Josette Torrent, auteure du livre "J'avais 12 ans et j'étais résistante" publié aux éditions Harper Collins nous raconte comment sa vie a basculé à l'été 1940. Elle est la plus jeune résistante de France, en effet, Josette n'avait que 10 ans lorsqu'elle a tout quitté pour rejoindre la France libre. Elle nous transmet un devoir de mémoire à travers cet ouvrage biographique.
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00:00 Bonjour Josette Torrent, bienvenue sur le plateau de Télématin.
00:02 Le voici ce livre, "J'avais 12 ans et j'étais résistante".
00:06 Votre vie Josette, elle a basculé à l'été 1940.
00:09 À l'époque vous habitez à Saint-Malo avec vos parents,
00:11 votre père était mobilisé sur le front,
00:13 vous étiez avec votre mère et votre sœur.
00:15 Et un matin, votre mère vous dit "on va quitter la ville,
00:19 direction la France libre, direction Perpignan".
00:21 Votre père est démobilisé, il vous attend là-bas
00:24 et elle va avoir cette phrase pour vous,
00:25 vous avez 10 ans à l'époque, elle vous dit "Josette,
00:27 prépare tes affaires mais attention, pas de valise".
00:30 Est-ce que vous vous souvenez de ce jour Josette
00:32 où vous avez dû tout quitter, tout laisser derrière vous,
00:34 y compris votre chien d'ailleurs ?
00:36 Oui bien sûr, bien sûr ça a été…
00:40 Je savais depuis quelques temps qu'on partirait
00:42 puisque mon père s'était fait démobiliser à Perpignan,
00:46 donc on devait le rejoindre, ça c'était sûr.
00:49 Et puis la vie à Saint-Malo n'était pas facile,
00:53 il y avait des Allemands partout,
00:55 il y avait des bombardements, donc on devait partir,
00:59 c'était primordial mais on ne savait pas quand.
01:03 Un jour ma mère qui était bénévole à l'hôpital nous dit
01:08 "on va partir, il y a un train sanitaire qui part de l'hôpital,
01:13 on va le prendre demain".
01:15 Donc le lendemain on est allé, on a raté le train
01:18 et ça a été très bien disons pour nous
01:20 puisque ce train a été bombardé en garde-reine
01:23 et il n'y a pas eu de survivants.
01:24 Donc on était toujours à Saint-Malo,
01:26 ma mère faisait des demandes d'autorisation
01:30 pour passer la ligne de démarcation,
01:32 la ligne de démarcation pour moi c'était une ligne
01:36 et on n'a jamais eu de réponse, on n'a jamais eu de oui.
01:40 Et un beau jour, un matin, elle nous dit,
01:42 elle prépare un toit, elle nous dit "on s'en va"
01:47 et on est parti comme ça.
01:49 Bon il y avait ma petite sœur qui avait trois ans de moins que moi
01:52 donc c'était le bébé et j'ai pris moi,
01:56 quand on est parti, la seule chose qui comptait pour moi
02:00 c'était mon poupon, un poupon que mon père m'avait acheté
02:04 quand on est arrivé à Saint-Malo où j'étais toute triste,
02:07 dans une maison où on avait un appartement immense
02:11 qui pour moi était vide et je m'en ai nié
02:13 donc il m'avait acheté ce poupon et ce poupon c'était…
02:18 je ne vais pas le laisser donc je l'ai emporté.
02:21 J'ai malheureusement dû laisser mon chien,
02:22 c'était un loulou de Pomeranie qui s'appelait Rex,
02:25 je l'ai laissé au propriétaire je pense de la maison où nous habitions
02:30 puisqu'ils habitaient au Richelieu, nous au premier.
02:33 Donc nous sommes partis, ma mère dans un sac,
02:37 elle avait mis des vêtements à nous, dans un sac de chute,
02:41 comme on disait avant les sacs de pommeterre,
02:44 et elle avait une petite valise et ma sœur dans les bras et moi le poupon.
02:50 Nous sommes partis à la gare, on était en zone occupée
02:52 donc libre de voyager en zone occupée, donc nous avons pris le train.
02:59 Et quand on était dans le train, les gens nous disent "attention,
03:02 les Allemands viennent, ils fouillent tout le monde
03:05 et ils prennent tout ce qu'il y a de l'important".
03:07 – Et là vous avez caché vos économies à l'intérieur de la poupée, c'est ça ?
03:11 – C'est ça, ma mère nous a mis d'abord l'argent qu'elle avait,
03:15 on avait un Saint-Malo qu'elle avait pris,
03:17 dans nos chaussures, on ne pouvait pas évidemment se tenir debout.
03:20 Je lui ai dit à ma mère "attends, j'ai une idée".
03:22 – On va les cacher dans la poupée.
03:23 – Et je les ai cachés dans le poupon.
03:26 – C'est la graine de résistante déjà à l'époque,
03:28 vous pensez qu'ils étaient là ?
