En 1925, avec ses 90 mètres, la tour Perret était la plus haute tour en béton armé du monde. Fermée au public en 1960, les Grenoblois voudraient la remettre en service pour le centenaire, c'est à dire en 2025. Reportage de Gérard Fourgeaud.
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00:00 Bonjour, bienvenue dans Le Grand Format de France Bleu Isère, le reportage en longueur de la rédaction.
00:04 Aujourd'hui consacré à une vieille dame de 100 ans, la Tour Perret au centre de Grenoble.
00:10 Elle a été mise en service en 1925 mais elle a fermé au public en 1960.
00:15 Les grenoblois aimeraient la voir rouvrir pour le centenaire dans deux ans.
00:19 Le Grand Format de France Bleu Isère.
00:23 Bonjour Gérard Fourgeau.
00:24 Bonjour Jean-Michel Naga.
00:26 La ville de Grenoble et la Fondation du Patrimoine lancent donc une opération de mécénat pour boucler le budget de sa rénovation.
00:32 Une opération très compliquée Gérard.
00:35 La Tour Perret, c'est 550 marches, 90 mètres que les touristes ne gravissent plus depuis 1960 pour des raisons de sécurité.
00:42 C'est un monument classé.
00:43 Cette tour est un vestige de l'évolution des techniques du début du XXe siècle avec le béton armé.
00:48 En 1925, c'était tout simplement la plus haute tour en béton armé au monde.
00:54 Pour Cédric Ravenier, enseignant à l'école d'architecture de Grenoble, la Tour Perret est un phare de l'architecture.
00:59 Interview réalisé au sommet de la tour, d'où les bruits parasites que vous allez entendre comme le vent ou un hélicoptère.
01:05 C'est un chef d'œuvre architectural en tant que tel.
01:08 C'est vraiment les lignes pures à la Perret.
01:11 Donc un des architectes français les plus connus du monde.
01:16 C'est une structure très rationaliste, très fine.
01:18 Et puis c'est une structure qui est vraiment architérale au sens propre, qui est dédiée à l'architecture.
01:23 Et en l'occurrence, à l'époque, à la promenade architecturale, monter dans la tour, voir le paysage.
01:28 C'est un objet qui dialogue avec son environnement important.
01:32 Et puis c'est aussi dans l'histoire de l'architecture un monument important,
01:37 parce que c'est la première tour en béton armé du monde.
01:40 Ce n'est pas simplement parce que c'est une question de hauteur ou de tour,
01:44 mais parce que Perret, dans les années 1920, était dans une course à la hauteur avec toutes les théories des villes-tours.
01:53 Et les Américains qui construisaient en acier, les Français qui construisaient en béton armé,
01:57 il y avait une espèce de course comme ça.
01:59 Et Perret a réussi à montrer qu'on pouvait aller haut, vite et de manière économique avec la tour de Grenoble.
02:06 Donc là, ça a été un manifeste d'architecture important.
02:08 Quelle était la technique à l'époque ? Technique novatrice ?
02:12 Le béton armé était connu dans le monde de la construction, peu pour les constructions en ville.
02:17 On avait les premières règles de calcul qui sont arrivées au début du siècle,
02:21 mais on n'avait jamais construit aussi haut et aussi fin.
02:24 Puisqu'elle a un rapport hauteur-largeur qui est très étroit,
02:27 qui n'est pas sans rappeler les colonnes antiques grecques, évidemment, très chères à Perret.
02:32 Donc avec un ancrage profond dans le sol, ce qui n'était pas connu dans le monde de l'architecture.
02:38 Donc il y a eu aussi des débats dans les années 1920, cette tour va-t-elle tenir ?
02:43 Il y a eu des contradicteurs puisqu'on est complètement opposé à la construction massive et passive de la pierre de taille.
02:48 On utilisait le béton armé dans les constructions industrielles,
02:52 et peu dans l'architecture civile.
02:53 Après guerre et après la tour Perret, on a beaucoup utilisé le béton armé dans l'architecture civile.
02:59 Aujourd'hui, c'est un des très rares bâtiments des années 1920 dans son état d'origine.
03:04 Et puis, elle n'a pas été transformée, elle n'a pas été habitée.
03:07 Donc les ascenseurs d'ailleurs sont ceux d'origine, même s'ils ne sont pas utilisés.
03:11 D'où le fait de restaurer un édifice qui est à la fois un exploit de conservation,
03:15 puisqu'on va conserver un édifice de 1925, mais en même temps une intervention de sauvetage,
03:20 puisqu'elle est très attaquée par les dégradations.
