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Art et designTranscription
00:00 *Générique*
00:19 Et nous débutons ensemble une nouvelle semaine du Book Club qui va nous emmener jusqu'au
00:23 Festival du Livre de Paris, ce sera vendredi en direct.
00:26 Vous retrouverez toutes les infos sur le compte Instagram du Club de lecture de France Culture.
00:30 Ce midi d'abord donc, le Book Club s'interroge.
00:32 C'est quoi être poète ou poétesse en 2023 ? Qu'est-ce qui inspire ceux et celles qui
00:38 écrivent en prose ou en verre chacun sa démarche ou sa marche, lente, observatrice, pour scruter
00:44 la réalité, ses mystères, écrire sous la dictée de la pensée, sans barrière, sans
00:49 règles, sans avoir peur non plus du résultat.
00:51 On accueille la jeune garde de la poésie avec qui nous allons échanger ce midi grâce
00:56 à la formidable communauté du Book Club.
00:58 *Générique*
01:18 France Culture, le Book Club, Nicolas Herbeau.
01:23 *Ca c'est dit*
01:24 *Générique*
01:26 Ainsi que Marine et Joséphine de la communauté du Book Club qui nous accompagnent donc ce
01:30 lundi nos lectrices.
01:31 Et on accueille nos invités.
01:32 Bonjour Mylène Tournier.
01:33 *Bonjour*
01:34 Vous êtes poétesse, dramaturge et docteur en études théâtrales à la Sorbonne-Nouvelle
01:38 où vous avez soutenu une thèse intitulée "Les figures de l'impudeur, dire, écrire,
01:42 jouer l'intime 1976-2016".
01:45 Et vous aimez aussi parcourir les villes comme on le voit dans vos poèmes publiés aux éditions
01:51 Castor astrales sous le titre "Ce que m'a soufflé la ville".
01:55 C'est la ville et donc la marche qui vous ont poussé vers la poésie ?
01:59 Notamment.
02:00 Je me dis souvent qu'il n'y a pas grand chose dans ma tête avant la ville et avant
02:06 le chaque jour.
02:07 Et que tout viendra d'avoir marché.
02:10 Et j'ai l'impression effectivement que l'écriture va vraiment avec ce mouvement-là de chaque
02:16 jour aller prendre de l'élan au corps et aux yeux et aux mots.
02:22 De vous nourrir de ce qui vous entoure ?
02:24 Oui.
02:25 On va voir si notre second invité est lui aussi inspiré, nourri par ce qui l'inspire,
02:32 ce qui l'entoure.
02:33 Arthur Teuboul, bonjour.
02:34 *Bonjour*
02:35 Vous dites "Croire dur comme fer à ce besoin profond de poésie qu'il y a en chacun
02:40 de nous".
02:41 C'est vrai, nous aussi on y croit et c'est aussi pour ça qu'on vous a invité tous
02:43 les deux pour cet échange.
02:45 Si on vous connaît d'abord, il faut bien le dire, comme le chanteur et parolier du
02:50 groupe Fuchs et Atherton, vous êtes aussi ou avant tout, à vous de nous le dire, poète.
02:56 Oui, j'ai le sentiment en tout cas que c'est de même source.
03:00 Et puis elle se déverse dans différents canaux.
03:03 La musique est une expression de ce plaisir des mots, qui est plus qu'un plaisir, sous
03:12 forme de fascination, enfin non, de confiance dans les mots, de leur pouvoir.
03:16 Je suis devenu chanteur, on va dire, par accident, parce que j'ai eu la chance de rencontrer
03:23 mes camarades et que je leur disais des poèmes.
03:26 On en a fait un groupe et puis je me suis mis à chanter.
03:28 Mais à l'origine, c'est les mots, les mots écrits, leurs associations merveilleuses,
03:37 accidentelles, étranges, qui m'attirent toujours.
03:41 Dans ce tout premier livre de poésie qui paraît aux éditions Segers, qui s'appelle
03:45 « Le déversoir, poème minute », vous racontez la puissance émancipatrice et critique de
03:50 la poésie.
03:51 Ça fait un peu peur, dit comme ça.
03:53 Qu'est-ce que ça veut dire ?
03:54 Je vais tout de suite vous détendre.
03:57 C'est faire jouer, tout simplement.
03:59 On ne s'autorise pas souvent le jeu et j'ai l'impression de moins en moins, parce que
04:05 tout va vite et qu'on doit gagner du temps.
04:07 Et jouer, c'est accepter l'errance, la marche hasardeuse, se mettre en marche.
04:14 Se mettre en marche, c'est quand même d'abord ne pas savoir où on va, sinon on a déjà
04:19 marché.
04:20 Quand on joue avec les mots, quand on s'apesantit sur eux, on essaie de les regarder sous tous
04:28 les angles, commence ce jeu-là.
04:31 Et donc forcément, qui libère de l'habitude cette idée qu'on sait déjà d'avance
04:39 ce qu'un mot veut dire.
04:40 J'aime bien parler de l'eau courante.
04:43 L'eau courante, on l'a à tous les étages, mais quand on s'arrête sur l'expression,
04:48 c'est magnifique.
04:49 C'est l'eau qui court.
04:50 Maintenant, c'est dit.
04:51 - Il y a l'eau qui court, il y a les poétesses qui marchent.
04:55 Vous aussi, vous jouez, Mylène Tournier, quand vous marchez, comme ça, vous vous laissez
04:59 complètement aller.
05:00 - Oui, je crois qu'il y a quelque chose du jeu.
05:03 Je suis venue en marchant et j'ai croisé la rue de l'eau, qui est une rue tout en
05:08 escalier et où on peut l'imaginer vagabonder de marche en marche.
