Mardi 2 mai 2023, SMART TECH reçoit Jean Cattan (Secrétaire général, Conseil National du Numérique) et Olivier Lascar (Rédacteur en chef, Sciences et Avenir)
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00:00 Chose promise, chose faite.
00:05 Elon Musk a mis fin le 20 avril au système des badges bleus de certification sur Twitter.
00:11 Vous savez, il permettait de distinguer les comptes authentiques des personnalités publiques,
00:15 des médias, des entreprises.
00:17 A partir de maintenant, seuls les abonnés à Twitter Blue, l'offre payante, peuvent
00:21 arborer le macaron d'authentification sur leur profil.
00:24 Un changement qui inquiète, notamment parce qu'il pourrait contribuer à la désinformation.
00:29 Déjà bien présente sur le réseau social.
00:31 S'il suffit de payer pour être certifié, alors tout le monde est-il légitimé ?
00:36 On en parle aujourd'hui avec Olivier Lascar, rédacteur en chef de Sciences et Avenir et
00:40 auteur d'une enquête, enquête sur Elon Musk, l'homme qui défie la science aux éditions
00:45 Alizio.
00:46 Bonjour Olivier Lascar.
00:47 Bonjour.
00:48 Merci beaucoup de nous accompagner aujourd'hui dans Smart Tech.
00:50 Avec plaisir.
00:51 Nous accompagne également Jean Catan, secrétaire général du Conseil national du numérique.
00:56 Bonjour.
00:57 Bienvenue à vous également.
00:59 Un mot d'abord peut-être sur la genèse de ce passage au payant pour la certification.
01:03 Est-ce que c'est une décision purement économique ?
01:06 Ça c'est ma question.
01:07 Pour sauver Twitter, c'est ce qu'on a dit aussi.
01:09 Ou est-ce que vous y voyez autre chose de la part d'Elon Musk ?
01:13 Peut-être une autre ambition Olivier Lascar, vous qui avez un peu enquêté sur ce personnage.
01:17 Alors, il y a un aspect économique certain.
01:21 C'est-à-dire qu'Elon Musk a payé Twitter fort cher, 44 milliards de dollars si je ne
01:28 m'abuse.
01:29 Il a déclaré récemment que l'entreprise avait perdu au moins la moitié de sa valeur
01:33 en un an simplement.
01:34 Donc il était à la recherche d'argent frais, c'est certain.
01:38 En revanche, il n'a pas l'obsession de faire de Twitter une entreprise rentable.
01:44 S'il a racheté Twitter, ce n'est pas pour faire de l'argent à mon avis.
01:48 C'est surtout parce que Twitter, c'est un levier formidable de communication pour
01:53 ses autres activités.
01:54 Il faut se méfier d'un effet de loupe avec l'affaire Twitter qui est effervescente
01:59 depuis plus d'un an parce qu'on a l'impression que le cœur d'activité d'Elon Musk, on
02:03 pourrait avoir l'impression que le cœur de son activité c'est Twitter.
02:06 Ce n'est pas du tout le cas.
02:07 Musk c'est un entrepreneur qui a au centre de son activité le spatial, c'est SpaceX,
02:14 c'est son obsession.
02:15 À côté de ça, il y a Tesla évidemment, il y a Neuralink, il y a d'autres entreprises.
02:21 Tesla c'est celle qui lui ramène de l'argent mais son obsession c'est SpaceX.
02:24 Et avec Twitter, il va, comme l'ont toujours fait finalement des entrepreneurs, des géants,
02:30 des capitaines d'industrie dans le passé, il a un instrument de communication formidable
02:34 pour pousser ses activités industrielles.
02:36 Vous, qu'est-ce qui vous a poussé à enquêter sur ce phénomène Musk ?
02:39 Travaillant dans un média comme Sciences et Avenir, on ne peut pas couper à Elon Musk.
02:44 Et moi je suis quelqu'un de normal, c'est-à-dire que je suis passé par tous les états d'âme
02:50 par rapport à lui.
