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00:00 *7h-9h, les matins de France Culture, Guillaume Erner*
00:06 La question du jour, ce printemps, deux enseignants de philosophie ont été suspendus par l'Education
00:11 Nationale pour une durée de trois mois à la suite de propos controversés et jugés
00:14 virulents qu'ils ont tenus sur les réseaux sociaux.
00:17 Le motif retenu, manquement à leurs devoirs de réserve.
00:20 Des enseignants de la discipline s'inquiètent de cette décision en soulignant une menace
00:24 portée à la liberté d'expression.
00:25 Que prévoit donc la loi en matière de devoir de réserve des enseignants ?
00:30 Bonjour Maître Valéry Piot.
00:31 Bonjour.
00:32 Alors, les deux professeurs concernés sont Franklin Niamsi, professeur Arouan, René
00:37 Chiche, professeur près de Marseille.
00:38 Il faut d'abord nous rappeler ce que l'on sait des motifs retenus pour que cette sanction
00:42 administrative, une suspension de trois mois, ait été prononcée.
00:45 Alors on leur reproche un manquement à l'obligation de réserve puisqu'il y a à la fois la liberté
00:51 d'expression qui est un droit fondamental pour chaque citoyen, mais en même temps aucune
00:55 liberté n'est absolue et donc les fonctionnaires ont des obligations dont nous allons parler
01:00 en matière de réserve.
01:01 Alors j'imagine qu'il y a une distinction qui est faite entre ce que l'on peut dire
01:05 à l'intérieur de la classe et ce que l'on dit à l'extérieur de la classe s'agissant
01:08 d'enseignants.
01:09 Alors oui et non parce que l'obligation de réserve c'est à la fois pendant le temps
01:14 scolaire mais également en dehors.
01:16 Même un fonctionnaire qui est en congé, même en congé de l'administration, même
01:22 suspendu, il y a toujours cette obligation de réserve.
01:25 Mais alors c'est quand même assez étonnant parce qu'on se dit qu'un enseignant peut
01:28 par exemple avoir un engagement politique.
01:31 On en connaît d'ailleurs un certain nombre qui sont par exemple élus.
01:34 Alors bien évidemment le fonctionnaire a le droit d'avoir ses opinions, simplement
01:38 le devoir de réserve c'est encadrer cette liberté d'expression de ses opinions.
01:43 Il faut justement le faire avec réserve et retenue.
01:46 Donc il y a plusieurs critères, c'est la jurisprudence qui a construit les limites
01:50 de la liberté d'expression des enseignants.
01:53 C'est ça qui est un peu flou, le fait que ce soit une jurisprudence.
01:57 Exactement, parce que la loi parle de neutralité mais après la jurisprudence met quatre critères.
02:03 Le premier critère c'est quelle est votre place dans la hiérarchie.
02:06 Plus vous allez être haut dans la hiérarchie, plus le devoir de réserve va être strict.
02:10 Par exemple si vous êtes préfet, vous allez avoir un devoir de réserve qui va être plus
02:13 important si vous êtes en bas de l'échelle.
02:15 Est-ce qu'un enseignant pardonne et qu'il me pardonne ? Cette question, à quel niveau
02:20 de l'échelle se situent les enseignants ?
02:22 Alors l'enseignant, c'est que dans le Code de l'éducation, il est dit qu'il y a
02:25 valeur d'exemplarité par rapport aux élèves et par rapport à l'institution.
02:31 Donc l'enseignant transmet des valeurs.
02:34 Après dans le deuxième critère, il y a dans quelles circonstances vous vous exprimez.
02:38 Par exemple, on va considérer qu'un délégué syndical qui s'exprime dans le cadre de
02:42 son mandat va avoir plus de liberté.
02:44 Et après c'est là où on en vient au cas qui nous intéresse, c'est quelle est la publicité.
02:49 Si vous vous exprimez dans un petit journal ou dans l'enceinte d'une école, ça ne
02:53 va pas être la même chose que si c'est sur les réseaux sociaux et si vous avez
02:56 beaucoup de followers.
02:57 Et le quatrième critère, on va revenir là-dessus aussi je pense, c'est quelle est la forme
03:01 de l'expression.
03:02 Il ne faut pas que ce soit des propos outranciers ou injurieux.
03:05 Et donc dans le cas d'espèces, on leur reproche à la fois une publicité faite sur
03:11 les réseaux sociaux avec beaucoup de followers et après des propos outranciers ou injurieux.
03:19 Mais alors c'est quand même étonnant parce que là aussi, les réseaux sociaux, à priori,
03:23 vous n'êtes pas responsable de votre nombre de followers.
03:26 Si par exemple, pour votre cercle amical, vous décidez de faire quelques commentaires
03:30 sur l'actualité sur votre page Facebook et que par mésaventure, cette page Facebook
03:37 est visitée par des milliers de personnes, Maître Valéry Piau, comment faire ?
03:41 Il faut justement ne pas tenir des propos outranciers ou injurieux.
03:46 Mais c'est là où toute la subtilité, c'est ce flou quand même de l'appréciation,
03:51 de savoir si les propos sont ou pas injurieux ou outranciers.
