Bernard était le négociateur de la cellule de crise majeure du GIGN pendant 10 ans

  • last year
"L'instinct animal, même si on est des êtres humains, prend le dessus et on va essayer de sauver les plus faibles." Bernard Thellier était le négociateur de la cellule de crise majeure du GIGN pendant 10 ans. Pour neo, il raconte son expérience et les prises d'otages qu'il a vécues.

Category

😹
Fun
Transcript
00:00 Le beau-père était un revendeur de drogue.
00:02 Il prostituait les enfants pour avoir de l'argent.
00:05 Quand le père a su ça, il a été aux services sociaux.
00:08 Les services sociaux ne l'ont pas écouté.
00:10 Le seul moyen que ces enfants arrêtent de souffrir, c'était de les tuer.
00:13 Bonjour Néo, je m'appelle Bernard Tellier
00:15 et j'étais pendant 10 années le négociateur de la cellule de crise majeure du GIGN.
00:19 Et je vais vous partager aujourd'hui mon expérience.
00:21 Ce que j'avais compris moi sur une mission,
00:23 c'est que si je voulais mettre toutes les chances de mon côté,
00:25 c'est qu'il ne fallait pas que je communique par l'intermédiaire d'un téléphone.
00:28 Parce que ça enlève toute l'humanité à la voix.
00:30 Il fallait que j'aille sur le terrain.
00:31 Je peux vous assurer que quand j'entendais les pleurs des otages,
00:33 quand j'entendais les sanglots des otages,
00:35 ben oui j'allais me défoncer à 500% pour eux.
00:37 Si je restais dans ma voiture ou dans un bureau à 5 km ou à 20 km ou à 100 km,
00:41 je savais que c'était une crise, je savais que les gens pouvaient mourir,
00:43 mais je n'allais jamais m'impliquer émotionnellement autant que si j'avais entendu les otages.
00:47 Un jour, on est appelé pour une prise d'otages familiale.
00:50 Un père de famille détient en otage ses deux enfants.
00:52 J'arrive et je cherche un peu de renseignements sur le papa
00:56 pour savoir comment je peux le ramener à la raison.
00:58 Et là, j'entends un coup de feu.
00:59 Et là, on me signale qu'il vient de tuer son premier enfant de 4 ans
01:02 et qu'il vient de balancer le corps sur le paillasson.
01:04 C'est un moment extrêmement dur.
01:05 Ça fait quelques secondes que je suis là et j'ai déjà perdu un petit otage.
01:08 En plus, j'avais des jumelles à l'époque qui avaient 4 ans,
01:10 le même âge que Arnaud, c'était le prénom de ce petit garçon.
01:13 Et je cherche du renseignement et tout le monde me le décrit comme un monstre.
01:16 L'épouse qui est là imaginait aussi comment elle est dans un état de tristesse intense.
01:20 Elle vient de perdre son petit bébé de 4 ans.
01:22 Et un seul coup, mon chef de groupe me dit "top action".
01:24 Et donc, j'arrive dans ce hall, il y a l'équipe d'assaut qui est là
01:27 et je ne sais pas quoi dire.
01:27 Le préfet a essayé de négocier, il ne lui a pas décroché un mot.
01:30 Pourquoi, moi, il me parlerait ?
01:32 Et là, je vais jusqu'à la porte.
01:33 Donc, c'est encore des risques parce qu'il peut me tirer dessus.
01:35 Et c'est un moment très dur parce qu'il y a le cadavre du petit Arnaud qui est là.
01:38 J'essaie de ne pas me focaliser dessus et d'écouter l'intérieur.
01:41 Et à l'intérieur, j'entends beaucoup d'amour entre le papa et le deuxième enfant
01:45 qui est âgé de 8 ans.
01:46 Et ça, c'est étrange parce que ce que je vois sur Payasson
01:48 et ce que j'entends derrière la porte, ce n'est pas du tout la même chose.
01:51 Et là, il y a quelque chose qu'on ne m'a pas dit ou qu'on me cache.
01:54 Et je ne sais pas quoi.
01:55 Je tente la négociation et je donne beaucoup d'empathie.
01:57 Mais l'empathie, ça ne se passe pas par des mots, ça se passe par des gestes.
02:00 C'est là où il ne faut pas confondre la sympathie et l'empathie.
02:02 On reste dans l'empathie pour comprendre les émotions
02:05 mais on ne bascule pas dans la sympathie pour souffrir avec.
02:08 Et là, je l'appelle, je lui dis "Monsieur Durand, je suis Bernard Tellier,
02:11 je suis médecin, je ne prends pas la couverture de négociateur du GIGN.
02:14 Comme vous, les gens regardent beaucoup les séries américaines
02:17 et si on dit négociateur du GIGN, ils vont retenir GIGN.
02:21 Et qu'est-ce qu'ils vont penser ?
02:22 La première chose, c'est l'équipe d'assaut, les tireurs d'élite.
02:24 Et là, ils vont rentrer dans l'instinct de survie.
02:26 Ils ne vont plus être capables d'écouter.
02:28 Je dis "Je suis médecin et je ne peux pas laisser Arnaud sur Payasson.
02:31 Je viens le chercher."
02:32 Et là, j'avance et j'ai extrêmement peur qu'il me tire dessus à travers la porte
02:35 quand je viens chercher ce petit corps.
02:36 Et là, c'est un moment extrêmement dur pour moi
02:38 parce que quand je prends ce petit corps dans mes bras,