05:12 Et peut-être que dans la ville, avec le corps, c'est une façon aussi d'être soi-même
05:18 un peu de l'eau, avec les gens, sans être complètement avec.
05:23 Mais oui.
05:24 - Vous nous parlez d'eau, tous les deux, alors qu'on parle de sécheresse dans l'actualité.
05:29 Comme quoi les poètes, vous allez les voir et on va le voir durant cette émission, sont
05:32 bien évidemment ancrés dans le réel.
05:34 Alors, je l'ai dit, Arthur Tauboul, votre livre s'appelle "Le déversoir, poème minute".
05:38 Ça explique en partie votre démarche de poète.
05:41 Vous allez nous expliquer ce que ça veut dire, déversoir, mais d'abord on va écouter
05:44 Marine qui a lu ce recueil et qui vous pose une question.
05:46 - Je dois dire que la chose qui m'a le plus surprise dans l'expérience du déversoir,
05:51 parce que c'est pas seulement un très beau recueil de poésie, c'est surtout aussi une
05:55 expérience parce que vous allez au cabinet poétique d'Arthur et vous avez la chance
06:00 de repartir avec un poème manuscrit de quelqu'un qui ne vous connaît pas et qui prend le temps
06:06 de vous écrire quelque chose.
06:07 Et c'est ça qui est fascinant et finalement c'est ce qu'on ressent dans ce recueil.
06:11 Et c'est ce que j'aime le plus, c'est que c'est une poésie universelle qui touche
06:15 au plus intime et finalement souvent on se pose la question de ce qu'est la poésie.
06:19 Et je crois qu'en fait c'est ça.
06:21 On est toujours en train de se demander c'est quoi, quoi ça se reconnaît, bla bla bla,
06:26 mais en réalité c'est de l'universel qui touche au plus intime.
06:30 Et là le génie, parce qu'il faut le dire, c'est que souvent des poètes touchent au
06:34 plus intime en ayant comme thématique l'amour, le deuil, la liberté, voilà ils s'adressent
06:39 à nous, chagalla, et là pour une fois c'est pas ça qui se passe.
06:43 Arthur il s'adresse à personne, mais il vous touche au plus profond de vous-même,
06:47 il vous surprend, ça vous cueille complètement.
06:49 Et donc ce recueil vous pouvez l'offrir à n'importe qui, même à des gens qui
06:52 n'aiment pas la poésie parce que ça leur parlera.
06:54 Ça parle de leur quotidien, ça parle de choses qu'ils peuvent ressentir, parce que
06:58 c'est toutes les palettes de la vie qui sont dans un poème, et dans plein de poèmes.
07:02 Et c'est ce que j'ai le plus aimé.
07:04 Et j'ai envie de demander à Arthur s'il peut nous parler des poètes qui ont marqué
07:09 son chemin artistique, sa vie, et j'ai envie qu'il nous en parle s'il souhaite
07:14 le faire parce que ce serait très beau.
07:15 - Arthur Teboulot.
07:18 - C'est des compagnons de route les poètes, ils ont changé sur le chemin.
07:26 Enfin ils ont changé, en tout cas c'est un compagnonnage, c'est un relais.
07:32 On se passe la main à la main.
07:35 À l'adolescence c'était Baudelaire, Rimbaud, Lautréamont, on va dire des poètes assez
07:43 lyriques, et à cet âge-là ce qui me plaisait c'était le soufre, ce parfum d'amour,
07:52 de chair et de mort, qui souvent va ensemble chez eux.
07:55 Un romantisme en somme, qui m'a habité assez longtemps, et qui m'a aussi aidé un peu
08:03 plus tard quand j'étais très en colère et que je me sentais seul, déçu par certaines
08:10 choses de la vie, à lutter contre la force du nombre.
08:13 Il faut faire attention à ce que cette lutte ne soit pas une arrogance, et une prétention,
08:19 ni une misanthropie parce qu'on ne gagne pas beaucoup à la fin, mais quand même,
08:22 quand on est en colère et qu'on se demande si la majorité a raison, c'est agréable
08:28 et fortifiant de trouver chez des compagnons, des auteurs, des voix qui vous affirment,
08:37 mises dans vos positions.
08:38 Parce que parfois on se dit "est-ce que parce que je suis minoritaire j'ai tort ?" Et je
08:44 crois que peut-être qu'on a tort, mais ce ne sera pas parce qu'on est minoritaire.
08:50 Alors c'est vrai que la compagnie des poètes est une compagnie, je parlais forcément de
08:55 participatrice, mais qui permet de rester alerte sur ce qu'on pense vraiment et ce qu'on veut
09:00 vraiment.
09:01 Et ensuite, c'est pour ça que j'ai ouvert le cabinet, d'une certaine façon, j'ai l'impression
09:06 qu'il y a un rôle social.
09:08 On donne aux poètes ce loisir de prendre le temps de regarder ailleurs, de se poser la
09:14 question du nombre, de se poser la question du sens des choses.
09:19 Est-ce que les choses vont dans un sens ? Est-ce que parce qu'elles y vont c'est bien ou pas ?
09:26 J'ai senti chez ces poètes-là, je parle d'Oscar Wilde en particulier, de Baudelaire,
09:35 tu parlais de se sentir comme seul dans la foule, comme de l'eau.
09:40 On voit ça beaucoup chez Baudelaire, l'idée du poète seul parmi la foule.
09:44 Je crois aussi, parce qu'on peut se sentir très vite galvanisé par une forme de singularité
09:51 qui nous rendrait supérieurs, ce qui est faux.
09:54 Il faut se mêler à la foule.
09:56 Et voilà, j'avance, mais il y a eu Apollinaire, il y a eu René Char.
