Dans Historiquement Vôtre, Clémentine Portier-Kaltenbach revient sur le destin de celui qui a imaginé le Festival de Cannes. En septembre 1939, se déroule, à Cannes, la toute première édition du festival de cinéma international de référence. Derrière cette initiative se trouve Philippe Erlanger (1903-1987), le directeur de l’Association française de l’action artistique, bien décidé à contrecarrer les ambitions propagandistes d’Hitler et Mussolini…
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00:00 dans l'intimité de l'histoire.
00:02 Et aujourd'hui Clémentine, alors que le Festival de Cannes se déroule en ce moment même,
00:06 vous revenez sur le destin de celui qui l'a imaginé,
00:09 mais qui est loin de n'avoir fait que ça, c'est Philippe Erlanger.
00:12 Oui. Est-ce que vous saviez Jean-Luc que le Festival de Cannes a été créé
00:16 à la veille de la Seconde Guerre mondiale ?
00:19 Parce qu'en 1938, à la Mostra de Venise,
00:22 qui était alors le seul grand festival de cinéma de l'époque,
00:26 Hitler fait savoir à son copain Mussolini que le Grand Prix doit être accordé aux dieux du stade.
00:33 Qu'est-ce que c'est que les dieux du stade ?
00:35 C'est ce documentaire de Leni Riefenstahl, un documentaire consacré aux Jeux olympiques.
00:41 On a les images en tête, très belles d'ailleurs.
00:44 Un documentaire magnifiant, la beauté de la force, l'ordre et la discipline.
00:49 Bon, il faut que ça gagne.
00:51 Alors Mussolini fait passer le message aux jurés,
00:54 qui n'ont guère d'autre choix que de voter pour ce film.
00:57 Le Lion d'or récompense donc cette année-là le documentaire de Leni Riefenstahl.
01:03 Mais pas que. Il y a un film ex-echo.
01:06 Lequel ? Eh bien, un documentaire réalisé par un fils de Mussolini.
01:11 Eh oui, on n'est jamais mieux servi que par soi-même.
01:14 Alors les Américains et les Britanniques sont furieux.
01:16 Qu'est-ce que c'est que cette histoire ?
01:17 On ne remettra plus les pieds en Italie et on ira ailleurs l'année suivante.
01:21 Et c'est Philippe Erlanger qui à l'époque, à 35 ans,
01:25 il est secrétaire général de l'Association française d'action artistique.
01:29 Il représente précisément la France à la Mostra de Venise.
01:33 Et lui dit, mais puisque c'est comme ça, faisons, créons un festival alternatif.
01:38 Pourquoi pas à Biarritz, à Cannes ou à Nice ?
01:41 Et quelques semaines plus tard, la décision est prise.
01:43 Ce sera Cannes.
01:45 L'ouverture du premier festival de Cannes est fixée au 1er septembre 1939.
01:50 C'est vrai que ce n'était pas le meilleur moment.
01:52 Mais enfin, dès le mois d'août, tout de même, on n'est pas encore en guerre à ce moment-là.
01:57 Eh bien, le tout Hollywood, Gary Cooper, Tyrone Power et des dizaines d'autres stars
02:02 débarquent sur la côte d'Azur.
02:04 Quel été ce fut ?
02:06 Écrit Marlène Dietrich.
02:07 Nous ne savions pas que ce serait le dernier.
02:09 Les menaces de guerre semblaient irréelles.
02:12 Grande fête déjà, 31 août.
02:15 Grande fête au Carlton qui va devenir pour longtemps le PC,
02:19 le cinéma mondial à Cannes.
02:21 Le lendemain, l'Allemagne envahit la Pologne.
02:24 Alors évidemment, pas de festival de Cannes pendant la guerre.
02:28 Et ce festival aurait pu mourir dans l'œuf.
02:30 Mais Philippe Erlanger le reprend en main dès 46 en tant que premier délégué général.
02:37 Et le 19 décembre 46 se déroule sur la croisette la première bataille de fleurs de la paix retrouvée.
02:43 Le lendemain s'ouvrit enfin le premier festival.
02:46 Manifestation héroïque et cocasse.
02:49 46, il doit encore y avoir du rationnement partout.
02:53 Ça recommence un petit peu.
02:56 Ça manque d'huile dans les rouages.
02:58 Par exemple, le projectionniste emmêle les bobines du film qui représente l'URSS.
03:03 C'est un film qui dénonce la machination anticommuniste.
03:06 Et les délégués soviétiques sont furieux.
03:08 Ils commencent à plier bagage.
03:10 Autre raté, quand le poison de Billy Wilder qui concourt pour les États-Unis est projeté à l'envers.
03:16 Donc bon, ça sont les ratés des débuts.
03:18 Et dans ce brouhaha de pendaison de crémaillère, personne ne s'aperçoit,
03:22 écrit François Chalet, un grand spécialiste du cinéma,
03:25 dans les chocolats glacés de l'entracte que l'on venait de présenter la plupart des films
03:31 qui allaient révolutionner le cinéma contemporain.
03:34 Citons La Belle et la Bête de Jean Cocteau, Les Enchaînés d'Alfred Hitchcock,
03:39 Brève Rencontre de David Lean, La Bataille du rail de René Clément.
03:43 Mon film a été projeté à 3h de l'après-midi, déclare Rossellini.
03:46 Et je dois dire que j'étais peut-être le seul spectateur dans la salle.
03:49 Et pourtant ce film n'est autre que Rome, ville ouverte,
03:53 qui évoque la guerre toute récente dans la ville éternelle
03:56 et qui réalisé avec des pauvres moyens et hors des studios,
03:59 va lancer en Italie le fameux courant néoréaliste
04:03 dont s'inspirera 10 ans plus tard la nouvelle vague française.
04:05 Donc il y a des films majeurs qui à l'époque ne sont à peine remarqués.
04:10 Philippe Erlanger pour sa part restera président d'honneur du Festival de Cannes
04:14 jusqu'à sa mort en 87.
04:17 Mais il laisse aussi une quarantaine de biographies historiques de références.
04:21 Marguerite d'Anjou, Diane de Poitiers, Charles VII, Louis XIII, Catherine de Médicis, etc.
04:27 Il a écrit aussi plusieurs scénarios, dont La prise du pouvoir par Louis XIV pour Rossellini.
04:33 Alors à la veille de l'ouverture du 76e Festival de Cannes,
04:37 je crois qu'on peut avoir une petite pensée pour son créateur
04:39 qui est né il y a tout juste 120 ans cette année,
04:43 un amoureux du 7e art et de l'histoire de France.
04:46 Alors vraiment Philippe Erlanger, il a tout pour nous plaire à historiquement vôtre.
04:50 Merci beaucoup Clémentine, vous avez eu raison de le dire.
04:54 Vraiment, c'était un grand écrivain que j'ai eu la chance de lire pendant sa vie.
05:00 Vous l'avez rencontré non ?
05:04 J'avais rencontré, mais j'ai acheté ses livres.
05:06 Avec toujours des jolies couvertures.
05:08 Avec André Castelot, Alain Decaux et de jolies librairies académiques pérennes.