou une union.
00:45:21 Donc, la présence du mandat français
00:45:24 et le pouvoir des autorités françaises,
00:45:28 donc policières et militaires.
00:45:29 Et donc, ça, ça va mécontenter le Haut-Commissaire, évidemment,
00:45:32 et la France, parce que par ce changement,
00:45:35 la France n'a plus de pouvoir, en réalité.
00:45:37 Donc, ils lui enlèvent son pouvoir.
00:45:39 – Donc, le Président, les ministres sont emprisonnés,
00:45:41 Gemayel aussi.
00:45:42 – Gemayel aussi.
00:45:43 Et ce qui va se passer, c'est qu'il y a aussi l'histoire du drapeau.
00:45:46 Ça, c'est très important, l'histoire du drapeau,
00:45:48 parce que le drapeau libanais, c'était le drapeau français tricolore
00:45:51 avec un cèdre au milieu.
00:45:53 Les musulmans considéraient que c'était un drapeau occidental.
00:45:57 Vous remarquerez que tous les drapeaux des pays arabes,
00:45:59 il y a une porte verte.
00:46:01 C'est la couleur du prophète.
00:46:02 Le drapeau saoudien est totalement vert, le libyen aussi, d'ailleurs.
00:46:05 Et donc, voire parfois des inscriptions coraniques dessus.
00:46:10 Et donc, les musulmans considéraient que le drapeau libanais
00:46:14 ne les représente pas.
00:46:16 Et donc là, en prison, ils vont se réfléchir à ça,
00:46:21 et c'est Gemayel d'ailleurs qui va émettre l'idée,
00:46:24 de changer de drapeau.
00:46:27 Et donc là, c'est anecdotique, parce qu'ils décident
00:46:30 de faire un drapeau rouge-blanc-rouge avec un cèdre au milieu.
00:46:33 Donc ils enlèvent le bleu, ils abandonnent le drapeau tricolore.
00:46:40 Et puis là, il n'y a pas de vert.
00:46:42 Et donc, pour satisfaire les musulmans, ils vont décider
00:46:45 que le cèdre va être totalement vert, il n'y a pas de branches marron.
00:46:48 – D'accord.
00:46:49 – Et donc ils vont dire aux musulmans, ben voilà, il y a du vert, c'est le cèdre.
00:46:52 – Donc, indépendance totale, on va terminer là-dessus.
00:46:55 Indépendance totale en 1943, les Français, les troupes françaises
00:47:00 quittent le Liban en 1946.
00:47:04 Et là, les phalanges vont véritablement se transformer en partis politiques.
00:47:08 – Oui, alors la première… – Très, très vite, parce qu'on passe le temps.
00:47:11 – Oui, je fais vite.
00:47:12 Le premier coup de poignard au pacte national, c'était en 1945,
00:47:16 fondation de la Ligue arabe.
00:47:19 Le Liban ne devait pas y participer, il en est membre fondateur.
00:47:25 Alors qu'on avait dit ni Oréans ni Occident, et tout d'un coup, en 1945,
00:47:29 le Liban est membre fondateur de la Ligue arabe.
00:47:31 Et ça va être comme ça pendant des décennies.
00:47:34 À chaque fois, les musulmans ne vont pas renoncer au monde arabe,
00:47:37 alors que les chrétiens vont renoncer à l'Occident.
00:47:39 Et donc, voilà, ça va être comme ça pendant des décennies, jusqu'à la guerre civile.
00:47:42 – Jusqu'à la guerre civile, et on parlera peut-être une autre fois de la guerre civile.
00:47:47 Aujourd'hui, le Liban, est-ce que c'est un pays qui existe toujours ?
00:47:51 – Il existe sur le papier, mais en fait, l'État libanais est inexistant.
00:47:55 Encore plus maintenant qu'avant, il est inexistant et impuissant.
00:47:58 Parce que c'est un État où le pouvoir est partagé entre communautés.
00:48:02 Chacun y voit ses intérêts, chaque communauté voit ses intérêts.
00:48:06 Chaque communauté défend les siens.