03:25 Comment à l'époque on a fait pour monter le béton aussi haut ? Des échafaudages autour ?
03:28 Oui, échafaudage bois, avec une équipe d'une dizaine de personnes très rodées.
03:33 Et c'est là l'intérêt de Perret, c'est de montrer comment on peut être rationnel avec du béton armé.
03:39 Pas faire des gestes architecturaux gratuits.
03:42 Perret, pour lui, le module de construction c'est le coffrage.
03:44 Donc il a fait un dessin de coffrage qu'on pouvait manipuler à la main,
03:47 démonter, remonter et réemployer, avec une tour dont la structure est très modulaire.
03:53 Donc il y a une structure assez fine, poteau-poutre en béton armé.
03:58 Et Perret a réussi à monter de 3 mètres par semaine, c'est-à-dire un étage par semaine,
04:02 ce qui est énorme.
04:05 Et puis le reste, ce sont des éléments de remplissage, toutes les clostras,
04:09 des éléments de remplissage qui ne sont pas structurels, qui étaient préfabriqués en pied de chantier.
04:14 Donc il y avait un atelier de préfabrication pour le remplissage,
04:16 et un atelier de construction du béton armé, d'où l'hyper-efficacité dans la construction.
04:21 Alors aujourd'hui, quelles sont les contraintes pour la rénover ?
04:24 Il y en a beaucoup.
04:27 Effectivement, la première chose, c'est l'échafaudage,
04:30 puisqu'on va avoir un échafaudage de 100 mètres, mais on n'aura pas du tout le même que celui de 1925.
04:34 Et en plus, on ne peut pas s'appuyer sur la tour, puisque c'est la tour qu'on doit restaurer.
04:38 Donc rien que l'échafaudage, déjà, sera un beau chef-d'œuvre architectural.
04:43 Ensuite, les contraintes concernent le béton armé, puisque le gros de la restauration,
04:48 c'est les piliers du béton armé.
04:50 Les études ont montré plusieurs pathologies, ce qui est assez particulier sur la tour.
04:56 Et c'est pour ça qu'on a voulu aussi, avec les comités scientifiques, un chantier pilote,
05:01 qui est sous la direction de François Botton, architecte.
05:06 C'est qu'on n'a pas les mêmes pathologies à 10 mètres qu'à 100 mètres.
05:09 On n'a pas les mêmes pathologies au nord qu'au sud,
05:11 que la tour a un petit peu vrillé de 40 centimètres dans les parties hautes.
05:17 Et puis, la problématique, c'est de conserver un maximum de béton,
05:24 sachant que le béton est sulfaté, carbonaté et sulfaté,
05:27 donc pour garder de la matière originelle.
05:29 Mais le béton armé, il faut aussi le remplacer de la matière.
05:34 C'est toute la problématique du béton armé dans la restauration.
05:36 On entend bien l'hélicoptère, parce qu'il passe au-dessus de nos têtes, évidemment.
05:43 Mais la tour qui dépasse de presque 50 mètres,
05:47 ce qu'on appelle la skyline en bon anglais, de la ville de Grenoble,
05:51 fait qu'on entend beaucoup les bruits de la ville quand on est au sommet.
05:54 Les moindres voitures, parfois même les gens qui parlent au pied de la tour, on les entend.
05:57 Donc c'est un outil qui permet évidemment de voir les montagnes,
05:59 de voir la ville, de voir le parc,
06:02 à la manière des outlook towers de Patrick Geddes à la fin du 19e siècle en Angleterre,
06:07 qui proposaient que l'on construise des tours pour que les citoyens puissent monter dans les tours
06:11 et regarder la ville qui grandit.
06:13 Les villes ont beaucoup grandi à la fin du 19e siècle,
06:16 et c'était important de pouvoir voir grandir la ville.
06:18 A Grenoble, on pouvait aller dans les montagnes,
06:20 et monter au sommet de la tour, c'est ça, c'est aussi voir et comprendre la ville.
06:25 - Ça va être compliqué quand même de tenir le calendrier là ?
06:27 - Le calendrier est serré.
06:28 Le calendrier est serré, il y a eu, comme le dit M. le maire,
06:33 des nouvelles consultations d'entreprises,
06:35 mais on tombe sur le calendrier qu'on avait programmé au départ, il y a eu un décalage.
06:39 Mais pour l'instant, on est dans les starting blocks et le calendrier tient encore la route.
