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"Moi, je ne cherche pas le scandale. J'aime pas ça."
Le mépris social qu’elle a affronté, son choix de Johnny Depp… Pour Brut, la réalisatrice Maïwenn discute avec Augustin Trapenard, juste avant de présenter son film "Jeanne du Barry" en ouverture du Festival de Cannes.

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Transcription
00:00 Salut, c'est Augustin, je suis avec Maiwen, dont le film Jeanne du Barry fait l'ouverture de la 76e édition du Festival de Cannes.
00:06 Bonjour Maiwen.
00:07 Bonjour.
00:07 La condescendance, c'est très facilement palpable dans ce milieu.
00:11 Les yeux qui font comme ça, qui se baissent.
00:13 J'ai encaissé beaucoup de regards condescendants, jaloux, méprisants,
00:19 que ça soit sur le milieu d'où je venais, sur mon jeune âge que j'avais au moment où je suis arrivée dans le cinéma
00:28 et où je voulais faire des films. C'est plein de choses.
00:30 Le film s'ouvre sur une scène extraordinaire de regards.
00:33 À choisir, Maiwen, est-ce que vous préférez regarder ou être regardée ?
00:37 J'ai besoin des deux, mais ça me provoque des sensations différentes quand je fais l'un ou l'autre.
00:43 Si je ne fais que jouer sans réaliser, c'est tout bête, mais je me sens regardée, aimée,
00:53 et ça fait remonter mes hormones féminines.
00:56 Et quand je ne fais que réaliser, bizarrement, c'est vrai que je me sens beaucoup plus dans une bulle masculine.
01:03 Je me sens un peu, pas annulée, mais en retrait du monde.
01:07 J'ai la sensation de crier quand je réalise, alors que quand je joue,
01:14 c'est plus s'exprimer avec la bienveillance d'un regard derrière.
01:18 Mais il y a où ce désir, justement, vous le disiez, d'être aimée, d'être regardée ?
01:22 Ça vient d'où c'est la nature humaine qui nous a fait comme ça.
01:26 Qui n'a pas besoin de l'être ?
01:28 On parlait de regard, Maiwen. Avec le regard vient le jugement.
01:32 Qu'est-ce que vous en faites du regard des autres ?
01:34 J'essaie de me protéger, j'essaie de me dire qu'il faut rester dans sa création, dans ses idées,
01:42 mais ce n'est pas toujours facile.
01:43 Est-ce qu'il vous a blessé, ce regard ?
01:45 Oui, en tout cas, en l'occurrence, le film Jeanne Du Barry,
01:47 j'ai l'impression que parfois c'est une métaphore d'une période de ma vie où j'étais très jeune
01:53 et où je croyais que je ne serais pas blessée du regard comporté sur moi.
01:58 Vous faites référence à une période de votre vie, vous dites en particulier,
02:01 c'est quel moment, en fait ?
02:02 C'est quand j'avais 15 ans.
02:04 Et où vous débarquez, en fait, dans ce milieu tout simplement.
02:05 Voilà, où j'étais amoureuse d'un homme qui avait du pouvoir
02:09 et où je sentais que pour la plupart des gens,
02:12 ce n'était pas perçu comme de l'amour sincère.
02:15 C'était forcément perçu comme un homme attiré par une jeune fille
02:22 et une jeune fille attirée par l'argent et le pouvoir.
02:24 C'est très mal vu, les gens différents qui...
02:31 On s'en remet de cette violence, de ce jugement, de ce regard ?
02:34 Oui, bien sûr, on s'en remet.
02:35 Comment ?
02:35 On n'oublie pas.
02:37 J'ai eu la chance de faire mes films, d'être écoutée, regardée et adoubée.
02:42 Donc, quelque part, je n'ai pas besoin de me venger.
02:46 La vie m'a aidée pour ça.
02:48 Jeanne Duparie, comme vous, c'est une transfuge de classe.
02:50 Elle a soif d'ascension sociale, mais elle a surtout,
02:53 c'est ce qui est très beau dans le film, un désir de connaissance,
02:55 un désir de savoir et de culture.
02:57 Oui.
02:58 Qu'est-ce qui vous parle là-dedans ?
02:59 Tout. Tout me parle.
03:01 La volonté de se cultiver, elle comble un complexe d'infériorité.
03:06 Jusque j'ai arrêté l'école à 15 ans, comme Jeanne.
03:09 Et je trouve que la curiosité participe aussi à notre statut d'artiste.
03:17 J'adore la curiosité.
03:18 J'aime la curiosité, ce qui n'est pas exactement pareil que j'aime les gens cultivés.
03:21 J'aime les gens curieux.
03:23 Aujourd'hui, à Cannes, est-ce que vous avez encore des choses à prouver en tant que cinéaste ?
03:27 Je me prouve surtout les choses à moi-même, plus qu'aux gens du métier.
03:30 Pour avoir le désir de faire un film, il faut avoir une passion qui brûle en permanence.
