Zoom - P. Eysseric- F. Bousquet : Notre Russie, une histoire incorrecte

  • l’année dernière
Les patrons du magazine Eléments, Pascal Eysseric et François Bousquet, publient un hors-série consacré à la Russie. Entretiens, articles, éditos, on y trouve un condensé des réflexions de la rédaction depuis 5 décennies. Pourquoi le conseiller des présidents américains, Brzezinski, disait dès 1977 que l'Amérique devait mettre la main sur l'Ukraine ? Pourquoi l'Occident a-t-il dressé un nouveau rideau de fer autour de la Russie ? La Russie est-elle un empire ? Est-elle la 3ème voie, au capitalisme et au socialisme, que l'Europe doit trouver ? Quelle est l'ambition de Vladimir Poutine ? Le philosophe Alexandre Douguine est-il son conseiller spécial comme beaucoup l'imaginent ? Pascal Eysseric et François démêlent le vrai du faux et présentent une histoire incorrecte de Leur Russie !
Transcript
00:00 [Générique]
00:06 Bonjour à tous et bienvenue dans notre Zoom,
00:09 aujourd'hui en compagnie de Pascal Esric et François Bousquet.
00:12 Bonjour messieurs.
00:13 Bonjour.
00:14 Pascal Esric, vous êtes le directeur de la rédaction du magazine "Eléments".
00:18 François Bousquet, vous en êtes le rédacteur en chef.
00:20 Vous êtes également le directeur de la nouvelle librairie "Rue Médicis"
00:25 dans le 6e arrondissement de Paris.
00:27 Vous participez tous les deux à des émissions diffusées sur TV Liberté,
00:31 "Orage de papier", "Le plus d'éléments" cette année-là.
00:35 Et vous publiez un hors-série de la revue "Eléments",
00:38 votre revue pour la civilisation européenne.
00:42 "Notre Russie, une histoire incorrecte".
00:44 On va donc parler de la Russie, de l'histoire russe.
00:47 On va commencer avec Alain Debenois qui signe l'édito de ce hors-série.
00:54 Il cite Zbigniew Brzezinski, politologue américain,
00:57 conseiller du président Carter dans les années 70.
01:00 Brzezinski disait ceci, en 77, dans son ouvrage "Le Grand Échiquier",
01:05 "L'Amérique doit absolument s'emparer de l'Ukraine
01:08 parce que l'Ukraine est le pivot de la puissance russe en Europe.
01:12 Une fois l'Ukraine séparée de la Russie, la Russie ne sera plus une menace".
01:17 Mais messieurs, plus de 30 ans après la chute du bloc soviétique,
01:20 pourquoi l'administration américaine continue de voir la Russie comme une menace ?
01:27 – Je réponds.
01:28 Sur Brzezinski, oui, il a fixé l'agenda de la géopolitique américaine
01:32 pour les 30 ans, 40 ans, peut-être même le demi-siècle qui vient.
01:35 On peut même dire, à beaucoup d'égards, qu'il la récapitule
01:37 puisque "Le Grand Échiquier" ne sort pas de nulle part.
01:39 Il a un antécédent.
01:40 Alors certes, c'est sous le rideau de fer, certes c'est sous le communisme,
01:45 "Le Grand Échiquier" aussi, mais c'est 45, c'est Truman,
01:47 le successeur de Roosevelt, qui met sur pied la doctrine dite "Truman",
01:51 qui est la politique de l'endigment.
01:52 Alors c'est un endigment décommuniste, mais en réalité,
01:55 on se rend compte rapidement que le communisme, c'est la partie pour le tout.
01:59 Ça n'est jamais qu'une partie de la Russie,
02:01 de cet élément étranger, étrange à la piche américaine qui est la Russie.
02:05 Donc cette politique d'endigment, en réalité, elle court sur 80 ans.
02:11 Elle est aujourd'hui à l'ordre du jour en Ukraine,
02:14 puisque si les Russes envahissent le voisin proche,
02:17 puisque l'Ukraine c'est le voisin proche,
02:19 et on peut même dire qu'une partie de l'Ukraine était russe avant Staline,
02:22 elle appartient à l'Empire russe depuis 2 siècles,
02:24 elle a été détachée au XXème siècle, une partie de l'Ukraine.
02:28 Eh bien, les Russes ont été acculés à entrer en Ukraine,
02:35 parce qu'ils sont encerclés, on revient sur l'endigment,
02:38 la politique de Brzezinski, du Grand Échiquier,
02:40 la politique étrangère américaine du département d'État,
02:43 c'est encercler la Russie, du Nord jusqu'à l'Asie.
02:46 – Oui, c'est déentourer l'Union soviétique,
02:48 mais l'Union soviétique est morte,
02:49 donc pourquoi ne pas tenir compte de l'histoire ?