06:47 Ce calendrier prévoit une mise en service de la tour pour le centenaire de sa construction
06:51 et de l'exposition de la Ouille Blanche, donc en 2025, dans deux ans maintenant.
06:55 - Pour rénover cette flèche de 90 mètres de haut, Gérard Fourgeau,
06:59 c'est le lancement à la fois d'une campagne de collecte de fonds
07:02 et la recherche d'une entreprise qui n'abuse pas trop sur les tarifs.
07:05 Plusieurs maires en ont rêvé, Éric Piolle y arrivera-t-il ?
07:09 L'appel d'offres pour trouver l'entreprise qui rénovera la tour n'a pas encore produit de résultat.
07:14 La rénovation de cette tour est très technique et les entreprises ne se bousculent pas.
07:18 En écoute Éric Piolle.
07:19 - En ce moment, la question, c'est de trouver suffisamment d'entreprises
07:22 pour avoir un dialogue compétitif entre elles et qu'elles puissent faire des prix qui soient raisonnables.
07:29 Donc là-dessus, évidemment, c'est pour ça que nous avons décalé d'un an.
07:33 C'est que nous avons dit, là, la première offre, quand il n'y avait qu'une entreprise sur le lot le plus important,
07:38 c'est trop cher pour ce que nous estimions.
07:41 Et donc, on a renouvelé cet appel d'offres.
07:44 On a recherché plus d'entreprises en ayant un dialogue qu'on appelle un dialogue compétitif,
07:48 c'est-à-dire les mettant en concurrence et dialoguant sur ce qu'il y a à faire pour pouvoir faire baisser la note.
07:53 Le projet global, c'est 15 millions d'euros.
07:55 Il faut rappeler que nous sommes extrêmement soutenus,
07:58 extrêmement soutenus par l'État depuis le début de ce projet,
08:00 extrêmement soutenus par le conseil départemental de l'ISER et son président Jean-Pierre Barbier aussi depuis le début de ce projet.
08:07 Donc, ce lien du patrimoine, d'un patrimoine qui est classé, il est extrêmement important.
08:12 Et là, nous cherchons, nous avons dit, il faut fixer un objectif toujours.
08:15 On se fixe 2 millions comme objectif.
08:17 Pourquoi ? Ça donne juste le degré d'implication.
08:20 Si vous allez chercher 300 000 euros, vous pouvez dire, tiens, peut-être juste de la com et de la pub, ça suffit.
08:25 Si vous allez chercher plus, c'est le soutien de la Fondation du patrimoine.
08:30 C'est mon implication directe avec les entreprises.
08:32 Donc, voilà, c'est de la gueule.
08:34 C'est notre histoire. Et de même qu'en 1925, c'était notre histoire parce que c'était ce projet de Paul Mistral, le maire,
08:41 de se dire on va grignoter des terrains militaires et puis mettre en avant à la fois la dimension touristique,
08:47 mais aussi la dimension huile blanche.
08:48 C'était l'exposition universelle de la huile blanche et du tourisme.
08:51 Donc, c'est continuer cette histoire.
08:53 Nous sommes dans la transmission.
08:55 Du coup, c'est pas si facile que ça quand même de trouver des mécènes.
08:57 Ça demande de l'engagement et de l'énergie.
08:59 Il faut avoir un projet clair.
09:00 Le projet clair, nous l'avons maintenant.
09:02 Il faut qu'il y ait un caractère unique.
09:03 Évidemment, le béton, ça a été l'élément du 20e siècle, mais maintenant, ça veut dire c'est la réhabilitation des bétons pour le 21e.
09:09 Donc, le caractère scientifique et précurseur est fort.
09:12 Et il faut qu'il y ait de l'engagement personnel.
09:15 Et c'est vrai que c'était dans notre programme de 2014.
09:17 Nous avons voté en conseil municipal en 2016.
09:19 Nous avons fait les travaux, les projets d'études scientifiques.
09:22 Nous avons trouvé un architecte des monuments historiques.
09:25 Nous avons le soutien de l'État, du département.
09:27 Donc, c'est une étape qui marque toujours cet engagement de la municipalité, de moi-même sur ce projet.
09:34 Le budget est estimé à 15 millions d'euros, c'est la Fondation du patrimoine qui assure la collecte auprès du grand public.
09:40 Alain Robert est son délégué départemental.
09:42 Par rapport à cette rénovation, la Fondation, c'est toujours pour trouver, je dirais, les 10-15% qui manquent au financement.
