La France et l’Inde ont noué un partenariat stratégique en 1998, permettant aux deux pays d’échanger de manière privilégiée. Mais un an après l’invasion russe en Ukraine, New Delhi demeure toujours ambiguë quant à son positionnement autour du conflit. Les pays occidentaux tentent tant bien que mal de faire pression pour exiger une prise de position claire à ce sujet. Sur le plan intérieur, le Premier ministre indien Narendra Modi, en fonction depuis 2014, issu du parti nationaliste hindou, mène une politique de plus en plus inquiétante sur le plan démocratique.
C’est dans ce contexte que la commission des affaires étrangères du Sénat auditionnait le mercredi 5 avril, Christophe Jaffrelot, directeur de recherche au CERI-Sciences Po/CNRS, sur les enjeux de la relation franco-indienne. L’apparente réticence de l’Inde à prendre position dans le conflit ukrainien peut-elle devenir un obstacle pour l’avenir de nos relations diplomatiques ? Comment la France doit-elle réagir face à la politique nationaliste menée par Modi ?
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C’est dans ce contexte que la commission des affaires étrangères du Sénat auditionnait le mercredi 5 avril, Christophe Jaffrelot, directeur de recherche au CERI-Sciences Po/CNRS, sur les enjeux de la relation franco-indienne. L’apparente réticence de l’Inde à prendre position dans le conflit ukrainien peut-elle devenir un obstacle pour l’avenir de nos relations diplomatiques ? Comment la France doit-elle réagir face à la politique nationaliste menée par Modi ?
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00:00:00 Merci beaucoup pour cette introduction et merci de m'accueillir pour échanger avec vous à propos de l'Inde,
00:00:09 effectivement, sachant que le Pakistan est aussi un domaine d'études, comme vous l'avez rappelé,
00:00:15 Monsieur le Président, et qu'on ne peut pas parler de l'un sans évoquer l'autre dans bien des cas.
00:00:22 Ce que je vais essayer de faire pour introduire notre conversation, c'est d'observer les deux évolutions
00:00:31 que vous avez d'ailleurs déjà évoquées en termes de politique étrangère. L'Inde a beaucoup évolué.
00:00:38 Je me rappelle avoir participé à la visite de Jacques Chirac en janvier 1998, lorsque le partenariat stratégique
00:00:45 entre la France et l'Inde avait été noué. On était au tout début d'une relation qui, depuis, n'a cessé de se resserrer
00:00:53 et l'Inde a, au cours de ces dernières décennies, connu des évolutions par lesquelles je commencerai.
00:01:02 Et puis, deuxième partie, c'est un plan à la Sciences Po, la politique intérieure qui, effectivement,
00:01:10 évolue elle aussi et évolue dans une direction qui peut nous inquiéter et cela tant d'ailleurs en termes de
00:01:23 traitement des minorités qu'en termes de réduction des libertés. Alors d'abord, cette évolution à l'international.
00:01:33 C'est-à-dire que l'Inde est devenue un pays central pour notre politique en Indo-Pacifique et d'ailleurs,
00:01:41 vous avez à l'écran la carte que nous avons construite à Sciences Po. Nous avons créé un observatoire franco-allemand
00:01:49 de l'Indo-Pacifique avec des partenaires de l'Institut de Hambourg, le GIGA. Et vous avez une carte qui vous montre
00:02:00 l'ampleur de la vision que la France a de l'Indo-Pacifique et la carte précédente vous montrait à peu près les mêmes frontières.
00:02:10 La France et l'Inde sont les seuls pays à avoir une vision aussi inclusive de ce qu'est l'Indo-Pacifique.
00:02:17 Cela va de la côte est de l'Afrique à la côte ouest des États-Unis. Aucun autre pays - nous avons fait 12 cartes sur ce site internet
00:02:26 montrant les visions de l'Indo-Pacifique de 12 pays - aucun autre pays n'a une vision aussi extensive.
00:02:31 C'est un des points que nous avons en commun, mais ce n'est évidemment pas suffisant pour faire un partenariat.
00:02:39 Et ce que je voudrais dire pour commencer, c'est que ce que l'on a vu au cours des dernières années, c'est un rapprochement
00:02:45 non pas seulement de l'Inde et de la France, mais de l'Inde et de l'Occident et ceci s'est trouvé un peu accéléré
00:02:52 et même beaucoup accéléré par les pressions chinoises. Et sur le petit diaporama que nous avons préparé,
00:03:00 si vous remontez au début de la série de cartes, vous en verrez une montrant les incursions croissantes de la Chine en zone himalayenne.
00:03:11 On en parle assez peu. On en a parlé en 2020, lorsque - voilà, à cet endroit-là, au Tibet, enfin au Ladakh,
00:03:21 qui est la zone frontalière du Tibet, eh bien, l'armée chinoise a mené une offensive dans la vallée de la Galwan
00:03:32 qui s'est traduite par la mort de 20 soldats indiens, jamais encore depuis 1967. Les échanges de tir et pas que de tir d'ailleurs,
00:03:46 et pas principalement de tir, c'est du corps à corps qu'il s'agit en fait. On est à des altitudes telles qui font que lorsqu'un soldat est frappé,
00:03:56 blessé, tombe dans une rivière, eh bien, il meurt. Et c'est ainsi que les 20 soldats indiens sont morts et jamais depuis 1967,
00:04:03 on n'avait eu un bilan aussi lourd. Alors, cette pression chinoise, je prends cet exemple, on pourrait en trouver d'autres.
00:04:09 Elle joue un rôle très important dans la façon dont l'Inde se tourne vers l'Occident. Et c'est à la suite d'ailleurs de cet échange,
00:04:18 de ce clash - j'ai cherché le mot français, mais il ne me revient pas - que l'Inde a accepté de faire que le Quad soit élevé au niveau ministériel.
00:04:34 Le Quad, c'est le symbole de ce rapprochement de l'Inde et de l'Occident et de l'Inde et des États-Unis, en particulier dans l'Indo-Pacifique.
00:04:43 Car jusque-là, les Indiens avaient souhaité ne jamais voir des puissances étrangères dans leur Maré-Nostrum, dans leur océan indien.
00:04:51 Et là, la pression chinoise est telle qu'on est plus que demandeurs de partenariats avec des Occidentaux, à commencer par les Américains et les Australiens,
00:05:06 pour résister. C'est le premier changement absolument remarquable qui nous amène à comparer, enfin à contraster la position actuelle de la position,
00:05:19 par exemple d'Indira Gandhi, qui, lorsque les Américains avaient mis un pied à Diego Garcia, avait poussé les Hauts Cris,
00:05:26 à l'époque, dans les années 70, il n'était pas question que les Américains viennent dans l'océan indien.
00:05:32 Aujourd'hui, on les invite, on les appelle et on veut faire le maximum de choses avec eux.
00:05:39 Avec eux et avec la France. Et ici, c'est bien sûr de la France qu'il faut plutôt parler.
00:05:44 S'il y a un rapprochement avec une puissance européenne, aujourd'hui, du point de vue indien, du côté indien, c'est la France.
00:05:52 La France, du fait de ce partenariat stratégique, bien sûr, qui est très fort, mais du fait aussi des échanges que vous avez évoqués en introduction
00:05:59 et principalement des achats d'armes. La France est devenue l'un des tout premiers fournisseurs d'armes de l'Inde.
00:06:08 Il y avait déjà un héritage. Rappelons-nous les Mirages, la visite de François Mitterrand en 1982, c'est le début.
00:06:16 C'est le début de vente d'armes de plus en plus importante, les Scorpène et puis maintenant les Rafale.
00:06:24 Donc on a une montée en puissance de ce partenariat, on peut le dire, stratégique et militaire, qui se traduit aussi d'ailleurs par
00:06:34 des accès mutuels réciproques à des bases militaires. La visite de Emmanuel Macron en mars 2018 a permis que les Indiens puissent accéder
00:06:47 à des bases militaires françaises dans l'océan Indien, notamment à la Réunion, avec une réciprocité. Et puis il y a bien sûr aussi
00:06:54 les manœuvres conjointes, les manœuvres Varuna, par exemple, qui sont très anciennes et qui permettent à des appareils, à des navires français et indiens
00:07:06 de tester leur interopérabilité. Le porte-avions Charles de Vau, lui-même, est allé dans la zone pour l'une de ses opérations,
00:07:17 d'exercice, si vous préférez. Et un autre point important que l'on ne saurait négliger, les gardes-côtes indiens font avec les gardes-côtes français
00:07:29 des patrouilles. C'est les seuls qui ne soient pas de la région qui sont ainsi invités à ce genre de manœuvre. Mais c'est que la France est de la région,
00:07:40 puisque la France est puissance résidente de l'océan Indien et que l'Inde le reconnaît et considère que c'est une bonne façon de travailler ensemble.
00:07:50 Voilà quelques éléments succincts, mais j'espère assez significatifs, qui illustrent le rapprochement de l'Inde et des Occidentaux, les Américains bien sûr,
00:08:02 les Français aussi. Maintenant, en parallèle, il y a une continuité avec la politique antérieure qu'on a qualifiée de non-alignement.
00:08:12 Et le non-alignement indien, eh bien, il se traduit aujourd'hui par le fait de ne pas prendre parti dans le contexte de la guerre en Ukraine.
00:08:24 Alors, c'est un positionnement très ancien qui remonte à la pré-guerre, puisque Jawaharlal Nehru, Premier ministre de l'Inde de 1947 à 1964,
00:08:35 avait posé les bases de cette attitude, refus de prendre parti pour un bloc ou pour l'autre. À l'époque, c'était bien sûr la guerre froide et il y voyait une violence insupportable.
00:08:47 Ça avait créé un mouvement, le mouvement des non-alignés, dont la culture est quand même très résiliente. Et on le voit dans le cas indien, mais on pourrait...
00:09:00 Et je suis prêt à y revenir dans la discussion. On la voit dans le cas indonésien, cette culture aussi. Et j'étais à Jakarta l'été dernier pour constater que
00:09:08 les différences entre ces deux pays n'étaient pas si grandes. Alors, on voit quoi ? On voit essentiellement un refus de prendre parti dans les instances multilatérales
00:09:18 contre la Russie, absence de condamnation de l'invasion russe de l'Ukraine, abstention quasi systématique au Conseil de sécurité où l'Inde a été membre non permanent jusqu'en décembre dernier,
00:09:32 abstention quasi systématique à l'Assemblée générale des Nations Unies lorsque la question ukrainienne est posée et parfois elle est posée pour des raisons humanitaires et ça ne change rien.