10:01 On parlait de Baudelaire il y a un instant, Mélène Tournier, votre préfacière à Zélie
10:05 Fayol, dit que votre poésie semble prolonger le spleen du Paris de Baudelaire.
10:10 Il y a des choses qui vous parlent dans tout ça ?
10:13 Oui, effectivement, je pense que dans la ville et dans Paris notamment, et qu'il y a à
10:22 la fois celle réelle et celle dans la tête, celle qu'on a lue, celle qu'on a rêvée,
10:26 et celle qu'on peut partager et redécouvrir chaque fois.
10:32 Il y a effectivement de quoi mêler son spleen à celui des autres et mêler aussi son...
10:40 J'ai l'impression de prendre des bains dans la ville et cette chose d'être consolée
10:49 comme d'avance par autre chose que moi-même.
10:54 Parmi les poètes qui vous influencent aussi, Arthur Teboul, vous citez Christian Brabant
11:00 qui nous a quittés il y a quelques mois maintenant.
11:03 "Le monde est rempli de visions qui attendent tes yeux.
11:07 Les présentes sont là, mais ce qui manque, ce sont nos yeux", disait Brabant.
11:12 J'ai l'impression que ça décrit vos deux démarches, c'est-à-dire être là et être
11:20 ces yeux qui vont observer ce qui se passe autour.
11:24 Oui, c'est dur de définir la poésie.
11:27 Est-ce que c'est juste une intention à un instant ? Parce que la prose peut être poétique,
11:31 un moment est poétique.
11:33 Il y a un point dans cet extrait qui vient d'un texte qui s'appelle "Le plâtrier siffleur".
11:38 Il dit qu'un plâtrier qui siffle au moment où il a fini son mur, ça peut être un instant
11:44 de pure poésie.
11:45 Donc tout instant peut être poétique.
11:47 C'est une forme de chose en puissance.
11:49 Peut-être que ça doit être épuisant d'être béat tout le temps, essayer de traverser
11:57 la vie que dans cet état poétique qui serait un enthousiasme un peu hébété.
12:02 Ce n'est pas ça, je pense, qu'on cherche.
12:05 C'est plus juste de rester disponible à l'instant poétique.
12:10 Donc être en tension vers ce moment de résonance.
12:15 C'est une intention et une attention, je crois.
12:18 -Milène Tournier, c'est le même état dans lequel vous êtes quand vous marchez.
12:22 Longtemps, vous marchez entre 20 et 30 kilomètres par jour ?
12:25 -Quand j'ai le temps et quand j'ai des journées, effectivement.
12:29 Oui, je pense que ce n'est pas toujours facile d'être complètement présent au monde.
12:33 Et que la marche, c'est une façon, en tout cas pour moi, de me mettre en état de présence.
12:38 Et comme dit Arthur, d'attention et d'intention.
12:41 Et d'une forme d'antenne délicate à peut-être tout et sans départager d'avance.
12:51 Il y avait la joie des affligés, des renoncements qui étaient des choix.
12:58 Les quignons de pain faisaient aux pigeons des linceuls.
13:01 Le silence était un grand gosier.
13:04 On se mettait à table, sur un banc.
13:08 Les morts sont des souris qui ont fini leur dessert.
13:12 Je ne peux plus m'accroupir, recat à quoi l'internet répond.
13:15 C'est une position universelle, comme ne soubient pas le souvenir du vélo.
13:20 On prie pour emporter un peu de vent dans nos cercueils.
13:23 Que la carapace soit douce assez pour que s'aperçoive la lumière assez debout.
13:27 Si l'autre se porte comme une musique, écrire saura répéter une écoute.
13:35 On se mettait à table sur un banc, extrait d'un poème vidéo que vous venez de publier sur votre page YouTube
13:43 dont le sous-titre est "Je marche, je filme, j'écris".
13:46 Ce qui est intéressant, c'est que là on vous a entendu parce qu'on est à la radio.
13:49 Tout ce que vous racontez, tout ce que vous voyez, vous le filmez aussi.
13:54 Racontez-nous cette démarche.
13:56 Vous êtes dans la rue, vous marchez, quelque chose vous interpelle, vous le filmez.
13:59 Ensuite vous rentrez à la maison, vous écrivez. Comment vous faites ?
14:02 - Oui, je marche, je filme ce que je vois.
14:05 Parfois des choses d'avance belles et parfois juste des choses où je me dis
14:10 peut-être le soir ça pourra devenir quelque chose.
14:14 Je me donne comme contrainte de faire un petit poème vidéo en suivant l'ordre de la marche
14:23 et en me disant que c'est comme un Kadawecki de relier d'un plan à l'autre par l'écriture et par un lien.
14:29 J'avais pensé, d'ailleurs Arthur, en voyant, je marchais, il y avait un banc
14:36 et dessus un lot de télérama ou de rock peut-être, avec dessus Bachung à une table.
14:44 Et effectivement c'est juste d'avoir vu ce banc et cette table dessus et Bachung
14:49 qui du coup a donné ce petit poème. Pas minute mais journée.
14:55 - C'est ce que vous assoufflez la ville hier pour vous inspirer.
15:01 Cet ancrage dans l'image aussi c'est important pour vous ?
15:05 - Oui, j'ai vraiment besoin de mes yeux pour écrire.
15:11 Arthur tu citais Bobin et cette chose des visions qui attendent des yeux je crois.
15:17 Et j'ai l'impression effectivement que sans yeux il n'y a pas grand chose, pour moi en tout cas.
15:24 - Arthur quand vous rencontrez, il faut expliquer, le cabinet, Marine notre lectrice en a dit un mot tout à l'heure.
15:31 J'ai l'impression que vous, et moi je vous le disais en citant l'actualité,
15:35 que vous êtes vraiment ancré dans la réalité, dans ce qui se passe autour de vous, dans les rencontres, les échanges.