02:52 – Parce qu'on se rend compte qu'en réalité,
02:54 le problème n'était pas le communisme.
02:56 Le communisme n'est que le nom qu'a pris la Russie
02:58 pendant un laps de temps assez court, c'est 70-80 ans,
03:02 il y a une russophobie qui lui est très antérieure,
03:05 et il y a une russophobie qui lui est postérieure,
03:06 alors on peut s'attarder sur cette notion de russophobie,
03:11 puisqu'elle structure l'imaginaire occidental.
03:13 En réalité, elle ne relève pas de la Russie,
03:15 c'est l'Occident, il y a un livre remarquable d'un historien
03:18 d'origine russe, Martin Malia, mais américain,
03:21 ou Martin Malia, peu importe, sur l'origine de cette russophobie,
03:25 elle est très étrange, au départ c'était une russophilie.
03:27 Quand on découvre vraiment la Russie, en Europe,
03:29 c'est au 18ème siècle, au début du 18ème siècle,
03:31 ce sont les Lumières qui découvrent la Russie,
03:33 il se trouve qu'il y a deux tsars qui fascinent les Européens de l'Ouest,
03:37 et l'Europe de l'Ouest, c'est d'abord Pierre le Grand,
03:39 qui va être le grand modernisateur,
03:40 l'homme qui a construit Saint-Pétersbourg,
03:42 mais surtout, plus encore, pour nous Français,
03:44 c'est Catherine II, la Grande Catherine,
03:46 qui va fasciner les frères Grimm, qui va fasciner Lydrault,
03:48 Lydrault est fasciné par elle,
03:49 comme Voltaire était fasciné par Frédéric II,
03:52 lui est fasciné par la Grande Catherine.
03:54 Donc il y a d'abord, dans un premier temps,
03:56 dans l'Occident, Européens, Français, mais pas seulement,
03:59 une fascination pour la Russie.
04:01 Mais dès lors que la Grande Catherine s'oppose à la Révolution française,
04:04 se met en place un imaginaire occidental sur la Russie,
04:08 où on se construit, nous, Européens de l'Ouest,
04:11 Américains désormais, contre, tout contre elle,
04:13 et se met en place cette mécanique de destruction.
04:17 – Cette russophobie, justement, François Bousquet,
04:20 elle se retrouve dans ce que dit Alain Debenois,
04:23 après, dans le hors-série, il dit ceci,
04:28 "un nouveau rideau de fer s'est mis en place,
04:30 à l'initiative des Occidentaux", cette fois,
04:33 mais c'est quoi alors l'objectif de ce mur ?
04:36 – C'est l'objectif de la politique américaine,
04:38 alors là, c'est un autre départ,
04:40 on pourrait faire un hors-série sur les États-Unis,
04:43 sur la politique étrangère américaine,
04:44 c'est peut-être l'hubris américain,
04:47 l'hubris américaine, pardon, qui fait que l'Amérique exporte ses pathologies,
04:53 exporte son puritanisme, on le voit à travers le phénomène du wookieisme,
04:55 du politiquement correct, l'Amérique exporte ses psychoses,
04:59 j'ai rien contre l'Amérique,
05:00 moi je trouve que l'Amérique centrale me fascine,
05:01 j'adore la littérature américaine, mais parlons des Américains.
05:04 – Ils reprennent nos déconstructeurs.
05:06 – Oui, je parle de la littérature, de la grande littérature,
05:09 des grands romanciers, des grands cinéastes,
05:10 on peut en parler autant qu'on veut,
05:11 mais le peuple américain est un peuple très attachant,
05:14 mais le peuple intérieur si je puis dire,
05:16 mais c'est le problème, c'est la politique extérieure,
05:18 c'est l'exportation de ses pathologies, de cette hubris,
05:21 moi je pense que le rideau de fer n'est jamais tombé,
05:24 ayant travaillé longtemps avec des Russes, avec des Serbes, avec des Slaves,
05:27 en vérité, je me rends compte qu'il y a une hostilité prononcée
05:31 de la part des pays dits de la liberté,
05:34 c'est-à-dire principalement l'Angleterre, et bien aujourd'hui les États-Unis,
05:38 à l'encontre de la Russie,
05:40 aujourd'hui si on regarde ce qui se passe depuis le mois de février 2022,
05:43 les deux minutes de la haine de 1984 ne sont rien, c'est H24,
05:48 il y a un déversement de bombes et bobards,
05:50 comme on disait, comme le crapouillot et le canard enchaîné disaient en 14-18,
05:53 les bombes et bobards qui vont l'un d'un, pas son l'autre,
05:56 les bobards accompagnent les bombes et réciproquement,
05:59 je suis sidéré par l'espèce de vertige qui s'empare des élites occidentales,
06:04 françaises, puisqu'on n'est plus qu'une sous-préfecture de l'Empire du Bien,
06:08 la Russie n'est plus que l'Empire du Mal, à telle enseigne que...