02:51 Quand je le vois surgir il y a une dizaine d'années à peu près avec l'Hyperloop
02:55 où il dit "ben voilà, mes ingénieurs de SpaceX et de Tesla ont fait un livre blanc",
03:00 c'est-à-dire une sorte de compilation de solutions techniques qui permettrait de mettre
03:06 au point l'Hyperloop, c'est-à-dire un projet de train qui circulerait dans des tubes sous-vides
03:10 aussi vite que l'avion.
03:11 C'est l'effervescence mondiale, on se dit "ce type-là est génial".
03:14 Quand on creuse un peu on se rend compte qu'il n'a pas inventé du tout le principe de l'Hyperloop,
03:19 qu'il ne fonde pas lui-même une entreprise d'Hyperloop et que s'il fait ça c'est surtout
03:24 pour enquiquiner l'état de Californie qui a choisi de faire un TGV pour relier les
03:31 grandes métropoles de la côte ouest, ce qui ne lui plaît pas du tout pour des raisons
03:35 X et Y.
03:36 Donc c'est du Musk tout craché.
03:38 Néanmoins il y a quand même de la technicité derrière.
03:41 On se dit "c'est un personnage intéressant".
03:42 Quelque temps après il dit "je suis en train de développer un lance-flammes avec mon autre
03:47 société The Boring Company".
03:48 C'est complètement débile.
03:49 Je ne veux plus entendre parler de ce type-là.
03:51 Mais c'est le piège qu'il nous tend Elon Musk.
03:54 Parce qu'il joue à l'imbécile alors qu'il ne l'est pas du tout et alors qu'il a proposé
04:00 des solutions techniques comme la fusée réutilisable, la fusée de Tintin, la fusée qu'on peut
04:06 tirer une fois et réutiliser la coude après, qui sont des idées dont l'industrie du spatial
04:12 ne voulait pas et qu'il a réussi à imposer et qui changent la donne.
04:16 Et on voit qu'Ariane 6 va arriver avec déjà énormément de difficultés parce qu'ils
04:21 n'ont pas choisi cette solution technique-là.
04:22 Donc Elon Musk est un personnage qui mélange les contraires, qui provoque des réactions
04:27 noires ou blancs.
04:29 On l'adore ou on le déteste alors que ça devrait être tout le contraire.
04:32 On devrait plutôt regarder tous les dégradés du personnage parce qu'il y a des éléments
04:36 qui sont très intéressants.
04:37 Jean Quatain, est-ce que vous faites le même constat qu'Olivier Lascar ? Comment on lit
04:41 justement ces projets scientifiques très ambitieux, très disruptifs et ce rachat Twitter ?
04:47 Je pense qu'il y a peut-être l'entrepreneur aussi qui voulait prouver un petit peu au
04:50 monde qu'il était capable de faire quelque chose avec une entreprise qui n'allait pas
04:53 forcément très très fort.
04:55 Et de venir avec un évier comme ça aussi c'est une manière de provoquer et de montrer
04:59 un petit peu le patron qu'il est.
05:00 C'est-à-dire, voilà, moi je viens dans une entreprise qui est en train de couler, peut-être
05:04 que ça va être encore plus le chaos, mais vous allez voir, je vais y arriver.
05:07 Et donc aujourd'hui, en fait, plus il glorifie quelque part les difficultés, plus il glorifie
05:12 sa potentielle reconquête d'avenir.
05:14 Il faut voir un petit peu tout le narratif qu'il est potentiellement en train de tisser
05:18 sur le tendon.
05:19 Et c'est vrai qu'il y a potentiellement un piège qui nous est tendu à regarder chaque
05:23 fait chaque jour.
05:24 Et on pense à tous les journalistes quand même qui doivent chroniquer jour après jour
05:27 la vie d'Elon Musk.
05:28 C'est quand même très compliqué.
05:29 Et donc, en fait, ce qu'il faudrait faire, c'est vraiment prendre une focale un petit
05:33 peu plus distante et voir l'ensemble du projet.
05:36 Et c'est vrai qu'on se retrouve face à des dynamiques qui sont quand même assez intéressantes.