03:54 Et là, la sanction de ces deux enseignants, c'est parce que le ministère de l'Éducation
04:01 nationale considère que c'est le cas.
04:02 Mais attention, celui qui aura le dernier mot, ce sera le juge.
04:05 Puisque comme la construction est jurisprudentielle, d'où le flou, ce sera le juge qui dira
04:10 "oui, on considère qu'il fallait sanctionner".
04:13 La question aussi, c'est est-ce que la sanction était proportionnée ou pas ?
04:17 Outranciers, injurieux, là aussi, c'est compliqué parce qu'il y a effectivement
04:22 des opinions qui peuvent être radicales.
04:25 Elles sont, dans le cadre de la loi, bien sûr, protégées par la liberté d'expression.
04:29 Ça veut dire qu'on n'est pas uniquement obligé de formuler des opinions centristes,
04:35 par exemple, sur les réseaux sociaux.
04:36 Non, c'est vrai, mais c'est tout la subtilité de cette appréciation d'à la fois d'une
04:42 liberté fondamentale de chaque citoyen, ce qui est le cas de la liberté d'expression,
04:46 et le fait qu'il faut quand même que ce soit encadré et qu'on reste quand même
04:49 dans une réserve avec une certaine retenue quand on est fonctionnaire, parce qu'on
04:54 doit jamais porter atteinte à la considération du service public.
04:57 Mais ce sera une appréciation, finalement, qui sera, comme elle est jurisprudentielle,
05:03 in fine, ce sera le juge qui dira.
05:04 D'ailleurs, je crois qu'un des deux enseignants a déjà saisi le juge administratif pour statuer
05:11 sur le fait de savoir si la sanction était justifiée ou pas et proportionnée ou pas.
05:15 Et puis alors, l'autre question qui se pose, justement, puisque vous parlez de proportion
05:19 de la sanction, ces enseignants sont suspendus trois mois, trois mois sans traitement.
05:25 C'est, j'imagine, particulièrement grave, particulièrement dur.
05:29 C'est une sanction très dure, parce qu'il y a quatre échelles de sanctions et c'est
05:34 l'avant-dernière.
05:35 Et après, au-dessus de ça, il ne reste que la révocation ou la mise à la retraite
05:38 d'office.
05:39 C'est une sanction qui est quand même assez lourde et c'est une première dans la mesure
05:42 où, jusqu'à présent, la plupart des cas de sanctions, c'était plutôt un enseignant
05:47 qui, dans la classe, va avoir soit des propos extrémistes, soit distribué des déclarations.
05:52 Ce qui semble-t-il n'est pas le cas dans ces deux cas de professeurs.
05:56 Voilà, parce que là, c'est plutôt des propos d'appréciation de la politique du
06:00 gouvernement.
06:01 Donc, en fait, c'est pas par rapport aux élèves dans la classe.
06:03 Mais alors, c'est ça, en fait, qui est étonnant, parce qu'on pourrait imaginer qu'un professeur
06:08 soit empêché de nuire s'il nuisait véritablement, justement, à sa mission dans la classe.
06:14 Mais hors de la classe, on peut imaginer que sa liberté soit plus grande et que donc,
06:20 cette sanction apparaisse comme étant particulièrement sévère.
06:23 Oui, c'est vrai que surtout qu'il y a très peu de cas comme ça.
06:25 Par exemple, il y a eu une enseignante sur les réseaux sociaux qui avait critiqué l'école
06:30 auprès de ses collègues.
06:31 Et donc, c'est vrai que le cas est différent.
06:33 C'est quand même une première là, puisque c'est une critique qui, d'ailleurs, ne se
06:37 rapporte pas à l'éducation nationale.
06:38 Et on est très loin du cas de ce professeur qui est évoqué en une du Parisien aujourd'hui,
06:44 ce professeur qui a brûlé des copies.
06:47 Alors là, par exemple, qu'en dit l'avocate que vous êtes ?
06:50 Je pense qu'il doit s'inquiéter d'une procédure disciplinaire, puisque là, on
06:54 a un manquement qui paraît quand même grave, puisque évidemment, c'est des copies du
06:59 bac.
07:00 Donc là, il y aura vraisemblablement une procédure disciplinaire avec un risque de
07:04 sanctions lourdes.
07:05 Et de réunion, on peut dire qu'on a la réunion de deux comportements.
07:10 Un comportement, donc une prise de position politique dans la classe et une forme de sabotage,
07:16 je ne sais pas comment la nommer, lorsqu'on brûle des copies du baccalauréat.
07:19 Oui, c'est vrai que c'est assez atypique d'avoir des sanctions aussi lourdes pour
07:26 des propos qui ne sont pas prononcés dans le cadre de la classe ou de l'école, alors
07:31 qu'on voit que l'éducation nationale, de façon générale, est plutôt assez timide
07:34 pour les sanctions disciplinaires à l'encontre des enseignants, de façon générale.
07:39 Merci beaucoup, maître Valéry Piau.
07:41 Je rappelle que vous êtes avocate au barreau de Paris et spécialiste du droit de l'éducation.