03:35 En fait, il n'y a pas de place pour le milieu du cinéma
03:40 ou des sentiments comme se faire approuver par le métier.
03:43 Ça me pollue, en fait. Ça pollue le désir, ça pollue la création.
03:46 Pas de place pour le doute ?
03:48 Non. Je me souviens qu'au début, quand je voulais faire police,
03:52 je n'étais pas crédible dans le langage des films policiers.
03:57 Mais pour moi, il y avait un désir qui brûlait.
03:59 Le désir est quelque chose qui me tient.
04:02 Vous êtes arrivée à désobéir beaucoup, Maywen ?
04:04 Peut-être pas désobéir, mais en tout cas, de ne pas faire comme les autres.
04:08 J'ai compris très vite qu'en fait, la force d'un cinéaste,
04:10 c'est d'avoir de l'autorité sur le public, sur le spectateur.
04:14 C'est de ne pas être sensible à le médiocre.
04:18 Et le médiocre, c'est ce qui est à portée de tout le monde.
04:23 Ça veut dire que vous n'aimez pas qu'on vous désobéisse ?
04:25 Sur un plateau, non.
04:28 Bien sûr, je ne suis pas un paradoxe près. Bien sûr.
04:30 C'est arrivé qu'on vous résiste ? Justement, qu'on résiste à votre mise en scène ?
04:33 Ah oui !
04:34 Après, c'est intéressant aussi d'avoir quelqu'un qui n'est pas d'accord,
04:37 parce que ça discute, ça débat,
04:39 et parfois, il en produit des choses très intéressantes.
04:42 Parce que moi, je n'arrive pas sur un plateau en ayant la science infuse.
04:46 J'adore que ça soit le fruit d'un travail collectif.
04:49 À quoi on s'expose, Maywen, quand on refuse de se conformer aux règles ?
04:53 Quand on impose, justement, sa liberté ?
04:57 On se fait plein d'ennemis, mais en même temps,
05:01 on gagne en autorité, en liberté, en identité, je dirais plus.
05:06 On risque de faire scandale aussi.
05:08 Oui, peut-être.
05:09 Mais c'est pas ce qu'on cherche. Moi, je cherche pas le scandale.
05:11 - Jamais ? - Non. Pas du tout. J'aime pas ça.
05:13 À une époque, notre époque, où tout le monde s'indigne
05:17 - pour un oui ou pour un non, - Oui.
05:19 comment vous vous situez, justement ?
05:21 Je suis consciente qu'un petit scandale,
05:24 tout est relatif, ça dure 24-48 heures,
05:28 c'est rien.
05:29 Julie Depp, l'ouverture du Festival de Cannes,
05:32 ça va faire scandale, ça ?
05:34 Non, je crois pas.
05:36 J'espère pas.
05:37 Pour des raisons extra-cinématographiques, en fait.
05:40 Pour lui, pour ce qu'il représente, pour ce qu'il est.
05:43 Ça me ferait de la peine, parce que
05:45 si vous faites référence au mouvement féministe radical,
05:50 ça me ferait de la peine qu'elle veuille gâcher la soirée,
05:53 parce que c'est un film réalisé par une femme,
05:57 sur une femme, pas n'importe quelle femme,
05:59 en parlant de Jeanne Dubarry,
06:00 qui était ultra-moderne, dans le sens où
06:05 elle disait, faisait des choses qui sont actuelles.
06:09 Donc, ouais, ça me ferait beaucoup de peine.
06:12 Pourquoi vous l'avez choisi, lui, pour incarner le roi ?
06:15 J'ai cherché à proposer le rôle à un acteur français,
06:18 et ça ne s'est pas fait.
06:20 Après ça, je me suis dit, j'ai le choix.
06:22 Soit je suis loyale à ma nationalité,
06:25 je prends un acteur français que j'aime moyen,
06:27 qui n'incarne pas, selon moi, la royauté.
06:30 Soit j'écoute mon désir,
06:33 et je reste loyale à mon désir.
06:36 Et c'est à partir de là, je me suis dit,
06:37 il n'y a pas photo, il n'y a pas de doute.
06:41 Je dois faire face à mon désir.
06:43 Parce que j'adore l'acteur, parce que je sentais chez lui
06:46 les côtés du Louis XV que j'avais écrit,
06:50 à savoir un roi plein de paradoxes,
06:54 dark, écorché, romantique,
06:58 et puis un charisme qui est là, sans parole.
07:04 Il arrive quelque part et déjà, on sent que c'est un roi.
07:09 On parle de scandale, Maïwenn, et c'est ma dernière question.
07:12 Qu'est-ce qui vous scandalise, vous, aujourd'hui ?
07:15 Par exemple, que Jeanne Dubary ne soit pas connue
07:20 comme elle méritait d'être connue,
07:21 ça c'est quelque chose qui me scandalisait,
07:23 c'est peut-être pour ça que j'avais envie de faire un film sur elle.
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