00:09:42 L'Inde ne se prononce pas. Ne se prononce pas contre la Russie ou pour l'occident. Comment expliquer cela ? Et ça, je crois que c'est vraiment la culture
00:09:55 internationale de l'Inde qui est à scruter de près. Il y a bien sûr un élément concret, la dépendance militaire de l'Inde vis-à-vis de la Russie.
00:10:08 Deux tiers des armements indiens sont d'origine soviétique ou russe. Et il y a bien sûr là une corde de rappel, une hypothèque qui pèse toujours sur la liberté de parole et d'attitude des Indiens.
00:10:27 Et c'est davantage vrai pour l'armée de terre que pour la marine mais c'est aussi très vrai pour l'armée de l'air. Vous avez certes des Rafales et des Mirages mais énormément de Sukhoi et puis encore des Migs.
00:10:42 Les Russes ont eu cette intelligence de ne pas vendre trop cher. Parfois, on peut penser qu'il y a eu du dumping et surtout de faire du co-développement, faire du transfert de technologie.
00:10:55 Les Indiens sont très demandeurs parce qu'ils n'ont toujours pas d'industrie de défense, de transfert de technologie. Et là, les Russes ont su faire de la coproduction.
00:11:06 Et pas seulement d'ailleurs dans les appareils que je viens de citer. C'est les Indiens et les Russes qui ont développé un missile à courte portée, le Brahmo, que maintenant l'Inde et la Russie vendent aux Philippines par exemple.
00:11:18 Donc on est sur du co-développement de technologies militaires. L'Inde en veut davantage encore. Encore une fois, je le rappelle mais c'est très important.
00:11:27 Voilà un pays qui n'a pas d'industrie de défense. Ils n'ont pas réussi à construire une industrie de défense. Ils ont besoin de l'aide internationale, extérieure plutôt, pour cela.
00:11:39 Et les Russes ont su être, je le répète, moins disants et généreux en transfert de technologie.
00:11:49 Mais ce n'est pas la seule explication de l'attitude indienne vis-à-vis de la Russie. C'est-à-dire que quand on lit les écrits du ministre indien des Affaires étrangères,
00:11:59 Jai Shankar, qui est vraiment en charge de la diplomatie indienne, Jai Shankar parle au nom de l'État indien et au nom du gouvernement indien avec toute la légitimité qu'il faut lui reconnaître.
00:12:11 Et lorsqu'on le lit, eh bien on constate qu'il y a deux autres raisons pour lesquelles l'Inde ne condamne pas la Russie.
00:12:21 D'abord, un anti-occidentalisme hérité de l'anti-impérialisme, on est en situation post-coloniale.
00:12:30 On n'est pas sorti d'un état d'esprit qui est l'héritage de la lutte anticoloniale. Et l'anti-impérialisme et le mot d'ordre, c'est quelque chose qui, en particulier,
00:12:42 s'adresse aux Américains, mais que tous les Occidentaux ont en partage. Première explication. Deuxième explication, et peut-être est-elle plus importante encore,
00:12:55 une vision du monde que Jai Shankar qualifie de plurilatéral. C'est quoi le plurilatéralisme ? Le plurilatéralisme, ce n'est ni le multilatéralisme, ni le bilatéralisme,
00:13:07 ni le nilatéralisme, bien sûr. C'est la capacité de l'Inde de faire avec des partenaires différents des choses qui soient distinctes les unes des autres.
00:13:18 On choisit de faire telle opération avec tel partenaire, et puis telle autre opération avec tel autre partenaire. Et plus il y a de partenaires possibles, potentiels, dans le jeu,
00:13:30 plus on a les mains libres, plus on a une marge de manœuvre grande. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu'on ne se lie jamais les mains avec un allié.
00:13:36 L'idée d'alliance, d'ailleurs, est bannie de l'Inde. On n'a pas d'allié en Inde. On cherche des partenaires, mais pour des opérations qui seront ponctuelles,
00:13:46 de manière à avoir la plus grande marge de manœuvre possible. Et dans ce cadre, dans cette vision plurilatérale du monde, eh bien, plus il y a de pôles,
00:13:58 plus il y a de partenaires possibles, mieux ça vaut. Et pour cela, l'Inde veut une Russie forte. Elle veut une Russie forte parce qu'elle dépend de la Russie pour ses armements,
00:14:08 mais elle veut une Russie forte pour élargir le champ des possibles. De même qu'elle veut une Union européenne forte. Une Union européenne forte, c'est aussi important pour l'Inde
00:14:17 parce que ça fait un pôle de puissance en plus dans le jeu. Ce qu'elle redoute le plus, c'est le monde bipolaire. Et manque de chance, c'est là qu'on va.
00:14:28 C'est dans cette direction que le monde est parti. Et c'est une des grandes hypothèques qui pèse sur la poétique étrangère de l'Inde.
00:14:35 C'est-à-dire qu'elle se trouve en un sens courtisée par tous. On l'a vu récemment, il y a eu un grand ballet diplomatique suite à l'invasion de l'Ukraine par la Russie.
00:14:48 Tous les pays ont envoyé des émissaires pour essayer d'amener l'Inde de leur côté. Mais comme elle n'est venue d'aucun côté, elle peut ne pas être seulement courtisée par tous,
00:14:56 mais finalement isolée et ne sachant pas comment gérer la bipolarisation, croissance du monde. Il y a là un défi qu'on va d'ailleurs voir se répéter au G20 du mois de septembre.
00:15:14 Le G20 du mois dernier, les ministres des Affaires étrangères ont montré les limites de l'exercice d'équilibrisme que l'Inde essayait de mener.
00:15:23 Faire un consensus sur la question ukrainienne, ça a échoué. Russie et Chine ont fait dérailler cette initiative. Ils vont remettre le couvert, si j'ose dire, en septembre.
00:15:36 Rien ne dit que ça marchera. Si véritablement il y a une division des puissances internationales autour de deux ensembles, l'Inde et son plurilatéralisme vont avoir des difficultés de positionnement.
00:15:54 Et là, il y a un défi qui est majeur. Donc voilà ce que je pouvais dire sur les questions internationales et sur la politique étrangère de l'Inde de manière brève, mais j'espère suffisamment claire.
00:16:12 La situation intérieure, je vais essayer de m'y attarder davantage parce que je pense qu'il y a là pour nous des interrogations qui doivent faire débat.
00:16:29 On a un lien de plus en plus fort avec ce pays sans toujours savoir où il va. Et mieux cerner sa trajectoire intérieure me paraît vraiment capitale.
00:16:44 Vous l'avez dit en introduction, l'Hindutva, le nationalisme hindou, est maintenant au pouvoir depuis 2014. Et cela se traduit par une forme de marginalisation des minorités du pays de plus en plus préoccupante.
00:17:05 Le nationalisme hindou, c'est quoi ? C'est une idéologie qui remonte aux années 1920. De toute façon, un siècle plus tard, nous sommes de retour aux années 1920,
00:17:14 les années d'entre-deux-guerres où se sont cristallisés tellement de nationalismes exacerbés. C'est une idéologie qui consiste à dire l'Inde est hindoue à 80%.
00:17:27 Les hindous sont les fils du sol, sont la population autochtone. Les minorités, les musulmans, les chrétiens en particulier, sont des pièces rapportées qui ne peuvent pas prétendre à un statut de citoyenneté entière.
00:17:40 Donc, on crée des citoyens de seconde zone et les musulmans sont les principales victimes de cette tendance. Tendance qui est à la fois de fait et de droit.
00:17:54 De fait parce que le mouvement nationaliste hindou est très puissant sur le terrain. C'est un mouvement qui remonte à 1925. C'est un des plus anciens mouvements de ce type au monde.
00:18:08 C'est comme si les différentes chemises de différentes couleurs qui se sont développées dans l'entre-deux-guerres en France avaient continué à prospérer.
00:18:17 Vous vous souvenez sans doute que dans les années 20, il y avait des chemises vertes, des chemises brunes, des chemises de toutes les couleurs.
00:18:23 Et bien, ce mouvement, il a une chemise blanche, il a un calot noir, il a un short khaki, il a des boots et puis une arme blanche.
00:18:33 Ça, c'est l'uniforme de ce mouvement. Ce mouvement est très puissant sur le terrain, car depuis un siècle, il n'a cessé de pénétrer la société.
00:18:41 Alors société très diverse, territoire très étendu. Nous parlons d'un territoire qui fait la taille de l'Union européenne, 3 200 000 km².
00:18:51 Et néanmoins, ils ont pratiquement implanté leur présence, développé leur présence partout, sauf dans l'extrême sud.
00:19:01 Et on les a vus développer un syndicat étudiant, un syndicat ouvrier, un syndicat paysan. Ils sont dans toutes les catégories de la société,
00:19:13 avec ce même discours que celui que j'ai présenté en introduction. Donc sur le terrain, ça veut dire quoi ?
00:19:20 Ça veut dire qu'il est de plus en plus difficile pour les musulmans de pratiquer leur religion, pour les chrétiens de pratiquer leur religion.
00:19:26 Des églises sont attaquées. Une juriste de la Croix est en train de faire un reportage qui va sortir pour le week-end de Pâques
00:19:34 et je vous recommande sa lecture, car ce sera du terrain détaillé. Et les musulmans sont la cible principale, de sorte que les milices,
00:19:48 les groupes paramilitaires qui patrouillent les campus universitaires, qui patrouillent même les villes, empêchent des musulmans, par exemple,
00:20:01 d'acquérir un logement dans des quartiers mixtes. La ghettoisation des musulmans est l'une des conséquences de ce processus.
00:20:09 C'est-à-dire, quand j'ai dit ghettoisation, je ne parle pas simplement du fait que les pauvres se retrouvent ensemble.
00:20:15 Un ghetto, au contraire, par définition, on le sait, c'est des gens de toute classe sociale qui se retrouvent ensemble du fait de leur identité.
00:20:25 Et donc vous avez des musulmans de classe moyenne qui sont très éduqués et qui ne trouvent plus à se loger dans des lieux où les hindous sont majoritaires.
00:20:37 Ça, c'est l'aspect de fait qui se traduit aussi par des violences, mais je ne veux pas être trop long.
00:20:42 Ceci dit, les cas de lynchage ont été assez nombreux et on fait quand même la une des journaux indiens, d'autant que les réseaux sociaux sont là pour les relayer.
00:20:54 Lyncher un musulman, ce n'est pas seulement faire un mort, c'est aussi impressionner toute la société et toute la communauté musulmane.
00:21:02 Donc ça passe par les réseaux sociaux, au point d'ailleurs que Mark Zuckerberg s'est ému de l'usage qui a été fait de Twitter, ce qui est rare.