00:48:08 Et puis, l'idée d'une…
00:48:10 Alors maintenant, les musulmans acceptent d'être des Libanais,
00:48:12 mais attention, ils ont leur propre définition du Liban.
00:48:16 Tout le monde vous dit "moi je suis Libanais, nationaliste Libanais".
00:48:18 Mais quelle est votre définition du Liban ?
00:48:19 Chacun a la sienne.
00:48:21 Et elle est totalement opposée à l'autre.
00:48:23 Ils n'ont pas du tout la même définition du pays.
00:48:25 Et un truc très simple, il y a une coalition par exemple islamo-chrétienne,
00:48:30 ils vont faire un discours, le chef politique chrétien va terminer son discours
00:48:35 en disant "Vive le Liban".
00:48:37 Son ami musulman à côté va faire un discours,
00:48:39 il va terminer en disant "Vive le Liban arabe".
00:48:42 – D'accord, donc effectivement, on n'est pas sortis de l'auberge, comme on dit chez nous.
00:48:46 Richard Arnard, merci infiniment, c'était passionnant.
00:48:49 Je rappelle votre ouvrage "Les phalanges libanaises",
00:48:53 donc paru aux éditions Godefroy de Bouillon.
00:48:57 Merci. – Merci.
00:48:58 – Nous allons maintenant retrouver la petite histoire de Christopher Lanne.
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00:49:08 À bientôt.
00:49:09 [Générique]
00:49:23 Le 21 juillet 1798, après une rude traversée du désert,
00:49:30 les troupes françaises commandées par le jeune général Bonaparte
00:49:33 rencontrent l'armée des Mamelouks, réputées comme étant les meilleurs cavaliers du monde.
00:49:39 C'est la célèbre bataille des pyramides.
00:49:41 Pourtant épuisées et en infériorité numérique,
00:49:43 les français vont montrer une discipline parfaite
00:49:46 et les charges puissantes des Mamelouks viendront se briser les unes après les autres
00:49:51 sur leur carré d'infanterie, véritable citadelle imprenable.
00:49:55 Franchement, cette bataille, c'est un cas d'école,
00:49:57 ne serait-ce qu'au niveau du ratio des pertes, c'est juste incroyable.
00:50:01 Et les Mamelouks, avec toute leur arrogance, ont littéralement pris une PLS de l'espace.
00:50:06 Cette victoire, qui sera largement exploitée par la propagande,
00:50:09 contribuera au prestige et à la légende du futur empereur
00:50:13 et marquera le début de la conquête de l'Egypte.
00:50:16 [Générique]
00:50:32 Bon, avant de commencer, je précise que je suis encore avec mes petits tests
00:50:35 pour mon nouvel appareil, mon nouveau micro.
00:50:38 Bon, ça me semble un peu mieux, mais je ne suis pas sûr.
00:50:40 Donc voilà, on va continuer dans les tests
00:50:42 et puis vous me direz ce que vous pensez de l'image et du son.
00:50:44 En 1797, le jeune général Bonaparte rentre au réolé de gloire de la campagne d'Italie.
00:50:51 Il lui faut maintenant un autre grand projet à la hauteur de sa renommée et de ses ambitions.
00:50:56 Et c'est ainsi qu'avec le gouvernement du directoire qui méditait cette idée depuis déjà longtemps,
00:51:01 il décide de partir pour l'Egypte, un pays dominé par les Mamelouks.
00:51:05 Pourquoi l'Egypte ? Pour plusieurs raisons.
00:51:07 La première étant que la popularité de Bonaparte inquiète les membres du directoire.
00:51:12 Le directoire est alors clairement impopulaire.
00:51:15 Je n'ai pas besoin de vous expliquer ce qu'est un gouvernement impopulaire, je pense.
00:51:19 Ensuite, outre le fait que Bonaparte est friand d'orientalisme à l'époque,
00:51:23 comme beaucoup de gens de son époque d'ailleurs,
00:51:25 il est question d'établir la première grande colonie de la République française
00:51:29 et surtout, surtout, de couper la route des Indes aux Anglais,
00:51:33 en faisant au passage une base solide pour notre futur empire oriental.
