Michel-Edouard Leclerc, président des Centres E.Leclerc, est l'invité de 7h50. Retrouvez les entretiens de 7h50 sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50
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00:00 Il est 7h48, Léa Salamé, votre invitée ce matin est le président des centres Leclerc.
00:10 Bonjour Michel-Edouard Leclerc.
00:12 Bonjour Madame Salamé.
00:13 Merci d'être avec nous ce matin.
00:14 L'inflation est toujours la préoccupation numéro 1 des Français.
00:16 Une inflation générale qui atteint près de 6% en mars et plus de 15% sur les produits
00:21 alimentaires.
00:22 Lundi soir, dans son allocution, Emmanuel Macron a évoqué le pouvoir d'achat mais
00:25 sans annoncer de grandes mesures anti-inflation.
00:28 Vous le regrettez, vous l'espériez ?
00:30 Oui, je pense que ce sujet du pouvoir d'achat c'est celui qui traverse toutes les catégories
00:36 sociales en France, soit parce qu'il y a beaucoup de pauvres, soit tout simplement
00:40 parce que même les riches ils n'ont pas envie de se faire enfler et de payer trop
00:42 cher.
00:43 Et en fait on paye très cher en ce moment, on paye très cher l'alimentaire, un prix
00:48 d'ailleurs qui ne va pas forcément sur les exploitations agricoles, des prix d'importation,
00:54 des prix industriels.
00:55 On se masque beaucoup, les industriels se sont beaucoup masqués derrière la guerre
00:59 en Ukraine, la raréfaction de certains produits.
01:01 Enfin bon, ça commence à bien le faire quand on parle de café et de cacao, c'est
01:06 pas l'Ukraine.
01:07 Et donc il faut savoir qu'aujourd'hui on est sur 15-16% d'augmentation de hausse
01:13 sur l'alimentaire et sur les produits de consommation courante.
01:16 Moi ça se passe dans les magasins, donc c'est chez nous.
01:19 On n'a pas d'explication forcément à donner, les industriels ne sont pas transparents
01:23 et donc c'est vrai qu'il y a des tensions dans les magasins.
01:26 Vous ne comprenez pas par exemple, quelle augmentation vous ne comprenez pas ?
01:29 Le prix d'EHPAD de 40%, je n'ai jamais compris ça.
01:32 Par contre j'ai compris quand on m'a dit "tu n'auras d'EHPAD que si tu acceptes
01:36 34% de hausse en juillet dernier".
01:41 Bon ça j'ai compris que c'était à prendre ou à laisser.
01:43 Mais dites-moi, ça commence bien les négociations avec les industriels ?
01:45 Ah non, ça fait deux ans et demi que c'est comme ça.
01:47 Ça fait deux ans et demi que c'est comme ça, j'aimerais bien.
01:49 Sauf que là vous devez renégocier pour le dernier trimestre de l'année.
01:52 C'est très embêtant parce qu'on va devoir travailler ensemble sur les plans de décarbonation
01:56 puisque 96% par exemple de la décarbonation de l'euclère, ça va venir de la décarbonation
02:02 des produits que l'on vend.
02:04 Donc on a besoin de travailler ensemble.
02:06 Mais par contre aujourd'hui, on se frite parce qu'il n'y a pas de transparence
02:10 du tout sur cette inflation.
02:11 A partir d'où un chef de rayon, une caissière ne s'est pas expliqué aux consommateurs
02:17 pourquoi ça augmente de 20, de 30 ou de 40 ?
02:19 Mais pour protéger aussi les producteurs, pour protéger aussi les agriculteurs.
02:23 Mais voilà, on ne parle pas que de matières agricoles parce que d'abord la distribution
02:27 achète très peu à la ferme.
02:28 Nous achetons à des grands industriels qui s'appellent Nestlé, Danone, etc.
02:31 Lactalis, Bonduelle.
02:32 Ils ne sont pas transparents.