00:21:14 De jurés, d'ayurés, eh bien on a des lois, des lois aussi qui mettent le sécularisme indien à rude épreuve.
00:21:23 L'Inde est sinon laïque, du moins séculaire, ça veut dire que toutes les religions sont reconnues sur un pied d'égalité dans la Constitution.
00:21:32 Mais on voit pour la première fois des lois qui donnent à l'hindouisme une primauté.
00:21:41 Un exemple, le Citizenship Act, la loi définissant la citoyenneté en Inde, a été amendée en 2019,
00:21:51 de sorte que seuls les non-musulmans issus du Bangladesh, de l'Afghanistan ou du Pakistan sont maintenant éligibles à la citoyenneté indienne.
00:22:03 Ce qui est en contradiction directe avec l'être et l'esprit de la Constitution du pays.
00:22:12 Autre exemple, au même moment ou presque, l'article 370 de la Constitution indienne qui donnait au Jammu et au Kashmir une autonomie particulière a été aboli.
00:22:23 Et le Jammu et le Kashmir, qui était un état de l'Union indienne, a été rétrogradé au statut de territoire de l'Union.
00:22:31 Et le Ladakh a été coupé, a été séparé et devenu un territoire de l'Union aussi à ce moment-là.
00:22:38 Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que la police de l'État est maintenant directement responsable devant New Delhi et non plus devant le gouvernement de la région.
00:22:46 C'est un effet de centralisation.
00:22:48 Et de fait, le Jammu et le Kashmir est sous l'administration directe de New Delhi depuis 2019.
00:22:55 Trois anciens chefs du gouvernement de cet état ont été emprisonnés pendant plusieurs mois et les élections sont reportées de loin en loin.
00:23:08 Ça, c'est l'aspect, je dirais, purement ethnique, ethno-religieux, qui fait que la démocratie est mise à mal du point de vue du multiculturalisme qui était la grande tradition indienne.
00:23:23 Rappelons-nous le Mahatma Gandhi qui était toujours prêt à défendre les minorités quand elles étaient attaquées.
00:23:32 Maintenant, la démocratie, elle est aussi mise en difficulté du point de vue de ce que nous appelons la tendance à l'illibéralisme.
00:23:44 Cette idée de démocratie illibérale me met toujours mal à l'aise parce que c'est une contradiction dans les termes et je préfère parler d'autoritarisme électoral.
00:23:53 On a un système où les élections continuent à être le mode de désignation du chef du gouvernement, des responsables,
00:24:06 mais entre les élections, on a des tendances autoritaires qui, finalement, rendent l'élection pratiquement redondante
00:24:17 parce qu'il n'y a pas la compétition politique qui permet que les élections soient libres et entièrement fiables.
00:24:26 Que se passe-t-il entre les élections ? Les institutions de l'État ont été prises d'assaut par le parti au pouvoir et la liste est longue.
00:24:41 Je me contenterai de mentionner deux ou trois de ces institutions. Le Central Bureau of Investigation, le FBI indien, est maintenant un bras armé du pouvoir et d'un pouvoir partisan.
00:24:57 La commission électorale, qui est censée organiser les scrutins de manière impartiale, est elle aussi peuplée d'amis du pouvoir.
00:25:09 Plus important, le pouvoir judiciaire. Partout dans ces pays, et je mets l'Inde maintenant quasiment dans la même catégorie que la Hongrie de Orban,
00:25:18 la Pologne de Kaczynski, Israël, aujourd'hui, partout, le pouvoir judiciaire est la cible privilégiée.
00:25:27 Et ce que Netanyahou cherche à faire aujourd'hui, Maudit a essayé de le faire dès qu'il a pris le pouvoir en 2014.
00:25:33 La première loi qu'il a fait passer, le premier amendement à la Constitution qu'il a fait voter, a consisté à changer la façon dont les juges de la Cour suprême allaient être nommés.
00:25:43 C'est toujours la même chose. La Cour suprême était nommée, elle est encore d'ailleurs, je vais vous dire en quoi, par d'autres juges.
00:25:53 Les juges se cooptent en quelque sorte et les juges des tribunaux des États désignent les juges de la Cour suprême.
00:25:59 La loi, le changement qui a été prévu par cette réforme, avait pour objectif de remettre la nomination des juges à cinq personnes seulement,
00:26:09 dont trois responsables politiques. Il n'y avait plus que deux magistrats dans le comité chargé de désigner les juges de la Cour suprême.
00:26:16 La Cour suprême a mis un pied dans la porte et empêché que cette loi passe, mais le gouvernement s'est vengé en refusant désormais
00:26:24 de nommer les juges que le collège des magistrats désignait pour occuper le poste de membres de la Cour suprême.
00:26:32 De sorte qu'en 2015, 2016, 2017, on a eu un nombre de juges partis à la retraite et non remplacés, qui a créé une vraie crise.
00:26:41 Et en 2017, la Cour suprême s'est résignée à ne pas chercher à nommer des membres nouveaux qui n'auraient pas la bénédiction du pouvoir.
00:26:51 Et donc on est dans une situation d'auto-censure de la Cour suprême depuis maintenant plusieurs années.
00:26:59 Et aujourd'hui même, d'ailleurs, un test intéressant va avoir lieu, puisque Raoul Gandhi a été disqualifié - je vais y revenir dans un instant -
00:27:05 et la Cour suprême va devoir dire si disqualifier le leader de l'opposition qui est Raoul Gandhi dans les conditions actuelles, c'est véritablement légal.
00:27:14 Sera-t-il, ira-t-il toujours dans la même direction de docilité vis-à-vis du pouvoir ou pas ? C'est un des gros enjeux.
00:27:22 Mais ça m'amène au troisième point que je voulais mentionner. L'opposition a une tâche de plus en plus ardue en Inde.
00:27:30 De très nombreux hommes politiques ont été disqualifiés, empêchés de se présenter aux élections, arrêtés.
00:27:40 Et puis ont bénéficié de la visite d'agents venus contrôler leurs déclarations d'impôts ou autres.
00:27:49 Et toutes sortes de raisons les ont mises hors d'état de nuire. C'est nouveau.
00:27:57 Raoul Gandhi, le leader du principal parti d'opposition, est dans la même situation aujourd'hui, puisqu'il a été condamné à deux ans de prison.
00:28:04 Et que deux ans de prison, ça l'oblige à démissionner de son mandat de député. Donc il est exclu du Parlement.
00:28:12 Il est exclu du Parlement parce qu'au Parlement, Raoul Gandhi était la voix qui était la plus détonnante, dissonante en tout cas.
00:28:22 Et on a donc un parti d'opposition, le Congrès, qui est privé de son leader, en tout cas dans l'enceinte parlementaire.
00:28:31 Et c'est une atteinte évidemment claire aux jeux démocratiques. J'en cite deux autres pour compléter ce tableau.
00:28:41 On a des restrictions à l'action de la presse qui sont de plus en plus fortes. Et si vous regardez les classements, quels que soient les classements,
00:28:49 vous regardez Freedom House, vous regardez Reporters sans frontières, tous les classements concernant la liberté d'expression en Inde
00:28:55 font dégringoler le pays vers la fin de la liste. Une des raisons étant que vous avez de plus en plus la prise de contrôle de médias indépendants
00:29:08 par des hommes d'affaires proches du pouvoir. Là, on retrouve le modèle Orban d'ailleurs. Exactement. C'est copier-coller.
00:29:14 De toute façon, bon, c'est une des choses à laquelle on travaille en ce moment à Sciences Po. C'est les communications internes ou externes d'ailleurs
00:29:23 entre ces personnalités qui en fait échangent les bonnes pratiques et bénéficient de conseils de marketeurs.
00:29:32 Certains d'ailleurs basés aux États-Unis. On a découvert que Abko Warwile conseillait beaucoup de ces personnes, pour n'en citer qu'une.
00:29:39 Alors la presse, les médias, notamment la télévision, ont été tellement mis en difficulté que par exemple, le grand mouvement que Raoul Gandhi
00:29:52 a animé ces derniers mois, une marche de 3.500 km de la pointe sud de l'Inde jusqu'au Jammu et Kashmir, a à peine été couverte dans les médias.
00:30:03 Dernier point. Parmi les dissidents potentiels, vous avez évidemment les ONG et les intellectuels. Et dans les deux cas, on les voit victimes de politiques très ciblées.
00:30:20 Les ONG en particulier, alors de toutes sortes. Il y a les ONG confessionnelles, bien sûr, les ONG chrétiennes qui ont tout de suite été ciblées
00:30:30 et ont perdu l'accès aux ressources étrangères. Et puis il y a les ONG qui sont plus de droit de l'homme, Amnesty International.
00:30:39 Bon. Deux exemples. Amnesty International ne peut plus fonctionner en Inde, a été empêchée de continuer son activité en Inde.
00:30:49 Compassion, une ONG chrétienne qui depuis 1968 travaillait en Inde à l'éducation des enfants et 140.000 enfants de toutes les religions
00:31:02 profitaient de leur activité. Ces deux organes, bien d'autres, ont perdu l'accès aux fonds étrangers. Et n'étant plus en mesure de collecter des fonds à l'étranger,
00:31:16 elles ont mis la clé sous la porte. On est passé de 30.000 ONG à une dizaine de milliers d'ONG aujourd'hui. En quelques années,
00:31:23 deux tiers des ONG indiennes ont dû renoncer à leur travail, alors que l'Inde est un pays d'ONG. S'il y a bien un pays où ce sont les ONG qui s'occupent des soins,
00:31:32 de l'éducation, c'est l'Inde. Et là, on a un vrai manque à gagner. Les intellectuels, c'est d'abord les universitaires. Les universités indiennes ont été,
00:31:47 pour la plupart, mises en difficulté par la nomination de nouveaux présidents. La grande université de Delhi, Nehru University, est le premier exemple,
00:31:57 mais il y en a bien d'autres. Et même les universités privées, qui, pour nous, étaient des partenaires. Et là, je parle au nom de Sciences Po.
00:32:08 On avait quantité de partenaires dans le monde de l'université privée. Eh bien, celles-ci perdent aussi leur liberté d'expression et rendent la collaboration très difficile.
00:32:17 Donc voilà un défi qui, pour nous, je crois, mérite réflexion. Nous sommes devenus un partenaire stratégique important d'un pays dont la trajectoire
00:32:30 politique intérieure n'est pas nécessairement celle que nous attendions et celle sur laquelle nous avions fondé nos premières actions.
00:32:39 Je conclue par l'économie parce qu'effectivement, et les graphiques que vous avez vus défiler le montraient, il y a de grands espoirs mis dans l'économie indienne.