00:51:38 Alors le directoire décide d'envahir la Confédération suisse,
00:51:41 dans un premier temps, parce qu'il faut bien financer l'expédition,
00:51:44 et puis que la neutralité ne suffit pas toujours à protéger votre pognon.
00:51:49 Puis, le 19 mai 1798, une flotte appareille de Toulon.
00:51:54 Elle embarque avec elle plus de 50 000 hommes, des militaires surtout bien sûr,
00:51:57 mais aussi des savants, des artistes, des botanistes, des naturalistes,
00:52:02 bref, cette expédition ne sera pas que militaire,
00:52:05 elle sera aussi scientifique et culturelle,
00:52:08 et ça, ça se fait à la demande de Bonaparte,
00:52:10 bien sûr, qui est passionné de l'Egypte,
00:52:13 et qui en plus vient d'être nommé membre de l'Institut.
00:52:16 Cette flotte traverse la Méditerranée,
00:52:18 s'empare au passage de l'île de Malte, parce que... pourquoi pas,
00:52:22 puis arrive à Alexandrie début juillet,
00:52:25 après avoir échappé quasiment par miracle à la flotte de l'amiral Nelson,
00:52:29 dit "le nain flottant".
00:52:31 Donc ça, c'est moi qui l'a ajouté.
00:52:33 Une fois arrivé à Alexandrie, il faut à Bonaparte prendre la direction du Caire,
00:52:37 le chemin le plus sûr, c'est de longer le Nil, en passant par Rosette,
00:52:41 avec ses plaines fertiles et son eau abondante,
00:52:44 mais c'est aussi là que l'ennemi l'attend.
00:52:46 Bonaparte le sait, et il choisit donc de couper directement à travers le désert.
00:52:50 Il se lance ainsi sur les traces des grands conquérants, de César, d'Alexandre,
00:52:54 le futur maréchal Berthier note dans ses mémoires, je cite,
00:52:58 "Mille souvenirs se réveillent à la vue de ces plaines,
00:53:00 où le sort des armes a tant de fois changé la destinée des empires."
00:53:04 C'est une difficile traversée qui commence,
00:53:06 elle durera plus d'une semaine, dans la souffrance, dans la chaleur,
00:53:09 en gros c'est une sorte de campagne de Russie, version désert, si vous voulez,
00:53:13 avec les 50° à l'ombre, qui remplacent l'hiver russe,
00:53:17 et puis les Bédouins en guise de Cossacks.
00:53:19 C'est au terme de ce périple exténuant que les troupes françaises atteignent enfin le Nil,
00:53:24 et arrivent à portée de l'ennemi.
00:53:26 Cet ennemi, c'est Mourad B, avec ses Mamelouks.
00:53:29 Nous sommes le 10 juillet 1798,
00:53:31 et les Mamelouks, forts de leur réputation d'invincibilité,
00:53:34 de meilleure cabalerie du monde, sont confiants.
00:53:37 Ils sont certains qu'ils ne vont faire qu'une bouchée de ces soldats occidentaux,
00:53:42 à pied, perdus loin de leur contrée.
00:53:44 C'est le combat de Chebres, qui précède la bataille des pyramides,
00:53:47 dont on va parler juste après.
00:53:48 Les Mamelouks, qui sont environ 4000, lancent une charge énorme,
00:53:52 poussant des cris de guerre terrifiants,
00:53:54 à la limite des cris d'animaux, nous rapportent les témoins.
00:53:57 Autant vous dire que le spectacle a de quoi impressionner.
00:54:00 Le problème pour eux, c'est que les soldats français ne sont pas des novices,
00:54:03 ce sont des vétérans expérimentés, qui ont fait les campagnes d'Italie et d'Allemagne,
00:54:08 et surtout, surtout, ça c'est important, Bonaparte décide de les former en carré.
00:54:13 Un carré, qui est en fait un rectangle,
00:54:15 dont les côtés les plus longs sont formés de 6 rangées de soldats,
00:54:18 les deux autres de 3 rangées,
00:54:20 aux angles, des canons chargés à mitraille,
00:54:22 et au milieu, la cavalerie et les bagages.
