• l’année dernière
L’île de Jolo, située dans l'océan Pacifique, est longtemps restée inaccessible. Elle était le fief d’un des mouvements terroristes les plus violents au monde, Abou Sayyaf. En 2000, une vingtaine de touristes, dont deux Français, sont kidnappés en Malaisie et conduits sur cette île. Des journalistes partis couvrir cet enlèvement sont, à leur tour, capturés. Les négociations dureront plusieurs mois avant leur libération. Aujourd’hui, après 30 ans de combats avec l'armée philipine, Abou Sayyaf est en voie d’extinction. L’île devient une destination de vacances. Un reportage de Constantin Simon, Alexis Bregere, Sherbien Dacalanio et Aruna Popuri.
Né dans les années 1990, le groupe islamiste Abou Sayyaf a commis un grand nombre d'attentats à la bombe, d'assassinats, d'enlèvements et d'extorsions de fonds. Sa méthode d’exécution favorite était la décapitation au sabre. Son objectif : promouvoir l'indépendance d'un État islamiste dans le sud des Philippines. Aujourd'hui, les derniers membres de l’organisation restent retranchés dans la jungle et les montagnes. L’armée affirme avoir sécurisé l’île et a mis en place un programme pour aider les repentis d’Abou Sayyaf à abandonner la lutte armée pour réintégrer la société civile.

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News
Transcription
00:00 [Générique]
00:13 C'est une petite île du Pacifique, à l'extrême sud de l'archipel des Philippines, l'île de Jolo.
00:20 Longtemps, elle est restée inaccessible.
00:22 Pas pour des raisons géographiques ou climatiques, non, parce qu'elle était le fief d'un des mouvements terroristes les plus violents au monde, Abu Sayyaf.
00:30 Assassinats, enlèvements, piraterie, extorsion de fonds, ce groupe islamiste, né dans les années 1990, avait sa méthode d'exécution favorite, la décapitation au Sahapora.
00:42 Il revendiquait officiellement la création d'un État islamiste dans le sud des Philippines.
00:47 C'est en l'an 2000 qu'on découvre son existence ici en France, avec l'enlèvement d'un groupe d'une vingtaine de touristes, dont deux Français, kidnappés en Malaisie.
00:58 Ils sont conduits sur l'île de Jolo.
01:00 [Bruits de la foule]
01:15 J'en appelle au président des Philippines. Cette situation ne sera pas résolue par la force militaire ou par la violence.
01:24 Nous lançons un appel pour qu'on nous libère avant la fin du mois. Nous voudrions être à la maison tous ensemble.
01:30 S'il vous plaît, faites quelque chose, parce que maintenant, c'en est vraiment assez.
01:37 Les négociations dureront plusieurs mois avant la libération de ces otages.
01:41 Mais aujourd'hui, après 30 ans de combats avec l'armée philippine, Abu Sayyaf est en voie d'extinction et l'île de Jolo retrouve une forme de paix.
01:51 Les derniers membres de l'organisation terroriste sont retranchés dans la jungle et les montagnes.
01:56 L'armée affirme avoir sécurisé le territoire. L'île se rêve désormais en destination de vacances du terrorisme au tourisme.
02:05 Biller retour à Jolo, c'est un reportage de Constantin Simon, Alexis Bréjere, Sherbin Dacalagno et Aruna Popourri.
02:12 [Musique]
02:19 Ce sont des îles paradisiaques hantées par un démon. Un démon au visage d'enfant.
02:26 [Musique]
02:32 Sami avait 10 ans lorsqu'il a été recruté par Abu Sayyaf. Il a servi 6 ans dans l'un des gangs les plus violents de ce groupe terroriste.
02:40 J'étais en charge de la garde d'une otage qui était enceinte.
02:49 Je prenais soin d'elle car j'avais pitié d'elle.
02:59 Sa mère avait dit qu'elle était trop pauvre et qu'elle ne pouvait pas payer la rançon, même si on tuait sa fille.
03:05 Au bout d'un moment, ils ont décidé de la frapper à mort.
03:14 Ils lui ont donné des coups, lui ont marché dessus.