00:32:52 D'abord, du fait de sa démographie. Effectivement, on a maintenant avec l'Inde le premier pays au monde en termes démographiques. Et la croissance démographique
00:33:01 va sans doute se poursuivre jusqu'à 2050. On travaille à l'Institut Montaigne. Il y a des projections en ce moment pour essayer justement de faire de la
00:33:08 prospective sur l'Inde. Et on se dit que probablement 2050 sera le pic. Ça peut être plus tard, 2060. Ça veut dire que l'Inde a un énorme potentiel aussi en termes de
00:33:19 dividendes démographiques. Vous savez, ce qu'on appelle le dividende démographique, c'est les 15-49 ans par rapport aux autres. Quand la catégorie des personnes en âge de
00:33:28 travailler est bien supérieure aux autres catégories qui ne sont pas en âge de travailler, alors on bénéficie d'un dividende démographique. Maintenant, ce dividende
00:33:39 démographique, il est tributaire d'une donnée forte qui est l'éducation. Car une population jeune n'est un véritable atout que si elle est éduquée. Et là, l'Inde continue à ne pas
00:33:53 investir dans ce domaine. On a des budgets d'éducation qui restent à 5-6 %, qui sont très très bas, avec des taux d'analphabétisme qui restent assez élevés.
00:34:04 Alors, on n'a plus de recensement. Ça, c'est un autre élément que les régimes autoritaires nous ont appris à connaître. Il n'y a plus de données statistiques. Les recensements
00:34:14 qui étaient décennaux depuis 1881, pour la première fois depuis 1881, le recensement n'a pas eu lieu et n'aura probablement pas lieu pour éviter d'en savoir trop.
00:34:26 Bon, alors on n'a pas de données récentes sur le taux d'analphabétisme, mais on sait qu'il était encore de quasiment 28 % en 2011 et c'est quelque chose qui,
00:34:39 évidemment, mérite d'être traité quand on parle de divende démographique. À côté de ça, il y a des fleurons dans cette économie qui restent les moteurs de la croissance,
00:34:52 une croissance vive, vigoureuse et évidemment, c'est le secteur du IT, des technologies de l'informatique qui sont les principes moteurs. L'Inde reste absolument imbattable
00:35:03 dans ce domaine avec de très belles entreprises, Tata Consultancy Services, Infosys, Wipro, qui sont des leaders mondiaux, qui continuent à caracoler en tête du CAC 40 à l'indienne.
00:35:18 Le point noir, c'est l'industrie. L'industrie ne cesse de perdre des parts de marché et ne représente plus guère que 15 % du PNB. C'est un pays qui, du coup, donne à son profil économique
00:35:40 des allures post-industrielles avant d'avoir été industriel. C'est les services qui, comme dans toutes les postes industriels, sont majoritaires. Mais l'Inde n'a pas industrialisé
00:35:54 sa société encore. Et du coup, il y a là un défi que Narendra Modi pensait relever en attirant des investisseurs étrangers, en faisant que ce soient des multinationales
00:36:07 qui viennent industrialiser l'Inde. C'était son grand programme "Make in India", qui, comme un des graphiques qui figuraient sur le PowerPoint le montrent,
00:36:17 ces investissements étrangers n'ont pas eu lieu. Deux points pour conclure sur l'économie. Ce que l'économie politique de l'Inde nous montre, c'est une évolution
00:36:29 vers un système oligopolistique. Et ça, c'est lié encore une fois au régime dont on parle. Les oligarques indiens sont les grands bénéficiaires du nouveau régime.
00:36:45 L'un d'entre eux, Gautama Dhani, est devenu en quelques années l'homme le plus riche de l'Inde. Et ceci grâce aux privatisations notamment,
00:36:57 puisque les privatisations d'aéroports, de ports lui ont permis d'acquérir, grâce à ses amitiés politiques, des grands fleurons des infrastructures indiennes.
00:37:09 Cela a un inconvénient, parce que c'est au dépend du rôle des régulateurs. Et tout récemment, il y a quelques semaines, Gautama Dhani a été accusé de malversation
00:37:24 et son cours de bourse a chuté dramatiquement, montrant la fragilité de ce genre de fonctionnement. C'est l'une des raisons pour lesquelles Raul Gandhi
00:37:33 et Persang Rata au Parlement, il était celui qui systématiquement annonçait les méthodes de Gautama Dhani. L'autre inconvénient de ce système oligarchique,
00:37:45 c'est qu'il a tendance à fermer le jeu et les entreprises étrangères ne sont pas bienvenues, car ce sont des compétiteurs que redoutent ces grands hommes d'affaires.
00:37:56 Vodafone en a fait les frais, Walmart en a fait les frais. Ce sont des grandes entreprises, Reliance par exemple, qui ne veulent pas voir arriver de compétiteurs
00:38:10 et qui du coup inventent ou trouvent les moyens de créer des barrières non tarifaires. Alors les barrières tarifaires sont déjà assez élevées,
00:38:20 mais les barrières non tarifaires, c'est encore plus redoutable parce que ça veut dire qu'on ne peut pas lutter avec les dominants locaux.
00:38:31 Je t'amènerai là-dessus, le protectionnisme est sans doute l'un des autres problèmes qu'il nous faut gérer, surtout à l'heure où le traité de libre-échange
00:38:45 avec l'Union européenne est en discussion, il y a deux ans ou presque. On a relancé la négociation sur ce traité de libre-échange.
00:38:53 La négociation avait duré de 2007 à 2013 et elle n'avait pas abouti. On a relancé la négociation sur un traité de libre-échange, Union européenne-Inde,
00:39:02 et les difficultés que l'on rencontre sont un peu les mêmes que dans les années 2010 quand on cherchait encore à faire affaire.
00:39:11 Le protectionnisme indien est très fort et de plus en plus fort, sachant que par ailleurs, ce qu'il demande à l'Union européenne est aussi de moins en moins acceptable par nous,
00:39:27 des visas pour des ingénieurs, pour des aromaticiens notamment. Donc on a, nous, côté européen, aussi des formes de protectionnisme qui se sont développées,
00:39:43 mais sur le terrain indien, c'est une des grandes difficultés. L'un des aspects de cette difficulté, et je t'amènerai par là, concerne la protection des données personnelles.
00:39:55 Aujourd'hui, quand on fait du commerce international, le e-commerce notamment implique que les données personnelles bénéficient de certaines protections.
00:40:07 L'Inde ne veut pas se doter d'une loi qui ressemble peu ou prou à la RGPD. Il n'y a pas de loi protégeant les données personnelles.
00:40:17 Elle préfère pouvoir garder l'accès à ces données et cela va compliquer singulièrement la conclusion de certains aspects de ce traité de libre-échange.
00:40:29 Ce n'est pas du protectionnisme là. C'est une forme d'implication économique d'une tendance politique.
00:40:39 La surveillance des citoyens doit permettre l'accès aux données personnelles, protéger les données personnelles. Ce n'est pas l'ordre du jour en Inde aujourd'hui.
00:40:49 Nous avons d'ailleurs, à la demande de l'AFD, organisé les 12 et 13 juin prochains à Sciences Po toute une journée sur ces questions de Digital India.
00:41:02 Qu'est-ce qu'une Inde digitale sans protection des données personnelles et qu'est-ce que ça implique pour nos collaborations notamment au plan économique ?
00:41:09 Donc ça c'est un autre des aspects qu'on doit situer au croisement du politique et de l'économique en vérité. Voilà, je m'arrête là. Merci.
00:41:21 Bien, Monsieur le Directeur, merci beaucoup pour cet exposé à la fois exhaustif, précis, passionnant, je trouve, et inquiétant, je le crois aussi, sur ce fantastique pays
00:41:38 qui nous réserve probablement des surprises voire des désillusions. L'avenir le dira. J'ai plusieurs collègues qui souhaitent vous poser des questions.
00:41:52 J'en ai six ou sept. Ce que je vous propose, c'est de les prendre et puis vous aurez ensuite le temps nécessaire pour y répondre.
00:42:00 La première question, c'est Joël Guerriot qui la pose, votre voisin.
00:42:04 Merci, Président. Il y a quelques années, enfin, il y a peu d'années, c'est en 2020, nous étions avec Uxori et puis Rachid Temal dans un groupe
00:42:14 qui travaillait sur un rapport sur l'Inde qui a été publié en juillet 2020 et qui porte le titre "L'Inde, un partenaire stratégique".
00:42:23 Donc nous étions dans cette conviction et malheureusement, nous avons été privés du fait de la pandémie de nous rendre en Inde et de voir plutôt que d'entendre.
00:42:33 Mais déjà, nous avions fait un travail qui nous avait permis de mesurer à quel point ce sujet est majeur pour l'avenir, je dirais, même de notre planète
00:42:43 du hégar à l'importance de l'Inde. Et je voudrais revenir sur un point que vous avez évoqué qui est la population de l'Inde,
00:42:49 à savoir aujourd'hui 1,4 milliard de personnes avec une évolution, comme vous l'avez dit, avec un pic qui sera attendu en 2050
00:42:56 qui serait entre 1,6 milliard à 1,7 milliard. Donc ça veut dire une population très très importante et je voudrais, parce que vous avez eu un exposé
00:43:06 très très intéressant où vous nous avez touché du doigt beaucoup de sujets, je sais combien c'est difficile de parler de tout puisqu'il s'agit là d'un très grand pays,
00:43:15 mais pour autant on n'a pas parlé de la population. J'aimerais vous entendre sur ce point à deux niveaux. Le premier, c'est sur le plan de la pauvreté,
00:43:26 parce que si l'Inde est un pays aussi important en nombre, c'est aussi un pays qui a le plus grand nombre de pauvres. Alors quel avenir attendre sur ce pays
00:43:37 à travers une lutte contre la pauvreté ? Est-ce qu'on peut espérer qu'un jour les choses aillent mieux pour cette population extrêmement mise à l'écart
00:43:48 et les conséquences que cela pourrait avoir en termes de révolte, de réaction par rapport à cette situation ? Et surtout si vous évoquez le fait maintenant que les oligarques
00:43:58 accumulent des fortunes alors même qu'il y a dans ce pays beaucoup à faire par rapport à ces personnes en difficulté. Et dans le même ordre d'idée, je voudrais,
00:44:09 quand on parle de population humaine, aujourd'hui on a aussi toujours une inquiétude, c'est le changement climatique et les conséquences sur le changement climatique
00:44:18 par rapport à des comportements qui sont des comportements évidemment peu propices à l'avenir de notre planète. Alors je voudrais savoir s'il y a des partenariats
00:44:27 que l'on pourrait attendre sur le plan énergétique, sur le plan développement durable, sur le plan environnemental entre la France et puis l'Inde.