00:54:25 C'est propre, c'est net, mais ça n'impressionne nullement les Mamelouks.
00:54:28 Ils ont une confiance aveugle en leur supériorité,
00:54:31 et ainsi ils poursuivent leur charge furieuse,
00:54:33 les soldats français attendent l'ordre de tirer,
00:54:37 les Mamelouks approchent, approchent encore, et soudain, l'ordre tombe.
00:54:41 Le premier rang décharge de ses cartouches,
00:54:43 puis le deuxième, puis le troisième,
00:54:45 les cavaliers musulmans tombent comme des mouches.
00:54:48 La puissance de feu des carrés est telle que la charge,
00:54:50 si dense et imposante au départ,
00:54:52 est littéralement décimée,
00:54:54 les plus téméraires des Mamelouks continuent tout de même,
00:54:57 et viennent s'empaler sur un véritable mur de baïonnettes.
00:54:59 C'est clairement un massacre, et rapidement, dans les rangs musulmans,
00:55:02 c'est la débandade générale,
00:55:04 le combat de Chebres est un triomphe pour le corps expéditionnaire français.
00:55:08 Les hommes de Bonaparte poursuivent donc leur route,
00:55:10 et après un peu de repos, ils arrivent à la vue des pyramides de Gizé,
00:55:14 c'est là que le jeune général prononce sa célèbre phrase,
00:55:18 "songez que du haut de ces pyramides, 40 siècles vous contemplent".
00:55:21 Mourad B, lui, a concentré son armée pour s'apprêter à prendre sa revanche sur les français,
00:55:26 sauf que les Mamelouks n'ont pas du tout retenu la leçon,
00:55:29 et que la déculottée subie à Chebres
00:55:32 n'a en rien entamé leur arrogance.
00:55:34 Le 21 juillet 1798,
00:55:36 la bataille des pyramides, ainsi nommée par Bonaparte à des fins de propagande,
00:55:40 débute,
00:55:41 elle oppose 25 000 français environ
00:55:44 à 40 000 égyptiens,
00:55:45 dont 10 000 Mamelouks avec des cavaliers arabes et des janissaires.
00:55:50 Fort de l'expérience vécue à Chebres,
00:55:52 Bonaparte reproduit le même schéma en formant ses divisions en carrés,
00:55:56 chaque carré représente 2000 hommes.
00:55:58 De leur côté, les Mamelouks aussi en refont exactement la même chose,
00:56:01 sauf que la fois d'avant, ils avaient perdu,
00:56:03 c'est-à-dire chargés comme des bourrins sur des carrés d'infanterie,
00:56:07 et là, tous ceux qui ont joué à Totaloa se frottent déjà les mains.
00:56:10 Comme à Chebres, la charge est impressionnante,
00:56:12 c'est une véritable masse furieuse, bruyante et enragée
00:56:16 qui fond sur les français,
00:56:18 mais une fois de plus, elle est totalement anéantie par le feu des carrés.
00:56:22 Les Mamelouks, déjà décimés par les tirs, ne savent plus quoi faire
00:56:25 et se contentent de tournoyer autour des formations françaises
00:56:28 en tentant quelques charges,
00:56:29 toutes repoussées à mi-portée
00:56:32 par les tirs rangés ou la mitraille des canons.
00:56:35 Très vite poussées trop loin dans leurs charges,
00:56:37 certains se retrouvent pris entre deux carrés
00:56:39 et n'ont alors aucune chance.
00:56:41 C'est un massacre et les cris de terreur
00:56:43 et les hennissements des chevaux ont remplacé les cris de guerre.
00:56:46 On rapporte même que certains Mamelouks,
00:56:47 parvenus dans le chaos à ramper jusqu'au rang français,
00:56:51 sortent de leur cimetère et tentent de couper les jarrets des fantassins français.
00:56:55 Évidemment, ils sont aussitôt passés au fil de la baïonnette.
00:56:58 En à peine 20 minutes, la bataille est pliée,
00:57:01 Bonaparte ordonne de s'emparer du village d'Embabé sur le flanc gauche,
00:57:05 les soldats avancent en colonne
00:57:07 et se forment en carré dès que les Mamelouks approchent.