15:41 Ce cabinet qui aujourd'hui est un terme presque médical, je ne sais pas si vous en avez conscience.
15:47 C'est donc un endroit que vous avez ouvert, le déversoir, où vous accueillez les gens,
15:52 vous avez accueilli les gens pour un poème minute.
15:55 Racontez-nous déjà comment vous en êtes venu à faire cette expérience ?
15:59 - Là j'en viens. Comment j'ai fait ? J'ai eu cette idée pendant le confinement, le premier confinement.
16:06 Les idées, c'est encore une histoire d'émancipation, de poésie, de jeu, mais on a une idée et parfois c'est une nécessité.
16:13 Et si on se pose la question du pourquoi de cette nécessité, ça peut s'effriter, avorter.
16:18 Je ne sais pas pourquoi, j'ai juste eu cette vision du cabinet où moi je pratique l'écriture automatique depuis des années
16:25 et je me suis dit tiens, si je la donnais en partage, j'aurais envie de m'amuser.
16:30 On ne s'amusait pas beaucoup pendant le confinement.
16:32 J'ai vu cet endroit, un endroit dans la ville, pignon sur rue, au coin de la rue, à portée de main,
16:38 qu'il soit un bureau, un cabinet, presque un cabinet curiosité au départ,
16:42 où j'écrirais ces poèmes minutes en présence de quelqu'un, pour quelqu'un.
16:47 Et pendant longtemps, j'ai eu du mal à les faire admettre.
16:52 C'est pour ça qu'il faut faire les choses, pour qu'elles existent, tout simplement.
16:56 Il y a dans le manifeste sur Alice d'André Breton, à qui je dois beaucoup pour la démarche,
17:01 cette phrase qui dit "tout acte porte en lui-même sa justification".
17:04 Quant à mes amis les plus proches qui eux-mêmes doutaient de cette chose-là,
17:08 donc c'est dire ceux qui ne me connaissent pas, un peu excentrique.
17:11 Vous a dit quoi ? Vous êtes fou ?
17:12 Non, ils savent déjà, mais non je ne sais pas, c'était traité à la légère.
17:18 Quand ils ont vu cet endroit, qu'ils sont venus recevoir leurs poèmes,
17:21 qu'ils soient assis à cette chaise sur un bureau avec des murs, et que les choses existent,
17:25 on ne se pose plus la question. Pendant longtemps, je me justifiais.
17:28 Et donc j'essayais de comparer ça au type qui a inventé le triple saut.
17:33 La première fois, quelqu'un a dit "on va faire trois bons sur du béton pour finir dans un bac à sable,
17:37 et celui qui arrive le plus loin aura gagné".
17:39 Compenser les gens.
17:40 Aujourd'hui, il y a des millions de personnes qui regardent ça, tous les quatre ans au moins,
17:44 et certaines personnes qui consacrent ou sacrifient leur vie à ce record-là.
17:49 Je ne questionne pas la légitimité de cette démarche, puisqu'elle existe, elle est là.
17:54 Elle est là, et elle fait du bien sans doute à des gens.
17:56 Mais l'idée qu'il y ait au coin de la rue un poète qui vous délivre en un instant un poème,
18:03 pour vous, c'est votre poème de l'instant, ça n'a pas moins de sens qu'un fleuriste ou qu'un coureur de triple saut.
18:10 Et maintenant que ça existe, avant c'était une idée, une intuition, une conviction,
18:15 mais depuis que je l'ai fait, passé une semaine entière à recevoir 250 personnes,
18:20 c'est une certitude qui me rend très très confiant et très fort,
18:25 parce que j'ai vécu ces moments d'échange.
18:28 Je vous raconte juste le principe, parce que je ne l'ai pas dit,
18:30 donc vous entrez, c'est un endroit qui est au coin de la rue,
18:34 mais qui est feutré pour qu'on puisse basculer tout de suite de ces affaires courantes,
18:38 cette vie qui nous occupe à quelque chose d'autre.
18:42 L'idée pour moi c'est quand même de rivaliser avec les injonctions du temps, de notre présent, donc la vitesse.
18:49 Alors le décor aide à basculer très vite dans autre chose.
18:53 Vous venez, je vous demande juste votre prénom, il n'y a pas de conversation,
18:56 ce n'est pas un poème sur commande, ça sur commande on a l'habitude avec Amazon,
19:01 d'avoir des choses à notre mesure, mais en présence, une surprise,
19:06 vous venez, je vous demande votre prénom, je le note, vous asseyez,
19:10 et je vais écrire un poème, minute en votre présence, ce sera un autre poème, à tous les deux.
19:15 Le temps de l'écriture, je vous invite juste à regarder ailleurs,
19:17 parce que ça peut me déstabiliser un peu.
19:19 Pour vous occuper, pour que vous ne vous soyez pas trop déstabilisé, il y a un tableau,
19:22 vous n'êtes pas obligé de le regarder, vous pouvez le regarder.
19:24 Vous pouvez vous lever, vous pouvez vous allonger sur le sol, certains le font, il y a de la moquette,
19:27 vous pouvez rester assis.
19:28 Là j'écris en quelques minutes, je dis le poème, que je vous remets.
19:31 C'est tout, ça dure 15 minutes, c'est juste un poème.
19:35 Et depuis que je l'ai fait, ces échanges-là, qui en fait, étaient d'une profondeur incroyable,
19:41 parce qu'être en présence, dans le silence, avec quelqu'un, quelques minutes,
19:45 c'est une connaissance de l'autre qui est très grande.
19:47 Eh bien, j'ai la certitude que ce métier va exister maintenant.
19:51 - Mylène Tournier, qu'est-ce que ça vous inspire, cette démarche,
19:56 cette idée d'offrir cette générosité aussi ?