06:11 – C'est la thalassocratie anglo-saxonne contre la Russie de la Terre.
06:15 – Oui, mais comment se fait-il que nous, Européens, nous, continentaux,
06:18 nous, Français, nous, Allemands, nous, Italiens,
06:20 qui ne nous relevons pas précisément de l'Empire des 7 mers,
06:23 ce qui était l'Angleterre, ce qui est aujourd'hui l'Amérique,
06:25 qui contrôle tous les fuseaux horaires,
06:27 comment se fait-il que nous nous rallions à une politique qui n'est pas la nôtre,
06:30 celle en effet de la mer contre la Terre, contre l'inscription dans la Terre,
06:34 on dit souvent, enfin les Chinois disent qu'ils sont l'Empire du Milieu,
06:37 mais le vrai Empire du Milieu, si on regarde vraiment une carte,
06:40 si on regarde le Hearthland, le cœur de la Terre,
06:42 on parle de géopolitique, le cœur de la Terre, c'est la Russie,
06:45 la Russie c'est 9 à 10 fuseaux horaires,
06:47 c'est plus d'un dixième des terres émergées,
06:49 c'est pas la Chine, la Chine, si on prend une carte de l'Eurasie,
06:52 la Chine est à l'extrémité est de l'Eurasie, le centre, le cœur, c'est la Russie.
06:58 – Même s'il n'y a pas d'extrémité sur un globe.
07:00 – Oui, mais la carte Mercator fait que les constructeurs ont raison,
07:04 à beaucoup d'égards, c'est qu'il y a vraiment un privilège blanc,
07:06 la carte Mercator, au centre du monde, c'est l'Europe.
07:09 Si vous mettez à plat le monde, au centre, désormais c'est l'Amérique,
07:14 mais quand on commence à cartographier le monde,
07:17 la carte dite Mercator, au centre, c'est l'Europe.
07:19 Et si on met au centre l'Europe, on se rend compte que si on se décale
07:21 très légèrement, le Hearthland, le cœur de la Terre, c'est la Russie.
07:24 Donc il y a une obsession américaine, moi, qui me concerne,
07:27 comme vous, à TV Liberté, puisqu'elle est à rebours des intérêts européens.
07:32 – On en finira avec Alain Debenois, avec cette dernière question,
07:36 il inspire beaucoup ce hors-série, il explique que la société
07:40 qui se rapproche le plus de la société communiste idéale,
07:44 telle que Marx l'a décrit, est la société américaine.
07:47 Comment vous expliquez ce paradoxe ?
07:49 – Le matérialisme, non ? – Oui, oui, oui.
07:52 – Oui, oui, exact. – J'imagine que, bien évidemment,
07:56 Alain Debenois, quand il écrit ce texte, parce que le hors-série reprend,
08:05 reprend des textes parus, à la fois dans "Eléments" et ses revues sœurs,
08:10 parus au cours des cinq décennies, puisqu'on fête cette année
08:16 les 50 ans d'"Éléments", au cours des cinq dernières décennies.
08:19 Et dans les années 80, 70-80, un des thèmes qui étaient marquants,
08:31 en tout cas dans "Éléments", c'était bien sûr, ni Washington, ni Moscou.
08:36 Et l'article fait référence à ce positionnement.
08:45 – Julius Evola, qui est cité dans votre hors-série, disait ceci,
08:50 "Les bolchéviques vouaient un culte à l'Amérique,
08:52 terre promise du progrès et de l'industrie."
08:56 C'est vraiment, on voit ce qui se passe 70 ans après, les bolchéviques.
09:00 – Julius Evola est cité à plusieurs reprises,
09:04 et notamment dans un article que je trouve formidable,
09:09 pour expliquer la pensée d'Alexandre Douguin, un texte de Charles Castey,
09:15 qui est vraiment, à mon sens, le plus clair et limpide sur la pensée de Douguin.
09:23 Douguin a quelquefois été un peu, qu'on dire, desservi par ses traducteurs,
09:29 qui ont un petit peu empesé sa langue, et au contraire, Charles Castey l'éclaircit.
09:37 Et à propos du bolchévisme, Douguin reprend une formule
09:45 qui est assez typique de Douguin et de l'esprit russe actuel,
09:52 "Le bolchévisme est une voie de la main gauche."
09:56 C'est un terme évoluant qui veut dire
10:02 que finalement, une force anti-traditionnelle peut faire advenir,
10:15 peut toucher au but d'un point de vue traditionnel.
10:18 Je trouvais que c'était ce genre de paradoxe qu'utilise Douguin,
10:25 et qui est assez parlant, qui peut faire le lien entre le bolchévisme,
10:32 enfin, le communisme et l'état d'esprit russe actuel.