02:41 je culpabilise.
02:41 Pourquoi je n'ai pas roulé plus vite ?
02:43 Pourquoi j'aurais pu peut-être partir plus tôt ?
02:45 J'aurais pu arriver un peu plus tôt ?
02:46 Je sors dans la cour et je remets Arnaud au pompier.
02:49 Je vois qu'ils sont marqués,
02:51 je vois qu'ils sont influencés aussi négativement, forcément.
02:53 On est tous papa.
02:54 Je reviens dans le hall et je continue la négociation.
02:58 Je dis "Monsieur Durand, ça y est, j'ai déposé Arnaud."
03:00 Et là, j'entends derrière la porte "Merci."
03:02 Et là, à partir de là, la négociation est partie.
03:05 En général, l'erreur qu'on fait, c'est qu'on essaye de sauver les otages
03:08 alors qu'il faut se concentrer sur le preneur d'otages.
03:10 S'il fait une prise d'otages, c'est qu'il a quelque chose à dire
03:12 et ça, on l'oublie souvent.
03:14 Et l'instinct animal, même si on est des êtres humains,
03:17 l'instinct animal prend le dessus
03:18 et on va essayer de sauver les plus faibles.
03:19 Et en se concentrant sur les plus faibles,
03:21 on crée un manque psychologique au preneur d'otages.
03:23 Forcément, si vous donnez toute votre empathie aux otages,
03:25 le preneur d'otages qui a besoin de parler,
03:27 une prise d'otages, c'est une expression.
03:29 Et si on ne le laisse pas s'exprimer, il va tuer les otages.
03:31 Alors qu'en lui permettant de s'exprimer, il va extérioriser son mal-être.
03:35 Et puis j'avais compris quelque chose,
03:36 c'est que si je sauvais mon preneur d'otages,
03:38 tous les otages allaient être sauvés.
03:39 Et plus mon preneur d'otages allait se sentir en sécurité,
03:42 plus mes otages se sentaient en sécurité.
03:44 En fin de compte, qu'est-ce qu'il s'est passé ?
03:45 Il y a un très bon agent de renseignement en France,
03:49 c'est les gardiens d'immeubles.
03:50 Les gardiens d'immeubles connaissent tout sur tout
03:52 parce qu'ils sont toujours dans la rue.
03:53 Et il m'explique que le beau-père frappe les enfants.
03:56 Le papa, en fin de compte, a essayé de sauver les enfants.
03:59 Malgré le jugement qui était contre lui,
04:01 il a essayé de garder les enfants chez lui.
04:03 Le beau-père et la maman sont venus,
04:04 ils lui ont cassé le nez pour reprendre les enfants.
04:07 Une semaine après, il a eu de nouveau la garde des enfants le week-end.
04:09 Les deux enfants sont arrivés extrêmement maltraités.
04:12 Arnaud, 4 ans, avec les deux arcades d'arrachés.
04:14 Le petit, de 8 ans, avait le dos tellement lacéré
04:16 que des morceaux de tissu étaient imprégnés dans le dos.
04:18 Le beau-père était un revendeur de drogue.
04:21 Il prostituait les enfants pour avoir de l'argent.
04:24 Quand le père a su ça, il a été aux services sociaux.
04:27 Les services sociaux ne l'ont pas écouté.
04:29 Le seul moyen que ces enfants arrêtent de souffrir,
04:31 c'est d'aller les tuer.
04:32 Et après, il va se donner la mort.
04:33 Ça s'appelle un suicide altruiste.
04:35 C'était le message qu'il voulait passer,
04:38 mais personne ne l'avait écouté.
04:39 D'ailleurs, c'est cette phrase qu'il a ramenée à la raison.
04:42 Il voulait parler à son épouse.
04:43 Je savais qu'il voulait parler à son épouse simplement pour la tuer.
04:46 Et donc, ce que je lui ai dit,
04:47 je lui ai dit "J'ai trouvé votre épouse,
04:48 malheureusement, je ne peux pas vous l'amener."
04:50 Les gendarmes l'ont mis en garde à vue pour non-assistance à personne en danger.
04:53 Et Didier, son amant, est en garde à vue aussi
04:55 pour coups et blessures sur mineurs de moins de 15 ans.
04:57 Et il me dit "Vous savez, j'ai été aux services sociaux,
04:59 je leur ai dit, mais pourquoi je n'ai pas réussi à me faire comprendre avant ?"
05:03 Là, je lui ai dit "Monsieur Durand, ce n'est pas de votre faute,
05:04 c'est que personne n'a été capable de vous écouter."
05:07 Et cette phrase a tout déclenché.
05:09 Il a libéré son enfant et il s'est rendu.
05:10 Rentrer au GIGN, c'est extrêmement dur.
05:12 Il y a 14 mois de sélection pour rentrer au GIGN, très peu d'élus.
05:15 Mais en partir, c'est extrêmement dur aussi
05:17 parce que vous quittez des amis, vous quittez une famille.
05:19 C'est le nombre de gens qui vous ont sauvé la vie,
05:20 vous avez sauvé la vie à des gens.
05:22 Moi, je suis parti parce qu'il y avait une certaine lassitude émotionnelle.
05:25 Voir des morts à longueur de journée, voir de la misère,
05:27 c'est extrêmement dur.
05:28 Un certain nombre, il faut se préserver.
05:29 Si je continue, ça va être dangereux pour moi,
05:31 pour les otages, pour mes collègues, pour tout le monde.
05:33 Et donc, il faut savoir partir.
05:35 [Sonnerie]
05:37 [SILENCE]

Recommended