20:00 - Je pense à Marina Abramovic, aux artistes qui se présentent,
20:04 cette chose effectivement d'un yeux à yeux, mais que là tu dis,
20:07 justement, ne pas, mais être une autre présence à côté,
20:12 se dire aussi que les choses qui sont autour vont dans l'écriture d'une façon ou d'une autre,
20:17 et que l'âme aussi.
20:19 Et tu parlais des fleurs, j'ai récemment un projet avec Karine Goron,
20:25 qui travaillait à partir du métier de fleuriste,
20:29 et Karine avait eu cette phrase de "les gens qui entrent chez un fleuriste
20:33 sont invités par un très grand désir".
20:36 Et là tu dis justement, et la fleuriste disait,
20:40 "le désir est du côté de la personne qui y entre, mais c'est mon bouquet,
20:45 je fais le bouquet, peut-être que je connais mieux le désir que la personne,
20:51 je ne suis pas très claire, mais ce que je veux dire, c'est cette chose que...
20:56 Je pense aussi à la suite "Les champs de coton" de Coltès,
20:58 où parfois le désir et la réalisation de désir ne sont pas complètement des mûrs mitoyens,
21:04 mais qu'il peut y avoir du jeu.
21:06 C'est ce qui est très beau aussi pendant cette semaine,
21:09 c'est de déjouer toutes les attentes, et les miennes en premier,
21:12 parce qu'écrire un poème minute, c'est-à-dire sans amour propre,
21:17 sans la conscience de soi, sans volonté, c'est accepter de coucher sur le papier ce qui vient,
21:21 et qu'est-ce qui rend difficile le fait de coucher sur le papier ce qui nous traverse l'esprit ?
21:25 C'est juste nos attentes, d'être brillant, d'être bon, de faire effet,
21:29 que ce soit beau, que ce soit touchant.
21:32 Et ça, ça nous empêche, ça fait filtre quand quelque chose nous passe par la tête.
21:36 Et donc c'était une semaine qui était très belle pour ça aussi,
21:39 de savoir qu'on venait pour attendre quelque chose, espérer quelque chose avant un poème,
21:44 mais juste pour l'accueillir.
21:48 On n'attend pas un bouquet en particulier, on n'attend pas telle rose et telle composition vient,
21:54 et on espère que le fleuriste fera quelque chose qui est bon.
21:57 Mais comme tout instant est vrai, il n'y a pas d'instant moins vrai qu'un autre.
22:00 Le bouquet de l'instant sera bon.
22:04 Tout dépend de ce qu'on s'était dit.
22:06 Une promesse, ça suffit pour un temps.
22:08 Ça ne bouge pas, ça vacille.
22:10 Ce n'est pas la même chose, ça dépend des autres.
22:13 Un poème, ça s'est dit.
22:15 Ce n'est pas un gros mot.
22:17 Une espérance, toujours là-bas.
22:19 Dans le trou, un florilège de jeunes pousses.
22:22 Un jeune terrain vague.
22:24 Une aubaine vers midi.
22:26 Un carême, sans chichi, sans clocher, sans pression.
22:29 Une suprême envie de dire oui.
22:31 - Il faut écrire ce qui nous passe par la tête, en toute liberté, Arthur Teboul.
22:42 C'est la pensée qui dicte ce qu'on pose sur le papier sans avoir peur du résultat.
22:49 C'est une forme de courage, je ne sais pas si on peut le dire ainsi.
22:53 Vous vous dites que vous en avez fait une forme d'hygiène, d'hygiène de vie.
22:57 - Oui, par accident.
22:59 La première fois que j'ai fait ça, c'était il y a 7 ans à peu près.
23:03 Pour déjouer mon ambition.
23:06 Dans l'écriture, je mets mon sérieux.
23:08 C'est ma nécessité, c'est mon fantasme, mon idéal.
23:13 J'en avais fait ma vie avec l'écriture de chansons.
23:15 On écrivait un album.
23:17 Je m'étais dit que je devais écrire.
23:20 Je n'y arrivais pas.
23:22 Je voulais tout de suite que ce qui apparaît sur la feuille soit l'oeuvre parachevée, la cathédrale.
23:29 Le sublime.
23:30 Ça ne commence jamais comme ça.
23:32 Alors je me suis dit, écris ce qui te passe par la tête.
23:35 Je l'ai fait et ça m'a fait du bien.
23:38 Mais tout de suite, j'ai eu une tendance.
23:40 Je me suis dit, comment je vais me servir de cette chose-là qui est sur la feuille.
23:44 Il y a peut-être une idée à grappiller, une phrase à prendre.
23:47 Ça a résisté complètement.
23:49 Cette forme close sur elle-même m'a fait du bien.
23:53 J'ai accepté que je ne pourrais rien faire d'autre de cette chose-là que ce qui était là.
23:58 Donc j'ai recommencé un peu tous les jours.
24:00 Ce recueil de poèmes qui est sorti là, c'est assez agréable pour moi.
24:05 Il est venu avec beaucoup de naturel.
24:09 Parfois dans la vie, on a envie qu'une chose arrive.
24:11 Donc on la pousse de tout son effort.
24:13 Ce qui m'arrive beaucoup.
24:14 Je ne dis pas que cette manière d'écrire ou de faire est la seule valable.
24:17 Mais elle équilibre bien l'autre qui est tout le temps poussé par l'effort, l'ambition, la volonté.
24:22 D'essayer par effraction de gagner quelque chose sur la vie ou sur le temps.
24:27 Et là, j'écrivais ces poèmes pour moi.
24:29 Et puis ils ont germé.
24:30 De même, cette matière est devenue vivante.
24:33 Elle m'a appelé, elle m'a poussé vers le cabinet, vers le livre.