02:33 Alors là, le gouvernement et le Parlement qui travaillent à l'ancienne, c'est-à-dire
02:40 comme si on était du temps de la déflation, nous ont mis des lois qui sont appliquées
02:44 aujourd'hui et qui laissent passer cette inflation.
02:45 Il y a notamment une loi en mars dernier, vous ne décollerez pas contre cette loi,
02:49 qui vise à mieux encadrer les règles de tarification en cas de désaccord entre les
02:52 industriels et les grandes enseignes de la grande distribution.
02:55 Vous êtes contre cette loi ?
02:57 Oui, on est en pleine période d'inflation, les Français sont promophiles et là voilà,
03:01 des élus qui viennent dire "marge minimale de 10% pour tous les commerçants sur l'alimentaire".
03:06 Je ne sais pas pourquoi ils veulent me faire faire des marges minimales, ça ne va pas
03:10 à l'agriculture de toute façon.
03:11 Limitation des taux promotionnels et des opérations de promotion sur l'alimentaire,
03:16 mais maintenant aussi sur les lessives, sur les couches.
03:18 Pour moi, c'est anachronique.
03:21 Donc quand le président dit "je vais m'en occuper", moi je dis "tant mieux".
03:25 Parce qu'à Bercy pour le coup, il y a une Olivia Grégoire, il y a Bruno Le Maire,
03:29 il y a même le ministre de l'Industrie.
03:31 J'ai vu Madame Borne aller récemment chez un de mes concurrents, chez System U, à
03:38 Épernon, à côté de ça.
03:39 Donc je me dis, si cette sensibilité-là, plus consumériste, aujourd'hui va avoir
03:44 une part de voix plus grande dans l'expression du gouvernement, c'est tant mieux.
03:46 Oui, cette expression plus consumériste qui est à Bercy, on ne l'a pas entendue lundi
03:50 soir dans la bouche du président de la République, si je ne m'abuse.
03:53 Pas vraiment.
03:54 Donc lui, il est plutôt sur...
03:55 Il faut l'aider à changer.
03:57 Mais pourquoi il bloque à votre avis ? C'est pour protéger les industriels ou c'est pour
04:02 les agriculteurs ou les producteurs tout simplement ?
04:04 D'abord, première chose, cette nouvelle génération d'hommes et de femmes politiques
04:09 n'a jamais connu l'inflation.
04:10 Moi je vous en parle parce que je suis le plus âgé.
04:12 J'ai connu ces périodes d'inflation.
04:14 Moi, quand je suis rentré chez Leclerc, quand j'ai eu 15% d'augmentation de salaire, je
04:18 me croyais riche et bien doté.
04:20 C'était juste le taux d'inflation de l'époque où je suis rentré travailler.
04:23 Donc aujourd'hui, des taux comme vous voyez, moi j'avais appelé ça un tsunami.
04:27 On m'a dit "vous faites peur aux Français".
04:28 Oui, Bruno Le Maire était en colère.
04:29 Il vous avait dit "arrêtez de dire tsunami, vous faites peur aux Français, il n'y aura
04:32 pas de mars rouge, il n'y aura pas d'avril équerlate, c'est pas vrai".
04:35 Pour les Français aujourd'hui, 17%, c'est énorme.
04:38 Et si vous additionnez les inflations qu'il y aura entre mars 2022 et l'été 2023, on
04:46 va être supérieur à 20% de hausse.
04:49 C'est énorme.
04:50 Ça se passe dans nos magasins.
04:52 Nous, on est légitime pour demander des comptes et expliquer à nos consommateurs ce qui est
04:57 réaliste ou aller redemander des négociations à des industriels qui ont d'ailleurs versé
05:04 beaucoup de dividendes alors qu'ils nous avaient dit qu'ils ne pouvaient pas faire
05:07 autrement et que c'était à cause de l'Ukraine.
05:08 Vous aussi, vous avez fait des très bons chiffres d'affaires.
05:11 Oui, un chiffre d'affaires, ce n'est pas un dividende.