10:39 Tout à l'heure, vous indiquiez le fait que chez les Russes,
10:51 il n'y avait pas de repentance.
10:53 Eh bien, je crois que c'est ce genre d'événement.
10:56 – On va y venir à la repentance,
10:58 qui est une notion totalement étrangère à Vladimir Poutine.
11:01 François Dirksen signe un texte dans ce hors-série.
11:06 Il nous dit "Ceci, l'avenir de la France et de l'Europe
11:09 passe par la recherche d'une troisième voie,
11:13 capitalisme et au socialisme.
11:15 Le modèle russe est-il cette troisième voie ?
11:18 – C'était une controverse, ce texte de François Dirksen.
11:24 On l'a publié dans le cadre d'une controverse avec Jean Mabir.
11:28 On est dans les années 78, en plein cœur de la guerre froide.
11:34 Jean Mabir a une position qui indique que l'avenir passe par la Russie.
11:41 Et François Dirksen lui répond ceci, en réalité, que c'est une troisième voie.
11:47 Et donc là, on est au cœur des années 70,
11:52 d'une controverse idéologique finalement, entre les tenants.
11:57 Je rappelle que le mur de Berlin est toujours là.
12:01 Je veux dire, 78, c'est une date assez importante.
12:07 Et donc, au plein cœur, cette controverse idéologique,
12:11 née à ce moment-là.
12:13 Et François Dirksen, effectivement, rappelle le "ni Washington, ni Moscou".
12:23 – Mais il y a une double question.
12:26 Parce qu'à l'époque, il y a une troisième voie,
12:28 ni Truste, ni Soviét, ni Washington, ni Moscou.
12:32 Sauf qu'aujourd'hui, Moscou s'est effondrée, en tout cas le communisme.
12:35 Et peut-être, en effet, la Russie peut s'offrir désormais
12:39 comme une autre troisième voie.
12:40 C'est possible, probablement, peut-être même.
12:42 – La voie de l'illibéralisme ?
12:44 – Alors, avant de vous répondre, je pense que c'est le sujet central.
12:48 Mais pas que pour la Russie.
12:50 C'est pour la Chine, la Hongrie, pour tous les pays du monde,
12:52 sauf les pays de l'Ouest.
12:55 C'était à l'occasion que ce débat est central.
12:58 Parce que Jean Caux, qui était la plume la plus virvoltante,
13:04 la plus brillante de Paris Match,
13:05 le point des mots de "Jour des photos", c'est lui,
13:07 mais était aussi rédacteur à "Eléments".
13:09 Il venait de sortir le discours de la décadence,
13:11 où il essaye de voir lui aussi qu'il y a une archéologie,
13:13 qu'il y a quelque chose en dessous du communisme,
13:15 qui est la Russie éternelle, si on peut ainsi dire,
13:16 qui est la mentalité d'un peuple, qui le structure.
13:20 Et donc c'est un des premiers à voir, alors qu'on est à droite.
13:22 Jean Caux, il n'est pas à gauche.
13:24 Même s'il vient du monde ouvrier,
13:26 même s'il a été secrétaire de Sartre, il a fait son coming out.
13:28 Il est devenu tout à fait autre chose.
13:30 La droite était quand même, par réflexe, c'est le mien,
13:33 avec un réflexe, l'actrice de Solzhenitsyn,
13:35 de tous les grands dissidents,
13:36 avait une hostilité prononcée pour le communisme.
13:38 Et cette hostilité avait tendance à l'élargir
13:40 à l'univers slave et à l'univers russe.
13:42 Jean Caux nous dit "attention".
13:44 "Attention", c'est que, comme de Gaulle en réalité,
13:46 exactement comme de Gaulle, sous le communisme,
13:48 perce l'âme éternelle de la Russie.
13:52 En réponse à votre question sur le libéralisme,
13:54 moi je pense, ou de la repentance,
13:56 la Russie ne se repent pas, mais la Chine non plus,
14:00 le monde arabe, personne ne se repent.
14:02 Il n'y a qu'une seule situation au monde qui se repent,
14:04 c'est la situation européenne,
14:06 ou si on veut l'élargir à l'Occident, à l'Amérique,
14:08 c'est ce monde-là.
14:10 – Les États-Unis ne se repentent pas trop
14:12 du génocide des Indiens d'Amérique du Nord ?
14:14 – Oui et non, la moitié de l'Amérique,
14:16 celle qui vote Biden et qui est woke aujourd'hui,
14:18 se repent et se flagelle,
14:20 comme on ne s'est jamais flagellé en France,
14:22 dans des proportions inimaginables.