24:36 Je ne m'attendais pas du tout à publier ce livre.
24:39 - D'ailleurs, vous dites qu'il faut sortir la poésie des pages des livres.
24:45 Et j'ai l'impression que c'est ce que vous faites tous les deux.
24:48 On est là, évidemment, pour parler de livres dans une émission qui parle des livres.
24:52 Donc je ne vais pas dire qu'il ne faut pas de livres.
24:53 Ce serait ridicule.
24:54 Mais il y a aussi l'idée que la poésie n'est pas simplement à lire.
24:59 En fait, elle est aussi à vivre peut-être, Mylène Tournier.
25:03 Je pense qu'en tout cas, elle aide fortement à vivre.
25:10 Et je pense qu'elle aide les personnes qui écrivent et les personnes qui la reçoivent.
25:16 Et qu'elle est sans doute beaucoup plus partout que ce qu'on a tendance à la, parfois, mettre dans un coin.
25:25 - Évidemment, quand on parle de poésie, on s'interroge sur la forme.
25:29 C'est la question qu'on doit se poser quand on en écrit.
25:31 Je ne sais pas, j'en écris pas, mais vous allez me dire.
25:33 Est-ce qu'on écrit en prose ? Est-ce qu'on écrit en vers ?
25:36 Est-ce qu'on met telle mise en page ?
25:39 Comment on réfléchit à toutes ces questions ?
25:42 Mylène Tournier ?
25:44 - Sur la mise en page, je ne sais pas complètement.
25:47 Je pense par contre au livre d'Arthur.
25:50 Arthur, je me suis permis de passer ton livre à mon père,
25:53 qui m'a dit que ces notes, ces pages noires, on dirait un piano.
25:57 Et je me suis effectivement que il y a quelque chose dans la mise en page
26:01 qui est un déversoir qui en même temps est rythmé par ces...
26:06 - Je n'y avais pas pensé.
26:08 C'est ce qui est beau si toutes les interprétations sont valables.
26:12 Mais c'est vrai que cette question, je la trouve sensuelle, en fait,
26:17 de l'écriture et du livre, elle est importante.
26:23 Et d'ailleurs, cet accouchement qui s'est fait naturellement,
26:26 il a quand même besoin de passer par des étapes.
26:28 Moi, j'écris sur du papier.
26:30 Et puis quand j'ai commencé, Antoine Caro, qui est mon éditeur chez Ségers,
26:33 je lui ai dit, en fait, j'ai des choses, j'écris des poèmes comme ça.
26:37 Et je l'ai tapé sur Word.
26:39 Et déjà, il y a cette forme de concrétisation qui a pris une autre...
26:44 C'était une autre matière.
26:46 Et ensuite, c'est devenu un livre.
26:48 Et il y a quelque chose qui s'inscrit comme ça dans le réel,
26:50 comme un tableau, finalement, à son cadre, à son espace.
26:54 Et c'est physique, les mots, c'est visuel, c'est graphique.
26:59 C'est la différence peut-être entre la chanson et le livre,
27:02 qui s'est destiné à être vu, pas à être entendu,
27:04 donc à être vu, à être touché.
27:06 C'est une grande importance.
27:08 Et peut-être qu'on peut mettre ça en balance avec le fait que, justement,
27:10 ce n'est pas que dans les mots, c'est une manière de vivre.
27:14 Ça, les mots, à la fin, c'est juste l'affleurement de...
27:18 C'est ce qui est au-delà de la surface du monde intérieur,
27:21 du monde qu'on vit, quoi.
27:23 Donc on peut vivre en poète, mais tout le monde peut...
27:26 On le fait sans le savoir.
27:28 Tout le monde vit la poésie sans le savoir.
27:30 Le mot est devenu un gros mot, on l'a entendu tout à l'heure dans un poème,
27:32 mais ça, il faudrait se questionner, quoi.
27:34 Pourquoi ? Pourquoi quand on dit poésie, tout de suite,
27:36 c'est relégué soit aux bancs des écoles,
27:40 soit à un grand snobisme,
27:43 ou à quelque chose d'extrêmement naïf, fleur bleue ?
27:46 Il y a quelque chose à creuser là-bas, ça te dérange quelque part.
27:49 C'est bon signe.
27:50 - C'est bon signe. On va écouter Joséphine à présent.
27:53 Joséphine, elle a lu votre livre, "Milène Tournier, ce que m'a soufflé la ville".
27:57 Voilà ce qu'elle en retient, et elle vous pose aussi une question.
28:00 - Dans "ce que m'a soufflé la ville",
28:02 Milène Tournier nous offre une promenade urbaine
28:04 dans ses petits riens de la vie
28:06 qui révèlent tout de nous, de notre monde,
28:09 qui révèlent notre poésie.
28:11 Ce n'est pas une éambulation mécanique où l'on s'absente,
28:13 où l'on ne regarde plus,
28:15 où l'on n'écoute plus ce qu'il y a autour de soi,
28:17 comme quand on marche dans les couloirs du métro pour aller au bureau.
28:20 La poésie de Milène Tournier est une poésie du pas de côté,
28:23 du regard porté sur les autres.
28:26 C'est aussi un regard posé sur soi-même, rompre avec la solitude,
28:29 avec la peur.
28:31 Marcher pour Milène, c'est exister.
28:33 C'est capter ce qu'il y a derrière le tumulte quotidien.
28:36 Le moindre détail, la moindre parole,
28:39 le moindre sourire, la moindre détresse.
28:42 Écrire, c'est aimer.
28:44 Aimer ces petites anecdotes qui se tissent au fil des pérégrinations
28:47 et forment un ensemble, ce reste qui est le réel,
28:50 comme la poétesse le raconte dans le tout premier poème de ce recueil.