00:57:10 On rapporte ainsi qu'ils sont tellement mitraillés à bout portant dans cette bataille
00:57:15 que la poudre enflamme leur tunique
00:57:17 et le champ de bataille se retrouve alors couvert de cadavres en feu.
00:57:20 Pour Mourad B, c'est une nouvelle déculottée.
00:57:23 C'est la victoire des français face aux Mamelouks,
00:57:26 mais c'est surtout la victoire de la discipline européenne
00:57:29 contre les charges orientales désordonnées et brutales.
00:57:33 Pour vous dire, après coup, les Égyptiens resteront persuadés
00:57:36 que les soldats français étaient attachés entre eux avec des cordes
00:57:40 tant leur formation restait impassible face à leur charge.
00:57:43 Je vous ai parlé du ratio au début de cette vidéo, et bien le voilà.
00:57:46 Il est net, sans bavure, précis.
00:57:47 Côté Mamelouk, les estimations aussi entre 1500 morts,
00:57:51 c'est vraiment la très très basse estimation,
00:57:53 et dépassent la dizaine de milliers pour la plus haute.
00:57:57 Côté français en revanche, qui ne sont que 25 000 en infériorité numérique,
00:58:00 je le rappelle, 29 morts et quelques 200 blessés.
00:58:04 Franchement, si ça, ce n'est pas un ratio de l'espace tel que je vous l'avais promis,
00:58:07 je ne sais pas ce que c'est.
00:58:08 Après la débatque, le Mourad B s'enfuit vers la Syrie,
00:58:11 poursuivi par décès.
00:58:12 Pour Bonaparte, la route du Caire est ouverte.
00:58:14 Il entre dans la capitale égyptienne le 24 juillet,
00:58:17 et débute ainsi sa conquête de l'Égypte.
00:58:20 Il s'occupe aussi de sa légende,
00:58:21 c'est pourquoi il décide de baptiser cette bataille "Bataille des Pyramides",
00:58:26 parce que, même si les pyramides sont plutôt loin à l'horizon,
00:58:29 ça sonne quand même mieux que "Bataille du Caire" ou "Bataille d'Embabé".
00:58:33 On est d'accord.
00:58:34 Bon, la campagne, au final, sera un fiasco militaire,
00:58:37 mais culturellement, elle sera une réussite.
00:58:40 Je l'ai dit, Bonaparte a emporté avec lui tout un tas de savants
00:58:43 qui vont ramener en France des trésors,
00:58:45 et cela va marquer les débuts de l'égyptologie moderne.
00:58:48 Pour ça, je vous renvoie directement à mon épisode de la petite histoire
00:58:51 sur la campagne d'Égypte,
00:58:53 mais le moins que l'on puisse dire,
00:58:54 c'est qu'elle n'aura pas été totalement inutile,
00:58:58 qu'elle n'aura pas manqué de panache,
00:59:00 et surtout, au regard de ce que je viens de vous présenter,
00:59:03 qu'elle aura plutôt bien démarré.
00:59:05 D'ailleurs, ça a été une telle humiliation pour les Mamelouks,
00:59:07 où toute leur prétention et leur réputation d'invincibilité
00:59:11 est venue se briser sur nos carrés,
00:59:13 qu'ils ne parviendront plus jamais à retrouver leur place politique en Égypte.
00:59:17 Certains parlent même d'un "Nazincourt" égyptien.
00:59:19 Je termine par une magnifique citation,
00:59:22 toujours du futur maréchal Berthier,
00:59:24 qui rejoint ce qu'on a dit tout à l'heure, je cite,
00:59:27 "Jamais victoire aussi importante ne coûta moins de sang aux Français.
00:59:30 Ils n'eurent à regretter dans cette journée que dix hommes tués et environ trente blessés.
00:59:35 Jamais avantage ne fit mieux sentir la supériorité de la tactique moderne des Européens
00:59:40 sur celle des Orientaux, du courage discipliné sur la valeur des Ordonnées."
00:59:44 (Générique)

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