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Chroniqueuse : Maud Descamps


À l'ère numérique, les théories du complot fussent sur la toile. Rudy Reichstadt est politologue et spécialiste du phénomène complotiste. Il publie « Au cœur du complot », chez Grasset. 

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Transcription
00:00 Bonjour Udi Reichstadt, on est ravis de vous recevoir.
00:02 Vous publiez ce livre "Au cœur du complot", c'est publié chez Grasset,
00:06 un livre qui s'intéresse à la fois à la mécanique des théories du complot
00:10 mais aussi aux armes à déployer pour tenter de vaincre ce complotisme.
00:13 Première question, est-ce que selon vous on peut vraiment vaincre le complotisme,
00:17 à l'ère numérique, je précise ?
00:19 Si je ne croyais pas, je ne ferais pas tout ça.
00:22 Donc si vous voulez, oui, je pense qu'on peut en tout cas essayer de limiter son influence
00:28 parce que le complotisme ça a toujours existé, ça a eu des conséquences funèses par le passé
00:33 et aujourd'hui avec les nouveaux moyens de communication, Internet, les réseaux sociaux,
00:37 le haut débit, les plateformes de vidéos en ligne, on a l'impression qu'il sort de son lit,
00:42 qu'il prend une importance qu'il n'a pas eue dans notre histoire récente
00:47 et il a déjà des conséquences politiques graves, y compris sur notre capacité à continuer à vivre en démocratie.
00:52 Alors on va parler justement des conséquences dans un instant
00:55 mais je voudrais revenir sur un exemple dont on a beaucoup parlé ces derniers jours.
00:59 Cette vidéo, cette interview, vous l'avez forcément vue, elle a été diffusée sur Youtube,
01:02 il s'agit du rappeur Gims qui affirmait, en quelques mots,
01:06 que les Égyptiens utilisaient déjà l'électricité dès l'Antiquité.
01:10 C'est une personne qui a énormément de followers, d'abonnés sur les réseaux sociaux,
01:14 qui a énormément d'influence.
01:16 Comment vous expliquez qu'une personne d'une telle envergure puisse tenir encore de tels propos ?
01:21 – Parce que Gims fait partie de notre société, donc il est influencé comme tout le monde,
01:25 il n'y a pas de raison qu'il le soit moins par ces idées-là,
01:29 parce que ces idées-là circulent aujourd'hui sur Internet, sur des plateformes comme Youtube
01:33 et de toute évidence il a été intoxiqué d'une certaine manière…
01:36 – Mais il y croit vraiment ou c'est pour faire de l'audience ?
01:38 – Probablement, probablement, parce qu'il a une forme de sincérité lorsqu'il s'exprime là-dessus,
01:43 donc on a vraiment l'impression que c'est sa vision du monde, je ne crois pas que ce soit fin,
01:47 je ne crois pas qu'il ait une carrière politique devant lui, qu'il ait envie de…
01:51 Non, je crois qu'il est vraiment sincèrement influencé par ces choses-là.
01:53 Le problème, comme vous le dites, c'est qu'il représente quelque chose pour la jeunesse notamment,
01:58 il a des millions de followers, d'abonnés sur les réseaux sociaux,
02:02 donc sa parole, si vous voulez, a un poids et il a une forme de responsabilité.
02:06 – Est-ce que le complotisme c'est quelque chose de typiquement français ?
02:10 – Non, pas du tout, pas du tout, le complotisme on le retrouve dans toutes les cultures,
02:14 il y a des études d'opinion sur plusieurs dizaines de pays qui montrent que la France n'est pas l'endroit
02:19 où il y a le plus de complotisme, c'est pas non plus l'endroit où il y en a le moins,
02:23 il y a des pays qui sont deux fois moins complotistes.
02:25 – Les États-Unis notamment.
02:26 – Les États-Unis, oui, ils sont un peu plus complotistes que nous, si on veut,
02:28 ils ont tendance à répondre qu'ils croient davantage aux théories du complot,
02:31 mais des pays comme le Danemark le sont beaucoup moins que nous,
02:33 des pays comme la Turquie ou le Mexique le sont beaucoup plus que nous.
02:36 – Et comment on explique ça, les pays qui sont moins complotistes que nous ?
02:39 – C'est sans doute lié à la confiance qu'on a dans nos institutions démocratiques,
02:43 ce qu'on voit, enfin ce qui se dégage de toute évidence,
02:46 il faudrait évidemment faire des recherches plus poussées là-dessus,
02:49 c'est que là où la démocratie se porte bien, le complotisme est contenu, il reflue,
02:55 là où au contraire il y a une crise des institutions démocratiques,
02:58 il a tendance à prendre beaucoup d'espace.
03:00 – Alors cet essor du complotisme, qu'est-ce que ça dit de nous aussi ?
03:03 Est-ce que ça veut dire qu'on passe beaucoup trop de temps sur les réseaux sociaux aujourd'hui ?
03:05 – Mais probablement, il ne faut jamais oublier que le temps qu'on accorde à l'information,
03:09 à la culture, à la connaissance en général, c'est un temps limité, il n'est pas infini,
03:15 et donc le temps qu'on accorde à ces choses-là,
03:18 à des vidéos expliquant que les Égyptiens avaient l'électricité par exemple,
03:22 c'est du temps qui est pris sur la bonne information,
03:25 de le rajouter, c'est du temps qui est pris sur la connaissance validée scientifiquement,
03:29 et c'est en ça que c'est un problème, parce qu'à la fin des fins,