09:50 Nous avons signé avec la mairie de Grenoble un partenariat. Et donc, avec toute l'équipe de la Fondation, de l'ISER,
09:58 nous sommes 12 personnes sur l'ISER, nous allons aider à trouver des financements.
10:06 Nous allons animer des soirées, tout ce qu'il faut, de façon à trouver cette somme d'argent.
10:13 Tous les anciens grenoblois connaissent la tour.
10:15 Oui, je pense que les gens vont donner. Ils sont attachés à cette tour.
10:20 Ça se dresse quand même plutôt aux entreprises, ce mécénat ?
10:22 Non, nous allons surtout nous occuper des particuliers.
10:25 Les petits ruisseaux font les grandes rivières, si vous voulez, d'autant plus que les gens qui payent des impôts sur le revenu
10:32 peuvent défiscaliser directement de leurs impôts 66% de leur montant.
10:37 S'ils donnent une somme de 100, en réalité, ça leur coûte 34. Alors il faut le faire savoir.
10:42 La tour Péret, c'est quand même le symbole, je dirais, au moins de la ville de Grenoble, sinon de la cuvette,
10:49 puisqu'elle a été construite en 1925 et c'était le phare pour l'exposition internationale de la Guelle Blanche et du tourisme.
10:58 C'est le seul monument qui est resté. Il n'était pas fait pour durer, mais finalement, ça a été construit solide
11:05 puisque c'est une vieille dame qui va bientôt arriver à ses 100 ans.
11:09 Alors vous dites une vieille dame de 100 ans, sauf qu'elle est fermée depuis 60 ans quand même.
11:13 Ça veut dire que le béton, il n'a pas tenu ses promesses.
11:15 Si vous voulez, il y a plusieurs choses. D'abord, à l'époque, si vous voulez, on n'avait pas.
11:21 On ne savait pas l'influence qu'allait avoir le béton sur le fer. Et donc, il y a des infiltrations qui font que le fer a rouillé.
11:36 Le béton a gonflé, donc le béton a éclaté. Et c'est pour ça qu'on voit partout maintenant la ferraille.
11:42 Donc, maintenant, c'était où il fallait la démolir ou la restaurer, la réhabiliter.
11:48 Enfin, ça fait plus de 20 ans qu'on en parle. Elle était déjà âgée. Elle avait presque 80 ans.
11:53 Voyez, elle a bien résisté encore. Et depuis 20 ans, on n'a pas trouvé de solution pour la financer.
11:58 Si toutes les municipalités ont dit il faut faire quelque chose, il faut faire quelque chose.
12:02 Et puis, plus on repousse, plus la somme à consacrer à cette réhabilitation est importante.
12:08 Et une fête est prévue le 13 mai prochain dans le parc Mistral pour accélérer cette collecte de fonds.
12:13 Alors, en attendant cet événement, impossible de boucler ce reportage sur la tour Perret sans évoquer l'histoire avec un grand H.
12:20 Et le passé, le côté sombre d'Auguste Perret pendant la seconde guerre mondiale.
12:24 Effectivement, début 1941, à 67 ans, Auguste Perret devient le premier président de l'ordre des architectes qui vient d'être créé.
12:33 Et il applique la politique du maréchal Pétain.
12:35 Il accepte notamment un décret limitant à 2% le nombre d'architectes juifs et francs-maçons dans le pays.
12:42 D'ailleurs, au Conseil d'administration de l'ordre siège le sinistre Louis d'Arquier de Pellepoix, commissaire général aux questions juives.
12:49 Et puis, par ailleurs, l'entreprise Perret participe à la construction des blockhouse du mur de l'Atlantique,
12:54 comme plusieurs centaines d'autres entreprises françaises sous-traitant pour les Allemands.
12:59 Interrogé sur la question, l'historien grenoblois Philippe Barrière, spécialiste de la résistance,
13:03 estime qu'Auguste Perret n'était pas un collabo notoire, mais qu'en raison de sa notoriété et de son âge,
13:09 il aurait pu ne pas accepter les responsabilités confiées par le régime de Vichy.
13:14 Un colloque d'historien, en 2016, rapportait qu'à la Libération,
13:18 on avait tellement besoin de ces architectes pour reconstruire le pays
13:21 qu'on a confié l'épuration des collabos à l'ordre des architectes lui-même.
13:25 Merci Gérard Fourgeau.
13:28 C'était le Grand Format de la rédaction de France Breezer, réalisé par l'Olacor,
13:33 une émission à réécouter en podcast sur francebleu.fr, sur l'appli ici et sur nos réseaux sociaux.
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