05:40 C'est-à-dire, comment est-ce qu'on convertit le business model d'une entreprise qui aujourd'hui
05:45 est basée sur l'économie de l'attention ? Comment est-ce que potentiellement on reprend
05:49 quelque chose comme Twitter Blue, donc cette formule d'abonnement qui préexistait à son
05:53 arrivée sur le territoire américain, qui était embryonnaire mais qui était bien là
05:58 pour vraiment transformer le modèle économique du réseau social ? Comment est-ce qu'il s'en
06:03 sert aussi pour agréger potentiellement un écosystème peut-être éditorial pourrait-on
06:08 dire, pour ne pas dire idéologique, autour de lui ? Ce lien entre politique et économie
06:13 a toujours été très présent aux États-Unis.
06:15 C'est Rockefeller.
06:17 C'est comment est-ce que l'État a adopté les premières lois antitrust contre des projets
06:22 de très grands entrepreneurs qui menaçaient le terrain politique ? Donc il faut vraiment
06:27 resituer ça sur le temps très long.
06:28 Parce que la désinformation, on n'a pas attendu Elon Musk pour en parler sur les réseaux
06:32 sociaux.
06:33 En tout cas, c'est une étude de l'Integrity Institute qui montre que Twitter fait partie
06:36 des réseaux sociaux qui véhiculent davantage de désinformation par rapport aux autres
06:40 plateformes.
06:41 Olivier Lascar, c'était déjà le cas avant aussi.
06:44 Comment vous l'expliquez ? On va peut-être parler justement du fait que cette certification
06:49 accentue ce phénomène.
06:51 En tout cas, comment on explique qu'un réseau social comme Twitter, c'est un des réseaux
06:55 qui véhiculent en effet le plus de mauvaises informations, de fausses informations ?
06:58 Alors, il a été construit comme ça.
07:00 C'est vrai que c'est très intéressant ce que vous dites là parce qu'il ne faudrait
07:03 pas croire que le Twitter d'Elon Musk est fondamentalement différent de celui qu'on
07:08 a connu avant lui.
07:09 Twitter est un lieu où les extrêmes sont extraordinairement visibles parce qu'on sait
07:18 que ça a été étudié par des sociologues, par des spécialistes de l'informatique.
07:24 Les commentaires les plus clivants, les plus tranchants sont ceux qui entraînent le plus
07:32 de...
07:33 Un mécanisme de viralité finalement.
07:36 Absolument.
07:37 C'est ces postes-là qui vont le plus par terre.
07:39 Parce que justement, soit on a envie d'aller dans leur sens, soit on est horrifié et on
07:42 explique pourquoi.
07:43 Donc ce sont des commentaires, ce sont des posts, ce sont des articles qui gagnent de
07:48 plus en plus de vues parce que c'est ça ce phénomène de viralité.
07:52 C'est la prime aux plus riches à chaque fois.
07:54 Donc évidemment, ce n'est pas un réseau où le commentaire pondéré, circonstancié
08:00 va faire floresse.
08:01 Par ailleurs, quelle est la condition de base de Twitter ? C'est ce nombre de caractères.
08:06 Ce qui est extrêmement stimulant d'un certain point de vue parce que ça entraîne, ça
08:10 oblige à synthétiser, à faire que sa pensée va à l'essentiel, etc.
08:17 Mais d'un autre côté, évidemment, la subtilité n'est pas de mise dans ces conditions-là.
08:22 Donc c'est un réseau social qui entraîne au clivage.
08:26 Moi j'avais un interlocuteur pour le livre qui m'avait dit "Twitter c'est une rivière
08:31 qui coule en bas de chez moi, de temps en temps je me pose sur le bord de la fenêtre,
08:36 je la vois couler, il y a parfois de jolies choses qui coulent dessus, des jolies fleurs
08:40 posées dessus.
08:41 Mais à d'autres moments, c'est assez cracrac".
08:44 Sur ce mécanisme de viralité propre à cette plateforme Twitter, Jean Catan, et peut-être
08:49 donc pourquoi ensuite, on répondra à cette question, pourquoi la certification payante
08:52 donc serait-elle une aubaine pour les comptes à l'origine de fake news ?
08:57 Déjà sur cette viralité des postes potentiellement les plus clivants, il y a une expérience
09:01 que chacun peut faire, c'est comparer le flux qui est le flux intitulé "pour vous"
09:06 en haut de l'application, c'est-à-dire le flux de recommandations algorithmiques,
09:09 et le flux avec vos abonnements.