00:44:34 Sur cet aspect, est-ce que vous pourriez nous en dire plus ? Eu égard également au fait que nous pensons bien sûr que c'est là un sujet majeur qu'il ne faut pas sous-estimer
00:44:45 par rapport à tout ce qui s'est passé autour des relations internationales. Vous avez parlé tout à l'heure de pluralisme. Est-ce que c'est dans le pluralisme un axe
00:44:52 auquel la France pourrait être le premier partenaire ? Merci. Merci Joël. François Bonneau maintenant qui a la parole.
00:44:59 Oui, merci Président. Merci également pour votre exposé qui était particulièrement intéressant et passionnant. Dans la compétition qu'on peut voir entre l'Inde et la Chine
00:45:14 notamment et que vous avez évoqué, il y a effectivement des choses qui jouent en faveur de l'Inde et d'autres pas. J'aimerais vous poser une question par rapport au système des castes en Inde
00:45:26 et si vous pouvez nous dire aujourd'hui ce que ça peut représenter comme frein pour le développement de la société indienne en parallèle des questions que vient de poser mon collègue Joël Guérin.
00:45:37 Merci François. Jacques Leney maintenant. Oui, merci. Votre exposé était très complet. Ma question rejoint celle de Joël Guérin. Quelle politique en matière de lutte contre le changement climatique l'Inde met-elle en place ?
00:45:55 Cette politique se fait-elle en coopération avec des partenaires particuliers ou sur des sujets précis ? Mais je voudrais aussi savoir quel regard vous portez sur la coopération tripartite
00:46:06 entre la France et les Émirats Arabes Unis et l'Inde qui a été lancée le 4 février dernier. Merci. La parole est à Jean-Noël Guérini maintenant.
00:46:19 Oui, merci président. Ce matin, en me levant, je vous ai écouté dans une radio publique et vous dites que le Premier ministre Moni venait de commettre une faute politique.
00:46:35 Vous ne l'avez pas dit comme cela il y a quelques instants en éminçant l'opposant Gandhi du Parlement dans le prolongement de sa condamnation pour diffamation envers le Premier ministre.
00:46:50 Pourriez-vous décliner succinctement cette position alors qu'il vient seulement d'interjeter l'appel ? Et pensez-vous que cette exclusion aura des incidences sur les élections générales en 2024 ? Merci.
00:47:11 La parole est à André Gatelin maintenant. Oui, merci monsieur le président. Monsieur le directeur, d'abord merci pour votre exposé et puis d'avoir soulevé la question des chrétiens d'Inde
00:47:24 parce qu'on parle beaucoup des chrétiens d'Orient dans cette maison. Et je me rappelle quand j'ai évoqué cette question il y a deux ans, les gens ont découvert qu'il y avait 72 millions de chrétiens
00:47:33 dont la grande majorité étaient catholiques et les conditions qu'ils vivent. Donc sur la question religieuse c'est vrai que c'est systématique. Il y a une seule exception que je note quand je vais en Inde, c'est le bouddhisme.
00:47:44 Et le bouddhisme tibétain. Alors c'est vrai qu'il y a un travail du Dalai Lama pour montrer combien le bouddhisme tibétain est lié à l'hindouisme. Il y a, je pense peut-être, la question du Ladakh
00:47:53 parce que c'est effectivement un des éléments stratégiques et géostratégiques de l'Inde par rapport à la Chine et comme la population tibétaine y est importante, ça joue un grand rôle.
00:48:04 Je voulais vous interroger aussi, je viens de terminer la lecture de "To Kill or Democracy" de Chanderi et Keynes que je trouve assez formidable sur le passage au despotisme.
00:48:14 Et ce qui est intéressant dans ce bouquin, au-delà de ce que vous avez rappelé, que vous refusez d'appeler l'illibéralisme et vous avez un peu raison, mais la rupture par rapport à l'organisation des élections, des systèmes d'équilibre et de justice,
00:48:28 il ajoute un troisième facteur qu'il appelle "social death", la mort sociale et comment d'ailleurs il montre que ce phénomène est antérieur à l'arrivée de Modi au pouvoir
00:48:38 et que quelque part, ce qu'il faisait dans une société extrêmement pauvre et inégalitaire, il y avait une notion de dignité malgré les classes et que tout ça est en train d'exploser de son point de vue au long cours,
00:48:52 renforcé par l'attitude du pouvoir de Modi.
00:48:55 Puis dernier élément, un sujet qui m'intéresse beaucoup qui est celui des influences étrangères.
00:48:59 Je suis toujours, je suis beaucoup l'Inde en ce moment et je suis assez étonné de voir que cette influence ne passe pas directement par les ambassades, les autorités,
00:49:09 ce sont beaucoup les sociétés oligobolistiques qui vont financer en Europe, à Paris, en région parisienne notamment, le premier grand temple, le plus grand temple d'Europe continentale d'hindouisme traditionnel.
00:49:24 J'ai échangé avec certains de ces grands patrons qui vivent tous à l'étranger, qui ne vivent pas en Inde, mais alors qui mettent énormément d'argent pour valoriser l'image ou l'influence en Inde,
00:49:36 en particulier en France mais dans le reste de l'Europe. Donc voilà, si vous avez des réactions.
00:49:40 Merci. Yannick Vaugrenard a la parole maintenant.
00:49:44 Oui, merci président, merci beaucoup monsieur le directeur pour votre exposé.
00:49:47 Il a l'intérêt de nous donner beaucoup d'informations et de nous mettre aussi en appétit de connaissance.
00:49:52 Et du coup, tous les sujets ne peuvent pas bien sûr être évoqués. Il y a un sujet sur lequel je souhaiterais vous questionner,
00:49:58 c'est sur la condition féminine en Inde et son évolution. Merci.
00:50:03 Gisèle Jourdat maintenant.
00:50:07 Merci monsieur le président. Monsieur le directeur, votre exposé était passionnant.
00:50:13 Alors moi, je souhaiterais poser une question qui va nous entraîner vers le monde spatial, les étoiles, la lune, etc.
00:50:21 Puisque depuis 1967, vous avez parlé, c'était très intéressant, du plurilatéralisme.
00:50:27 Je crois qu'ils ont su s'associer et prendre les différents partenaires depuis 1967 avec l'URSS.
00:50:34 Ils ont une très grande politique de développement des lanceurs à des coûts qui sont réduits.
00:50:41 Mais ils ont aussi beaucoup d'ambition. Vos labités, donc, objectif lune.
00:50:46 Mais ils ne s'interdisent pas de se préoccuper de Mars.
00:50:53 Et dans les évolutions géopolitiques de ce monde et cette course à l'espace, on se rend compte qu'ils sont fort bien placés.
00:51:02 Et qu'ils ont devancé beaucoup de prétendants. Et notamment, ils nous ont devancé à nous, les Européens,
00:51:08 par rapport à notre volonté avec l'Agence spatiale européenne.
00:51:13 Donc c'était un petit questionnement complémentaire, mais qui, je pense, est tout à fait d'actualité dans le monde de controversé que nous vivons.
00:51:22 Merci Gisèle. Et dernière question qui sera posée par Rachid Temal.
00:51:26 Merci, Monsieur le Président, Monsieur le Directeur.
00:51:29 Oui, c'est une forme de question parce que l'Inde, effectivement, est un futur géant.
00:51:36 Ce n'est pas déjà. On sait très bien que le Pacifique, c'est une des pièces majeures.
00:51:40 On sait bien que c'est une pièce majeure, notamment nous, pour notre défense, même s'il faut à chaque fois donner beaucoup de choses.
00:51:46 Et donc la question, c'est à quel moment ils seront en capacité de produire par eux-mêmes et être finalement des concurrents de notre industrie militaire.
00:51:54 J'ai envie de dire, mais ça, voilà. Après, il y a un sujet qui me tient à cœur. C'est qu'on le dit assez peu.
00:51:59 C'est que c'est un Premier ministre d'extrême droite et que dans n'importe quelle démocratie européenne ou autre,
00:52:05 nous exigeons des pétitions, des demandes de mise au banc, de fait de ne pas transférer un certain nombre d'armes ou autre chose.
00:52:12 Et c'est vrai que la question que... Alors c'est pour ça, moi, je ne sais pas si c'est une question, mais en tout cas,
00:52:17 comment expliquer ce silence assourdissant sur une orientation politique qui est quand même plus que problématique d'un Premier ministre
00:52:23 et qui, le pire, c'est qu'on voit bien que dans la société, si ce n'est que des discours, mais dans la société indienne, il y a des conséquences.
00:52:31 Il y a des morts, il y a quand même des pourgroupes. Je ne sais pas comment on peut parler de ça, mais tout ça existe.
00:52:36 Et pas juste des effets de manche. C'est une volonté dégémonique, on va dire culturelle, religieuse, qui devient une idéologie
00:52:46 dont l'Inde va s'aligner dessus. Et donc, ça pose des problèmes de choix de vie. En sachant que quand on connaît les conditions de naissance de l'Inde,
00:52:54 on n'est pas sans oublier qu'il y a eu quand même quelques millions de morts au moment où il y a eu la partition.
00:52:59 Et que ça a entraîné quelques guerres entre l'Inde, ce qui est devenu ensuite le Pakistan, et même le Bangladesh.
00:53:05 Voilà. Donc on est quand même aussi, à un moment donné, un pays très puissant, je l'évoquais, qui a à sa tête un régime qui peut poser de réels problèmes,
00:53:13 sans parler bien sûr du Cachemire, de l'Inde, de la Chine, etc. Enfin, tout ça, bon. Donc voilà. Donc ma question, c'est plutôt comme on voyait,
00:53:19 non pas ce que le Premier ministre, mais en tout cas, comment ça infuse dans la société. Est-ce qu'on peut considérer que c'est juste le temps d'un Premier ministre,
00:53:26 ou c'est plus profond que ça ? Merci.
00:53:28 Merci, Rachid. Et en fait, j'ai une question supplémentaire par Uxori.
00:53:32 Oui. Merci, Président, parce que je pensais que Rachid Temal allait évoquer le sujet dont je voulais parler.
00:53:37 Joël Guériaud, tout à l'heure, a rappelé un travail qui avait été effectué sur l'Inde, ensemble, Rachid Temal, Joël Guériaud et moi-même.
00:53:44 Quelques mois plus tard, nous sommes occupés à l'Indo-Pacifique. Et cette fois-ci, nous avons eu la chance de nous déplacer.