14:24 Alors évidemment, la réaction des rednecks,
14:28 des courouges qui votent Trump,
14:30 est aussi beaucoup plus énergique que la nôtre,
14:32 à nous en France.
14:34 Mais cette question du libéralisme se pose dans tous les pays,
14:36 il y a une structure,
14:38 c'est qu'on n'arrive pas à concevoir la Russie
14:40 comme la Chine, comme tous les autres pays au monde,
14:42 c'est qu'on reproche à la Russie
14:44 d'être un pays d'autocratie,
14:46 d'avoir une tradition despotique asiatique.
14:48 Ça c'est le cœur du noyau de la russophobie.
14:50 Mais on se rend compte que cette tradition autocratique
14:52 est partagée par la terre entière,
14:54 sauf nous.
14:56 – On a trouvé une définition de l'Empire,
15:00 donnée par l'historien Alain Besançon,
15:02 dans votre hors-série,
15:04 la définition la voici,
15:06 "Un empire est un système de domination
15:08 qui s'édifie autour d'un peuple privilégié,
15:12 qui se développe par des moyens militaires,
15:14 qui ne vise pas à détruire les sociétés en place,
15:16 mais au contraire à s'en concilier les élites,
15:18 et qui accepte la légitimité des empires rivaux.
15:22 La Russie est-elle un empire ?
15:24 Selon cette définition.
15:26 – Qui répond Pascal, ou bien ?
15:28 – Oui, tous les deux.
15:30 Alors Besançon, il faut le rappeler,
15:32 c'était un homme magnifiquement intelligent,
15:34 mais il n'était pas vraiment russophile.
15:36 Il était quand même très proche de la revue "Commentaires",
15:40 donc il était un des piliers,
15:42 sinon même le pilier intellectuel le plus solide.
15:44 Il connaissait très bien la Russie,
15:46 mais il avait une hostilité pour elle,
15:48 pour l'orthodoxie.
15:50 Pour autant, là, la question qui nous pose,
15:52 c'est est-ce que la Russie répond à sa définition idéale de l'Empire ?
15:56 Il faudrait que je sois sur place,
15:58 que je sois une des minorités,
16:00 il y en a 100, 200 minorités en Russie,
16:02 pour vous dire oui, en effet.
16:04 Moi j'aurais tendance à dire que non,
16:06 mais c'est un empire qui est dominé.
16:08 Alors moi je suis beaucoup moins rassiatique que Douguin,
16:12 avec une grosse partie de la rédaction d'éléments.
16:14 Moi je pense que quand même les ressources en Russie sont à l'Est.
16:18 Toutes les ressources en nickel, en pétrole, en gaz,
16:20 en tout ce qu'on voudra, en bois,
16:22 mais les ressources humaines sont à l'Ouest.
16:24 La Russie s'est construite depuis trois siècles,
16:26 en ne regardant que l'Ouest.
16:28 La fameuse fenêtre sur l'Europe,
16:30 ouverte à Pétersbourg par Pierre Le Grand,
16:32 je pense qu'elle ne s'en est jamais écartée,
16:34 même si nous avons poussé Poutine,
16:36 sans quoi il avait raison.
16:38 Rappelez-vous en 2007 à Munich,
16:40 le fameux discours sur l'altérité russe,
16:42 c'est qu'il y a une spécificité russe,
16:44 il y a une idiosyncrasie russe.
16:46 Je pense néanmoins que la Russie regarde vers l'Europe.
16:48 Oui c'est un empire,
16:50 mais c'est un empire qui est dominé par l'orthodoxie,
16:52 dominé par Moscou,
16:54 par la Russie de l'Ouest.
16:56 – Sur le plan économique,
16:58 Vladimir Poutine n'est pas un adversaire du libéralisme,
17:00 c'est ce qu'on peut lire dans votre hors-série.
17:02 Comment pourrait-on définir Poutine économiquement ?
17:04 – Alors, c'est tout l'objet,
17:06 en fait, l'entretien qu'a donné Alexandre Douguin.
17:08 On lui a demandé de nous dresser
17:10 le portrait robot de Vladimir Poutine.
17:12 – Oui, c'est ça.
17:14 – Et il a dit que c'était un portrait robot,
17:16 mais il a dit que c'était un portrait robot,
17:18 mais il a dit que c'était un portrait robot,
17:20 mais il a dit que c'était un portrait robot,
17:22 mais il a dit que c'était un portrait robot,
17:24 de Vladimir Poutine, qui est Tchoupoutine, en fait.
17:26 de Vladimir Poutine, qui est Tchoupoutine, en fait.
