Tunisie : plus de 20 opposants incarcérés depuis février

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00:00 Et on va plus loin avec notre invité, Atem Nafti.
00:02 Bonjour et merci de répondre à France 24.
00:04 Vous êtes essayiste, membre de l'Observatoire tunisien du populisme.
00:07 Vous avez écrit "Tunisie vers un populisme autoritaire".
00:11 C'est sorti aux éditions Riveneuve en 2022.
00:14 Voilà, livre préfacé par Pierre Aski.
00:18 Est-ce que l'arrestation de M.
00:21 Ranouchi est le fait d'un seul homme, selon vous, du président
00:24 Don Kheysaïd, compte tenu des pleins pouvoirs qu'il s'est octroyé
00:28 juillet 2021 ?
00:30 Alors, il est difficile d'être aussi affirmatif.
00:33 Cela dit, ce qu'on peut dire sans se tromper,
00:36 c'est qu'aujourd'hui, la justice est aux ordres du pouvoir.
00:41 Et ce n'est pas une description, ce n'est pas une analyse,
00:45 c'est une description, étant donné que le président de la République
00:49 peut limoger n'importe quel magistrat sur un simple rapport de police.
00:53 Donc, il y a un rapport de subordination clair et net avec
00:57 la présidence de la République.
00:59 Et il y a eu une cinquantaine de magistrats qui ont été limogés
01:03 l'année dernière. Ils ont été rétablis dans leur fonction par la justice
01:07 administrative, mais le pouvoir a refusé.
01:09 Et Kheysaïd est allé plus loin que ça concernant les arrestations
01:14 que vous avez évoquées. Il a dit que celui qui se permettra de blanchir
01:19 les personnes qui sont actuellement en prison avant M.
01:21 Ranouchi sera leur complice.
01:23 Donc, il y a clairement une pression faite sur la justice.
01:28 De là à affirmer que c'est Kheysaïd, on ne peut pas formellement,
01:32 en tout cas, le démontrer.
01:34 Quelles pourraient être les accusations, les chefs d'inculpation
01:37 contre Rashed Ranouchi ?
01:40 Rashed Ranouchi est poursuivi dans plusieurs affaires.
01:44 Il a comparu déjà, d'après ses avocats, huit fois
01:46 à la demande de la justice, notamment dans des dossiers
01:51 liés à l'embrigadement des jeunes pour aller combattre en Syrie,
01:57 aux assassinats politiques qu'il y a eu, notamment en 2013,
02:00 au financement de son parti politique.
02:03 Il y a plein de greffes que même une partie de l'opposition
02:06 continue de reprocher à Rashed Ranouchi.
02:10 Mais manifestement, là encore, la justice ne parle pas,
02:13 mais manifestement, il aurait été arrêté pour les propos
02:19 que vous avez rapportés tout à l'heure, qui ne sont pas la première fois
02:24 qu'il tient ce genre de propos, mais qui sont en tout cas bien maigres
02:30 par rapport aux autres reproches pour lesquels il s'est rendu
02:33 à chaque fois à la convocation de la justice.
02:35 Il aurait pu être arrêté.
02:36 Là, il est probablement, on parle quand même au conditionnel,
02:41 il serait arrêté à cause de ses propos qui sont une analyse politique,
02:47 mais qui ont pu être interprétés comme un appel à la sédition.
02:50 Voilà, les propos, on les rappelle.
02:53 Rashed Ranouchi estime que l'islam politique serait menacé en Tunisie
02:57 et si l'islam politique disparaissait,
03:00 eh bien, la Tunisie pourrait tomber dans la guerre civile.
03:03 Est-ce que finalement, son arrestation atteste en partie ces propos ?
03:07 Il y a visiblement là une volonté de faire taire les islamistes.
03:10 Je crois qu'au-delà des islamistes, il y a une volonté de faire taire
03:15 toute l'opposition.
03:16 Je vous donne un exemple simple.
03:18 La semaine dernière, Rabih El Moussi, qui est issu de l'ancien régime
03:21 et qui est une anti-islamiste primaire, a été interdite de faire
03:25 une conférence de presse sur le risque islamiste sur les femmes tunisiennes.
03:30 Donc, quelque chose qui est plutôt hostile aux islamistes.