03:21 [Musique]
03:29 Elle me regardait, me suppliait. Je n'arrivais plus à faire face à son regard.
03:36 Ils ont fini par lui bander les yeux et par la décapiter.
03:47 [Musique]
03:52 Et comme si le sort s'acharnait, 10 jours avant notre tournage, la jeune épouse de Sami est morte alors qu'elle venait d'accoucher.
04:00 Des complications dues à cette naissance effectuées à domicile. Leur enfant aussi est mort d'une infection.
04:13 Quand elle était enceinte, j'étais si heureux, si impatient d'être père.
04:24 Je pleure souvent, je me dis que c'est à cause de tout ce que j'ai fait.
04:41 Depuis les années 70, le sud des Philippines est déchiré par une insurrection musulmane.
04:49 Plus de 100 000 morts. Et au cœur des combats, ces îles, aux confins de la Malaisie et de l'Indonésie.
04:55 Une terre d'islam dans ces Philippines catholiques.
04:59 Au nom de cette prétendue guerre sainte, à partir des années 90, une faction radicale appelée Abu Sayyaf place des bombes dans un avion puis un ferry.
05:09 A l'origine liée à Al-Qaïda, elle fait de Jolo, une île d'un demi-million d'habitants, sa capitale.
05:15 Un enfer où aucun étranger n'osait s'aventurer.
05:19 Venu des îles voisines, ces volontaires apportent des cadeaux et de la nourriture pour les enfants des villages reculés de Jolo.
05:28 Une mission rare sous escorte militaire.
05:31 Grâce à eux, nous sommes rassurés. Sans eux, je ne sais pas, on ne serait sûrement pas assez brave pour venir ici.
05:43 À Jolo, les humanitaires ont longtemps été victimes de kidnappings, comme les journalistes.
05:48 Nous serons accompagnés de militaires pendant tout notre tournage.
05:52 Cette médecin est la chef des volontaires.
05:56 Quand j'ai été posté ici, la situation était terrible.
06:09 L'endroit où nous allons, les militaires ne pouvaient pas s'y aventurer.
06:15 Sinon, il y avait immédiatement une embuscade avec des tirs.
06:22 Pendant plus de 20 ans, cette jungle était contrôlée par les islamistes d'Abu Sayyaf.
06:28 Au début des années 2000, ils étaient plus d'un millier à combattre, officiellement pour fonder un état islamique dans le sud des Philippines.
06:35 Aujourd'hui, ils seraient moins d'une centaine, cachés dans les forêts, désormais inactifs selon l'armée.
06:41 Cette victoire, fièrement affichée par les autorités, a été obtenue après de longues années de combat dans ces vallées coupées du reste du pays.
06:49 Des routes ont été construites, boueuses.
06:56 Elles représentent pourtant une avancée par rapport aux chemins de jungle du passé.
07:00 Voici le capitaine en charge de cette vallée depuis deux ans.
07:12 Un chrétien dans ses campagnes musulmanes, Ron Villarosa a toutefois grandi en Arabie saoudite.
07:17 On essaie d'ajouter la puissance des hommes à la puissance du moteur.
07:23 Avant, ces gens fournissaient de l'argent, des renseignements, de la logistique au groupe Abu Sayyaf.
07:28 Mais aujourd'hui, ils aident les forces gouvernementales.
07:31 Donc nous ne sommes pas simplement en train de gagner la bataille, nous sommes en train de gagner la guerre.
07:35 Et nous la gagnons avec tous ces gens autour de nous.
07:38 Nous laissons les volontaires pour suivre ce capitaine de 36 ans.
07:42 Sa spécialité, créer des liens entre la population et l'armée pour sécuriser sur le long terme les zones pacifiées.
07:49 On va monter.
07:57 Nous sommes aussi le bus de l'école de certains des étudiants ici.
08:05 En 2020, dernière attaque en date, 11 militaires ont été tués dans ce village.
08:11 La moitié des 150 habitants avaient fui pendant 10 ans.
08:14 L'autre vivait dans la peur.
08:17 Comme cette femme de 54 ans, la chef du village.
08:26 La plupart des maisons avaient ces barricades.