17:28 Et Alexandre Douguin trace le portrait,
17:30 Et Alexandre Douguin trace le portrait,
17:32 Et Alexandre Douguin trace le portrait,
17:34 c'est pour ça que c'est en rien un turiféraire de Poutine,
17:36 c'est pour ça que c'est en rien un turiféraire de Poutine,
17:38 c'est pour ça que c'est en rien un turiféraire de Poutine,
17:40 puisque quand on le lit réellement,
17:42 on voit bien qu'il dit que c'est un pragmatique,
17:44 qu'il dit que c'est un pragmatique,
17:46 que c'est un pragmatique qui n'est pas tellement intéressé
17:48 que c'est un pragmatique qui n'est pas tellement intéressé
17:50 par les idées, donc…
17:52 - Ce n'est pas un intellectuel.
17:54 - Ce n'est pas un intellectuel.
17:56 Et même, je crois que…
17:58 C'est Solvies ?
18:00 - Oui.
18:02 - Alexandre Douguin dit…
18:04 Alexandre Douguin dit…
18:06 même son auteur fétiche, il n'a pas tout lu.
18:08 Donc c'est assez intéressant de voir,
18:10 Donc c'est assez intéressant de voir,
18:12 et je crois assez unique,
18:14 de pouvoir avoir en première main
18:16 de pouvoir avoir en première main
18:18 le portrait intellectuel…
18:20 - Par Douguin.
18:22 - Par Douguin.
18:24 - Sur cette question du libéralisme,
18:26 là encore, il y a une spécificité occidentale.
18:28 là encore, il y a une spécificité occidentale.
18:30 On pourrait parler de libéralisme d'État,
18:32 ou de libéralisme pour la question des mœurs,
18:34 ou de libéralisme pour la question des mœurs,
18:36 du droit, de la constitution
18:38 et du régime des libertés fondamentales.
18:40 Mais sur la question du libéralisme économique,
18:42 c'est un libéralisme d'État,
18:44 piloté de manière verticale,
18:46 planifié, comme en Chine, comme au Brésil,
18:48 comme dans tous les pays du monde,
18:50 comme aux États-Unis.
18:52 - Oui, comme aux États-Unis.
18:54 - Parce que là, il y a une intégration du système militaire ou industriel
18:56 dans l'appareil d'État, avec le fameux État profond,
18:58 mais il y a une anomalie européenne,
19:00 il y a une anomalie de l'Union européenne.
19:02 - Oui, l'Union européenne,
19:04 est-elle libérale ?
19:06 - Ou alors, "Où est-elle ?"
19:08 c'est le mot de la Grande Catherine sur les Ottomans.
19:10 C'est une armée d'administrateurs dévorant ses administrés.
19:12 C'est un petit peu ce qui nous arrive à nous.
19:14 Mais on peut se dire que la Russie est libérale,
19:16 c'est un contresens.
19:18 Elle n'est pas libérale.
19:20 C'est la verticale du pouvoir avec un fond d'horizontalité,
19:22 d'égalité.
19:24 On n'en parle peut-être pas, mais la dimension des auteurs russes
19:26 est centrale. Il y a une fraternité
19:28 dans les grands auteurs russes, qu'on retrouve dans la population russe.
19:30 Il y a ce mélange de verticalité,
19:32 d'horizontalité.
19:34 Le concept de libéralisme, je pense,
19:36 s'applique assez peu à la Russie.
19:38 Pour autant, il y a de la libre entreprise,
19:40 mais sous, avec un cahier des charges,
19:42 un agenda et une feuille de route
19:44 qui est fixée par l'État.
19:46 – On a vu le président turc
19:48 Recep Tayyip Erdogan
19:50 être réélu à la tête de l'État turc.
19:52 On a vu également
19:54 Vladimir Poutine se rapprocher
19:56 de la Turquie.
19:58 Récemment, la Turquie, notamment,
20:00 est membre de l'OTAN.
20:02 Qu'est-ce qu'on peut penser de ce rapprochement
20:04 décidé par Poutine de la Turquie ?
20:06 – Alors là, pour le coup,
20:08 autant,
20:10 Douguin a souvent été présenté
20:12 d'une manière absolument caricaturale
20:14 comme le cerveau de Poutine, etc.
20:16 Le Ras-Poutine de Poutine,
20:18 ce qui n'est absolument pas le cas.
20:20 Mais en revanche,
20:22 sur la Turquie,
20:24 Douguin, depuis 20 ans,
20:26 a des liens avec,
20:28 et pousse l'État,
20:30 pousse la Turquie,
20:32 et pousse l'État
20:34 à se rapprocher de la Turquie.
20:36 Et pousse l'État russe,
20:38 effectivement,
20:40 à avoir des liens prononcés
20:42 dans le cadre de le rasisme.
20:44 Là, pour le coup,
20:46 on revient sur l'idéologie rasiste,
20:48 avec la Turquie.
20:50 La Turquie,
20:52 qui,
20:54 dans les hautes sphères
20:56 diplomatiques,
20:58 aux côtés de
21:00 Tayyip Erdogan,
21:02 a des orasistes,
21:04 eux-mêmes.