09:11 Donc c'est là où vous avez un ordre chronologique des postes sans que l'algorithme n'intervienne
09:15 dessus.
09:16 Et là vous voyez ces deux salles des ambiances déjà.
09:18 C'est-à-dire que vous avez une ambiance où en fait vous avez que de l'achoppement,
09:22 du cynisme, de la conflictualité, de l'autre ça dépend intégralement de ce que vous
09:27 avez choisi comme compte à suivre.
09:31 Et donc en fait vous avez deux ambiances totalement différentes.
09:34 Donc on voit bien que le modèle lui-même est fait sur cette dynamique-là, c'est-à-dire
09:39 que si vous avez quelque chose d'un peu violent, un peu tapagère, notre attention est directement
09:43 attirée dessus.
09:44 Je crois que TikTok fonctionne à peu près de la même manière avec ce "for you"
09:47 "pour toi", et donc fait partie également avec Twitter, en tout cas des réseaux sociaux
09:52 et des plateformes.
09:53 C'est un peu différent, en tout cas qui accentue aussi ce phénomène.
09:57 Alors l'importance en effet de la recommandation algorithmique est vraiment ce qui a fait un
10:02 facteur distinctif de TikTok, c'est-à-dire que cette connaissance fine de l'usager c'est
10:05 ce qui lui a vraiment permis de monter très très haut.
10:08 Peut-être que l'algorithme de Twitter d'ailleurs fonctionne un petit peu moins bien, puisqu'il
10:11 n'a pas connu forcément le même succès, il n'a pas forcément aussi connu le même
10:14 succès de rentabilité.
10:15 Alors donc vient cette formule d'abonnement, de certification en quelque sorte des abonnés
10:21 qui payent 8 euros par mois sur le réseau, et qui se trouvent du coup, parce que c'est
10:26 quand même ça qui est fondamental, qui se retrouvent propulsés si vous voulez en tête
10:32 de pont, et donc qui se retrouvent favorisés par l'algorithme.
10:35 C'est-à-dire qu'on a un mécanisme maintenant de ligne à haute vitesse pour ceux qui ont
10:40 payé.
10:41 Donc la certification permet d'être boosté, d'être plus vu.
10:43 Oui, c'est un boost terrible.
10:45 Et donc comme à côté de cela il n'y a pas de mécanisme de modération qui soit vraiment
10:50 convenable à ce jour sur le réseau, c'est du moins le constat qui est fait par beaucoup,
10:54 dont la Commission européenne quand même, rappelons-le, et bien forcément on se retrouve
10:57 avec un système qui promeut de facto, par la combinaison de ces deux facteurs, et bien
11:02 potentiellement un petit peu plus de haine ici, un petit peu plus de fausses informations
11:05 là.
11:06 Oui parce que la condition c'est donc bel et bien de payer.
11:08 C'est la unique condition aujourd'hui pour bénéficier de ce petit badge bleu.
11:12 Alors ça semble l'être, mais avec Musk, vous savez c'est toujours des séries de
11:18 "on teste, on se crache, on recommence".
11:22 Donc il a lancé la chose, il l'a lancée déjà avec difficulté, parce que ça fait
11:25 quand même un moment qu'on en parle de ce badge bleu payant.
11:27 Comme Jean l'a rappelé très justement, ça existait avant Musk, ce projet de Twitter
11:33 Blue.
11:34 Donc aujourd'hui il semble bien quand même néanmoins que si on paye, on a le droit au
11:38 badge.
11:39 Ce qui veut dire qu'on passe d'une situation où précédemment, quand on était, quand
11:44 on était qui ? On était bien dans la sphère publique, une entreprise, une institution,
11:50 un homme ou une femme politique, entrepreneur, etc.
11:52 On avait ce badge bleu parce que Twitter, d'une façon assez opaque aussi, déjà à
11:57 l'époque c'était une boîte noire.
11:58 Moi j'ai eu le badge bleu, j'ai des camarades qui ne l'avaient pas, je ne sais pas pourquoi.
12:04 Je ne l'ai plus aujourd'hui.
12:06 Mais à l'époque c'était opaque, aujourd'hui il suffira de payer pour l'avoir.