05:13 J'entends bien.
05:14 Mais vous aussi, vous avez fait une très bonne année.
05:15 L'inflation vous a servi aussi, Michel-Edouard Leclerc.
05:17 Vous faites +8,5% sur l'année.
05:19 Carburant compris, c'est 8,5%.
05:22 On fait 4% d'augmentation.
05:24 Carburant, on est à prix coûtant.
05:27 Les centres Leclerc, l'année dernière, ont acquis, si je puis dire, 500 000 nouveaux
05:35 clients parce que notre politique de prix bas les a fait venir.
05:38 Donc, ça a compensé nos baisses de prix.
05:40 On a un accroissement de chiffre d'affaires.
05:42 Mais vous vous rendez compte qu'au premier trimestre, déjà, nous avons 670 000 nouveaux
05:48 clients de par cette tension sur les prix.
05:51 Et si vous prenez les cinq enseignes, les meilleurs marchés, c'est-à-dire Leclerc,
05:56 Lidl, Aldi et Hyper U, c'est les quatre enseignes qui tirent toute la consommation
06:01 française, qui tirent la croissance.
06:03 Donc, ça montre bien qu'il y a un désir de prix bas, que quand vous vendez pas cher,
06:07 ça marche.
06:08 Et du point de vue industriel, vous voyez, il ne suffit pas de dire "je veux des hausses
06:10 de prix".
06:11 Si vous n'avez pas les ventes derrière, vous n'avez pas de revenus.
06:14 Donc, moi, je dis qu'aujourd'hui, pour aider l'agriculture française, qui en plus
06:17 exporte plus difficilement, eh bien, justement, on doit rendre tous ces produits-là accessibles.
06:23 - Mais vous voyez, Michel-Édouard Leclerc, hier, on avait un agriculteur au téléphone
06:26 qui nous a appelé le matin au Standard et qui nous disait "il ne faut pas baisser les
06:30 prix".
06:31 Pour nous, c'est une souffrance.
06:33 Il y a aussi le député Modem, je voudrais le citer, et vous réagissez, le député
06:37 Modem, Richard Ramos, qui s'en est pris à vous nommément.
06:40 Michel-Édouard Leclerc, à grand coup de pub, essaie de nous expliquer qu'il est le
06:43 monsieur anti-inflation, mais les prix ne doivent pas être les moins chers, mais les
06:47 plus justes.
06:48 Et s'il manque la loi, cette loi que vous n'aimez pas, permettrait à notre industrie
06:52 agroalimentaire de pouvoir toujours produire de qualité.
06:54 - Alors, Ramos, il a fait un truc bien, c'est la bataille contre les nitrites, ça, je le
06:58 crédite.
06:59 Après, il fait le fou du roi, quoi, c'est pas la peine.
07:00 Tous ces gens-là, même au Modem, ont été dire "depuis trois ans, il faut que les consommateurs
07:06 apprennent à payer plus cher leurs produits agricoles".
07:08 Comme les écologistes, il faut que les consommateurs acceptent de payer plus cher ce qui va coûter
07:13 plus cher à produire.
07:14 - Et ça s'entend pas, ça ? - Non.
07:16 Aujourd'hui, ça s'entend pas, parce que les revenus n'ont pas augmenté à due proportion,
07:20 parce que c'est dur pour les foyers français.
07:21 - C'est dur aussi pour les agriculteurs.
07:23 - Mais justement, les agriculteurs sont protégés, c'est ça que je voulais vous dire.
07:26 Les agriculteurs ne sont pas concernés.
07:27 Ils interviennent dans ce débat, parce qu'ils ont une part d'audience élevée, mais les
07:33 agriculteurs sont protégés par une loi qui fait que la matière première agricole et
07:37 les coûts de production agricole sont automatiquement transposables aux consommateurs.
07:41 Donc, là-dessus, ils sont protégés par cette loi.