21:06 Donc, là, pour le coup,
21:08 il y a un lien
21:10 très fort,
21:12 idéologique,
21:14 autour de l'orasisme.
21:16 Entre la Turquie
21:18 et la Russie.
21:20 – Alors, vous évoquez,
21:22 pendant cet entretien,
21:24 la figure du philosophe et géopolitologue
21:26 russe Alexandre Douguin.
21:28 Est-ce que vous pouvez nous préciser
21:30 sa pensée ?
21:32 On voit qu'il est favorable
21:34 à la création d'un empire eurasien.
21:36 Qu'est-ce que cela veut dire ?
21:38 – Alors,
21:40 c'est l'auteur
21:42 d'un nombre incalculable
21:44 de livres.
21:46 Il est,
21:48 effectivement,
21:50 géopoliticien.
21:52 Il a commencé
21:54 des choses qui sont,
21:56 quand même, assez exceptionnelles
21:58 dans sa génération,
22:00 à se frotter
22:02 à l'Europe de l'Ouest,
22:04 puisque,
22:06 à la fin des années 80,
22:08 on le voit en France,
22:10 dans "L'écologue du Grèce",
22:12 on le voit en Italie,
22:14 autour de la nuéva destra italienne.
22:16 Et donc, c'est d'abord quelqu'un
22:18 qui a connu une évolution.
22:20 Le Douguin des années 80
22:22 n'est pas le même que des années 90,
22:24 etc.
22:26 Et qui s'est confronté
22:28 aux philosophies
22:30 d'Europe de l'Ouest.
22:32 C'est ce en quoi
22:34 il est intéressant.
22:36 Son…
22:38 sa pensée…
22:40 Il y a un article…
22:42 Enfin, je voulais
22:44 indiquer un article,
22:46 une présentation de Charles Castex,
22:48 qui… je ne sais pas ce que…
22:50 – Ah oui, c'est la plus claire.
22:52 – Vraiment, c'est la plus claire
22:54 possible sur
22:56 la pensée de Douguin.
22:58 Bien sûr,
23:00 l'Empire
23:02 hors-asiatique,
23:04 selon lui,
23:06 c'est à la fois…
23:08 comment dire…
23:10 la voie propre
23:12 de la Russie.
23:14 Mais à la fois dans un système
23:16 philosophique, religieux,
23:18 économique,
23:20 c'est un tout.
23:22 Je pense que
23:24 on peut
23:26 le résumer ainsi.
23:28 – C'est la proposition
23:30 d'un contre-modèle.
23:32 – Oui.
23:34 – Pour autant, je ne suis pas sûr,
23:36 ce n'est même pas la question,
23:38 il est certain que ce contre-modèle
23:40 n'a pas été adopté par le Kremlin.
23:42 – Ah oui, bien sûr.
23:44 – Le Kremlin, c'est un entre-deux.
23:46 – Oui, Douguin n'est pas le cerveau
23:48 pensant de Poussine, pas du tout.
23:50 – À chaque fois qu'on le voyait,
23:52 on disait à Douguin,
23:54 "Pascal, il est une voix,
23:56 dites bien que je n'ai jamais rencontré
23:58 Poutine
24:00 d'une manière
24:02 privée, je l'ai rencontré
24:04 en public,
24:06 mais jamais
24:08 de manière privée."
24:10 Donc, cette folie
24:12 qui participe de la Russophobie,
24:14 de décrire
24:16 le Nouvel Obs qui faisait sa couverture
24:18 "Le Rasse Poutine de Poutine",
24:20 non, c'est un auteur,
24:22 c'est un idéologue.
24:24 – Oui, un philosophe.
24:26 – Un philosophe.
24:28 – Qui répond différemment à la fin
24:30 de nos recevoirs, que lui adresse l'Occident,
24:32 enfin, il répond différemment,
24:34 il y a un Poutine occidentaliste.
24:36 – Bien sûr, parfait.
24:38 – Pro-Occident, en tout cas pro-Europe,
24:40 il pense que l'Europe va s'étacher des Tchadini.
24:42 – Oui, il regrette que les Européens
24:44 les aient jetés dans les bras de la Chine.
24:46 – Voilà, et puis à ce point-là,
24:48 il est occidentaliste, pardon,
24:50 mais en tout cas il est pro-européen.
24:52 Il prend l'acte d'une fin de nos recevoirs,
24:54 mais comme Douguin, sauf qu'ils y répondent différemment.
24:56 – Ils y répondent différemment.
24:58 – Pragmatisme.
25:00 – De la part de Douguin, oui.
25:02 – De Poutine, oui.
