L'interview d'actualité - Bernard-Henri Lévy

  • l’année dernière
Cela fait aujourd’hui un an que la Russie a déclaré la guerre à l’Ukraine… 365 jours plus tard, le conflit ne désemplit pas. C’est ce que montre Bernard-Henri Lévy dans un deuxième documentaire sorti en salle le 22 février. Dans « Slava Ukraini » qui signifie « gloire à l’Ukraine », le réalisateur a suivi le quotidien des soldats sur front de guerre, avec l’accord de Volodymyr Zelensky. « Je voulais montrer la guerre comme on a pas le temps de la voir dans le flot continu des nouvelles qui va tellement vite et tellement normalisé. Je voulais faire autre chose. Je voulais montrer les visages, les corps, la souffrance, l’attente, la précipitation des événements, les combats… Bref, la vraie vie de la vraie guerre » explique le reporter. 






Un an de guerre en Ukraine raconté par Bernard-Henri Lévy.
Transcript
00:00 C'est l'heure de retrouver l'interview d'actualité aujourd'hui.
00:04 Vous le savez, on en parle dans les journaux, ça fait exactement un an, jour pour jour, que la guerre en Ukraine a commencé.
00:09 Eh bien, Julia Vignali s'est entretenue avec le philosophe et réalisateur Bernard-Henri Lévy,
00:14 dont le documentaire "Slava Ukraine" est sorti en salle avant-hier. On les retrouve.
00:20 Bonjour Bernard-Henri Lévy.
00:22 Merci d'avoir accepté cet entretien avec Télématins.
00:25 On va parler de "Slava Ukraine", c'est "Gloire à l'Ukraine".
00:28 C'est le titre de votre film qui est sorti ce mercredi dans toutes les salles.
00:31 C'est le deuxième film que vous consacrez au conflit depuis que Vladimir Poutine a attaqué l'Ukraine.
00:37 Pourquoi il était nécessaire pour vous de faire ce deuxième film ?
00:40 Parce que j'avais ça dans les tripes, parce que j'ai les Ukrainiens dans le cœur,
00:45 parce que je me sentais mal de ne pas être là-bas,
00:48 parce que je ne me sentais pas bien d'avoir raconté le début de l'histoire et puis de ne pas accompagner la suite,
00:55 parce que ma place était dans leur tranchée, sur la ligne de front, aux côtés d'eux.
01:00 Comment vous avez fait pour réaliser ce film ? Il fallait évidemment l'appui du président Zelensky.
01:05 Est-ce que vous pouvez quand même nous raconter ce que vous avez ressenti la première fois que vous l'avez rencontré ?
01:09 Ce que je pensais avant de le rencontrer, c'est que c'était Coluche.
01:12 Pourquoi ? Parce que c'était un comédien ?
01:14 Parce que c'est un comédien qui, comme Coluche, il a 30 ans,
01:16 il avait envisagé de se présenter à la présidence de la République à l'époque de Mitterrand.
01:21 Je sors du rendez-vous, après trois heures de conversation, en me disant que dans la famille comédienne,
01:26 ce n'est pas Coluche, c'est Reagan. Il est capable d'être un bon et peut-être un grand président.
01:33 Et ce que je n'avais pas senti, c'est que ce Coluche devenu Reagan allait un jour devenir Churchill.
01:39 Avec ce film, vous vouliez raconter quoi ? Vous vouliez montrer la guerre, montrer l'envers de la guerre ?
01:45 L'envers et l'endroit. Je voulais montrer la guerre comme on n'a pas le temps de la voir,
01:49 dans le flot continu des nouvelles qui vont tellement vite et qui sont tellement normalisés.
01:55 Moi, je voulais faire autre chose. Je voulais montrer les visages, je voulais montrer les corps,
02:01 je voulais montrer la souffrance, l'attente, la précipitation des événements, les combats, l'ennui.
02:09 Bref, la vraie vie de la vraie guerre.
02:11 Et l'humanité, quelque part, de ces civils ukrainiens ?
02:15 Je pense notamment à cette femme qui a passé plus de six mois dans une cave et qui sort enfin avec un enfant qui a à peine trois ans.
02:22 Cette femme soldat aussi, qui m'a marquée et qui n'a pas revu son enfant depuis qu'elle a pris les armes.
02:28 Et puis, il y a aussi une autre femme, à Koupiansk, c'est une ville qui vient d'être libérée.
02:32 Et on la voit, elle ne parvient pas, finalement, à se réjouir de cette bonne nouvelle,
02:36 car ça fait des mois qu'elle n'a pas revu ses filles. Elle ne sait pas si elles sont encore en vie.
02:41 On va regarder un extrait.
02:43 - Vos enfants ? - Ils sont où ?
02:46 - Deux enfants. - Ils sont à Petropavinsk ou ici ?
02:49 - Ils sont ici ? - Non, nous ne savons même pas où ils sont.
02:52 - Elle ne sait même pas où ils sont. - Vous ne savez pas ?
02:55 - Vous les avez perdues ? - Ils ont commencé à s'échapper, nous ne savons pas.
02:59 - Combien ils ont ? - 27 et 20 ans.
03:06 - Et leurs filles ? - Elles sont en vie ?
03:13 - Vous savez si elles sont en vie ? - Je ne sais pas.
03:19 Bernard-Henri Lévy, cet extrait est poignant. Vous prenez cette femme dans vos bras.
03:29 Est-ce que c'est aussi une façon d'être aux côtés des civils ukrainiens, ce film ?
03:34 Oui, j'aimerais tous les prendre dans mes bras.
03:36 Vous savez, l'Ukraine, c'est ça tout le temps.