03:33 ça vient complètement changer notre vision du monde.
03:38 – Alors vous qui avez décortiqué justement plusieurs théories du complot,
03:42 est-ce qu'on observe une mécanique ? Est-ce qu'il y a toujours un peu les mêmes schémas
03:45 qui font que c'est très compliqué quand on est face à un complotiste,
03:48 d'arriver à démonter justement l'argumentaire ?
03:50 – Oui, alors là vous parlez de la rhétorique plutôt,
03:52 parce que le complotisme c'est à la fois un récit de dévoilement,
03:55 une accusation, une condamnation morale également,
03:58 mais la rhétorique oui, elle est très stable à travers le temps,
04:03 c'est-à-dire qu'on est toujours dans le renversement de la charge de la preuve,
04:07 on est dans la constitution de ce qu'on appelle des mille failles argumentatives,
04:11 c'est-à-dire qu'on prend des arguments empruntés à des champs très variés de la connaissance
04:14 qui présentés ensemble, produisent un effet d'intimidation intellectuelle très fort,
04:18 qui fait que vous dites "mais tout ne peut pas être faux,
04:21 donc il n'y a pas de fumée sans feu", et donc le soupçon est introduit
04:24 et là la théorie du complot a gagné.
04:26 Et puis il y a quelque chose qui revient très souvent aussi,
04:28 c'est le mélange du vrai et du faux, des faits et de l'invérifiable,
04:32 des spéculations etc. et c'est vrai que présentés ensemble,
04:35 c'est d'autant plus toxique, on vous intoxique d'autant plus
04:38 avec du vrai mélangé à du faux.
04:40 – Et en même temps le complotisme sert aussi de temps en temps
04:42 pour contrer un argument qu'on va nous avancer,
04:45 tout de suite on va taxer quelqu'un de complotiste,
04:47 ça va permettre de stopper la discussion.
04:49 – Oui, alors ça c'est les mésusages si vous voulez des mots en général,
04:53 c'est vrai que le mot complotiste parce qu'il est chargé négativement,
04:56 c'est vrai que ce n'est pas agréable d'être qualifié de complotiste,
04:59 c'est un mot qui disqualifie en qualifiant d'une certaine manière,
05:03 de tout les mots chargés péjorativement, fasciste, raciste etc.
05:08 et ça ne veut pas dire que le fascisme ou le racisme n'existent pas pour autant.
05:11 Donc évidemment on doit l'utiliser à bon escient.
05:16 – Dans votre livre il y a quelque chose qui ressort,
05:18 ce sont les insultes antisémites, envers vous mais de manière générale,
05:23 il y a toute une rhétorique, est-ce qu'il y a un lien
05:25 entre antisémitisme et complotisme ?
05:27 – Il n'y a pas un lien direct dans le sens où on peut tout à fait
05:30 soutenir des théories du complot sans être antisémite,
05:32 ça c'est vu, ça se voit encore et ça se verra.
05:35 Mais effectivement on retombe très facilement dans des schémas de ce type-là,
05:42 sans doute parce qu'il y a tout un matériel symbolique indissociablement
05:45 antisémite et complotiste qui est prêt à l'emploi,
05:48 d'une certaine manière à disposition, qu'on peut retrouver très facilement
05:51 et puis parce que, pour des raisons qui tiennent à la question d'antisémitisme,
05:55 parce que d'une certaine manière les juifs comme bouc émissaire
05:58 sont des bons candidats malheureusement à l'idéation conspirationniste.
06:03 – Qu'est-ce qu'on fait alors ?
06:04 Est-ce qu'il faut qu'on discute avec les complotistes
06:06 ou est-ce que c'est un combat qui est vain ?
06:07 – Je pense qu'on peut toujours discuter avec des gens
06:09 qui sont accessibles aux arguments et à la contradiction,
06:12 là le problème se pose c'est lorsqu'on a affaire à des gens
06:15 qui sont fanatiques de leur propre cause, qui sont dans l'obstination,
06:19 y compris lorsqu'on leur oppose, si vous voulez,
06:23 des arguments montrant que ce qu'ils disent est faux.
06:26 Là il n'y a pas grand chose à faire, malheureusement,
06:28 on ne peut être que dans la prévention, c'est-à-dire empêcher
06:30 que les gens qui pourraient être séduits par cela,
06:32 et c'est normal d'être séduit par cela,
06:34 ne basculent dans cette forme de pensée
06:37 qui est appartiellée avec l'extrémisme politique quand même.
06:40 – Alors justement cette prévention, vous parliez tout à l'heure des jeunes
06:42 qui s'informent énormément sur les réseaux sociaux, qu'est-ce qu'on fait ?
06:44 Est-ce qu'il faut réguler les réseaux sociaux ?
06:46 Est-ce qu'il faut interdire la parole à certains ?
06:48 – Il ne faut pas interdire la parole si vous voulez, il faut effectivement réguler,
06:51 c'est-à-dire qu'il n'y a aucune raison pour que nos lois votées démocratiquement
06:55 ne s'appliquent pas dans l'univers numérique, voilà, tout simplement.
06:58 Donc oui, il faut réguler, s'il le faut, tordre le poignet aux GAFAM,
07:03 c'est-à-dire les grandes plateformes de réseaux sociaux,
07:06 prestataires de services de réseaux sociaux,
07:09 et leur dire qu'ici en France ou en Europe, c'est la loi commune qui s'applique.
07:13 – Et appliquer les règles, très bien.
07:14 Merci beaucoup Rudy Ressette d'être venu nous voir,
07:16 je rappelle le nom de votre livre "Au cœur du complot"
07:19 complot publié chez Grasset. Merci à vous.

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