25:04 – Alors messieurs, votre hors-série consacrée
25:06 à la Russie est dédiée à Daria Douguin,
25:08 fille du philosophe et géopolitologue
25:10 Alexandre Douguin.
25:12 Elle est morte, Daria, dans un attentat
25:14 il y a quelques mois,
25:16 à la voiture piégée, fomentée,
25:18 semble-t-il, contre son père.
25:20 Elle s'était présentée dans les bureaux
25:22 de votre rédaction au début des années 2010.
25:26 Qu'est-ce que vous retenez d'elle ?
25:28 – Sa joie, son caractère à la fois pétulant,
25:38 toujours très positif,
25:42 et puis pour nous,
25:46 toutes ces années-là, pour Elements,
25:50 ça a été une fenêtre ouverte vers le monde russe.
25:56 Daria, ce n'était pas simplement la fille de son père,
26:02 la fille du géopolitologue Alexandre Douguin,
26:06 c'était aussi pour nous,
26:08 dans le meilleur sens du terme,
26:10 une passeuse, une traductrice,
26:14 qui nous disait "Allez voir, il y a un écrivain,
26:18 un jeune écrivain,
26:20 il s'appelle Zakhar Prilépine,
26:22 il faudrait l'interroger.
26:24 Est-ce que Pascal,
26:28 Edouard Limonov doit passer à Paris ?
26:32 Il faudrait que vous soyez là, vous voyez ?
26:36 Et cette ouverture vers le monde russe,
26:40 aujourd'hui n'est plus, c'est une perte immense,
26:44 pour nous c'est une perte immense.
26:48 Il y a les livres d'Alexandre Douguin,
26:50 mais ce n'est pas la même génération.
26:54 Daria, elle est venue à la rédaction d'Elements,
26:58 on la connaît depuis…
27:00 enfin, elle était très jeune,
27:02 et donc elle nous a suivis pendant toutes ces années-là.
27:06 - François Blais, qui a été étudiant en France.
27:08 - Elle a été étudiante en France, oui.
27:10 - C'était quoi la pensée,
27:12 elle est morte jeune, Daria,
27:14 c'était quoi sa pensée propre ?
27:16 - C'était un profil intellectuel,
27:18 on peut en parler,
27:20 c'était la fille de son père,
27:22 beaucoup d'égards là, pour le coup,
27:24 c'était une philosophe authentique,
27:26 comme son père,
27:28 une vision pagano-cosmique,
27:32 mais évidemment, l'orthodoxie est un passage obligé pour la Russie,
27:36 puisque c'est au cœur de l'identité.
27:38 Vous évoquiez Pascal,
27:40 vous parliez de Prilépine,
27:42 on se rend compte que tous les grands auteurs russes,
27:44 là en l'occurrence c'était Douguin et Daria qui a été fauchée,
27:46 Prilépine vient d'être victime d'un attentat à la voiture piégée,
27:50 lui aussi, lui s'en sort,
27:52 mais apparemment avec des séquelles très très lourdes,
27:54 c'est Pascal qui est en relation avec lui,
27:56 Prilépine, écrivain russe,
27:58 très connu en Russie,
28:00 ses ouvrages se vendent à un demi-million d'exemplaires,
28:02 - Il est très connu en France,
28:04 jusqu'à il n'y a pas très longtemps,
28:06 - Semble-t-il l'écrivain préféré de tout type ?
28:08 - Oui, mais en France aussi.
28:10 - En France, je veux dire, il a été édité
28:12 - Acte Sud.
28:14 - Il a eu un nombre incalculable de prix,
28:16 jusqu'en 2016,
28:20 il faisait la couverture de Libération,
28:22 du Nouvel Obs, etc.
28:24 Donc, voilà.
28:26 Prilépine, c'est devenu,
28:28 aujourd'hui, effectivement,
28:30 quelqu'un d'important,
28:32 dans le sens où il a derrière lui
28:34 toute une génération d'écrivains,
28:36 et c'est dans leur série,
28:38 parce que c'est le chef de file,
28:40 en réalité, d'une école littéraire.
28:42 - Un personnage polymorphe,
28:44 militaire, ayant combattu en Tchétchénie,
28:46 - Exactement.
28:48 - Et qui a été élu,
28:50 en fait, en France,
28:52 un personnage militaire ayant combattu
28:54 en Tchétchénie entre 1996 et 1999,
28:56 ancien des forces spéciales,
28:58 membre du parti national bolchevique,
29:00 un touche-à-tout.
29:02 En tout cas, merci, messieurs,
29:04 le hors-série d'Eléments consacré
29:06 à la Russie, Notre-Russie,
29:08 une histoire incorrecte,
29:10 à retrouver sur le site du magazine
29:12 Éléments et dans tous les bons kiosques
29:14 de France. Merci à vous deux, messieurs.
29:16 - Merci.
29:18 Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org

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