03:29 – Bien sûrement, parce que j'avais une telle haine contre ces Allemands
03:32 qui dans Saint-Malo grouillaient et puis nous arrivait de tout avec eux,
03:37 que faire quelque chose contre eux, n'importe quoi, cacher l'argent,
03:43 c'était "je fais contre eux, ils ne l'ont pas trouvé".
03:46 – Alors ensuite vous arrivez à Perpignan, là c'est un petit peu compliqué,
03:48 les autres enfants se moquent un peu de votre accent pointu,
03:51 et puis un jour, un matin de 1942, votre père tombe malade,
03:55 il vous dit "Josette, j'ai besoin de ton aide, il faut que tu me rendes service".
03:58 Et là en fait, il vous demande de passer un message,
04:01 parce qu'en fait il vous explique qu'il est résistant.
04:04 Est-ce que vous vous souvenez de ce jour-là ?
04:05 Est-ce que vous aviez peur, vous petite fille, de 12 ans seulement ?
04:09 C'était vos premiers pas dans la résistance ?
04:11 – Non, il m'a expliqué ce qu'était la résistance,
04:13 je n'avais jamais entendu parler de ça ni de quoi que ce soit.
04:16 Il m'a expliqué que c'était secret, qu'il ne fallait surtout n'en parler à personne,
04:20 ni à ma mère, ni à ma soeur, ni à ma meilleure amie, à personne, personne,
04:24 il m'avait dit "toi et moi", c'est tout.
04:27 Donc il avait un document important à transmettre,
04:33 et il m'a demandé de le faire à sa place.
04:35 Moi j'étais contente parce que je faisais quelque chose contre les Bolchics,
04:38 il m'avait fait suivre à Saint-Malo, et je suis partie faire ce qu'il m'a dit.
04:44 Je ne peux pas dire que je suis partie joyeuse et tout,
04:49 je suis partie quand même avec pas la peur qu'il m'arrive quelque chose,
04:54 mais la peur de ne pas arriver à faire ce qu'il m'avait dit.
04:59 – Et finalement ces missions, vous allez les accomplir pendant deux ans,
05:02 et puis il va y avoir une date fatidique qui va être la date du 2 mars 1944,
05:07 ce jour-là, votre père se fait arrêter.
05:10 – Mon père a été arrêté, oui.
05:11 – Déporté en Allemagne et vous ne le reverrez plus jamais.
05:15 Vous allez pendant 50 ans taire votre histoire,
05:18 et puis un jour vous allez décider d'en parler aujourd'hui,
05:21 cette histoire de la résistance, votre histoire à vous,
05:23 et celle de votre père, vous la racontez à des élèves, pourquoi ce choix ?
05:27 – Eh bien parce que quand j'ai décidé, enfin quand j'ai décidé,
05:30 quand j'ai compris que vraiment mon père était mort en 93,
05:35 avec un article de journal où on avait modifié la plaque sur son nom de rue,
05:43 il y avait Michel Torant, martyr de la résistance,
05:45 on l'avait remplacé par Michel Torant.
05:47 Quelqu'un avait réagi sur le journal "l'Indépendant"
05:51 et moi j'ai compris à ce moment-là que vraiment il ne reviendrait pas,
05:54 parce que je l'ai toujours attendu, je le voyais partout.
05:58 Ma fille aînée qui est là, elle disait "on a vécu, nous, avec un fantôme",
06:03 parce que maman, c'est toujours voir son père à quelque part.
06:07 J'étais persuadée qu'il n'était pas possible qu'il soit mort,
06:11 parce que mon père était quelqu'un de fort.
06:14 – Pour vous il s'en était sorti forcément.
06:16 – Oui alors.
06:17 – Vous dites dans votre livre que raconter sera le seul moyen
06:20 de donner un sens à son chagrin, est-ce que c'est ça qui s'est passé pour vous ?
06:24 Le fait de raconter à des jeunes gens d'aujourd'hui, ça a donné un sens ?
06:28 – Moi j'ai raconté, quand j'ai accepté la mort de mon père,
06:34 j'ai raconté la vie de mon père, je n'ai jamais parlé de moi,
06:40 j'ai toujours parlé de mon père, parce que c'était…
06:43 alors je suis allée dans les lycées et collèges
06:45 avec les camarades du concours de la Résistance,
06:49 je n'étais pas encore la présidente, mais je suis allée dans les lycées et collèges
06:54 avec des camarades de mon père qui me poussaient à dire "mais bon Dieu,
06:58 tu parles de ton père, mais qui était avec, parle toi".
07:01 Moi c'est le devoir de mémoire envers mon père, j'ai toujours pensé comme ça.
07:06 – Et ce devoir de mémoire, vous le faites aujourd'hui,
07:09 vous le transmettez avec ce livre, "J'avais 12 ans et j'étais résistante",
07:13 un récit absolument passionnant et qui montre le courage dont vous avez fait preuve,
07:17 vous étiez la plus jeune résistante de France.
07:19 Merci beaucoup Josette Torrent d'être venue nous voir sur le plateau de Télémathins.