08:30 Quand les militants d'Abu Sayyaf venaient ici, nos femmes et nos enfants se cachaient dans la mosquée.
08:38 Et nos hommes se mettaient derrière ces murs pour faire face aux échanges de tirs.
08:44 Ça me donne des frissons de voir cette barricade.
08:48 Mais la paix n'est là que depuis quelques mois.
08:51 Donc je garde ma barricade.
08:56 Depuis 3 mois, les villageois déplacés par le conflit sont de retour.
08:59 35 maisons ont été reconstruites grâce à une aide des autorités de 350 euros par logement.
09:07 La plupart des villageois se présentent comme de farouches opposants à ces djihadistes
09:11 qui faisaient régner la terreur par des kidnappings incessants.
09:14 Mais le capitaine n'est pas totalement dupe.
09:17 Si Abu Sayyaf défendait une idéologie islamiste, son influence reposait surtout sur la pauvreté de ses campagnes.
09:26 On est arrivé ici, c'est une guerre. On n'aime pas la guerre.
09:30 C'est difficile.
09:31 Merci beaucoup.
09:36 Ces gens ont été recrutés essentiellement pour des raisons socio-économiques.
09:40 C'est ce qu'on appelle le concept de robins des bois.
09:42 Vous volez aux riches puis donnez aux pauvres.
09:44 Si vous volez aux riches des millions grâce aux rançons,
09:47 et bien ensuite vous pouvez donner de l'argent aux plus vulnérables.
09:50 En retour, ces gens aidaient Abu Sayyaf.
09:53 Ce que le gouvernement fait aujourd'hui, c'est de contrer ce concept
09:56 en devenant lui-même un robin des bois plus généreux pour les habitants.
09:59 Nous leur offrons des moyens de vie vraiment durables, de l'éducation, des routes.
10:03 Vous voulez venir ?
10:05 Nous allons vous montrer.
10:08 Rallier la population, mais aussi convaincre les djihadistes de renoncer à la lutte.
10:14 C'est l'autre priorité de l'armée.
10:16 Et pour cela, l'arme des soldats, c'est l'éducation.
10:22 Dans ce village, il n'y avait pas d'école pendant 21 ans.
10:25 Aujourd'hui, elle compte 150 élèves.
10:29 Avec même le week-end des parents.
10:32 Et parmi eux, des anciens combattants d'Abu Sayyaf.
10:36 Comme cet homme au bandana, un repenti de 60 ans.
10:40 C'est vraiment la honte pour moi. Je ne sais ni lire ni écrire.
10:54 Je ne connais même pas les lettres et j'ai du mal à prononcer les mots.
11:01 Quand j'étais dans Abu Sayyaf, quasiment tous les combattants étaient incapables de lire.
11:07 Parfois, on nous apprenait le Coran, mais moi, ça ne m'intéressait pas.
11:13 Cultivateur de plantes sauvages, Rado dit avoir été en brigadier après s'être retrouvé mêlé aux djihadistes lors d'un affrontement avec des soldats.
11:25 S'en sont suivis 23 années dans la jungle, 23 années de cache-cache avec l'armée.
11:31 Dès le matin, on était déjà en train de marcher. S'il pleuvait, il y avait de la boue partout et c'était difficile d'avancer.
11:40 On était toujours en train de s'enfuir. On ne pouvait pas vivre avec nos femmes ou nos enfants. C'était ma vie et je n'en veux plus.
11:46 Aujourd'hui, les autorités lui ont donné une machine qui lui permet de transformer ses plantes en cordes.
11:55 Le capitaine Villa-Rossa essaye de maintenir une relation avec Rado et les cinq autres repentis du village. Déjeuner entre anciens ennemis.
12:11 On mangeait du riz à moitié cuit et des légumes crus. Pour donner du goût, tout ce qu'on pouvait faire, c'était ajouter du sel.
12:18 Quand on arrivait à trouver un paquet de nouilles instantanée, c'était la fête.
12:24 Un paysan victime. C'est l'image que Rado veut donner de lui. Difficile de connaître la vérité.