07:44 Mais quand les gros se cachent derrière les petits, quand Procter, Mars, pour des barres
07:48 de chocolat, pour des céréales petit-déjeuner où le coût de matière première est très
07:52 faible, quand des yaourts allégés où la part de lait est très faible, viennent nous
07:56 demander des hausses considérables, moi je me sens en droit, et les centres Leclerc
08:00 se sentent en droit de négocier durement et en tout cas de demander de la transparence.
08:04 - Et donc, qu'est-ce qui va se passer ? Là, vous êtes en train de négocier, donc vous,
08:07 les grandes enseignes de la grande distribution, vous allez voir ces industriels, ces distributeurs,
08:12 et vous négociez les prix des yaourts, les prix du sucre, les prix des pâtes.
08:14 Qu'est-ce qui va se passer ? L'inflation va continuer à monter jusqu'à l'été, c'est ça ?
08:17 - Jusqu'au mois de juillet, on va avoir la répercussion des hausses tarifaires fin mars.
08:24 La loi nous oblige à répercuter ces tarifs, mais selon le degré d'agressivité des distributeurs,
08:36 ça va être traduit en prix de vente jusqu'au mois de juillet.
08:38 - Donc ça va continuer d'augmenter jusqu'au mois de juillet.
08:41 Et ensuite, à la rentrée, à l'automne, ça va baisser ?
08:43 - Alors, en ce moment, Bruno Le Maire vient d'écrire à tous les industriels pour dire
08:48 que les indicateurs internationaux font que les marchés sont en train de baisser.
08:52 Je voyais le colzac -45%, le blé -30%, le maïs -30%, le PET, l'aluminium, le carton...
08:59 - Et ça, ils vont le voir quand, les Français, dans le prix ?
09:02 - Je vous le dis, c'est concret.
09:03 Vu du carrelage, là, actuellement, nous avons une loi, normalement, nous ne pouvons pas renégocier.
09:09 La loi française nous dit "Vous négociez qu'une fois par an".
09:12 Là, on profite de ce que Bruno Le Maire a dit "Allez-y".
09:14 Je ne sais pas quelle est la base légale, mais on y va.
09:17 Et du coup, on négocie maintenant pour pouvoir avoir, au deuxième semestre, une inflation moitié moindre.
09:24 Attention, on ne reviendra jamais à avant.
09:27 - Donc, ça veut dire une inflation qui va continuer d'augmenter à l'automne, mais de 7%, 8% sur les prix alimentaires ?
09:35 - De 3 à 4%. - Même sur les prix alimentaires ?
09:38 - Peut-être.
09:38 - Ah, c'est plutôt positif, ce que vous nous annoncez là.
09:41 - Mais je suis aussi apporteur de bonnes nouvelles.
09:44 La Bretagne, ce n'est pas que du mauvais temps.
09:46 - Merci beaucoup, Michel-Edouard Locard.
09:48 Tiens, un dernier mot sur Carrefour, qu'annonce dans Le Parisien ce matin,
09:51 qui va autoriser 12 jours d'absence par an aux femmes si elles ont de l'endométriose.
09:55 Vous le faites, vous aussi, ou non ?
09:56 - C'est aussi un sujet qu'on débat, d'ailleurs, dans toute la distribution,
09:59 parce que c'est des accords de branche.
10:00 Là, ils sont pionniers, Carrefour.
10:02 Après, c'est compliqué de le faire sans la loi.
10:07 Mais oui, c'est un vrai sujet.
10:10 - Merci beaucoup.
10:11 - On s'en est occupé du point de vue du prix de l'accès aux produits d'hygiène,
10:14 parce que je vous rappelle encore, la loi nous limite dans les capacités de vendre moins cher les kits d'hygiène.
10:19 - Le meilleur vendeur de France était avec nous ce matin.
10:21 Merci, Michel-Edouard Locard.
10:23 - Si vous avez besoin d'un petit tour d'audience après Saint-Herj, je vais vous arranger ça.
10:25 - Je vois que vous allez.
10:26 - Merci, Léa.