Reporter de guerre en Ukraine : "On ne monte pas sur un char, on ne reste pas plus de deux heures sur une ligne de front"

  • l’année dernière
Reporter de guerre pour France Inter, Thibault Lefevre raconte son quotidien et "les règles évidentes" pour garantir sa sécurité sur le front en Ukraine.
Transcript
00:00 conditions de couverture du conflit ont un petit peu changé. C'est-à-dire que maintenant,
00:05 depuis fin mars, l'armée impose aux journalistes d'avoir un officier de presse au plus près
00:14 des lignes de front. Ce qui est compliqué. Donc c'est des reportages qu'on peut faire.
00:19 En même temps, ça nous enlève un peu de liberté éditoriale, ça nous bride et ça
00:24 nous donne aussi un seul point de vue. C'est-à-dire qu'être toujours sous la surveillance d'un
00:29 officier de presse de l'armée, quand on va voir des civils, etc. C'est aussi une forme
00:32 de contrôle. Donc non, on va continuer à faire ce travail-là, mais en même temps,
00:38 en gardant une certaine liberté par rapport à ça, il y a aussi un danger à être en
00:43 permanence embédée, donc embarquée avec l'armée. C'est ce qui s'est passé d'ailleurs
00:48 avec notre collègue Armand. Vous êtes la cible ? En fait, ouais. Parce qu'on est avec
00:53 des combattants, évidemment les soldats sont la cible des Russes et il y a forcément une
00:58 prise de risque importante. Il y a des règles évidentes, mais on ne monte pas sur un char,
01:02 on ne reste pas plus de deux heures sur une ligne de front, parce que c'est bien de pouvoir
01:07 raconter le quotidien des soldats, mais il faut à la fois de la liberté et de la sécurité.
01:11 Vous nous parliez de Butcha tout à l'heure. Votre travail de reporter, c'est aussi de
01:14 documenter les crimes de guerre. Tout ce que vous avez vu, entendu, photographié pour
01:19 certains, servira on l'espère pour plus tard ?
01:21 Ouais, je vais vous raconter. En fait, sur Butcha, ça commence le week-end, c'est l'FP,
01:27 qui révèle l'horreur de Butcha, c'est un samedi soir. En radio, ce qu'on fait, c'est
01:32 qu'on essaie de raconter ça très vite, très vite à la radio sur les antennes, donc dès
01:35 le dimanche matin, en ayant des témoins sur place au téléphone. Et puis ensuite, il
01:39 y a une sorte de petit cirque, pardonnez-moi l'expression, mais médiatique qui se met
01:43 en place avec l'armée, justement, et les officiels ukrainiens qui mettent en place
01:48 un dispositif de couverture pour les journalistes. Et donc, il y a quatre petits bus jaunes qui
01:57 parcourent la région et qui nous emmènent de scène de guerre en scène de guerre.
02:00 Une sorte de tour opératoire du crime.
02:02 Ouais, le horreur show. Donc il y a ça qui se passe, c'est le premier jour, et j'ai
02:07 été très très mal à l'aise par rapport à ça. Et en même temps, c'est comme ça
02:10 que dès le lundi, on a eu Zelensky pour sa première sortie, donc le président ukrainien,
02:16 pour sa première sortie de Kiev quand il va à Butcha. On a réussi à l'avoir en
02:20 exclusivité à la radio à 13h parce qu'on a suivi le matin ce petit horreur show, entre
02:24 guillemets. Mais le soir, on est gênés, on se réunit entre journalistes autour d'un
02:30 bon repas et on discute et on est gênés par rapport à ça. Et là, on prend conscience
02:34 qu'en fait, dans un tel contexte, notre boulot, c'est d'aller raconter et essayer
02:40 d'évaluer l'ampleur de ce drame-là. Donc, on décide en fait de ne plus suivre l'armée
02:44 et d'aller documenter par nos propres moyens toutes les horreurs et toutes les exactions
02:49 attribuées à l'armée russe dans le nord de la région de Butcha et donc de pouvoir
02:53 donner une évaluation honnête et le plus objectif possible de la situation.
02:57 D'ailleurs, au début du conflit, vous deviez être sans cesse au cœur de l'actualité.
03:01 Là, aujourd'hui, en Ukraine, vous avez un petit peu plus le temps de creuser ?
03:04 Oui, en fait, c'est des vagues, l'actualité. C'est d'ailleurs une autocritique qu'on
03:09 peut se faire, nous, journalistes, et puis globalement le fonctionnement médiatique.
03:13 C'est-à-dire qu'on a souvent un ou deux focus, une ou deux actualités écrasantes
03:19 et puis que l'actualité continue, enfin les événements continuent dans d'autres
03:22 pays qui sont peut-être moins sous le feu des projecteurs. C'est agréable aussi pour
03:27 un journaliste d'avoir le temps de creuser et de travailler sur des sujets de fond.
03:33 Je prends l'exemple d'un sujet que j'ai produit pour France Inter sur les mercenaires
03:38 colombiens de l'armée ukrainienne. C'est un sujet qui a permis de raconter qu'il
03:43 y avait des colombiens, on en revient à la Colombie qu'on évoquait tout à l'heure,
03:47 mais des colombiens qui avaient convaincu l'armée colombienne et qui se battaient
03:50 en tant que mercenaire avec les ukrainiens. Ça, si je n'ai pas de temps, si je suis
03:55 à l'antenne en permanence et pris un peu dans le feu de l'actualité, c'est très
03:59 difficile de faire ce genre de sujet. Donc voilà, il faut s'adapter aussi au rythme
04:03 de l'actualité.

Recommandée