00:53:51 Vous avez montré tout à l'heure une carte qui, finalement, se superpose assez avec la carte française de l'Indo-Pacifique,
00:53:58 ce qui est un peu une particularité par rapport aux autres pays. Le fait que la France aussi se désigne comme puissance d'équilibre,
00:54:08 sans qu'on sache véritablement ce qu'il y a derrière ces termes, et que l'Inde – vous l'avez très bien expliqué –
00:54:15 ne prenne pas de position pour pouvoir continuer à discuter et commercer avec tout le monde.
00:54:23 Est-ce que vous pensez que ces différents rapprochements font de l'Inde un partenaire fiable sur l'Indo-Pacifique ?
00:54:29 Et est-ce qu'il peut, selon vous, y avoir des coopérations plus étroites sur ce vaste territoire avec ce pays, compte tenu de ses points communs ? Je vous remercie.
00:54:41 Voilà. Merci, Hugues. Monsieur le réacteur, vous avez grosso modo une demi-heure pour répondre à toutes ces questions, mais vous saurez le faire, je n'en doute pas.
00:54:51 Merci beaucoup. Toutes ces questions sont parfaitement, je dirais, pertinentes, et je vais essayer d'y répondre le plus précisément possible sans dépasser l'horaire.
00:55:06 Alors, la question de la population, effectivement, nous conduit à celle de la pauvreté et à celle du changement climatique.
00:55:15 La pauvreté, c'est une énorme tâche – alors, avec et sans accent circonflexe – parce que c'est quelque chose que l'Inde cherche en permanence à éviter, à éluder,
00:55:34 à nier. Et puis, c'est une énorme tâche parce qu'il faut s'y coltiner quand même. Nous n'avons plus les données statistiques qui permettent de mesurer le nombre de pauvres
00:55:47 parce que, comme je vous l'ai dit, on n'a plus d'INSEE à l'indienne. On a un National Sample Survey, qui est l'INSEE à l'indienne, qu'on empêche de travailler.
00:55:59 Bon, les statisticiens sont assez courageux pour faire le travail quand même et puis le faire passer, fuiter littéralement.
00:56:06 Et quand ils ont fait fuiter leur dernier rapport, en 2019, on a vu que pour la première fois depuis qu'il y a des statistiques en Inde, le pourcentage de personnes vivant sous le seuil de pauvreté avait augmenté.
00:56:18 Pour la première fois depuis 1971 que l'on a ces statistiques, on a vu le nombre de pauvres augmenter en pourcentage et ce, à cause de la pauvreté rurale.
00:56:29 Et ça va nous ramener à la question du changement climatique, d'ailleurs. On a un défi majeur. L'agriculture indienne est percutée par la croissance démographique.
00:56:41 Il faut nourrir de plus en plus de monde. C'est quand même tous les ans 15 millions de bouches en plus à nourrir. Vous ajoutez tous les ans 15 millions de personnes. C'est énorme.
00:56:51 Et deuxièmement, on a ces problèmes d'intempéries, de vagues de chaleur totalement anormales. Il a fait 40 degrés au mois de février à Bombay. C'est sans précédent.
00:57:03 On a eu ensuite des pluies qui n'étaient pas du tout de mousson puisque la mousson c'est pour juillet normalement. Et ça, ça pose le problème de la ruralité.
00:57:13 Alors, ces paysans se sont révoltés. Vous l'avez évoqué d'ailleurs dans votre introduction parce qu'on l'a oublié, mais les fermiers ont fait un mouvement de protestation
00:57:24 qui a duré pendant presque deux années contre les oligarques d'ailleurs parce qu'on voulait faire de l'agroalimentaire et donner à Adani et à Ambani les terres en quelque sorte.
00:57:34 Donc, ils ont réussi à faire reculer le gouvernement, mais ils continuent à protester bien sûr parce qu'ils continuent à souffrir.
00:57:40 Et il y a un grand programme qui avait été introduit par le précédent gouvernement, le National Rural Employment Guarantee Act, NREGA.
00:57:53 Un programme très important qui donnait à toutes les familles rurales victimes de sous-emploi l'équivalent de 100 jours de salaire minimum par an.
00:58:03 Une sorte de filet de sécurité si vous voulez, un début d'état providence en quelque sorte, une sorte de minimum, de salaire minimum rural.
00:58:13 Bon, ce programme a été démantelé ou en tout cas réduit et c'est pourquoi on a ces chiffres.
00:58:21 C'est-à-dire qu'on a vraiment une pauvreté de masse qui est niée, mais à laquelle il va bien falloir s'atteler pour notamment lutter contre la malnutrition.
00:58:35 Ça nous entraînerait trop loin de rentrer dans ces détails, mais vous avez des chiffres là pour le coup parce que les organismes internationaux, Oxfam en particulier,
00:58:42 Oxfam fait des coups de sonde qui permettent d'avoir des idées de l'ampleur de la malnutrition.
00:58:48 On n'a pas de famine, on n'a pas de malnutrition chronique et que l'on peut mesurer parce qu'on voit bien que les corps ne sont pas ce qu'ils devraient être s'ils étaient nourris comme ils se doivent.
00:59:03 Vous posez ensuite l'action du changement climatique et des partenariats.
00:59:09 Alors oui, l'Inde est directement frappée, l'Asie du Sud en général, et la zone du monde, une des zones du monde qui est le plus directement frappée par le changement climatique.
00:59:17 Avec en particulier un enjeu énorme, c'est la fonte des glaciers himalayens.
00:59:24 Les glaciers himalayens auront perdu un tiers de leur superficie, de leur volume d'ici 2050.
00:59:30 Ça va avoir un énorme effet sur tous les fleuves, qui d'ailleurs n'irriguent pas que l'Asie du Sud.
00:59:36 De l'Amour d'Arya jusqu'au Mekong, vous allez avoir, en passant par l'Indus, le Gange, le Brahmaputra,
00:59:42 vous allez avoir une réduction du débit de ces fleuves qui sont à l'origine quand même de la vie de centaines de millions de personnes.
00:59:52 Et donc on a là un enjeu que l'Inde cherche à gérer en investissant dans le solaire.
01:00:02 C'est le solaire, sa politique alternative.
01:00:06 Avec des partenariats français, Total Energy, Engie, on crée des partenariats.
01:00:15 Alors avec Gautama Adani pour la première entreprise, ce qui a posé d'énormes problèmes quand le cours de bourse d'Adani s'est effondré le mois dernier,
01:00:24 Total a commencé à essayer de retrouver une forme de sérénité qui tarde à se concrétiser.
01:00:34 Le choix des partenaires est compliqué et on n'a pas forcément les moyens de choisir, de décider,
01:00:41 parce que le pouvoir politique est lui-même proche de certains opérateurs.
01:00:48 Bon, le solaire a beaucoup d'avenir en Inde et c'est la politique majeure.
01:00:52 Maintenant, le charbon continue d'être la principale source de production électrique.
01:00:57 55% de l'électricité indienne est produite par le solaire à charbon.
01:01:05 Nous avons d'ailleurs le mois prochain toute une journée avec EDF sur la question des émissions et de la transition énergétique et l'Inde sera à l'honneur.
01:01:15 Et c'est intéressant de comparer le bilan énergétique indien par rapport à d'autres.
01:01:20 C'est une étude qu'EDF a menée de façon comparative et très intéressante.
01:01:26 La question qui suit, je m'excuse, on passe forcément du coca-l'âne, c'est la caste.
01:01:33 Alors ces castes continuent à jouer un rôle très important,
01:01:36 surtout pour ce qui est de ce qu'on appelle les intouchables, ce qu'on appelle encore les intouchables.
01:01:44 Les "achut", "chutna", c'est toucher.
01:01:47 Donc, c'est le contact physique qui est prohibé du fait du stigmate.
01:01:53 Le contact est polluant. Donc on ne touche pas ces gens et on ne vit pas à côté de ces gens qui sont dans les villages cantonnés à des hameaux séparés.
01:02:04 Ils ont leurs puits parce qu'ils ne peuvent pas venir tirer de l'eau dans le puits du village.
01:02:08 Cette intouchabilité-là, c'est quand même la grande difficulté de la société indienne.
01:02:14 Les autres castes se retrouvent plus ou moins.
01:02:19 Là, on a 15% de la société qui est à part.
01:02:23 Alors, c'est une société qui a quand même pris cette difficulté à bras-le-corps lorsqu'elle a mis en place,
01:02:30 dès l'indépendance, une politique de discrimination positive unique en son genre.
01:02:35 Parce que c'était très courageux de dire, il y a 15% d'intouchables, on les recense.
01:02:40 Dans le recensement, on veut savoir combien ils sont.
01:02:42 On leur réserve 15% des places dans l'éducation, 15% des places dans l'administration, 15% des sièges dans les assemblées élues.
01:02:50 Aucun pays au monde n'a essayé d'être aussi volontariste en termes de "commitment à l'action".
01:02:58 Et ça a apporté ses fruits. On a vu se développer une forme de classe moyenne intouchable, qui reste intouchable.
01:03:06 Le mariage reste une affaire de caste, mais en termes de classe, si vous voulez,
01:03:12 ils ont pu s'embourgeoiser, entre guillemets, et faire pression pour qu'il y ait quand même davantage d'efforts en faveur de ces catégories-là.
01:03:23 Cette politique est en train d'être remise en cause.
01:03:26 Et ça va de pair avec, je dirais, la dimension très conservatrice du gouvernement actuel.
01:03:32 On dilue cette politique, alors on la dilue indirectement à travers les privatisations.
01:03:37 C'est-à-dire qu'en fait, pour les intouchables, la planche de salut, c'est le secteur public.
01:03:44 Parce que c'est là que sont les quotas pour eux.
01:03:47 Dès lors que le secteur public fond comme neige au soleil, la part qu'ils ont dans ce secteur public diminue elle aussi.
01:03:54 Et aujourd'hui, vous avez du coup un retour en arrière, en quelque sorte, avec une perte de mobilité sociale ascendante.
01:04:02 Et ça, c'est une très mauvaise nouvelle.
01:04:06 Émirats, Arabes-Unis, Inde, France, oui, c'est très intéressant ce nouveau dialogue trilatéral.
01:04:13 Au moment même où d'ailleurs le dialogue trilatéral France-Inde-Australie reprend,
01:04:18 puisque après une période un peu compliquée, Inde-France-Australie reparlent dans l'Indo-Pacifique ensemble.
01:04:25 Et bien l'autre dialogue trilatéral qui lui a pris forme il y a quelques mois, c'est Émirats-Inde-France.
01:04:32 C'est-à-dire que je pense qu'on l'a vu à travers les cartes, pour les deux pays, France et Inde, l'Indo-Pacifique va jusque là, va jusqu'aux Émirats.