12:11 Ce qui veut dire que n'importe quelle usine de fake news pourra sortir le carnet de chèques.
12:18 Pour eux, 8 euros, 8 dollars par mois, c'est rien du tout.
12:22 Et ils s'achètent une légitimité.
12:25 Voilà, ça pose problème.
12:28 Ça pose problème parce que ça veut dire qu'un média qui se prétendra "sciencé
12:32 à venir" alors qu'il n'est pas "sciencé à venir", s'il paye le badge bleu, a priori
12:35 il pourra l'avoir.
12:36 On va voir très vraisemblablement que dans la mise en application du dispositif, ça
12:42 ne se passera pas comme ça, parce que Musk ne pourra pas jouer ce jeu-là.
12:45 Il y a la question de la modération et de la commission européenne.
12:49 Les règles du DSA qui rentrent en application et qui imposent une modération des commentaires
12:58 qui incitent à la haine, cette règle va s'appliquer pour tout le monde, y compris
13:04 pour Twitter.
13:05 Et si Musk ne la respecte pas, il aura petit A de fortes amendes et petit B, il sera interdit
13:13 sur le territoire européen.
13:14 Et ça, il ne peut pas se le permettre.
13:16 On va continuer à parler de régulation, juste sur ce que vous venez de dire Olivier
13:20 Lascaux, sur cette création de faux comptes, cette usurpation d'identité, presque un faux
13:24 "sciencé à venir", un faux Conseil national du numérique.
13:26 C'est ça qui va se passer en fait ?
13:28 Non, on peut espérer que non, mais c'est déjà le cas pour certaines personnes et
13:31 on a pu avoir la preuve de gens qui sont "amusés" à créer des faux comptes pour montrer un
13:36 petit peu la dynamique.
13:37 Et c'est vrai qu'elle est potentiellement très dangereuse.
13:39 Il y a des institutions publiques aussi, comme le Conseil par exemple, qui ont perdu leur
13:43 badge bleu.
13:44 Il y a une politique maintenant qui consiste à demander des badges officiels, puisque
13:47 l'on peut demander des badges pour les autorités gouvernementales.
13:49 Donc c'est un autre mode d'authentification.
13:51 Et voilà, on va être dans la construction, dans le chaos.
13:54 C'est le scénario le plus optimiste qu'on puisse avoir.
13:56 L'autre, c'est finalement que ce soit complètement le désordre et finalement que personne s'y
14:01 retrouve.
14:02 Et c'est un problème même économique, puisque la confiance, c'est vraiment la première
14:06 base d'un système économique, qui est même un système économique fondé sur la pub,
14:10 a besoin de la confiance de l'ensemble des usagers pour prospérer.
14:14 Mais donc quelles conséquences ça peut avoir sur cette confiance, une perte générale
14:18 de la confiance en ce réseau social ? Vous parlez des entreprises, mais aussi du côté
14:21 des particuliers.
14:22 Ça veut dire qu'on n'y croit plus ?
14:23 Oui, et puis surtout le problème aussi c'est du côté de l'algorithme de recommandation.
14:27 C'est-à-dire qu'on a aujourd'hui un algorithme qui est partiellement publié par Elon Musk,
14:32 et donc on en est particulièrement heureux, puisqu'on avait même publié une tribune
14:35 disant "ouvrez l'algorithme de Twitter pour vraiment qu'il soit transparent et vu aux
14:38 yeux de tous".
14:39 On voit même avec les modifications qu'il est en train d'entraîner au jour le jour,
14:42 que c'est très difficile à comprendre, très difficile à lier, on ne peut pas vraiment
14:45 le tester, etc.
14:46 Et on ne comprend pas pourquoi est-ce qu'il y a des comptes qui ont tout d'un coup beaucoup
14:50 de visibilité.
14:51 Lui-même s'en est étonné, parfois sur ses tweets, à dire "mais je ne comprends pas
14:54 pourquoi est-ce que là j'ai aucune visibilité", et puis d'autres qui ont une visibilité
14:57 extrême.
14:58 Et ça pour des annonceurs, c'est terrible en fait.
14:59 Donc comment on explique cette absence de garde-fou ? C'est-à-dire cette opacité
15:03 donc avant Musk, et puis after Musk ?