28:54 Marcher, c'est interrompre la mémoire par le présent,
28:57 quand bien même ce présent nous fait tout revenir en mémoire.
29:01 C'est accepter la fragilité de la vie, la perte, les manques.
29:05 Ainsi, chaque pas que pose Milène Tournier dans ce que m'a soufflé la ville
29:09 est une page de vie qui se tourne.
29:11 Chère Milène, la mort, l'absence, la rupture
29:14 sont des thèmes récurrents dans votre poésie.
29:17 Pour vous, écrire est-ce une façon de nous libérer de notre condition de mortel
29:21 ou au contraire de mieux l'apprivoiser ?
29:23 - Milène Tournier.
29:26 - D'abord merci Joséphine.
29:28 Je retiens cette phrase du sourire derrière le tumulte
29:31 et de la détresse derrière le tumulte.
29:33 Et cette chose qu'effectivement que parfois les...
29:35 Ce que tu disais Arthur, mais que les...
29:38 Et je crois que c'est l'exergue qui ouvre, mais le monde,
29:41 que l'autre monde du monde.
29:43 Et effectivement, je pense qu'il y a aussi peut-être une autre humanité
29:48 dans notre humanité et à laquelle, parfois,
29:52 c'est pas toujours facile de se frotter ni de se continuer.
29:55 Et que la poésie vaste, enfin la poésie comme état d'attente et d'écoute
30:07 et c'est un endroit peut-être où effectivement on retrouve
30:11 notre vulnérabilité et notre étrangeté totale
30:17 et beauté totale aussi que l'on est des humains sur Terre.
30:21 - Il faut accepter d'être vulnérable quand on lit de la poésie
30:28 mais aussi quand on la fait.
30:30 J'imagine que quand vous vous mettez à écrire automatiquement,
30:32 il y a cette idée de vulnérabilité, de ce ne sera pas parfait,
30:36 de je vais peut-être me tromper, je vais peut-être me rendre triste,
30:41 me faire du mal en écrivant quelque chose.
30:43 - C'est vrai que ça, ça fait du bien quand même.
30:45 Parce que quand on est homme de scène, comme c'est mon cas,
30:51 on essaye de montrer la part la plus parfaite,
30:55 la plus maîtrisée de soi-même, la plus grande.
30:59 Et ça fait du bien de retrouver cette humilité.
31:03 Et dans le cabinet, quand on arrive, je suis derrière un bureau,
31:06 il pourrait y avoir un rapport hiérarchique fort
31:08 qui crée un ascendant, un peu de gourou, tout ça.
31:11 Mais en fait, à l'instant où je me mets à écrire,
31:13 je suis en train de me plonger moi aussi avec la personne qui est là.
31:19 Et tout de suite, il y a cet échange, cette humanité en commun
31:23 qui se crée dans cette vulnérabilité
31:27 parce qu'on ne sait pas ce qui va arriver sur la feuille.
31:29 Et ça, c'est bien.
31:32 - Il y a un échange tout de même après, à la fin,
31:35 une fois que vous avez lu, donné, tendu votre poème manuscrit,
31:39 on vous dit quelque chose ?
31:40 - Oui, il n'y a pas d'interdiction de parole.
31:43 Déjà, il y a la politesse, c'est important.
31:46 On se dit bonjour, on peut discuter avant.
31:49 En tout cas, quand j'invite au silence,
31:52 c'est plus pour faire comprendre que le poème ne sera pas
31:55 le résultat d'une commande ou d'une chose que vous voulez me dire de vous-même.
32:01 Ou sur vous-même.
32:03 Il arrive souvent que le poème fasse détonation et qu'on pleure.
32:07 Avec pudeur, mais on a quelques larmes au bord des yeux
32:12 et donc ça peut donner envie aux personnes qui sont là de parler.
32:17 Et voilà, on peut le faire.
32:19 Donc ça arrive, oui, qu'on parle, bien sûr.
32:21 - C'est un projet éphémère, même si vous parliez d'un métier,
32:25 métier de poète, métier de déverseur, je ne sais pas comment vous le diriez.
32:29 Est-ce que ça vous a changé ?
32:31 - Oui, et puis je ne le vois pas du tout comme quelque chose d'éphémère.
32:34 C'est les contraintes temporelles qui la rendent éphémère.
32:37 Pour moi, c'est une inauguration. Cette semaine, c'était une inauguration.
32:40 Et d'ailleurs, j'ai sorti le livre à ce moment-là pour éclairer la démarche.
32:44 Et pas le contraire. Je n'ai pas fait ça comme un événement autour du livre.
32:49 J'ai aussi dit, tiens, on m'offre cette fenêtre de tir,
32:52 on me prête un endroit, le Centre Format à Paris, qui est un centre d'art,
32:55 me prête un endroit telle semaine, il faut que je mette
32:58 un endroit de côté pour que le métier existe. Je n'ai pas beaucoup de temps.
33:01 Là, je n'ai pas beaucoup de temps, mais dans ma vie, j'en aurai.
33:04 C'est pour ça que dès que j'ai l'occasion, l'endroit existe encore, j'en viens.
33:07 Dès que j'ai l'occasion, j'y vais. Je ne sais pas.
33:10 Ça m'a changé, oui. Je le pressentais fort, mais je ne pensais pas à ce point.
33:14 Et c'est assez émouvant quand on a comme ça des intuitions enfantines
33:18 et que leur réalisation est au-delà des espérances.
33:24 Je pourrais en parler longtemps, mais ça m'a changé simplement dans ce rapport
33:28 très simple d'humanité, d'échange, de présence à l'autre, d'attention,
33:33 de délicatesse, de simplicité.
33:36 - Et c'est aussi le but de ce Book Club, c'est de faire échanger les auteurs
33:41 et deux poètes, un poète et une poétesse, ce midi, sur France Culture.