03:38 C'est des familles perdues, c'est des familles dont les enfants sont parfois morts.
03:44 Et on ne sait pas s'ils sont morts ou vivants.
03:46 Et ça, c'est le genre de témoignages. D'ailleurs, j'en ai beaucoup.
03:48 J'ai des centaines de rushs. Ce film, on a passé des mois.
03:51 On a sillonné ces lignes de front et ces tranchées dans tous les sens.
03:55 On a passé des nuits, on a passé des jours dans la poussière, dans la boue,
03:59 avec les combattants et avec les civils.
04:01 Ces témoignages, on les a. Ils seront le jour venu pour la justice internationale.
04:06 Aujourd'hui, ils sont dans le film.
04:08 Nous les mettrons à disposition des juges internationaux
04:12 le jour où comparèteront devant eux Poutine et ses acolytes.
04:16 D'ailleurs, vous dites qu'il n'y a qu'une voie possible,
04:18 qu'il faut livrer des armes à l'Ukraine et remporter la guerre sur le terrain.
04:22 Ça veut dire que le temps des négociations est fini, c'est terminé, c'est plus possible ?
04:26 Ce n'est pas que ce n'est plus possible, c'est que ce n'est pas possible avec un gangster.
04:30 Poutine, c'est quelqu'un qui n'a pas de parole.
04:32 C'est quelqu'un qui a appris son métier de chef d'État dans les mafias de Dresde et de Saint-Pétersbourg.
04:38 On ne peut pas négocier avec un homme comme ça.
04:40 Il n'a pas de parole, il ne tiendra pas à ses engagements.
04:43 Donc, qu'est-ce qu'il faut ?
04:44 Il faut, comme dans toutes les guerres du monde, pour que ça s'arrête,
04:47 il faut qu'il y ait quelqu'un qui soit tellement fort, en l'occurrence les Ukrainiens,
04:52 que l'autre se dise "J'arrête, ce n'est plus la peine, je vais perdre".
04:55 Et pour cela, il faut en effet armer les Ukrainiens.
04:57 Armer les Ukrainiens. Alors, on sent cette escalade possible.
05:00 La question qu'on se pose tous, c'est est-ce qu'une troisième guerre mondiale est possible ?
05:04 La troisième guerre mondiale, elle est possible si en effet Poutine l'avait emportée.
05:12 Si Poutine l'emportait, ça aurait donné des idées aux Iraniens,
05:16 ça aurait donné des ailes aux Chinois, à Taïwan.
05:20 Ça aurait donné l'exemple à Erdogan,
05:23 qui a des vues sur des îles grecques, sur les Balkans, sur tout ça.
05:28 Donc, le risque d'escalade, il existe,
05:31 si on laissait à Poutine quelque chose qui ressemblerait à une victoire.
05:36 Même l'idée de la victoire, vous dites.
05:38 Et quand Poutine dit dans son discours, mardi dernier, que la Russie est invincible, ça veut dire quoi ?
05:44 Je pense que c'est pathétique.
05:46 C'est comme les enfants qui ont peur du noir et qui disent "Même pas peur".
05:51 C'est ça la vérité.
05:53 Vous pensez que c'est l'énergie du désespoir, quelque part, chez Poutine ?
05:56 Je pense que Poutine et les Russes en général savent,
06:00 enfin, ils voient qu'ils ont perdu, qu'ils voient le film.
06:04 On a couvert, encore une fois, toute cette ligne de front.
06:08 Toutes les batailles, les vraies batailles,
06:10 pas les batailles de lâches, pas les bombardements de civils.
06:14 Ça c'est facile, d'envoyer des missiles sur un quartier et de le détruire.
06:18 Détruire Mariupol, ce n'est pas très dur.
06:20 Ça coûte beaucoup d'obus, mais ce n'est pas très dur.
06:22 Les soldats ne prennent aucun risque.
06:24 En revanche, les vraies batailles, les batailles d'hommes,
06:28 les Russes les ont toutes perdues.
06:30 Ils les ont perdues à Kharkiv, à Izium, à Khoroviar, à Limane, à Kerson.
06:36 Dans toutes ces villes que nous avons filmées et dont nous rapportons les témoignages,
06:41 les Russes sont systématiquement reculés.
06:43 Donc ils le savent bien, les commandants autour de Poutine.
06:46 Cette guerre dure depuis exactement un an.
06:48 Est-ce que vous pensez que la victoire des Ukrainiens est possible ?
06:51 Je pense que si nous nous tenons véritablement à leur côté,
06:55 si nous comprenons, si nous continuons de comprendre
06:59 que leur guerre est notre guerre, qu'ils sont notre bouclier, notre rempart,
07:06 et si on fait ce qu'il faut en conséquence,
07:08 je pense en effet qu'ils peuvent l'emporter assez vite.
07:10 Et il faut qu'ils l'emportent vite, parce que cette guerre est horrible.
07:13 Ces dévastations sont atroces.
07:15 Ces visages d'enfants, moi, ils m'empêchent de dormir.
07:17 Ces visages de femmes comme celui que vous avez montré tout à l'heure,
07:20 ça vous hante ?
07:21 Oui, je me réveille la nuit et je pense à ça.
07:26 Il faut que ça s'arrête.
07:28 Et pour que ça s'arrête, il n'y a qu'une solution,
07:31 c'est que les Ukrainiens l'emportent.
07:34 Ils ne veulent pas conquérir la Russie,
07:36 ils ne veulent pas prendre un centimètre de territoire russe,
07:39 ils veulent juste qu'on leur foute la paix chez eux.
07:42 Et ça, il faut que ça arrive le plus vite possible.
07:44 Merci beaucoup pour cet entretien inspirant que vous avez accordé à Télématins.
07:48 Merci.

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