01:04:43 Et donc ça est partie d'une géopolitique qu'on partage.
01:04:48 La France a des relations très étroites avec les Émirats, notamment du point de vue militaire.
01:04:54 L'Inde a des relations très étroites avec la France, notamment du point de vue militaire.
01:05:00 Ce triangle, il est tiré par la dimension stratégico-militaire et par la dimension géopolitique.
01:05:08 Et donc il a certainement beaucoup d'avenir.
01:05:12 Une erreur politique que de disqualifier Raoul Gandhi.
01:05:17 Oui, je pense que Narendra Modi a peut-être fait la première erreur politique de sa carrière en prenant le risque de victimiser Raoul Gandhi.
01:05:32 C'est une forme de perte de sang-froid que ça reflète.
01:05:39 On ne se débarrasse pas comme ça d'un homme qu'on ne pense pas dangereux.
01:05:45 Franchement, le prétexte est très ténu.
01:05:48 Il a dit "tous les maudits sont des voleurs".
01:05:51 On a entendu pire dans la vie politique et pas qu'en Inde.
01:05:56 À cause de ça, il est condamné à deux ans de prison. À cause de ça, il perd son siège de député.
01:06:02 Pourquoi ça suscite une interrogation ? Est-il si dangereux que ça ?
01:06:10 S'il est si dangereux que ça, c'est que le pouvoir a des choses à craindre, des choses à cacher.
01:06:14 Et c'est principalement les questions de relations avec les milieux d'affaires qui sont en cause.
01:06:21 Donc je pense qu'il n'a sans doute pas proportionné la réplique à l'ampleur du danger,
01:06:30 suscitant deux choses.
01:06:32 Un soupçon, c'est qu'il y a des choses à cacher.
01:06:35 Et deuxièmement, je le répète, une victimisation d'un adversaire,
01:06:41 ce n'est pas une bonne chose.
01:06:44 Et du fait, c'est Maudit qui est en train de créer son adversaire.
01:06:50 En fait, c'est lui qui fabrique son opposant en lui donnant une aura qu'il n'avait quand même pas.
01:06:57 Pas encore en tout cas.
01:06:59 Alors là, bien sûr, la question la plus importante, c'est jusqu'où est-ce que ça va aller ?
01:07:03 Est-ce qu'il va vraiment être confirmé dans sa disqualification par la Cour suprême ?
01:07:09 Est-ce qu'il va aller en prison ?
01:07:11 Est-ce qu'il va être empêché de manifester s'il refait un grand mouvement dans la rue ?
01:07:16 Les étapes qui viennent sont très importantes.
01:07:19 On a des élections régionales dans cinq États qui précèdent celles qui auront lieu dans un an exactement
01:07:26 à la Lok Sabha, au Parlement, à la Chambre basse du Parlement.
01:07:30 On va suivre de très près cette chronologie, mais ça peut être un tournant.
01:07:36 Ça peut être un tournant dans cette histoire.
01:07:40 Oui, le bouddhisme, effectivement, est la religion qu'on ne considère pas comme exogène en Inde.
01:07:48 D'ailleurs, le Bouddha est présenté comme le septième avatar de Vishnu.
01:07:52 Ce qui est une récupération pure et simple.
01:07:56 C'est lié au fait qu'effectivement le Dalai Lama a tout fait pour que les Tibétains s'intègrent à la société.
01:08:06 Et finalement, ils l'ont pas mal réussi.
01:08:10 (inaudible)
01:08:12 Oui.
01:08:13 (inaudible)
01:08:14 Exactement, en considérant que bon, bouddhisme, hadouïsme, il y avait un continuum.
01:08:20 Ce qui n'est pas entièrement vrai quand même, parce que les intouchables qui cherchent à échapper à l'hindouisme,
01:08:24 ils vont où ? Ils vont dans le bouddhisme. Ils se convertissent au bouddhisme.
01:08:27 Ceux qui veulent vraiment sortir de la caste, c'est dans le bouddhisme qu'ils trouvent l'égalité.
01:08:32 Et pour d'une bonne raison. Le bouddhisme est égalitaire.
01:08:35 C'est la seule religion sur place à ne pas avoir reconnu la caste et appliqué la caste.
01:08:40 Maintenant, vous évoquez la question du Ladakh, et je pense que ça va être une question assez compliquée, en fait,
01:08:45 parce que bon, le Ladakh est maintenant occupé pour moitié par les Chinois depuis 1962,
01:08:51 a été privé de son statut d'État, c'est un territoire de l'Union qui a perdu toute autonomie.
01:08:59 Et les Ladakhis bouddhistes font de cette identité un levier pour récupérer de la substance, en quelque sorte.
01:09:09 Dans une zone aussi sensible stratégiquement, peut-être pas très malin d'avoir, en quelque sorte,
01:09:15 poussé un groupe à se montrer plus revendicatif sur le plan identitaire.
01:09:21 On peut craindre aussi là des formes de répression.
01:09:26 Je passe à la question concernant le rôle des grands patrons dans le monde,
01:09:36 parce que c'est une question très intéressante.
01:09:41 C'est vraiment intéressant. Le Parti communiste chinois, lui, utilise les branches du parti pour rayonner à travers le monde,
01:09:49 ou les instituts de Confucius. L'État indien, lui, utilise ces relais que sont les grandes entreprises.
01:09:58 D'une part parce que diplomatiquement, ils sont trop petits.
01:10:01 Il n'y a pas plus de diplomates indiens que de diplomates singapouriens. Ils sont 800.
01:10:06 Alors avec un nombre de diplomates aussi réduit, on ne peut pas couvrir densément toute la planète.
01:10:14 Oui, c'est l'Indian Foreign Service, l'IFS. C'est pour ça qu'ils sont si peu nombreux.
01:10:22 C'est le closed shop. C'est vrai d'ailleurs pour toute l'administration indienne.
01:10:28 C'est vrai pour...
01:10:31 Alors du coup, le relais de puissance passe par le secteur privé, qui est de fait très bien organisé.
01:10:39 Vous avez de très belles multinationales indiennes. Les Tata, bon, sont à la manœuvre.
01:10:46 Et vous les voyez beaucoup en Afrique, par exemple. Pas que l'Afrique orientale d'ailleurs.
01:10:51 On les voit maintenant. Tata vient de remporter un marché au Sénégal pour les bus.
01:10:55 C'est toute l'Afrique qui est leur champ d'exploration.
01:11:00 Et puis oui, en Occident, où ils sont bien sûr très présents en Grande-Bretagne.
01:11:05 Alors là, vous avez une revanche incroyable du colonisé sur le colonisateur.
01:11:10 Et quand Tata a racheté Rover et qu'il a racheté Jaguar, ça a fait la une de plusieurs journaux indiens, pour de bonnes raisons.
01:11:19 Maintenant, la diaspora est elle aussi contaminée par ce virus identitaire.
01:11:28 Et on a vu à Leicester, à Birmingham, il y a quelques semaines, des rixes entre hindous et musulmans,
01:11:35 qui étaient la réplique de ce qu'on avait vu en Inde.
01:11:38 Et Dieu sait si cette société britannique est multiculturelle, mais là, elle atteint les limites de son multiculturalisme.
01:11:45 Et c'est un vrai enjeu pour les États-Unis aussi, le Canada, où vous avez en plus les Sikhs, qui sont très militants,
01:11:54 la Grande-Bretagne, l'Australie.
01:11:56 C'est-à-dire qu'on voit combien le monde est devenu globalisé.
01:12:01 C'est-à-dire que des questions internes à la société indienne se retrouvent aux quatre coins du monde.
01:12:06 Évidemment véhiculées par les réseaux sociaux, véhiculées par Internet, on se nourrit aux mêmes sources.
01:12:13 On finit par avoir les mêmes identités et elles sont conflictuelles.
01:12:16 Donc cette capacité d'exportation, elle a aussi des inconvénients.
01:12:22 Mais elle est très, très forte.
01:12:23 Alors, elle a aussi une dernière limite.
01:12:25 Les hommes de main, entre guillemets, les proches de Modi, qui ont le plus investi à travers le monde,
01:12:31 sont justement ceux qui sont en difficulté.
01:12:33 Et c'est à nouveau Gautama Dani.
01:12:35 Gautama Dani a acheté une énorme mine de charbon en Australie pour alimenter les aciéries indiennes.
01:12:40 Il vient d'acheter le port de Haifa en Israël.
01:12:43 Il est le relais incontournable qui peut-être est le maillon faible.
01:12:51 Et ça nous ramène d'ailleurs à Raul Gandhi, parce que Raul Gandhi a bien vu qu'il y avait là un maillon faible.
01:12:55 Trop investir dans une puissance d'argent qui n'est pas entièrement propre sur elle,
01:13:00 c'est quand même un talent d'Achille ensuite difficile à gérer.
01:13:05 Alors, une très bonne question concernant la condition des femmes ensuite,
01:13:10 parce qu'elle nous ramène d'ailleurs à la démographie, cette question.
01:13:16 Ce que l'on sait des recensements les plus récents, c'est que ce qu'on appelle le sex ratio,
01:13:23 le nombre de femmes pour 1 000 hommes, a certes un peu augmenté, mais reste bien inférieur.
01:13:33 On a 900, j'aurai pas à dire de bêtise, mais on doit être à 970 femmes pour 1 000 hommes ou 980 femmes pour 1 000 hommes.
01:13:42 Bon, il manque des millions de femmes, ça veut dire.
01:13:45 Il manque des millions de femmes à cause de la pratique de l'avortement sélectif des fœtus féminins,
01:13:56 lié à la persistance de la dot, parce que, et c'est complètement contradictoire,
01:14:03 il y a moins de femmes, mais néanmoins, il faut toujours payer pour les marier.
01:14:07 J'explique ça aux économistes qui croient aux choix rationnels.
01:14:11 Voilà bien l'exemple que ce n'est pas la rareté qui fait le prix,
01:14:15 parce qu'il n'y a pas suffisamment de femmes pour le nombre d'hommes qu'il y a,
01:14:20 et néanmoins, il faut qu'elles payent pour pouvoir avoir un époux.
01:14:23 Bon, donc vous avez un énorme problème là de type démographique qui reflète un problème social,
01:14:30 parce que la fille est un handicap, est un fardeau.
01:14:36 Ensuite, alors elle va être, et ça c'est un développement récent assez préoccupant,
01:14:41 elle va être en concurrence sur le marché du travail avec les garçons.