33:45 Arthur Seboul, merci beaucoup d'être venu sur France Culture.
33:48 Le déversoir Poème Minute à lire chez les éditions Segerst.
33:52 Et Mylène Tournier, ce que m'a soufflé la ville, le présent,
33:56 c'est ce qui interrompt la mémoire. C'est en exergue de la couverture de votre livre.
34:00 C'est chez le Castor Astral. Merci à tous les deux.
34:03 - Merci beaucoup. - Merci d'être venu dans le Book Club.
34:05 - Il y a un poète qui travaille avec moi, il s'appelle Thomas Beaux, c'est le réalisateur.
34:15 Et dans un instant, il vous propose l'épilogue du Book Club.
34:17 D'abord, donc, Charles Dantzig, les 4 items.
34:19 - Hollywood, Babylone est le très bon titre trouvé par Kenneth Anger
34:24 à un livre qu'il a écrit sur cette ville ou cette portion de ville
34:27 qu'il surnomme la colonie du cinéma.
34:30 Cela finit de montrer comme les États-Unis sont physiquement, moralement,
34:35 pécunièrement, commercialement, essentiellement,
34:39 un pays de colonisation de leur propre territoire.
34:42 Pour commencer, des Puritains partis d'Angleterre et d'Écosse
34:46 pour créer sur le territoire américain des colonies qui disaient leur nom.
34:50 Puis, des colons révoltaient contre la métropole, colonisant ensuite le reste du pays
34:55 en rapinant des terres aux natifs.
34:58 Le territoire conquis et repeuplé,
35:00 ils ont perpétué cette mentalité colonisatrice intérieure.
35:04 Hollywood est à proprement parler devenue une colonie
35:07 dont les résidents généraux étaient les producteurs,
35:11 l'administration, les réalisateurs,
35:13 les petits blancs, les techniciens, l'engrais, les acteurs.
35:17 Les consommateurs, comme ceux des oranges d'Algérie,
35:20 étaient les habitants de la métropole.
35:22 Les États-Unis disent ne pas être un pays colonisateur,
35:25 c'est exact à l'étranger.
35:27 Ne sont-ils pas un pays auto-colonisateur ?
35:30 Kenneth Anger est un cinéaste bien connu de mille personnes,
35:34 ce qui fait des notoriétés plus solides que celles des cinéastes
35:38 réalisant des films vus par des millions de personnes.
35:41 Qui se rappelle le nom du réalisateur de Pouic Pouic,
35:44 un triomphe des années 60 ?
35:46 Anger a réalisé des films insolites, bizarres, stylisés
35:50 et souvent mieux que cela.
35:52 Des courts-métrages pour la plupart.
35:54 Il a été assez fou pour réaliser un film,
35:57 d'après les champs de Maldoror,
35:59 et assez comique pour en entreprendre un intitulé
36:02 "Senators in Bondage" inachevé.
36:05 On devinera son domaine d'imagination et sa tournure d'esprit
36:09 grâce au titres "Matelot en menottes" et "Patriotic Penis".
36:14 Dans les mêmes années 60, avec "Scorpiorizing",
36:17 il a inventé en 28 minutes l'homo-érotisme de la moto.
36:22 Il est né en 1907 et il est toujours vivant.
36:25 "Hollywood Babylon", dont les deux tomes sont traduits en français chez Tristram,
36:29 est un livre comme je les aime,
36:31 dans la mesure où il détruit une légende.
36:34 Toute légende est haïssable.
36:36 Légende est le mot charmant donné à la propagande.
36:39 La légende de Hollywood, répandue par les services de presse des studios,
36:43 consistait en contes de fées pour adultes.
36:46 Les actrices portaient des robes longues,
36:48 on se mariait dans le bonheur,
36:50 il y avait toujours quelqu'un de l'autre côté du téléphone quand on appelait.
36:54 Un rêve de midinette, un idéal de morale au service de la famille.
36:59 Angers le premier a raconté les orgies, les assassinats, les trahisons,
37:04 les complots contre l'art, les talents abîmés et la brutalité triomphante.
37:09 Évidemment, à ne se concentrer que sur cela,
37:12 il a créé un pittoresque qui a engendré une contre-légende,
37:17 elle-même devenue légende.
37:19 Et depuis 30 ou 40 ans, nous avons défilmé des séries sur le stupre,
37:23 le mensonge, les assassinats, la bêtise.
37:26 À Hollywood, tout fait ventre.
37:28 Hollywood est un ventre.
37:30 Les 4 thèmes de Charles Danziger retrouvés sur franceculture.fr et sur l'appli Radio France.
37:34 Un grand merci à toute l'équipe du Book Club,
37:36 Auriane Delacroix, Zora Vignet, Jeanne Agrappard, Didier Pinault et Alexandre Lale-Bégovitch.
37:40 Thomas Beau réalise l'émission et la prise de son ce midi.
37:43 Noé Chaban, nous tournons la dernière page du jour.
37:46 Voici l'épilogue qui est aussi une forme d'expérience poétique.
37:49 Je suis venue en marchant et j'ai croisé la rue de l'eau.
37:52 L'eau courante. C'est l'eau qui court.
37:54 Parfois le désir et la réalisation de désirs
37:56 ne sont pas complètement des murs mitoyens,
37:59 mais qu'il peut y avoir du jeu.
38:00 Est-ce que parce que je suis minoritaire, j'ai tort ?
38:02 Peut-être qu'on a tort, mais ce ne sera pas parce qu'on est minoritaire.
38:04 J'ai l'impression de prendre des bains dans la ville,
38:06 d'être consolée comme d'avance par autre chose que moi-même.
38:10 Maintenant, c'est dit.