15:07 En fait, les réseaux sociaux aujourd'hui ont toujours été, à l'exception de certains,
15:12 comme Mastodon par exemple, qui est un réseau social fondé sur un logiciel libre, ont toujours
15:16 été très fermés en fait.
15:17 Il faut se rendre compte de ce à quoi on fait face.
15:19 On fait face à des infrastructures sociales qui sont extrêmement fermées, sur laquelle,
15:24 et puisqu'on est ici sur une chaîne économique et business, il faut le rappeler, en fait,
15:28 aucun innovateur ne peut greffer d'innovation par-dessus.
15:31 Ce qui est assez nouveau en fait dans le monde de l'Internet.
15:34 On a toujours évolué par juxtaposition en fait de couches d'innovation les unes sur
15:38 les autres.
15:39 Aujourd'hui, on ne peut pas.
15:40 On est dans un écosystème entièrement verrouillé, et cela concerne Twitter mais
15:42 aussi tous les autres groupes.
15:43 L'enjeu aujourd'hui, c'est d'aller au-delà de ça et d'ouvrir les réseaux.
15:47 Donc là, il est obligé, c'est ce que vous disiez Olivier Lascar, il va être obligé
15:51 de se plier aux règles européennes en vigueur.
15:53 Absolument.
15:54 Alors elles sont en train de devenir en vigueur.
15:57 Ça va être un phénomène graduel.
15:59 Mais elles imposent une bonne modération.
16:04 Elles imposent aussi que des audits puissent être faits dans les sociétés de tech en
16:09 question, chez ces réseaux sociaux.
16:11 Ça veut dire qu'ils ouvrent littéralement les portes de leurs serveurs à des consultants
16:15 extérieurs qui seront mandatés par la Commission européenne pour que ceux-ci puissent dire
16:20 les données sont bien traitées, sécurisées, la modération est faite comme ci, comme cela.
16:25 Si Twitter ne le fait pas, il n'y aura pas une jurisprudence Twitter.
16:30 Je crois que la pire des choses qui pourrait se passer, c'est que les amendes ne soient
16:35 pas suffisamment conséquentes pour faire frémir l'oiseau bleu.
16:40 Et dans ce cas-là, Musk préfère payer plutôt que de respecter les règles.
16:45 Mais ce serait catastrophique pour l'image de l'Europe.
16:50 Je pense que Musk est quand même un personnage qui aime jouer avec le feu, mais qui sait
16:55 toujours à quel moment il faut retirer la main.
16:57 Parce qu'il a toutes ces activités industrielles dont on parlait.
17:00 Il a quand même été choisi.
17:02 Il a besoin de Twitter.
17:03 Il n'a pas d'intérêt à ce que Twitter ne soit pas utilisé sur le continent européen.
17:08 Absolument.
17:09 Il en a besoin.
17:10 Il a besoin de l'argent, de la publicité que ça va générer.
17:13 Mais il est en train d'essayer d'inventer quelque chose de nouveau avec ce modèle semi-payant
17:19 qui effectivement s'est vu ailleurs sur d'autres réseaux sociaux.
17:22 Mais Jean Quatain, j'aimerais qu'on revienne sur ce qu'on disait sur cette confiance.
17:25 Est-ce que finalement il y aura encore une légitimité, c'est ce que je disais en préambule
17:29 de cette émission, une légitimité à posséder un compte certifié ?
17:32 Voilà, donc il incarnait une forme d'excellence, de référence.
17:37 Si demain il n'y a plus ça, quel va être l'intérêt d'aller sur ce réseau social
17:44 pour des instances sérieuses, pour des entreprises, pour des particuliers sérieux ?
17:49 Donc ce sera quoi Twitter ? Ce sera le cercle fermé de ceux qui véhiculent des fausses
17:54 informations et de ceux qui ont envie d'aller les chercher aussi ?
17:57 Enfin voilà, je me demande à quoi ça peut ressembler à terme ce réseau social.
18:02 À terme, déjà il faut voir encore une fois, il faut reprendre un petit peu de distance
18:05 et se dire que potentiellement le mécanisme de certification demain ne sera pas celui
18:08 assez défaillant que l'on connaît aujourd'hui.