03:32 On a prétexté exactement la même chose, c'est-à-dire l'état d'urgence
03:36 qui est en vigueur depuis 2015, pour lui interdire de tenir ce propos.
03:39 Donc, les personnes qui pensent qu'il s'agit juste de museler
03:44 les islamistes, je pense qu'ils se trompent.
03:47 On est en train de museler toute l'opposition, petit à petit.
03:50 Il y a maintenant au moins huit prisonniers politiques
03:54 depuis le mois de février qui ont été arrêtés.
03:56 Et d'ailleurs, la justice communique très peu sur ça.
04:00 Leurs avocats parlent de dossiers vides.
04:02 Il s'agit plutôt de museler toute l'opposition.
04:06 Et le fait de commencer par les islamistes pour justifier une répression,
04:10 c'est quelque chose que la Tunisie a connu il y a une trentaine d'années.
04:12 Ben Ali a commencé par emprisonner les islamistes
04:17 avant de se retourner contre le reste de l'opposition.
04:19 Disons qu'on a une tradition autoritaire en Tunisie
04:22 qui commence toujours par les islamistes,
04:24 qui en tout cas, Alassane Ranouche, à mon sens,
04:26 il a beaucoup de choses à se reprocher.
04:29 Mais la manière dont ça a été fait, la manière spectaculaire,
04:32 augure en tout cas d'une tentative de faire peur.
04:38 Il faut coupler cela avec un décret-loi qui a été promulgué en septembre dernier,
04:44 qui limite fortement la liberté d'expression sous couvert de lutte contre les fake news.
04:49 Aujourd'hui, il y a clairement un message.
04:51 Il ne faut pas s'opposer au pouvoir actuel
04:56 parce qu'il est dans une sorte de démarche messianique pour sauver la Tunisie.
04:59 Je conclue quand même par cette déclaration du ministre de l'Intérieur,
05:03 qui aujourd'hui a ordonné la fermeture de tous les locaux du parti de l'Inde
05:08 et l'interdiction au Front du Salut de se réunir.
05:11 Il a dit "toute l'opposition, sans exception, est dans une dérive morale
05:16 et elle est moralement condamnable".
05:17 Je pense que c'est clair et net.
05:19 Je ne pense pas que ce soit juste une lutte contre les islamistes.
05:25 Soit dit en passant, Khaïs Sarray, sur les sujets de société,
05:29 il est tout aussi à droite que les islamistes,
05:31 tout aussi conservateur que les islamistes.
05:32 Il s'agit plutôt d'une lutte de pouvoir.
05:35 On voit ici les bureaux des Narda en Tunisie,
05:39 qui ont été fermés comme vous le disiez.
05:42 Je lisais que depuis le début février,
05:44 les autorités ont incarcéré plus de 20 opposants et des personnalités.
05:47 Il y a des ex-ministres, des hommes d'affaires,
05:50 dont le patron de l'une des radios les plus écoutées de Tunisie, Mosaïk FM.
05:55 Est-ce que vous diriez que la Tunisie est revenue aux heures sombres de Ben Ali ?
05:58 Elle les a même dépassées selon vous ?
06:01 Alors comparaison n'est jamais raison,
06:03 mais en tout cas on en prend le chemin.
06:06 Aujourd'hui, on continue, c'est-à-dire que l'opposition continue à s'exprimer.
06:10 La radio dont vous avez parlé continue,
06:13 et ce n'est pas la seule, continue à passer les paroles dissidentes.
06:16 C'est encore possible aujourd'hui.
06:18 Jusqu'à combien de temps ?
06:19 Ça, on ne le sait pas.
06:21 Mais en tout cas, je pense qu'on a clairement emprunté le chemin de l'autoritarisme.
06:25 Et là encore, comme je vous ai dit,
06:27 on a un pouvoir qui se croit investi d'une mission quasi christique.
06:32 Et à partir de là, s'opposer à ce pouvoir est fait de vous un impie.
06:36 Donc ça peut aller même plus loin que ce qu'a connu la Tunisie
06:40 sous les régimes autoritaires de Bourguiba et Ben Ali.
06:42 Merci beaucoup Atem Nafti d'être intervenu sur France 24.
06:46 Je rappelle le titre de votre ouvrage,
06:47 "Sortir en 2022, Tunisie vers un populisme autoritaire",
06:51 aux éditions Riveneuve. Merci encore.

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