01:14:44 Et ce qu'on observe aujourd'hui, vu le chômage, je ne l'ai pas évoqué ce point,
01:14:49 mais il y a un chômage massif. Les jeunes urbains sont à 38% au chômage en Inde.
01:14:57 C'est vraiment énorme.
01:15:00 Et les filles, en compétition avec les garçons, s'abstiennent de chercher un emploi de plus en plus.
01:15:05 On a un taux d'emploi des femmes en Inde comparable au Moyen-Orient.
01:15:09 On est à 16%, c'est très très bas.
01:15:12 Et donc c'est le reflet aussi de ce statut en retrait que l'on s'attend à voir occupé par les femmes.
01:15:23 Oui, le spatial est un point fort de ce pays.
01:15:31 C'est tout à fait à nouveau anthropologique comme explication.
01:15:35 Voilà un pays qui n'a pas réussi à s'industrialiser. L'industrie, le travail manuel en général, c'est pas leur truc.
01:15:43 Le brahman, la caste supérieure, c'est l'esprit, c'est un pur esprit, c'est le cérébral, c'est les maths.
01:15:53 C'est les maths leur truc. Ils sont très très forts. Ils ont d'ailleurs inventé le zéro, comme vous savez.
01:15:58 Ils ont des mathématiciens depuis l'Antiquité. Les maths les conduisent à la physique et à l'astrophysique.
01:16:07 Il y a d'ailleurs des observateurs astronomiques qui remontent là aussi au Moyen-Âge et qui restent en activité.
01:16:17 Bref, vous avez un tropisme scientifique qui va les conduire à investir dans le IT, bien sûr,
01:16:23 dans tout ce qui est informatique, dans tout ce qui est maths, dans tout ce qui est physique et donc dans l'espatial.
01:16:28 Et autant ils peinent à construire des chars, à construire des tanks, autant ils n'ont pas de problème pour faire des satellites,
01:16:35 pour faire des lanceurs de satellites, pour faire des missiles de longue portée et pour acquérir l'arme nucléaire,
01:16:42 puisque là aussi c'est de la physique et ils l'ont eue tout seuls. Ils se la sont donnée tout seuls, leurs bombes, à la différence des Pakistanais.
01:16:51 Donc effectivement, ça c'est, je dirais, le substrat culturel. On retrouve la culture quand même.
01:16:58 Mais le rôle de l'État n'est pas négligeable non plus. Tout comme nous avons fait le CNES,
01:17:04 et que c'est quand même aussi grâce au CNES que la France a de si belles réussites dans l'espatial,
01:17:10 l'Inde a fait l'Indian Space Research Organization. L'État a été le pilote qui a permis ce genre de réussite
01:17:20 et là on a un partenariat CNES-ISRO qui est un modèle du genre, mais qui est, comme vous le dites, aussi un compétiteur,
01:17:31 parce qu'ils ont des lanceurs qui mettent sur orbite géostationnaire des satellites très sophistiqués pour beaucoup moins cher qu'Ariane.
01:17:40 Et c'est pas difficile. Et donc là vous avez un énorme sujet. Ils sont en train effectivement de prendre des pas de marché,
01:17:47 surtout que les ratés récents d'Ariane ne nous aident pas. Et là, la collaboration se double de compétition.
01:17:56 Alors, dernière question, mais c'est pas la moindre. Silence assourdissant. Eh oui.
01:18:02 Eh oui, parce que nos partenariats stratégiques et militaires ne sont jamais débattus publiquement en France.
01:18:09 Où débattons des ventes d'armes que l'on fait à l'Arabie Saoudite, à l'Égypte, au Qatar ? Nulle part.
01:18:17 [INAUDIBLE]
01:18:19 Comment ? [INAUDIBLE]
01:18:20 Non, je sais bien, mais vous avez parlé de silence assourdissant et je pense très important de précisément se demander
01:18:29 quelles sont les enceintes publiques où la négociation de partenariats aussi important et de vente de technologies sensibles aussi importantes
01:18:41 pourraient être débattues, car on se rend compte après coup de l'ampleur du lien qu'on crée ainsi. Un lien insécable pour des décennies.
01:18:52 Mais votre propos, effectivement, est différent. La question est celle de savoir si, est-ce que Narendra Modi,
01:18:58 lorsqu'il aura quitté la Seine, permettra à l'Inde de revenir à la case départ ?
01:19:04 Alors moi, j'ai tendance à dire que le point de non-retour n'est pas atteint. On a encore une société civile.
01:19:12 On a encore des démocrates et des gens qui veulent revenir au statu quo ante.
01:19:21 Mais chaque jour qui passe permet à ces forces de pénétrer la société et l'État de plus en plus profondément.
01:19:33 Il y a de très nombreuses institutions qui sont maintenant, je dirais, acquises à ces forces politiques-là.
01:19:43 Et les éradiquer sera très difficile. C'était d'ailleurs, et c'est intéressant de le dire, ce que soulignait déjà le gouvernement précédent,
01:19:54 qui voyait ces forces pénétrer notamment les services de renseignement et qui se trouvaient les mains liées.
01:20:01 Ils avaient beau être au pouvoir politiquement, ils ne pouvaient pas se reposer sur ce qui aurait dû être un bras armé de l'État.
01:20:11 La pénétration de ces forces idéologiques étant déjà quasiment achevée. Donc il y a des institutions qui sont perdues.
01:20:19 Par contre, il y en a d'autres qui peuvent être regagnées, reconquises.
01:20:25 Et c'est non seulement, bien sûr, au gouvernement qui prendront la relève de l'assurer,
01:20:36 mais avant ça, la société de voter autrement quand elle le pourra la prochaine fois.
01:20:41 Et c'est là où, je le répète, mais l'acte de vote n'est plus l'acte libre et informé qu'il était.
01:20:51 Et donc ce biais pèse énormément.
01:20:56 C'est un problème qu'on rencontre dans quantité d'autres pays.
01:21:06 Est-ce que si Erdogan perd le mois prochain, la Turquie redeviendra ce qu'elle était ?
01:21:13 C'est un autre sujet et j'en suis bien d'accord.
01:21:17 C'était votre sujet d'hier, pardon. Mais on voit bien combien, finalement, les parallèles sont riches d'enseignement.
01:21:26 Moi, ma crainte, elle est plutôt ailleurs. Ma crainte, elle est plutôt dans le fait que l'opposition ne pourra pas prendre facilement le pouvoir
01:21:35 et le successeur de Narendra Modi viendra du même parti, mais n'aura pas la capacité à gagner les élections qu'il a aujourd'hui.
01:21:42 Il est populaire. Donc on vote. Si son successeur vient de son parti, mais n'est pas populaire, on ne votera pas.
01:21:52 Et donc là, on a un autre enjeu, un autre défi.
01:21:58 Que se passe-t-il quand l'Inde n'est plus en mesure de garder au moins cette feuille de vigne qu'est le scrutin tous les cinq ans ?
01:22:10 Et ce n'est pas une hypothèse totalement farfelue, car on voit qui est positionné pour prendre la suite.
01:22:18 Amit Shah d'un côté, ministre de l'Intérieur, Yogi Dityanath d'un autre côté, le chef du gouvernement de Ludhra Pradesh.
01:22:26 Et ils n'ont pas l'aura de Narendra Modi. Ils ne sont pas populaires.
01:22:31 Donc c'est une question qui est pertinente et qui nous oblige à nous projeter dans le temps.
01:22:37 Je n'hésite pas à chaque fois que je rencontre un responsable français, lui dire que faites-vous le jour où Yogi Dityanath,
01:22:44 où Narendra Modi, où Amit Shah devient Premier ministre de l'Inde ?
01:22:49 Et là, évidemment, il y a comme une espèce de sursaut parce qu'on voit bien que ce ne sera pas le même genre de personnalité.
01:23:03 Une dernière question, celle du Xori, s'il vous plaît.
01:23:07 Oui, elle est là, puissance d'équilibre. Excusez-moi.
01:23:15 Alors, puissance d'équilibre, oui, le mot est quand même... On préfère parler de puissance d'initiative.
01:23:22 Une puissance, la France, qui peut lancer des initiatives et puis créer les coalitions qui permettent de les réaliser.
01:23:32 C'est plus réaliste, c'est plus européen et européaniser la France, c'est une très bonne idée.
01:23:44 Maintenant, que l'Inde soit un partenaire fiable dans l'Indo-Pacifique, c'est une question vraiment difficile.
01:23:54 La crainte qu'on a, on en parlait d'ailleurs avec... J'ai eu la chance de pouvoir travailler avec l'équipe de Borrell et avec Borrell lui-même sur ces questions,
01:24:07 justement du point de vue de l'Union européenne. La crainte qu'on peut avoir, c'est que l'Inde ne soit pas en mesure de résister à la pression chinoise,
01:24:15 voire ne souhaite pas résister à la pression chinoise. Le déséquilibre est énorme. On est sur du 1 à 10 en termes de PNB, en termes de...
01:24:29 1 à 10. Et l'Inde dépend de la Chine pour son commerce d'une manière considérable. C'est son premier partenaire commercial.
01:24:38 Elle dépend de la Chine comme nous dépendons de la Chine pour sa pharmacie, pour tant de produits manufacturés.
01:24:46 Et deuxièmement, elle est maintenant cernée par des pays qui sont en train de basculer du côté chinois.
01:24:52 Le Népal, Sri Lanka, effectivement l'Afghanistan, le Pakistan s'est fait, le Bangladesh, Myanmar.
01:24:59 Elle est entourée de pays qui sont de plus en plus pro-chinois. Résister, ça veut dire s'affronter, ça veut dire en découdre, n'est pas à l'ordre du jour.
01:25:14 C'est-à-dire que cette carte est intéressante. Vous voyez toutes les incursions que font les Chinois du côté indien.
01:25:19 L'Inde regarde ailleurs. L'Inde nie que la Chine lui prend du territoire. Elle fait l'autruche parce qu'elle n'a pas les moyens de faire autrement.
01:25:33 Alors, comment dans l'Indo-Pacifique peut-on du coup compter sur l'Inde ?
01:25:39 Je pense qu'il faut plutôt voir la dimension maritime, ces manœuvres conjointes, ces garde-côtes qui travaillent main dans la main,
01:25:50 cette lutte contre la piraterie internationale, enfin la piraterie maritime dans cette partie de l'océan Indien.
01:25:59 C'est ça. Et puis penser environnement, gestion des océans, lutte contre la surpêche.
01:26:08 Toutes ces dimensions maritimes me paraissent les plus porteuses. Là, oui, on peut compter sur l'Inde.
01:26:16 En termes géopolitiques, géostratégiques, c'est beaucoup plus compliqué.
01:26:21 [Musique]