18:10 Donc potentiellement déjà les choses vont potentiellement bouger là-dessus.
18:14 Sur la modération, comme l'a rappelé Olivier, je veux dire, demain il y aura une obligation
18:19 vraiment de justifier des moyens qui sont mis en œuvre.
18:21 Déjà la Cour de cassation en France a ordonné à Twitter le mois dernier de révéler les
18:25 moyens qu'elle mettait à disposition pour la modération.
18:27 Donc là aussi, en fait, et c'est ça qui est assez intéressant, c'est comment est-ce
18:30 que la régulation devient un partenaire d'élaboration de la confiance dans une entreprise ?
18:35 En fait c'est la Commission européenne qui va fournir les clés de la confiance du réseau
18:40 social.
18:41 Et c'est rien non plus que Elon Musk a reçu à plusieurs reprises, tiré Breton, commissaire
18:45 européen en charge du numérique.
18:46 C'est parce qu'il doit savoir quelque part qu'en fait là il a un partenaire et une
18:51 entreprise, quand elle est régulée, en fait sait qu'elle a une longévité qui est beaucoup
18:54 plus grande.
18:55 Et ça c'est très important en fait.
18:56 Et c'est peut-être le paradoxe, c'est de la régulation que viendra peut-être la confiance.
19:00 Dernier point, donc son argument de liberté d'expression qui séduit beaucoup, ne marchera
19:06 pas éternellement, Olivier Lascaux ?
19:07 Il m'a toujours semblé que cet argument était l'un de ces contre-feux qu'il allume
19:14 régulièrement pour déplacer le débat sur autre chose.
19:17 Je prends un exemple encore avec le spatial.
19:19 Il parle tout le temps de la colonisation de Mars.
19:23 Aller sur Mars c'est un vrai projet de SpaceX.
19:25 Mais en parlant de ce projet qui est très clivant lui aussi, puisque les scientifiques
19:30 disent qu'on ne pourra jamais coloniser Mars vu les conditions de Mars en tant que planète.
19:35 En déplaçant le débat là-dessus, il provoque beaucoup d'émotions, il provoque beaucoup
19:41 de clashs.
19:42 Et ça permet de ne pas parler de la vraie colonisation qu'il a opérée en orbite basse
19:47 de la Terre pour y installer ses satellites Starlink, dont on s'est rendu compte finalement
19:52 qu'ils étaient là une fois qu'ils étaient installés.
19:55 Alors ils ne l'étaient pas tous, mais une fois qu'une grande partie d'entre eux étaient
19:57 installés.
19:58 Aujourd'hui avec Twitter et en disant "moi je fais ça pour la liberté d'expression",
20:02 il permet de ne pas se focaliser sur ces questions de monopole.
20:06 Parce qu'on a cet homme qui maintenant possède le spatial, l'automobile, Neuralink, on en
20:13 parle très peu mais c'est quand même incroyable ce qu'ils sont en train de faire.
20:16 Développer des puces à implanter dans les cerveaux pour commander les machines.
20:19 Là non plus ça ne sort pas du néant, ce n'est pas Musk qui invente ça.
20:22 En médecine ça fait des décennies qu'on implante des dispositifs comme cela, mais
20:27 c'est à visée médicale.
20:28 Lui il dit carrément que c'est pour contrôler les jeux vidéo avec la tête.
20:30 Pourquoi pas ? Ça on en parle peu.
20:35 En déplaçant le débat Twitter sur la question de la liberté d'expression, il permet de
20:42 déplacer l'attention de tout le monde.
20:44 On va terminer là-dessus.
20:46 Olivier Lascar, merci beaucoup d'avoir répondu à nos questions aujourd'hui dans Smartech.
20:49 Je rappelle que vous êtes rédacteur en chef de Sciences et Avenir et auteur de l'enquête
20:52 sur Elon Musk, l'homme qui défie la science.
20:54 Jean Quentin, merci beaucoup également d'être venu nous voir, secrétaire général du Conseil
20:58 national du numérique.
21:00 Merci beaucoup à tous les deux.
21:02 On marque une courte pause et on se retrouve tout de suite pour le rendez-vous.