12:30 Ce que l'on sait, les chefs d'Abu Sayyaf ont extorqué des millions de dollars en opérant des enlèvements très fréquents.
12:36 Une industrie du kidnapping qui a fait de ce mouvement à l'origine idéologique un groupe crapuleux.
12:46 Dans la zone qu'on contrôlait, des otages étaient amenés et gardés par d'autres groupes.
12:51 Des otages locaux surtout, mais aussi des Philippines, d'autres régions, et des étrangers, de Malaisie ou même des Américains.
12:58 Il ne fallait pas garder les otages au même endroit. Ils étaient déplacés en permanence.
13:03 Les Américains. Un terme générique, employé ici pour désigner tout occidental.
13:11 Les pirates d'Abu Sayyaf finiront par enlever des vacanciers sur les plages des pays voisins, faisant régner la terreur dans toute la région,
13:18 frappant durablement le secteur du tourisme aux Philippines.
13:21 Ces coups d'éclat font connaître l'organisation qui, en 2014, fait allégeance à l'État islamique.
13:27 Des combattants étrangers sont venus nous rejoindre, des Arabes.
13:35 Ils priaient cinq fois par jour et ils étaient vraiment déterminés à combattre, à mourir pour la cause.
13:41 Il y avait aussi une femme, une combattante qui portait le hijab, et des adolescents.
13:45 Le rêve de Rado est d'envoyer ses enfants travailler en Arabie Saoudite.
13:57 À Jolo, capitale de l'île, les kidnappings ont cessé aujourd'hui.
14:02 Les militaires veillent encore, mais pour la majorité des habitants, les années noires sont dépassées.
14:08 Une communauté reste encore très méfiante.
14:14 Majoritaire aux Philippines, les chrétiens ne représentent plus ici que 1% de la population.
14:23 Et en janvier 2019, en pleine messe du dimanche, deux kamikazes se font exploser dans la cathédrale.
14:31 23 morts et plus de 100 blessés.
14:33 On peut sortir, mais on doit être accompagnés par des militaires.
14:47 Quand on va au marché, on ne met pas notre habit de nonne.
14:50 Tout peut arriver. Ils sont juste partout à vous attendre, comme si vous étiez une proie.
14:55 Nous sommes de moins en moins nombreux.
14:58 Beaucoup sont partis, certains ne viennent plus à la messe parce qu'ils ne se sentent pas en sécurité.
15:03 Retour dans la jungle.
15:07 Les volontaires de l'association Tidwen Of War ont fini par atteindre ce village reculé.
15:12 500 enfants des zones anciennement contrôlées par Abu Sayyaf font bénéficier des aides.
15:27 Une fête rare dans ces villages longtemps dominés par le fondamentalisme et la pauvreté.
15:31 Nous retrouvons le capitaine Villarosa et ses hommes, en uniforme, plus festifs.
15:42 Un haut gradé a même fait le déplacement.
15:46 Encore !
15:49 Encore !
15:52 Il n'y a pas de chrétiens, de musulmans, de banyagas, de tchèques, ou autre chose.
15:58 Il y a une cohésion sociale, une diversité culturelle, ici dans la province de Moussoulou.
16:05 C'est génial de voir tous ces enfants et de penser qu'ils ne porteront plus d'armes.
16:13 Si vous voulez installer la paix, vous devez commencer par les enfants. C'est une phrase du Mahatma Gandhi.
16:19 La paix va-t-elle s'installer durablement à Jolo ? Les autorités en sont persuadées.
16:25 En septembre dernier, les Marines, ces commandos d'élite en charge de la lutte contre Abu Sayyaf, se sont retirés de la région.
16:32 Les communicants de l'armée rêvent d'un avenir touristique pour cette île mal aimée.
16:38 Ils ont inventé un slogan, Jolo, du terrorisme au tourisme.
16:44 Mais pour que les touristes osent s'aventurer ici, il faudra d'abord de longues années de paix.
16:50 Et voilà pour ce reportage sur l'île de Jolo. Un reportage que vous pouvez retrouver bien sûr sur France24.com.
17:03 Je vous dis à très vite pour un nouveau numéro de BiaisRetour.
17:07 (Générique)

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